275 [Assemblée nationale»} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1790.] cependant cet édit a paru en 1774, et maintenant tous les propriétaires de liefs sont remboursés. Comment cela s’est-il fait? Les communautés se sont syndiquées, elles ont emprunté, et avec les deniers de leurs emprunts, elles ont payé leur rachat. Serait-il impossible d’imiter cbez nous cet exemple? M. Brillat-Savarin. Il m’est très facile de vous donner des éclaircissements sur la manière dont les droits féodaux se sont rachetés en Savoie :je demeure dans un pays voisin de celui-là. Le premier objet du roi de Sardaigne avait été de laisser à chaque individu la liberté de se racheter; il est vrai que les grands seigneurs qui environnent le trône ont bientôt fait changer ce parti; il est vrai que l’on a fait le rachat avec des troupes; il est vrai que les censitaires n’ayant pas d’argent pour ce rachat ont été obligés de se rendre pour se racheter; il est encore vrai que le rachat n’est point achevé. J’ai entendu les communautés gémir de la manière dont ce rachat s’est fait : la génération actuelle est plus mal qu’auparavant. M. Girod de Toiry. Le roi de Sardaigne avait rendu un édit qui n’eut point d’effet. Le roi actuel a forcé les seigneurs à porter leurs titres par devant une commission de gens éclairés et d’une probité reconnue, ün a fait le tarif le plus exact possible, puis on a imposé tant par livre sur la taille, et avec le produit de cette imposition, chaque terre s’est libérée. M. Cortois de Balore, évêque de Nîmes. A l’époque de l’édit rendu par le roi de Sardaigne, j'étais membre d’une église de Savoie ; elle me chargea de stipuler pour elle dans cette opération : j'en connais parfaitement tous les détails, et j’observe que le dernier préopinant a rapporté les faits avec exactitude, et que M. Savarin a eu tort de dire que l’on a employé la force coactive. M. le Président. Il paraît nécessaire de rappeler aux opinants qu’il ne s’agit pas en ce moment du prix du rachat, mais des principes suivant lesquels le rachat sera établi. M. Tronchet. Le comité a eu deux règles principales : votre décret, par lequel le rachat a été ordonné, et les lois de la justice; il a voulu balancer les intérêts du censitaire et ceux du propriétaire de fief. Nous avons remarqué que le rachat en bloc était plus prompt et plus utile même au propriétaire de fief; mais pouvons-nous prendre ce parti sans nous écarter de votre décret ? Dire que des droits sont rachetables, ce n’est pas obliger à les racheter. La faculté de racheter est donnée à celui qui doit payer jusqu’au remboursement; l’individu doit payer jusqu’au remboursement; donc la faculté du rachat lui est donnée. Il faudrait, pour racheter en masse, ou emprunter, ou payer de la poche ; or, dans le second cas, beaucoup de redevables ne pourraient pas rembourser: dans le cas de l’emprunt, on serait soumis à une rente foncière pour un droit éventuel qui n’arrivera jamais, si je ne veux ni vendre ni acheter. Dans un pays comme la France, l’opération du rachat en masse paraît impossible. D’après votre décret, nous ne pouvions pas vous la proposer : voyez si vous voulez revenir sur votre décret. M. de Richier vous a présenté des inconvénients qui sont communs à toute terre où les champarts ou agriers ont lieu : 1° Il faut observer qu’il s’agit ici d’un inconvénient local, et non d’une objection générale contre le principe; 2° quand il s’agira de la liquidation des objets de détail, on prendra celui-ci en considération. La proposition de M. Dupont sera examinée lorsqu’il sera question des moyens d’exécuter le rachat. L’Assemblée délibère. — L’article 1er, l’article 2 et l’article 3 sont adoptés sans changement. On lit l’article 4. M. Delaudine. Cet article ôte la solidarité à celui qui a payé pour tous; mais, en droit, la solidité est indivisible, û’emphytéote en emphy-téote, le droit seigneurial s’éteindra. Je propose en