(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 janvier 1790.J et rendre le plus noble hommage à leurs vertus ? D’ailleurs l’univers ne fait-il pas que votre véritable vœu, que votre véritable décret même est la prompte révocation des dispositions dont je parle et que c’est en effet l’opinion de la majorité de l’Assemblée nationale que je défends, en les combattant. Je le déclare donc : de semblables décrets n’ont pas même besoin d'être révoqués expressément ; ils sont essentiellement nuis, parce qu’aucune puissance humaine, pas même la vôtre, n’était compétente pour les porter. Le pouvoir des représentants, des mandataires d’un peuple, est nécessairement déterminé par la nature et par l’objet de leur mandat. Or, quel est votre mandat? de faire des lois pour rétablir et pour cimenter les droits de vos commettants. Il ne vous est donc pas possible de les dépouiller de ces mêmes droits. Faites-y bien attention : ceux qui vous ont choisis, ceux par qui vous existez, n’étaient pas des contribuables au marc d’argent, à trois, à dix journées d’impositions directes f c’étaient tous les Français, c’est-à-dire tous hommes nés et domiciliés en France, ou naturalisés, payant une imposition quelconque. Le despotisme lui-même n’avait pas osé imposer d’autres conditions aux citoyens qu’il convoquait (l): comment donc pourriez-vous dépouiller une partie de ces hommes-là, à plus forte raison la plus grande partie d’entr’eux, de ces mêmes droits politiques qu’ils ont exercés en vous envoyant à cette Assemblée, et dont ils vous ont confié la garde ? Vous ne le pouvez pas sans détruire vous-mêmes votre pouvoir, puisque votre pouvoir n’est que celui de vos commettans. En portant de pareils décrets, vous n’agiriez pas comme représentants de la nation: vous agiriez directement contre ce litre : vous ne feriez point des L is, vous frapperiez l’autorité législative dans son principe. Les peuples mêmes ne pourraient jamais ni les autoriser, ni les adopter, parce qu’ils ne peuvent jamais renoncer, ni à l’égalité, ni à la liberté, ni à leur existence comme peuples, ni aux droits inaliénables de l’homme. Aussi, Messieurs, quand vous avez formé ia résolution déjà bien connue de les révoquer, c’est moins parce que vous en avez reconnu la nécessité, que pour donner à tous les dépositaires de l’autorité publique un grand exemple du respect qu’ils doivent aux peuples, pour couronner tant de lois salutaires, tant de sacrifices généreux, par le magnanime désaveu d’une surprise passagère, qui ne changea jamais rien ni à vos principes, ni à votre volonté constante et courageuse pour le bonheur des hommes. Que signifie donc l’éternelle objection de ceux qui vous disent qu’il ne vous est permis, dans aucun cas, de changer vos propres décrets ? Gomment a-t-on pu faire céder à cette prétendue maxime cette règle inviolable, que le salut du peuple et le bonheur des hommes sont toujours la loi suprême, et imposer aux fondateurs de la constitution française, celle de détruire leur propre ouvrage, et d’arrêter les glorieuses destinées de la nation et de l’humanité entière, plutôt que de réparer une erreur dont ils connaissent tous les dangers? Il n’appartient qu’à l’être essentiellement infaillible d’être immuable : changer est non seulement un droit, mais un devoir pour toute volonté humaine qui a failli. Les hommes qui décident du sort des autres hommes sont (1) Voyez le Règlement de la convocation des États Généraux. 325 moins que personne exempts de cette obligation commune. Mais tel est le malheur d’un peuple qui passe rapidement de la servitude à la liberté, qu’il transporte, sans s’en apercevoir, au nouvel ordre de chose, les préjugés de l’ancien dont il n’a pas encore eu le temps de se défaire; et il est certain que ce système de l’irrévocabilité absolue des décisions du Corps législatif n’est autre chose qu’une idée empruntée du despotisme. L’autorité ne peut reculer sans se compromettre, disait-il, quoiqu’en effet il ait été forcé quelquefois à reculer. Cette maxime était bonne en effet pour le despotisme, dont la puissance oppressive ne pouvait se soutenir que par l’illusion et par ia