[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 octobre 1789.] §Jg jusqu’à ce que l’Assemblée nationale ait établi une forme qui puisse concilier les droits de Sa Majesté avec l’ancienne discipline de l’Eglise, relativement aux élections; 3° Qu’on donnera une pension viagère aux chanoines actuels des églises collégiales ; que les chapitres seront supprimés, sans excepter les chapitres nobles dont, l’institution est aussi opposée aux principes de l’égalité sociale que contraire à l’esprit de l’Evangile. 4° Que les chapitres des cathédrales seront réformés pour les ramener à leur institution primitive, ou supprimés; 5° Que l’Assemblée nationale chargera son comité de constitution de lui présenter, sans délai, aux séances des vendredi et samedi, ses réflexions sur cette question : Le clergé régulier n’étant pas nécessaire pour le ministère, sera-t-il supprimé sans exception, ou bien quelques congrégations seront-elles conservées et appliquées à quelques objets d’utilité publique? 6° Qu’il sera fait dans toutes les églises cathédrales et collégiales, ainsi que dans tous les monastères, un inventaire exact de l’argenterie des églises et de la vaisselle à l’usage des maisons religieuses, et que cet inventaire sera envoyé à l’Assemblée nationale. M. «le Boisgelin, archevêque d'Aix (1). Messieurs, les biens des églises appartenaient à ceux qui les ont donnés ; ils pouvaient les donner, ils pouvaient les retenir. Ils en avaient la liberté, par le droit naturel, quand elle n’était point interdite par la loi. Cette liberté même, assurée par la loi, formait une partie de leur propriété. La propriété des églises est celle des citoyens qui les ont dotées. C’est la même loi qui protégeait la libre disposition de leurs biens dans l’usage de leur vie et daus le cours du commerce, et qui protégeait la disposition qu’ils en ont faite en faveur des églises. On ne peut pas enfreindre la loi qui maintient le don, sans enfreindre la loi qui maintenait la faculté de donner. Les acquisitions faites par les églises semblent ajouter un droit de plus à leur propriété. Les églises ont acquis à titre onéreux, sous la protection des lois, une grande partie de ce qu’elles possèdent. Voudrait-on leur ravir ce qu’elles ont acquis, comme ce qu’elles ont reçu? Les biens donnés aux églises, lés biens acquis par les églises étaient soumis à des charges et des services. Ils dépendaient de plusieurs propriétaires ou suzerains : ils ne pouvaient pas être donnés, vendus, acquis sans leur approbation. Toutes les anciennes chartes rapportent les preuves et les formules de leurs consentements successifs et graduels. Tantôt les services étaient conservés, et chaque église les acquittait selon les lois ou les coutumes ; tantôt ils étaient abolis, et leur abolition était stipulée, et la confirmation de toutes les parties intéressées donnait à ces stipulations la force et la perpétuité. Ce sont ces contrats, émanés de toutes les classes île citoyens, qu’il faut annuler pour envahir les biens des églises. Observez qu’il faut reconnaître ces contrats, ou qu’il faut les contester. Pouvez-vous contester leur existence? Il faut renverser tous les monuments de l’histoire de France et de celle de l’Europe, pour les révoquer en doute. (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. de Boisgelin. Pouvez-vous nier que ces contrats n’aient été revêtus de toutes les lois? Pouvez-vous nier qu’ils n’aient été reconnus pendant tant de siècles comme valides, perpétuels et irrévocables? Vous ne pouvez pas les détruire, sans détruire toutes les lois qui leur ont donné leur sanction. Vous ne pouvez pas reconnaître que ces lois sont irrévocables, quand vous les révoquez ; qu’elles sont perpétuelles, quand vous les abrogez ; qu’elles sont valides, enfin, quand vous les annulez. La plus grande partie des possessions des églises provient de la cession des biens des chefs des églises et des monastères. C’étaient les plus puissantes familles qui donnaient des religieux aux églises et des chefs aux églises. Ces hommes, dévoués au cloître et au gouvernement des diocèses, consacraient à lareligion leurs biens comme leur liberté. C’est là la plus grande partie des biens des églises de France. Comment peut-on ravir à leurs successeurs les droits qu’ils leur ont transmis? 11 n’y a rien là qui manque à l’intégrité du contrat. Ce n’est pas l’effet d’une pénitence tardive et des terreurs de la mort. C’est la disposition d’une vie entière et non l’acte d’un moment. C’est sous la protection des lois que les cessions ont été faites et consommées. Et c’est après cinq, après huit et douze siècles qu’on veut réclamer contre des lois constamment exécutées. Il est des possessions de l’Eglise dont l’origine remonte, par des titres incontestables, avant l’établissement même de la monarchie. Les divi sions de métropoles et des diocèses d’une partie de la France furent connues sous l’empire des Romains, et les chefs des églises, admis dans les municipalités des Gaules, jouissaient des pouvoirs civils et politiques, et de tous les droits de propriété que les lois pouvaient donner aux corps établis, ainsi qu’aux citoyens. Que devient la première de toutes les lois, sans laquelle toutes les autres ne sont rien, la prescription ? Il n’y a pas dans les lois de toutes les nations policées, il n’y a pas dans celles de la France une seule loi sur les propriétés qui ne suppose la prescription. Cette loi, qui prévient ou qui répare tous les maux inséparables de l’oubli des traditions et de la perte des titres, est rappelée dans toutes les ordonnances, édits et déclarations qui concernent les propriétés. Quelle est la possession qui puisse invoquer cette prescription dix ou douze fois centenaire, qui semblait mettre les antiques possessions des églises à l’abri de toute atteinte? Les titres des biens des églises ne sont pas seulement ceux des donations et des contrats. Des terres incultes, inhabitées, données à l’Eglise, ont été défrichées par des possesseurs laborieux. Ils ont appelé des habitants. Ils les ont nourris, entretenus. Ils les ont mis à l’abri des guerres et des vexations. Ils ont ouvert des routes au commerce. Ils ont donné l’exemple aux propriétaires de biens-fonds. Us ont enrichi, fécondé la France entière, et la valeur progressive de leurs possessions, et de toutes les possessions, est le monument éternel de leurs travaux ou de leurs soins. Ces accroissements de culture et de prospérité sont des possessions qui leur appartiennent au premier de tous les titres, et ces possessions, qui ne furent ni. données, ni vendues, sont l’ouvrage de leurs mains et comme un présent qu’ils ont fait à l’Eglise et que la nation ne peut pas lui disputer. 