amendement ces mots : « Pourra se faire subroger à tous les droits du propriétaire original.» M. de Richier. On pourrait dire : « Auquel cas il demeurera subrogé de droit. » M. Tronchet. Les deux parties de l’article sont rigoureusement calquées sur les vrais principes du droit. Celui qui ne paie que volontairement pour un autre n’a pas le droit d’être subrogé; mais le comité, pour favoriser les remboursements, ne s’oppose pas à ce que le second amendement proposé soit adopté en ces termes : « Auquel cas il sera subrogé de plein droit aux droits du tenancier. » Il est impossible d’admettre l’autre amendement. La solidarité parcourrait en effet un cercle vicieux, d’où il résulterait qu’a-près avoir racheté je serais encore solidaire. (L’Assemblée adopte l’amendement accueilli par M. Tronchet ; elle décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur celui de M. Delandîne.) M. de Richier. Vous autorisez-le copropriétaire à racheter la totalité de la rente, et vous l’exemptez de payer la totalité des lods et ventes. Vous faites l’avantage de celui qui rachète au détriment du propriétaire. Dès qu’un particulier peut racheter toute la reute, qu’il rachète donc toutes les charges. M. Goupil de Préfeln. Cette observation est très juste; il me paraît convenable de laisser l’option aux seigneurs. M. Tronchet. La réponse à cette observation se trouve à la première partie de l’article 4; cependant, pour éviter toute confusion, je propose à cet article un changement qui serait ainsi conçu : « ..... Si ce n’est du consentement de celui auquel la redevance est due, lequel pourra refuser le remboursement total, en renonçant à la solidarité vis-à-vis de tous les débiteurs. Quand le redevable aura fait le remboursement total, il demeurera de plein droit subrogé aux droits du tenancier... » (Ce changement est adopté.) L’article 4 est décrété ainsi qu’il suit : «Art. 4. Lorsqu’un fonds tenu en fief ou en censive et grevé de redevances annuelles solidaires sera possédé par plusieurs copropriétaires, l’un d’eux ne pourra pas racheter divisément les-dites redevances au prorata de la portion dont il est tenu, si ce n’est du consentement de celui auquel la redevance est due, lequel pourra refuser le remboursement total, en renonçant à la solidarité vis-à-vis de tous les coobligés ; mais quand le redevable aura fait le remboursement total, il demeurera subrogé aux droits du tenan- 276 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2-4 avril 1790.] cier pour les exercer contre ses codébiteurs, à la charge de ne les exercer que pour une simple rente foncière, et sans aucune solidarité, et chacun des autres codébiteurs pourra racheter à volonté sa portion divisérnent. » (L’article 5 est relu.) Plusieurs membres demandent l’ajournement. M. le Président consulte l’Assemblée, qui repousse l’ajournement et adopte l’article 5 dans les termes proposés par le comité. M. le Président lève la séance à trois heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE MARQUIS DE BONNAY. Séance du samedi 24 avril 1790 au matin (1). M. Brevet de Beaujour, secrétaire, donne lecture du procès-verbai de la séance du jeudi 22 avril au soir et de celui de la séance d’hier. M. Frétcau. Je demande qu’il soit ajouté à l’article 2 du décret rendu hier sur la chasse une disposition propre à empêcher la violation des propriétés d’une manière plus déterminante que la peine d’une condamnation pécuniaire. Voici le paragraphe que je propose d’ajouter à l’article 2 : « Sans entendre par l’Assemblée nationale rien innover aux dispositions des autres lois qui protègent la sûreté des citoyens et de leurs propriétés, et qui défendent de violer la clôture des lieux qui forment leur domicile, et qui y sont attachés. » L’Assemblée nationale décrète cet article additionnel, et ordonne qu’il sera envoyé, sans délai, à M. le garde des sceaux, pour être joint au décret rendu sur le fait de la chasse. M. !Le