terreur ; mais l’autorité tutélaire des représentants de la nation, fondée à la fois sur l’intérêt général et sur la force de la nation même, peut réparer une erreur funeste, sans courir d’autre risque que de réveiller les sentiments de la confiance et de l’admiration qui l’environnent ; elle ne peut se compromettre que par une persévérance invincible dans des mesures contraires à la liberté, et réprouvées par l’opinion publique. Il est cependant quelques décrets que vous ne pouvez point abroger, ce sont ceux qui renferment la déclaration des droits de l’homme, parce que ce n’est point vous qui avez fait ces lois, vous les avez promulguées. Ce sont ces décrets immuables du législateur éternel déposés dans la raison et dans le cœur de tous les hommes avant que vous les eussiez inscrits dans votre code, que je réclame contre les dispositions qui les blessent et qui doivent disparaître devant eux. Vous avez ici à choisir entre les uns et les autres, et votre choix ne peut être incertain, d’après vos propres principes. Je propose donc à l’Assemblée nationale le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, pénétrée d’un respect religieux pour les droits des hommes, dont le maintien doit être l’objet de toutes les institutions politiques ; « Convaincue qu’une institution faite pour assurer la liberté du peuple français et pour influer sur celle du monde, doit être surtout établie sur ce principe; « Déclare que tous les Français, c’est-à-dire tous les hommes nés et domiciliés en France, ou naturalisés, doivent jouir de la plénitude et de l’égalité des droits du citoyen et sont admissibles à tous les emplois publics, sans autre distinction que celle des vertus et des talents. » ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DF. M. TARGET. Séance du mardi 26 janvier 1790, au matin (1). M. le duc d’Aigutllon, l'un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. M. Goupil de Préfeln se récrie contre une clause du décret relatif au département d’Alençon. Il prétend que l’Assemblée n’a point décrété cette formule : sauf le droit des autres villes aux établissements qui seront fixés par la Constitution , si elles y ont droit. (1) Celte séance est incomplète au Moniteur 326 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 janvier 1790.] M. Gossin défend cette clause : il fait valoir que dans la circonstance actuelle, le comité, persuadé qu’il entre dans les vues de l’Assemblée, a cru et croit encore que, pour adoucir les inquiétudes des villes qui perdent à la révolution, et faire régner l’unité et l’harmonie dans toutes les parties de l’empire français, on doit laisser à ces villes l’espoir des autres établissements que le nouvel ordre de choses sera appelé à créer. M. le Président prend le vœu de l’Assemblée, qui décide que le procès-verbal ne sera pas changé. M. Barrère de Vieuzac annonce la demande formée par le sieur Hennequin, qui, étant employé depuis cinq mois dans le comité de constitution, pour ce qui concerne les cartes topographiques, désirait s’honorer du titre de Topographe de l’Assemblée Nationale. M. Hennequin est autorisé à prendre ce titre, d’après le vœu écrit du comité de constitution. M. llollien demande à l’Assemblée la permission de s’absenter quelques jours pour des affaires urgentes ; l’Assemblée le lui permet. M. de Noailles , membre du comité militaire, représente que le rapport de M. le marquis de Bouthillier, au nom de ce comité, n’a pu être encore imprimé à cause des états annexés et des calculs au soutien; il demande à faire le lendemain, à une heure, un nouveau rapport sur quelques points constitutionnels de l’armée, sur diverses questions qui intéressent les milices nationales et les troupes de ligne, ainsi que sur l’avancement dans l’armée. L’Assemblée accorde la parole au comité m ii-taire, pour la séance du lendemain à une heure. M . le Président annonce qu’il présente à la sanction du Roi le décret concernant les décimes, et celui qui établit le comité de liquidation de l’arriéré de la dette ; le Roi a répondu qu’il les prendrait en considération. & M. le garde des sceaux envoie ensuite des expéditions en