616 Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Vous respectez le droit de celui qui peut établir parmi vous une nouvelle manufacture, et vous ne voulez pas reconnaître les droits de ceux qui ont établi, pour le bonheur de vos pères et pour le vôtre, la plus riche ries manufactures, celle d’une terre cultivée et féconde. Ce n’est pas tout. Ils ont donné ces terres mêmes qu’ils avaient cultivées. Ils les ont distribuées, sans réserves ni droits, parmi les habitants des campagnes. La plupart des terres possédées sans redevances dans le voisinage des monastères sont un don de la religion et de la charité. On les distingue des possessions plus éloignées qui supportent toutes les anciennes charges de la féodalité. Tous les titres se réunissent pour protéger et pour maintenir les possessions des églises, ceux des donations, ceux des acquisitions, ceux des plus antiques possessions, l’inviolable loi de la prescription, le droit du travail et de l’industrie, et le droit plus saint et plus respectable encore de la bienfaisance et de la charité. Vous demandez notre consentement, comme celui de tous les citoyens, pour établir un impôt sur nos biens, et vous ne le demandez pas pour les vendre et les aliéner. L’impôt est l’emploi d’une partie de la propriété. Nous devons avoir les mêmes droits sur notre propriété tout entière que sur une partie de notre propriété. Quelle est la classe de citoyens dont on puisse aliéner les possessions, sans l’offre et le consentement des possesseurs? Il ne suffirait pas d’obtenir un consentement présumé parla voie d’une représentation nationale, pour disposer des mêmes fonds sur lesquels on établit une imposition. Nous réclamons les droits de toutes les classes de citoyens. Vos députés avaient dit, en votre nom, que toutes les possessions et les propriétés du Clergé seraient inviolables et sacrées. Il est impossible qu’une Assemblée nationale, plus forte et plus éclairée par la réunion de tous les représentants de la nation, oublie ses engagements, ses promesses et tous les principes qu’elle regardait comme fondés sur les premières notions de la justice et sur la législation entière du royaume. On dit que la propriété des biens ecclésiastiques n’est pas une vraie propriété : Premièrement, parce qu'elle n’emporte pas la liberté d’aliéner, et qu’elle se borne à la simple jouissance d’un usufruit ; Secondement, parce que l’Eglise forme un corps moral, incapable de posséder. Les substitutions ne laissent pas la liberté d’aliéner, et les substitutions sont des propriétés. Vous pouvez détruire les substitutions pour l’avenir. Vous ne pouvez pas ravir les biens à ceux auxquels ils sont substitués. Vous pouvez détruire les substitutions, quand elles ne sont pas perpétuelles ou graduelles. Voilà les moyens légitimes qui vous sont donnés pour exécuter les idées justes, et faire des choses utiles. Appliquez ces principes aux substitutions des biens ecclésiastiques, et vous jugerez de la nature de leurs propriétés, ainsi que des moyens sages d’y mettre des bornes. Les églises de France n’ont point aujourd’hui la liberté d’aliéner ; elles avaient la liberté d’aliéner dans les mêmes temps qui sont l’époque de leurs donations et de leurs acquisitions. On n’a pas voulu laisser à la discrétion des titulaires le dangereux pouvoir de dissiper les biens des églises. C’est pour les conserver qu’une loi pro-[31 octobre 1789.] tectrice a fait perdre aux titulaires la faculté de les aliéner. On ne peut pas invoquer, pour détruire les possessions ecclésiastiques, les lois établies pour les conserver. L’usufruit des titulaires des bénéfices a pour objet leur entretien personnel et leurs services. Leur entretien personnel est un objet semblable à celui de tous les usufruits. Les possessions usufruitières des citoyens de tous les Etats ne forment pas un autre genre de propriété. Vous ne pouvez pas disposer des possessions des citoyens, quand elles ne sont qu’un usufruit. Nous respectons, comme une propriété, l’usufruit des rentes viagères, qui ne sont créées que pour une génération, et qui doivent s’éteindre avec elle, et nous ne regarderions pas comme une propriété des rentes foncières transmises à la succession des titulaires, dans toutes les générations ! Qu’importe, enfin, que ce soit la propriété d’un homme ou d’une succession d’hommes ? Les propriétés héréditaires ou transmissibles se composent elles-mêmes des propriétés successives de chaque génération ; et si la possession d’une seule génération n’est pas inviolable, celle de toutes les générations ne peut pas l’être. L’usufruit est l’élément de toute propriété : ce serait révoquer toutes les propriétés en doute, que de ne pas regarder les jouissances habituelles et usufruitières de chaque génération comme une propriété. L’usufruit même des titulaires est la propriété perpétuelle de chaque église. C’est un usufruit dans les mains des tilulaires ; c’est une propriété dans les mains de chaque église, et chaque église réclame sa propriété. Ce n’est donc pas une raison de dire qu’une église n’a pas une vraie propriété, parce que celle des titulaires des bénéfices n’est qu’un usufruit. Il reste à savoir si l’Eglise, ou chaque église, qui n’est et ne peut être qu’un corps moral, est capable de posséder. 11 faut considérer que la propriété de chaque église n’est que la succession des usufruits de chaque titulaire: c’est la même question, considérée sous une autre dénomination. On ne peut pas nier que chaque titulaire ne puisse être usufruitier, on ne peut donc pas nier que chaque église ne puisse avoir une propriété qui n’est elle-même que la succession des usufruits des bénéficiers. Pourquoi chaque église ne pourrait-elle pas posséder, comme un hôpital, un collège, un établissement public, comme les communautés, les provinces et comme la nation ? La nation elle-même n’est qu’un corps moral. Elle ne peut pas posséder, s’il est vrai qu’un corps moral ne puisse pas avoir de propriété. Elle ne peut pas disposer des biens des églises, s’il est vrai qu’elle ne puisse pas posséder. Elle ne peut pas exercer sa propriété sur les églises, quand elle ne peut pas en avoir une. La plus grande propriété, dans toutes les nations, est celle de la puissance publique; et c’est. par des classes et des collections de citoyens que s’exerce la puissance publique. Il faut le dire, c’est par des relations morales que se forme l’existence de tous les corps, et que s’entretient celle même des familles. Ce sont des relations morales qui sont l’objet de tous les sentiments, et le principe de tous les droits établis ; et les lois sont les nœuds qui resserrent ces liens nécessaires des sociétés et des propriétés des citoyens. La propriété des églises doit, sans doute, avoir des bornes, comme les pouvoirs exercés par tous I les corps, celles que leur marque l’utilité publique. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 octobre 1789.] 617 Leurs propriétés sont chargées d’un service indispensable; ce n’est pas pour la libre disposition et le seul entretien personneldes ministres de la religion que leurs biens leur furent donnés. Peut-on croire que leurs droits soient affaiblis par l’utilité des objets sur lequels ils doivent s’exercer? Et leur propriété doit-elle être moins respectée, par les raisons mêmes qui la rendent plus respectable? Supposez que la propriété n’appartient pas aux titulaires ; supposez qu’elle n'appartient pas même aux églises ; nous la réclamons pour les objets et les services auxquels elle est affectée. On ne songe qu’aux revenus des bénéfices. On oublie le titre des bénéficiers. G’est leur titre qui fait leur propriété ; c’est à leurs services, c’est aux devoirs de leur ministère que sont attachées leurs possessions. Les lois civiles et canoniques ont uni les possessions au titre et le ti tulaire à l’Eglise. 