Bols Pesguays affirme que les décrets de l’Assemblée nationale ne sont pas exactement envoyés dans les provinces; que le défaut d’envoi cause de l’inquiétude et peut être nuisible aux populations qui les ignorent. Plusieurs membres présentent des réclamations analogues. M. Fréteau, l’un des quatre commissaires nommés pour surveiller l’envoi des décrets, demande à rendre compte demain de leur travail sur cet objet. L’Assemblée charge, en outre, ses commissaires de faire part à M. le garde des sceaux des réclamations qui viennent de se produire. M. le comte de Marsaane fait une motion relative aux biens des •protestants , et propose que l’Assemblée nationale décrète, comme conséquence de ses principes, que tous les biens ou propriétés, saisis ou confisqués sur les protestants en vertu de la révocation de l’édit de Nantes, et 1) Cette séanco est incomplète au Moniteur. qui se trouvent encore entre les" mains des fermiers de Ja régie, seront rendus aux descendants, héritiers ou représentants des anciens propriétaires, à la charge par eux de justifier de leurs droits, selon les formes que l’Assemblée décrétera à ce sujet. M. Gaultier de Biauzat répond que le principe a été reconnu même avant le rétablissement de la liberté; que les réclamations des ré-ligionnaires fugitifs ou de leurs héritiers, avaient été écoutées dans tous les cas où elles avaient été accompagnées des preuves de filiation ou de succession en collatérale ; qu’ii est vrai qu’ou exigeait anciennement le retour dans le royaume et le certificat de catholicité, mais que la première de ces deux conditions est annulée par les précédents décrets et que la seconde demande un examen sérieux. M. Goupil de Préfeln dit qu’il est à sa connaissance que plusieurs réclamations ont été re-jetées; il demandequela discussion de la motion soit renvoyée à jour fixe. M. Gaultier de Biauzat réplique qu’une motion semblable précédemment faite par M. de Marsanne a été renvoyée au comité des domaines, qui s’occupe de la question, et qui a chargé M. Barrère de Vieuzac de faire le rapport. II demande l’ajournement. L’ajournement est . mis aux voix et prononcé. L’Assemblée reprend la suite de la discussion sur le projet de décret , titre IV, relatif au rachat des droits féodaux supprimés sans indemnité. M. Tronchet, rapporteur , donne lecture de l’article 6 qui est adopté sans changement, ainsi qu’il suit : Art. 6. Pourront les propriétaires de fiefs, ou de fonds censuels, traiter avec les propriétaires de fiefs dont ils sont mouvants, de gré à gré, à telle somme, et sous telles conditions qu’ils jugeront à propos du rachat, tant des redevances annuelles que des droits casuels ; et les traités ainsi faits, de gré à gré, entre majeurs, ne pourront être attaqués sous prétexte de lésion quelconque, encore que le prix du rachat se trouve inférieur ou supérieur à celui qui aurait pu résulter du mode et du prix qui seront ci-après fixés. M. Tronchet lit l’article 7 en ces termes : « Les tuteurs des mineurs ou interdits, les grevés de substitution .les maris dans les pays où. les dots sont inaliénables, même avec le consentement de la femme, ne pourront liquider les rachats des. droits dépendant de fiefs appartenant aux mineurs, anx interdits, à des substitutions et aux femmes mariées, qu’en la forme et au taux ci-après prescrit, et à la charge du remploi. Il en sera de même à l’égard des propriétaires des fiefs, lesquels par les titres sont assujettis au droit de réversion en cas d’extinction de la ligne masculine, ou dans d’autres cas : le redevable qui ne voudra point demeurer garant du remploi, pourra consigner le prix du rachat, lequel ne sera délivré aux personnes qui sont assujetties auremploi qu’eu vertu d’une ordonnance du juge, rendue sur les conclusions du ministère public, auquel il sera justifié du remploi. » M. Mougins de Roquefort demande d’ajouter le mot pupilles dans la teneur de l’article, faisant