parchemin, pour être déposées dans les archives : 1° des lettres-patentes sur le décret portant que l’île de Corse fait partie de l’empire français; 2° des lettres-patentes sur deux autres décrets qui affranchissent de la formalité du contrôle et des droits du timbre tous les actes relatifs à la constitution des municipalités et autres corps administratifs, et qui déterminent l’état des villes et communautés mi-partie entre différentes provinces. Bom Verguet rappelle qu’il a été décrété dernièrement qu’il serait établi un comité de quatre membres chargé de rédiger un règlement de police pour l’Assemblée. Il réclame l’exécution de ce décret. M. Boutteville-Dumetz propose de renvoyer cette rédaction au comité de constitution. M. l’abbé JLcb reton observe que certains bureaux ont déjà procédé à la nomination de ces commissaires. M. le Président invite les autres bureaux à procéder au plus tôt à la même nomination. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur la division des départements du royaume. M. Gossin, rapporteur, expose les difficultés qui se sont élevées entre le Forez et le Vivarais, ainsi qu’entre le Vivarais et le Vélay. M. Bichond, député de Vélay , dit que le département du Vélay n’a pas la contenance déterminée par les principes de l’Assemblée nationale; que les trois paroisses, qui forment l’objet de la difficulté entre le Vélay et le Forez, ne sont qu’à deux lieues du centre d’un des districts du Vélay et à six ou sept lieues du centre du département, tandis qu’elles sont à sept lieues du centre du district du Lyonnais, le plus voisin, et à quinze lieues du chef-lieu de ce département; il soutient que le pays qui fait l’objet du litige doit rester au Vélay, d’après le vœu manifesté par les paroisses en contestation. M. Chasset fait observer qu’il est convenable de suivre le vœu des administrés ; il appuie cet avis par la considération que les cantons dont on veut contrarier les désirs sont soumis à une juridiction qui diffère beaucoup de celle que l’on suit dans le pays qui réclame. M. le Président met aux voix le projet de décret du comité de constitution qui est adopté en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution: 1° que la ligne de démarcation entre le département du Vélay et celui de Lyon, laissera dans le premier toutes les paroisses au sud d’une ligne qui embrasse Saint-Pol-de-Chalençon et Saint-Just-en-Vélay, le tout conformément au tracé déposé au comité de constitution, et signé par l’un des membres de ce comité, en observant que le Vélay conserve tout ce qui lui appartenait précédemment ; « 2e Que les limites entre le Vélay et le Vivarais restant telles qu’elles existent dans les parties non contestées, la démarcation dans les points litigieux sera telle que les paroisses de Goucou-ron, la Vilate et Lesperon, et toutes celles à l’ouest de ces premières, appartiendront au département du Vélay, le tout conformément au tracé signé par un membre du comité de constitution ; et que les paroisses de Ghanderolles, Fay-le-Froid et les Vastres, qui réclament et demandent formellement leur adjonction au département du Vélay, y seront aussi réunies; sauf dans ce dernier cas à laisser au département du Vivarais celles de Lesperon, Coucouron et la Vilate. » « 3° Que les paroisses de Colombier-le-Jeune, Rochebloine, Palharès et Rozières, enclavées dans le Vivarais, et dépendantes du Forez, seront réunies au département du Vivarais. » M. Gossin poursuit son rapport et passe au département de Picardie. La division du département d’Amiens en districts a occasionné des réclamations de la part des villes de Roye, Doullens, Nesleet Ham; ces villes se plaignaient de ce que la division avait été réduite à quatre districts-elles allèguent queledé-partement contient trois cent vingt-cinq lieues; que cette étendue suffit à la formation de neuf districts; que l’inconvénient de la dépense n’est pas comparable aux inconvénients de l’éloignement qui séparerait les administrés des administrants. . . Les députés d’Amiens répondent que la division a été déterminée par la situation des villes qui pouvaient être centres de districts ; que d’ail-