11 faut détruire des liens consacrés par la religion et confirmés par la loi pour changer l’état des titulaires et la disposition des revenus. On ne peut pas séparer le titre et la propriété; on ne peut pas ravir la propriété sans détruire le titre ; il n’est personne, sans doute, parmi nous qui veuille ôter à l’Eglise le pouvoirde conférer les titres canoniques, d’établir les services spirituels, et d’exercer sa juridiction dans l’ordre des lois de la religion. Faut-il regarder l’Eglise comme étrangère et non reçue dans l’Etat ?Faut-il attribuer à la puissance civile cette suprématie que toutes les décisions regardent comme une autre religion et comme un schisme ? Un décret qui dispose des biens des églises s’arrête aux effets et ne remonte pas aux principes. Ces principes sont dans les lois qui ne sont point révoquées, et qui subsistent dans toute leur force; ce sont les lois mêmes de l’Eglise et de l’Etat. C’est l’union de la puissance civile et de la juridiction ecclésiastique qui forme le titre des bénéfices. On ne peut pas annuler, sans leur concours, leurs formes communes et leurs unanimes dispositions. Que deviendraient les droits des patrons, dont les bénéficiers ont reçu leur titre, et que toutes les lois ont respectés ; quand les lois ont cru pouvoir négliger ou forcer le consentement des titulaires, celui des communautés ecclésiastiques, pour procéder à des suppressions, des aliénations et des unions utiles à l’Eglise et à l’Etat, elles ont toujours cru devoir laisser aux patrons laïques leur inviolable liberté. On ne peut pas détruire, sans les consulter, des possessions indépendantes de leur nomination. On ne peut pas aliéner les biens des églises, sans détruire les droits ou sans obtenir le consentement des 'patrons. Que deviendront les droits plus sacrés des fondateurs, dont les bénéficiers sont les véritables mandataires ? De quel droit, à quel titre peut-on ordonner que leurs intentions ne seront pas remplies?� ont chargé les titulaires d’un service auquel leurs biens sont affectés. Ce service est celui de la religion, vous la respectez et vous ne voulez pas la détruire, et vous sentez àqueipoint il est nécessaire de conserver la religion dans l’esprit des peuples. Vous ôteriez une base .à la morale. Quelle est la base que vous pourriez y substituer? Nulle voix ne parle au cœur de l’homme malheureux et solitaire, comme celle qui ne vient ni des rois, ni des juges, ni des riches, ni de nul de ses semblables, celle qui pénètre son asile dans les moments de son désespoir ou de son repos, et dans les tristes intervalles de ses travaux et de son sommeil. G’est là, c’est dans le fond de son cœur que les lois des humains ont besoin d’un autre appui que celui de toutes les puissances humaines. A Dieu ne plaise que je croie pouvoir exposer en un moment toutes les raisons qui rendent chaque jour plus sensible l’utilité delà religion. La puissance civile a besoin sans cesse d’y recourir elle-même dans les grandes calamités; et Je Roi n’a pas trouvé de frein plus puissant pour réprimer les mouvements populaires, que celui des leçons et des maximes toujours respectées de la religion. Quand on reconnaît que le maintien de la religion est utile et nécessaire aux Etats, on doit reconnaître le droit des fondateurs qui donnent leur propre bien pour un objet utile et nécessaire à l’Etat, et nous ne pouvons pas le violer, quand nous sommes forcés de le reconnaître. 11 est même des donations qui effacent plus sensiblement le caractère de la propriété des fondateurs, celles qui stipulent la reversion dans le cas de changements prévus. C’est en vertu d’une clause semblable que le roi de Sardaigne a repris des biens donnés à l’Eglise par ses ancêtres. Et si les familles de tous les fondateurs étaient connues. elles auraient sans doute des droits à réclamer sur les dispositions de leurs biens, contraires à leurs intentions; on ne peut suppléer au consentement des fondateurs que par celui des églises auxquelles ils ont transmis tous leurs droits. Si l’intention des fondateurs n’est pas remplie comme elle doit l’être ; si les abus ont détourné l’emploi des biens consacrés ; ah I sans doute, il faut réformer les abus : réformer n’est pas détruire. Nous concourons aux intentions des fondateurs parla réforme des abus. Nous violons les intentions des fondateurs par l’usurpation des biens. Quelles que soient ces raisons, on dira peut-être qu’elles peuvent servir à diriger les dispositions des biens de l’Eglise, et non à nous interdire le droit d’en disposer. Car enfin l’Eglise ne peut pas posséder sans l’autorité de la nation ; c’est la nation dont elle tient la faculté de posséder. La nation peut retirer son autorisation : la nation peut refuser à l’Eglise la faculté qu’elle lui donne. Yoilà le vrai principe. Ce n’est pas la nation qui donne les biens aux églises ; ce n’est pas à la nation, c’est aux églises que les biens ont été donnés. Mais c’est de la nation que chaque église tient la faculté de posséder, nous sommes loin de fonder les titres des églises sur les seules volontés des patrons et des fondateurs, des citoyens ou des rois. Nous en affaiblirions l’autorité, si nous ne remontions pas à sa source. Les rois sont les représentants héréditaires de la nation : les rois et les citoyens sont soumis aux lois de la nation. C’est en vertu des lois qu’ils ont donné des droits aux églises; c’est l’autorité des lois, c’est celle de la nation qui confirmait tous les pouvoirs et tous les droits des églises, et qui les mit à l’abri de toute atteinte. Oui, nous possédons au titre le plus respectable, celui de la volonté de la nation depuis l’établissement de la monarchie. Rien ne manque à nos possessions de tout ce qui peut en légitimer la propriété. Les possessions patrimoniales ne sont pas fondées sur d’autres lois que les nôtres, parce qu’il est impossible de séparer aucun titre de propriété de la loi qui le protège, et parce que la loi ne peut pas avoir une plus grande force que celle de la volonté de la nation. 618 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 octobre 1789.] La nation a donné la faculté de posséder à l’Eglise. Elle peut la lui retirer. Il faut expliquer Je sens des mots. Elle peut interdire à l’Eglise le droit d’acquérir de nouvelles possessions : elle exerce ainsi le retrait de la faculté qu’elle avait donnée. L’édit de 1749 a rempli le vœu de la nation, et ne lui laisse plus rien à craindre pour l’avenir. Mais elle ne peut pas donner un effet rétroactif à son interdiction; elle ne peut pas déclarer aujourd’hui qu’elle n’avait point accordé la faculté de posséder aux églises. Sa déclaration serait démentie par l’état même des possessions ecclésiastiques, comme par tous les monuments de l’histoire. Si les églises étaient habiles à posséder en vertu de toutes les lois nationales, leurs possessions sont légitimes; elles sont sous la protection de la justice et de la foi publique, et nulle force humaine ne peut légitimer l’infraction de la justice et de la foi publique. Pouvons-nous révoquer tous les titres, toutes les chartes, tous les contrats privés ou publics déposés dans les archives de chaque église et dans celles de la nation? Pouvons-nous révoquer tous les édits, ordonnances et déclarations qui forment le droit public du royaume, comme celui de l’Eglise de France? Pouvons-nous révoquer douze siècles de possession? Et qu’est-ce qu’une révocation qui devient elle-même la preuve de la légitimité, de toutes les possessions qu’elle tend à détruire? Si quelque homme puissant avait envahi les possessions de ses vassaux par les mêmes principes qui menacent les possessions des églises, que dirait l’Assemblée nationale de l’usurpation de l’homme puissant, et de la réclamation de ses vassaux ? Tel serait le langage de l’usurpateur: Ces biens m’appartiennent: le fonds est à moi : ils furent donnés pour des services qui ne sont plus remplis, et que je ne dois ni ne veux exiger : c’étaient les servitudes d’un temps de barbarie ; oublions-les pour jamais. Je détruis et je romps moi-même tous les biens de la féodalité: mes vassaux rentrent dans leur liberté ; je rentre dans mon domaine. C’est de mes pères qu’ils tenaient ce qu’ils possèdent : une légère redevance était le gage de la protection; c’était un bienfait bien plus qu’un service. Ils ne veulent plus acquitter la redevance; ils ne doivent plus posséder la terre. Je leur retire ce que mes pères leur avaient donné. Son langage ne doit pas être le vôtre, et nos titres sont bien supérieurs à ceux de ses vassaux, et nous ne refuserons pas d’acquitter les services qui forment notre éternelle redevance. Si quelque autre puissance, si celle du gouvernement avait voulu nous ravir nos possessions, quelle aurait été notre espérance? Nous aurions dit : C’est à la nation à nous défendre. Nous serions venus plaider devant vous avec confiance la cause des lois, celle des possessions de nos commettants et celle des propriétés de tous les citoyens. Nous aurions mis notre force dans l’appui delà puissance législative, que nous n’avons pas à distinguer de celle des lois. Nous aurions dit : Des hommes que la nation a choisis pour faire les lois ont dépouillé les préjugés, les erreurs et les haines. Ils sont sans passions, comme les lois mêmes. Ils considèrent quelle est l’étendue de leurs pouvoirs. Ils ne pourraient pas en mesurer l’étendue, s’ils ne voulaient pas en connaître les bornes. Ils veulent faire des lois utiles, et ils 3 n’ignorent pas que les lois ne sont pas utiles quand les moyens ne sont pas justes; l’injustice est l’injure faite au droit et à la loi. Comment la loi peut-elle s’offenser elle-même? La justice et la vérité reposent dans son sanctuaire, et l’Assemblée, qui fait les lois, ne peut admettreni souffrir la violation des lois. De quel droit pourrions-nous abandonner nous-mêmes les intérêts de nos églises et les droits de nos commettants? Est-ce ainsi que nous pouvons abuser de leurs pouvoirs? Est-ce que leurs intentions ne sont pas clairement énoncées dans nos mandats ? Pouvons-nous exercer des pouvoirs que nous n’avons pas? Lisez vos propres cahiers, vous verrez combien ils sont loin de cette étonnante et subite révolution. Avons-nous des pouvoirs contraires à toutes les volontés connues de ceux qui nous ont donné des pouvoirs? Nous éprouverons des réclamations qui peuvent partager la nation ; et s’il est vrai qu’elles soient celles de la justice, qui doivent la persuader; si la nation persuadée révoque dans la suite des lois que nous aurons portées, quels seront les sages représentants de la nation qui n’auront pas su s’en défendre ? Il est des moments où le courage est dans la sagesse et dans la modération. Est-il dans notre pensée, est-il dans notre pouvoir d’interdire les réclamations des parties intéressées? Souvenons-nous que nous avons fait la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le premier droit du citoyen est de réclamer les lois qui forment son état et sa possession. Et c’est parce que notre puissance semble n’avoir point de bornes, que chaque citoyen a le droit et l’intérêt de découvrir et de marquer les bornes que nous prescrivent la raison et la loi. Nous n’avons pas seulement défendu les droits des églises. Nous avons plaidé la cause même des lois. Et nous ne pensons pas qu’il soit de l’intérêt de la nation de renverser tous les principes qui sont la force des lois. Il est certain que l’Etat ne peut pas s’emparer des biens des églises sans trahir les intentions des fondateurs, déposées sous le sceau de la foi publique, sans détruire des droits acquis et reconnus de tous les temps, des propriétés antérieures à la monarchie, et sans annuler toutes les lois des donations et des acquisitions, la loi même de la prescription sans laquelle il n’y a point de propriété. Quelles peuvent en être les suites? Les voici : Les citoyens apprendront quel est le sort des utiles dispositions faites aux dépens des familles. Ce n’est pas sans peine et sans effort qu’on dérobe une partie de son patrimoine à ses parents, à ses enfants, pour en faire l’héritage de la patrie. 11 paraît qu’aujourd’hui les regards de la charité se tournent vers les asiles de l’indigence. La religion donne les mêmes conseils que l’humanité. Ses ministres se plaisent à remplir dans des rapports chaque jour plus étendus et par des soins peut-être mieux dirigés les devoirs attachés à leur ministère. Ils répandent sur les maisons de charité cette partie de leurs aumônes dont une destination publique révèle le secret. Ils savent montrer aux hommes doux et généreux les objets sur lesquels doit s’étendre l’exercice de leurs vertus. Plusieurs hôpitaux accablés sous le poids de leurs dettes, ne se sont soutenus que par les dons des bons citoyens. Quand ils verront nos propriétés ravies et nos temples abandonnés, ils se demanderont dans leur surprise quel est le monument qui puisse échapper à sa destruction. On sait que les hôpitaux, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 octobre 1789.] 619 comme toutes les autres administrations publiques, ont leurs abus et même leurs vices. Ils n’en seront pas moins nécessaires aussi longtemps que les soins de la charité n’iront pas rechercher les besoins au lieu de les attendre, et ne répandront pas les secours dans l’intérieur des maisons et dans le sein des familles. Les secours, même alors, seront nécessaires aux libres et pieuses associations chargées du soin des infirmes et des malades; et qui sait si les fonds donnés aux hôpitaux ne disparaîtront pas avec eux? Il ne faut qu’une spéculation d’un moment pour enlever aux établissements les plus solides des revenus et des biens qui seront appelés ceux de la nation. Quel est l’établissement public qui puisse avoir une administration bien ordonnée, quaud il peut craindre que chaque moment ne soit celui de sa chute, quand il ne peut plus se reposer, ni sur la sainteté des donations, ni sur la validité des contrats, ni sur la protection des lois? Nous attaquons aujourd’hui les donations faites aux églises. Nous attaquerons les donations faites aux communautés, à tous les corps établis. Nous ne respecterons pas les donations faites à des collatéraux, à des étrangers aux dépens des héritiers naturels. Nous jugerons les motifs. Nous remonterons aux principes. On nous a déjà proposé d’abolir les testaments. Nous dirons : Les testaments sont des actes illégitimes qui transmettent la propriété des moissons qui ne sont pas encore, des moissons que le testateur, injuste usurpateur de l’avenir, ne doit ni semer ni recueillir. Nous ferons d’un mot, d’un seul mot une révolution subite dans les lois delà moitié de la France. A quelles conséquences ne peuvent point s’étendre des principes que ne tempère point la connaissance des mœurs et des lois? Ou sait quelle doit être l’influence des principes du droit naturel sur la législation. Mais on doit savoir aussi quelles sont les modifications indispensables que les plus sages lois reçoivent de l’influence des usages et des lois établies. Si nous pouvons rétracter les donations faites à l’Eglise dans toute la franchise de la propriété, il n’y a point de donations qui soient à l’abri de notre nouvelle législation. Et si nous pouvons donner un effet rétroactif à la révocation des lois, il n’y a point de citoyen qui puisse se reposer en paix sur les titres de sa propriété. Pourquoi les acquisitions, les échanges, les ventes et les achats des particuliers sont-ils respectés quand ils ne sont plus ? Parce que les uns ont eu la faculté de vendre, et les autres celle d’acheter; parce que leur contrat mutuel é' ait libre et volontaire, et parce que la loi, toujours présente, peut donner à des actes qui semblent des volontés d’un moment une existence durable et perpétuelle. Si les contrats n’avaient qu’un terme court, une époque rapprochée, s’ils ne duraient pas plus que les hommes qui les signent, si chaque partie se réservait le pouvoir de les résilier, ou si les deux parties, contractant une obligation à vie, mettaient une entière confiance dans leur volonté mutuelle, il n’y aurait pas besoin de revêtir les contrats de toutes les formalités dispendieuses des lois. Ce sont des lois immuables qui forment la sanction des contrats; c’est parce que les générations disparaissent, c’est parce que les hommes étendent leurs pensées par delà le terme de l’âge humain, qu’ils confient à des lois toujours vivantes la disposition de leurs volontés. Si nous pouvons ébranler la validité, la perpétuité des contrats qui sont les fondements de tous les droits transmis et de toutes les possessions acquises, nous suspendons le cours du commerce. Nous arrêtons la circulation des biens et des richesses. Nous détruisons tous les rapports des besoins mutuels des hommes et tous les biens de la société. Croyons-nous pouvoir distinguer les biens de l’Eglise de ceux des citoyens? Ce sont les mêmes lois qui protègent les uns comme les autres. Ce sont les mêmes lois, et nous les violons. Et qu’importe qu’elles soient violées sur un point plutôt que sur un autre? L’infraction est la même. La loi était générale; elle cesse de l’être; elle peut multiplier ses exceptions, quand elle en admet une. On a dit que les biens des églises étaient semblables aux anciens bénéfices chargés d’un service, et donnés au nom de la nation. On peut dire, on dira dans la suite que les terres données en fief ne sont que d’anciens bénéfices chargés d’un service, et donnés au nom de la nation comme les biens des églises. On dira que la nation peut les reprendre comme les terres données à l’Eglise, et la même comparaison peut servir également pour envahir les biens des églises et les fiefs. Il n’est pas à craindre, dira-t-on, que les propriétaires s’accordent pour attaquer les propriétés patrimoniales. Ainsi nous n’établissons plus le fondement des propriétés sur les lois, mais sur les intérêts, et nous oublions qu’il est le ressort actif et puissant des intérêts momentanés contre les intérêts habituels des nations et l’impartiale équité des lois. L’établissement de l’impôt était une violation, et la plus funeste violation des propriétés, quand il n’était point consenti par les propriétaires. Depuis combien de temps ce principe est-il reconnu une loi fondamentale de l’Etat? Nous ne songeons pas assez à quel point nous devons rendre grâces aux vertus du premier de nos princes qui rend ses droits à la nation. Nous ne comptons pas encore deux années écoulées depuis qu’un roi de France a reconnu la loi fondamentale d’un peuple libre. Pensez-vous, si jamais les non-propriétaires des biens-fonds dominent dans une Assemblée nationale, que les droits de propriétaires de terre ne puissent pas être violés? Ces droits, diront les ministres de la religion, ces droits étaient les nôtres, ils nous étaient communs avec nos concitoyens. Nous n’en voulions pointd’autres. Nous abjurions avec empressement tous les privilèges qui pouvaient tendre à nous séparer de la nation. Ce n’est pas seulement dans cette Assemblée que nous avons établi la maxime fondamentale de l’égalité des contributions. Lisez nos cahiers, les cahiers de toutes les assemblées d’élection. Il n’y a pas de mandats plus fortement prononcés que ceux qui concernent l’égalité des contributions de tous nos biens aux charges publiques. Nous ne pensions pas qu’on nous ravirait nos biens quand nous voulions les imposer, et qu’au lieu de confirmer le principe de l’égalité des contributions et de la nécessité du consentement, on nous réduirait à donner le premier exemple de de l’infraction de la loi des propriétés, qui réclame le consentement des propriétaires. On dirait que nous voulons séparer notre génération de toutes celles qui l’ont précédée, comme une nation de toutes les autres nations. Nous renversons tous les droits acquis ; nous ne reconnais- 620 [31 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. sons plusles antiques possessions; nous semblons détacher le moment fugitif de notre faible et passagère existence, de tous ses rapports avec les temps qui ne sont plus. Le passé n’a plus rien de commua avec le présent. Le présent ne peut plus influer sur l’avenir. Ce que nous faisons, ce que nous ne faisons pas, est égal pour ceux qui viendront après nous. Ils suivront nos exemples, et ne suivront pas nos lois. Ils regretteront nos décrets, qui sont les droits que nous pouvions acquérir sur la postérité, comme nous regrettons les droits des églises acquis et reconnus de tous les temps. Vous croyez pouvoir satisfaire aux besoins de l’Etat en vous emparant des biens des églises, et telle est l’estimable erreur qui vous séduit. On peut avoir des vertus personnelles et des erreurs funestes. Une opération n’est point utile quand elle n’est pas juste. Une injustice n’est pas une ressource pour les Etats. On nuit plus à l’administration par le sentiment que produit l’injustice, qu’on ne peut la servir par une opération intéressée dont l’effet a ses bornes. Il n’y a point de vertu publique sans justice; et c’est la vertu publique qui donne la confiance et le crédit. Un crédit national ne se compose pas, comme le Trésor de l’Etat, d’espèces d’or et d’argent. Ces richesses, subordonnées aux craintes etaux espérances de tous ceux qui les possèdent, ne se livrent qu’au cours libre de la confiance ; et la confiance a pour base non-seulement une valeur réelle, mais la justice et les lois. Si le crédit n’existe pas, nous entasserons vainement tous les biens des églises dans une caisse nationale, ils ne suffiront pas aux besoins. Il faudra recourir à des impôts, à des taxes pour acquitter les dettes de l’Etat. Oh ! si dans ces grands changements nous voulons concilier les principes qui nous dirigent avec les lois établies; si nous prononçons des suppressions utiles, sans ravir des propriétés; si par des opérations progressives, nous pouvons assurer et préparer des ressources à l’Etat ; si ces ressources mêmes, subordonnées d’abord aux lois de justice, s’accroissent successivement selon la mesure de l’utilité publique, nous remplirons avec le temps les mêmes objets. Nous aurons respecté les possessions. Nous pourrons obtenir le libre consentement des propriétaires; et la nation, reconnaissant cette empreinte de sagesse dans les lois mêmes qui dirigent une grande révolution, ne pourra plus se défendre d’une confiance sans bornes, et de ce crédit illimité qui ne laisse plus à craindre, ni la violation des engagements de l’Etat ni l’excès des charges publiques. J’ai pensé, je pense encore qu’on peut acquitter les dettes de l’Etat par des retranchements dans la dépense, par les réformes dans la perception, par l’indispensable conversion des impôts, par l’égalité totale, et sans exception, des contributions des citoyens de toutes les classes, par les secours extraordinaires que le clergé peut offrir à l’Etat et par une opération sans risque et sans danger, fondée sur un crédit sans bornes. Respectons les principes des propriétés. Voilà la première loi pour défendre les propriétés de tous les citoyens de l’excès des impôts, comme des violations des lois. Sait-on quelles sont les charges auxquelle il faudrait assujettir la nation? On a mis sous vos yeux les résultats d’une suite de recherches faites avec exactitude et fidélité. Nous ne voulons point dissimuler l’étendue de nos possessions, et il est de votre intérêt d’en connaître les bornes. La dignité de notre ministère s’accorde avec la sévérité de vos dispositions. Il résulte de ces recherches que la charge de la nation serait immense et que les biens du clergé seraient bien loin d’v suffire. Vous aviez cru abolir les dîmes, sans en considérer les charges. Vous aviez craint une compensation équivalente, et vous étiez loin de soupçonner une surcharge excessive ; une plus égale répartition vous avait fait espérer des avantages, et vous aviez ignoré quelles devraient être les suites indispensables des suppressions qui vous semblaient les plus utiles. Vous aviez porté vos regards sur les possessions des maisons religieuses, et vous n’aviez pas considéré que la dispersion de ceux qui les habitent vous imposait pendant longtemps de nouvelles charges auxquelles leurs revenus ne pourraient plus suffire. On ne songe pas assez combien la vie commune épargne de dépenses, en multipliant les ressources. Les grands bâtiments construits avec solidité résistent, par un entretien continuel et peu coûteux, à la ruine du temps. L’économie se répand sur tous les objets; les maisons les moins riches et les mieux ordonnées ajoutent au nécessaire un superflu de tous les genres qui ne coûte rien, et qui formerait le luxe et l’abondance dans une vie privée. L’entretien facile et commode des hommes réunis n’a nulle proportion avec ce qu’il en coûte pour suffire au besoin des hommes dispersés. Vous ne pouvez pas administrer les biens ecclésiastiques et détruire les maisons religieuses sans charger la nation pendent longtemps d’un surcroît considérable de contributions. Vous aviez fondé vos espérances sur les ventes et les aliénations des biens-fonds des églises. Vous savez que des aliénations successives peuvent être utiles : elles peuvent établir une proportion avantageuse entre le besoin de vendre et celui d’acheter ; et c’est alors que les objets acquièrent toute leur valeur, et que le prix des ventes répond aux spéculations qui peuvent les diriger. Mais si toutes les terres de l’Eglise sont mises à l’encan, comme les humiliants projets d’une confiscation nationale, quel sera l’effet de ces ventes accumulées ? Les papiers publics sont chargés , depuis quelques années, d’une liste de cinq ou six mille terres à vendre. Que sera-ce si tout à coup les biens de chaque église entrent dans la combinaison de ces affiches multiptiées? Vous ferez tort à tous les propriétaires que le besoin de leurs affaires met dans la nécessité de vendre. Ils partageront les dommages de cette même concurrence qui doit nuire à l’aliénation des biens ecclésiastiques, et leur ruine sera la déplorable suite de la ruine du clergé. Tous les intérêts se tiennent dans une nation par des rapports indestructibles qu’on n’aperçoit pas dans le cours habituel des choses, et qui deviennent sensibles par les changements. Il n’était pas possible qu’un corps considérable pût exister clans la nation sans avoir des rapports avec la nation entière. Il n’est pas possible de faire une révolution subite dans l’état de ses biens, sans altérer cette balance générale dont les mouvements changent l’état de toutes les propriétés des citoyens. Peut-on espérer que les biens de l’Eglise auront la préférence dans le nombre des biens exposés à la vente, quand l’aliénation forcée peut écarter la concurrence ? 621 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3î octobre 178P.] Vous savez quelles sont dans tous les temps les formalités scrupuleuses qui peuvent seules légitimer l’acquisition des biens de l’Eglise, et donner confiance à ceux qui les acquièrent. On craint la réclamation des successeurs qui sont toujours admis à justifier la lésion faite à l’Eglise. Combien plus auront à craindre ceux qui voudraient acquérir des biens dont l’aliénation forcée semble condamner l’acquisition? 11 faudra qu’un long temps s’écoule avant que la confiance publique, constamment. établie, environne de son rempart les droits incertains et précaires des nouveaux possesseurs. Les créanciers de l’Etat ne voudront pas risquer eux-mêmes le sort de leurs créances, dont l'intérêt est assuré pour des acquisitions incertaines. Ils aimeront mieux encore acquérir des terres, dont les titres ne seraient point contestés. Les terres du clergé, dépouillées de leurs droits et vendues comme les domaines, perdront une partie de leur prix, et les créances de l’Etat reprendront toute leur valeur par l’effet même des opérations de l’Assemblée nationale. Ainsi s’évanouissent ces spéculations annoncées sur les produits immenses de l’aliénation des biens ecclésiastiques. Le temps est un des éléments nécessaires de toutes les grandes opérations. Une subite et violente révolution semble d’abord n’avoir point de bornes. Mais les choses résistent par elles-mêmes encore plus que les hommes, et les seules opérations sans bornes sont l’ouvrage de la sagesse et du temps. Si les recherches qu’on a faites sur la valeur et sur l’emploi des biens du clergé vous sont suspectes, il faut les examiner vous-mêmes. Il faut connaître ce que vous pouvez faire; vous ne pouvez pas charger la nation d’une dette immense qu’elle ne peut acquitter. Vous n’avons pas mis en ligne de compte tous les frais et tous les abus de la régie des biens en séquestre. Les recettes multipliées, les agences subalternes, les formalités de justice, les intérêts toujours habiles à perpétuer les délais, les obstacles et les dépenses enlèveront une partie des biens remis aux soins d’une administration publique. C’est un principe qu’une administration publique ne doit pas s’associer à tous les soins corrupteurs des fermes et des régies. Nous n’avons pas encore l’exemple d’un séquestre considérable qui n’ait pas emporté dans une propriété démesurée une grande partie des fonds vendus ou revenus affermés. Voyez ce qne sont devenus les créanciers d’une congrégation dont leurs poursuites ont opéré la dissolution : ils ont vu leurs droits et leur action se briser contre les innombrables formalités d’un séquestre établi sous la protection des lois. Des séquestres, chargés de liquider les dettes de quelques familles, ont été prolongés pendant plus d’un siècle. Il n’y a point de corruption semblable à celle qui semble attachée à la nature d’un séquestre, et il ne sera pas dans le pouvoir de l’Assemblée nationale ou des assemblées provinciales d’en prévenir les abus. Ainsi les revenus diminueront sans cesse et les charges seront les mêmes; nos terres passeront dans des mains qui n’en rempliront point les services. Une contribution nouvelle et générale sera la taxe de la religion. La religion ne semblera plus qu’une taxe sur le peuple, et la nation sera toujours plus imposée pour des charges dont les bons citoyens de tous les siècles �semblaient avoir voulu la soulager par leurs utiles fondations. 11 se présente une réflexion bien naturelle et bien sensible. Si quand la nation gémit sous l’excès des impôts, les plus riches citoyens formaient tout à coup, dans leur opulence, une noble conjuration pour l’affranchir d’une surcharge de 130 ou 150 millions, avec quelle reconnaissance mêlée d’étonnement, la nation entière recevrait leurs bienfaits, et recommanderait leur souvenir à la postérité ! C’est ce qu’ont fait nos pères, et nous blâmons leur mémoire, et nous dissipons leurs dons, et nous voulons anéantir tous les monuments de leur pieuse libéralité. Avons-nous pensé quelle est la situation douloureuse à laquelle nous réduirions une multitude de ministres utiles et de pasteurs respectables? Les habitudes de leur vie, des engagements contractés, des ressources accoutumées, des charités qui font le sort des familles infortunées, de longs jours consumés dans le service des autels, des pauvres et des malades, doivent sans doute mettre vos frères, vos concitoyens et vos pasteurs à l’abri d’une austère et subite révolution. Par quelle fatalité leur ruine serait-elle le seul moyen d’opérer le bien qui nous reste à faire? Peut-on croire que la Providence ne laisse aux hommes courageux et aux bons citoyens d’autre moyen d’être utiles que celui d’être impitoyables? Faut-il, quand on peut assurer les progrès du bien par des opérations sages et paisibles, faut-il immoler des citoyens estimables, engagés dans un état protégé par les lois, à des changements qu’ils n’ont pas pu prévoir et que les lois même avaient proscrits ? Si chaque génération adoptait successivement ces méthodes cruelles , si chaque classe de citoyens était la victime de réformes dures et sévères, il n’y aurait point de repos et de bonheur dans le présent ni dans l’avenir, et chaque citoyen, plus malheureux, s’interrogeant lui-même dans le tourment de ses pensées, aurait le droit de demander quelle est la différence des réformes et des abus. C’est dans les grandes révolutions qu’il faut rechercher toutes les ressources de l’humanité. Nous devons sentir combien nos décrets peuvent épargner ou coûter de regrets et d’infortunes. Parcourez les paroisses; entendez les plaintes de l’artisan, du laboureur et du journalier. C’est Je tribut de l’exacteur qu’ils ont peine à payer. C’est l’inquisition de nos lois fiscales qui pénètre dans l’obscurité de leur réduit, et ce sont les aumônes de leurs pasteurs qui les mettent à l’abri de la saisie, de l’emprisonnement ou de la fuite. Quel est notre objet ? Ne voyons-nous pas qu’un père de famille qui ferait, à fortune égale, le même bien que fait un pasteur dans sa négligence, serait estimé par sa bienfaisance et par sa charité ? Pourquoi veut-on arracher du milieu de la nation un état qui, par sa nature, est un centre de services publics et d’occupations salutaires ? 11 s’agit peut-être de faire le malheur d’un million d’hommes dont la destinée est unie par les rapports de famille, et surtout par le lien des besoins, au sort de 80,000 ecclésiastiques qui seront privés de leur état. Que faites-vous ? Vous êtes frappés de quelques inconvénients émanés des abus et non des lois, et dont vos sages précautions peuvent faire disparaître les causes et les effets, et vous oubliez cette partie plus intéressante de l’influence que l’état de chaque citoyen et l’habitude de sa vie doivent avoir sur ses dispositions. Les vertus des hommes concourent mieux à la prospérité des empires que des principes et des calculs sans observation et sans expérience. Que faites-vous ? 022 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 octobre 1789. J Quelle aveugle persécution tend à retrancher une partie des biens qui nous attachent à la patrie ? Vous ne pouvez pas vous dissimuler quelle est l’intime et constante union qui se forme entre l’intérêt général de l’Etat et celui des propriétés. Ce sont les propriétaires dont les dépenses et les entreprises journalières multiplient les travaux autour d’eux, et deviennent les revenus de l’indigence. Je ne sais quel invincible attachement semble avoir uni l’homme avec la terre. Il est des espérances et des consolations inséparables du sentiment de la propriété. 11 est de satisfaisantes pensées d’amélioration, de repos et de sécurité qui semblent se lever du sein des possessions territoriales. Et la patrie devient plus chère au paisible possesseur des biens-fonds. parce qu’elle est la protectrice de la paix dont il jouit au milieu de ses champs, plus ou moins étendus, dont il recueille les moissons. Nous devons encourager ces sentiments qui sont les principes des devoirs de la plus utile partie des citoyens envers l’Etat. La religion consacre tous les fondements de la morale et leur prête une force supérieure à celle des sentiments naturels et des lois humaines. Vous voulez, avec raison, que notre voix s’élève pour inspirer aux citoyens ces sentiments précieux qui font leur honneur et qui sont la force de la nation ; et vous ne voulez pas que nous puissions les partager nous-mêmes. Ceux qui veulent nous dépouiller de nos possessions veulent aussi nous rendre étrangers à tous les intérêts communs. Ils s’écrieront bientôt, en suivant les conséquences de leurs principes, que nous sommes sans possessions et sans propriétés dans l’Etat, qu’on ne peut pas nous associer à l’administration dont nous ne partageons point les charges. Déjà depuis longtemps nous savions entendre ces murmures jaloux qui nous faisaient sentir quel était le triste résultat de tous nos privilèges. Nous les avons abandonnés pour partager également et les intérêts et les droits de tous les citoyens, et vous ne nous laissez pas le plus précieux de tous nos droits, celui de partager leurs intérêts et de contribuer à leur bonheur. Vous nous ôtez nos propriétés, et vous nous offrez un salaire en un impôt sur la nation. Ne soyez pas étonnés si nous réclamons tous nos titres pour épagner un impôt à la nation. Ce n’est pas elle qui doit employer pour nous une partie, de ses propriétés, quand nous pouvons employer les nôtres pour la secourir. Nous devons sentir, plus que jamais, l’avantage que nous donnent nos possessions d’être utiles à la patrie. Pourquoi voulez-vous détruire ce que vous pouvez conserver avec utilité ? S’il était vrai que nous voulussions remplir nous-mêmes tous Jes objets utiles dont le sentiment juste peut diriger vos délibérations, ah ! sans doute, nous rendrions le plus noble hommage à vos intentions, en écartant lesmoyens durs et rigoureux qui peuvent en faire méconnaître les principes et dénaturer les effets. Combien il est plus juste et plus facile de rendre nos possessions utiles à l’Etat, et d’épargner à la nation les impôts qui doivent être la suite de la dispendieuse régie et de l’insuffisante aliénation des biens du clergé ! Nos propositions, sans troubler l’ordre établi par les lois, n’en laisseront point subsister Jes abus, et ne porteront point la crainte et le tour-men t dans les familles des titulaires et dans les asiles de l’indigence, privés de toutes leurs ressources. Nous remplirons avec toutes les règles scrupuleuses de la justice et tous les soins de l’humanité des arrangements qui répondront à vos vues, et vous n’aurez pas à regretter d’avoir préféré des moyens doux et paisibles, à la dure nécessité des injustices et des destructions. Nous parlerons avec la même franchise des devoirs du clergé que des intérêts de la nation. La voix d’un évêque doit être celle d’un administrateur et d’un citoyen. Et tel est le premier effet de la liberté publique, qu’elle fait d’abord tomber toutes les chaînes d’un intérêt personnel et d’un esprit de corps. Quels que soient les services que le clergé puisse rendre à l’Etat, il n’acquitte jamais ce qu’il lui doit. La protection de l’Etat est constante; la reconnaissance du clergé ne doit point avoir de bornes. Il suffît peut-être, dans le cours desévénements ordinaires, que le clergé, soumis aux impositions communes, nerempiisse que par des contributions volontaires et privées le tribut honorable qu’il doit à la classe indigente de la société. Mais certes le public a le droit de réclamer les secours les plus étendus dans les temps de calamité. Les guerres, les épidémies, les ravages des saisons, les besoins extraordinaires de l’Etat, sont comme des épreuves toujours assurées d’un ministère de charité. 11 est une voix qui parle au cœur de tous les hommes, celle de la nécessité. 11 est une seconde religion pour tous les citoyens, celle de la patrie. 11 ne faut pas nous le dissimuler : l’Etat est en péril; les impositions, dans plus d’une province, ont été suspendues et tous les droits interceptés. Ce qu’on appelait le crédit de l’Etat n’existe plus ; un crédit prêta naître, celui de la nation, n’existe pas encore; les emprunts ne peuvent point se remplir, il n’est plus possible de recourir aux anticipations, et l’Assemblée nationale ne peut, ni manquer aux engagements de l’Etat, ni surcharger les peuples de nouvelles impositions. C’est dans ces circonstances que la nation entière tourne ses regards vers le clergé. Il semble que le clergé doive combler l’abîme, en s’y jelant lui-même ; on pense que ses biens, destinés à l’entretien du cuite et des ministres de la religion , peuvent offrir un excédant immense et superflu, comme un fonds réservé pour satisfaire à tous les besoins de l’Etat. On compare l’excès des charges et le défaut des ressources. Les délais des opérations à faire laissent subsister les incertitudes et multiplient les embarras ; et les craintes sans cesse renaissantes justifient des plans de destruction qu’une raison plus tranquille aurait rejetés comme contraires aux principes de la justice et de la propriété. Telles sont les dispositions du public et les sentiments du clergé, qui, se partageant sur les moyens doivent concourir à l’intérêt prédominant qui doit faire oublier tous les autres, celui de sauver l’Etat de sa propre ruine. 11 faut que le clergé donne tout ce qu’il peut donner , il faut que l’Assemblée nationale mieux instruite puisse juger elle-même de ce qu’il peut donner. Le même sentiment qui nous porte à faire tout ce que nous pouvons doit renouveler nos efforts, quand nous croirons pouvoir encore davantage. Souvenons-nous des exemples que nous ont laissés nos prédécesseurs. Où sont ces dons précieux de la piété des fidèles ? où sont ces ornements de nos temples, et ces richesses qui formaient l’antique trésor de nos églises ? que sont devenus ces biens si souvent prodigués, tantôt pour racheter la liberté d’un roi que son cou- [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [SI octobre 1789.� rage égare au milieu de ses ennemis, tantôt pour défendre l’iudépeDdance de la couronne et de l’Etat ? La nation retrouve dans les annales de chaque siècle les monuments du zèle des ministres de la religion. Est-il un plus convenable » usage des biens que nous avons reçus, que de défendre les biens de ceux qui nous les ont donnés ? Les noms des familles des fondateurs se perdent dans l’éloignement ; mais leurs générations ignorées subsistent encore, et font partie de cette nation à laquelle nous dévouons nos secours. C’est par l’emploi de nos biens aux besoins de la nation que nous pouvons leur ren-dre, sans les connaître, ce que nous avons reçu d’eux. Les droits du clergé sont ses devoirs, et ses intérêts sont ceux des peuples. Comment pourrions-nous réclamer nos propriétés, sans offrir nos revenus ? Comment voudrions-nous disposer de nos biens, si ce n’était pas pour le service de la religion et de la patrie ? A quoi sert d’agiter des questions pénibles et difficiles auxquelles il nous convient de répondre par nos sentiments bien plus encore que par nos raisons ? Nous ne devons combattre que par une juste rivalité des propositions qui semblent avantageuses à l’Etat. Si ces propositions sont plus onéreuses qu’utiles, et si leur exécution surchargée d’embarras et d’inconvénients est presque impossible, c’est à nous à savoir comment nous pouvons rendre à l’Etat des services plus inté-* ressants qui ne lui coûtent rien. Il faut aplanir pour ainsi dire toutes les difficultés pour satisfaire, s’il est possible, à tous les besoins. Il faut qu’il soit plus utile à la nation de respecter et de maintenir les propriétés des églises, que de régir ou d’aliéner leurs possessions. 11 est des devoirs qui sont subordonnés à d’autres devoirs. Le clergé doit remplir d’abord K les services pour lesquels il est établi. Le clergé ne peut manquer à des obligations auxquelles la nation ne pourrait manquer elle-même. La religion est la loi de l’Etat, parce qu’elle est le bien du peuple, et son culte et son enseignement exigent des établissements indispensables auxquels les biens des églises sont consacrés. 11 est dans l’opinion publique que les biens du clergé doivent être répartis dans une proportion convenable et suffisante à l’entretien des ministres essentiels et nécessaires à la religion. **■ L’opinion publique, quand elle est habituelle et constante, est le jugement de tous les hommes raisonnables. Il est, certain qu’il n’est pas d’un Etat bien ordonné d’établir ou de conserver des titres qui donnent de grands revenus et qui ne donnent pas de fonctions. 11 est certain qu’une partie de ces revenus pro-y vient des dîmes, et que les dîmes sont affectées par leur nature et furent employées dans leur origine aux services des paroisses. H ne nous appartient pas de condamner ceux qui les possèdent, quand ils en font un convenable usage. Mais il s’agit ici de parler des établissements et non des hommes. Et c'est le sort de la vertu de rendre jusqu’aux abus respectables, comme c’est ► celui des vices d’abuser de ses plus saintes instructions. On ne pourra jamais persuader, dans le moment d’une grande révolution qui doit enfanter une Constitution nationale, qu’il est bon de conserver des places sans fonctions. Il serait possible d’envisager quelque utilité publique dans des récompenses réservées pour ceux qui remplissent des places plus importantes, ou qui rendent de plus grands services, et pour ceux qui sont placés, par l’âge et les infirmités, de renoncer à leurs places. Mais ces proportions ont leurs bornes, et leurs bornes doivent être circonscrites par l’utilité de leur objet. Quand on serait moins frappé des abus, on ne pourrait pas se dissimuler encore que la plus grande partie des bénéfices libres devient indispensable pour faire une dotation suffisante aux places utiles. Le clergé même sentira l’inévitable nécessité de réduire le nombre des places et des établissements utiles, selon la population des villes et des campagnes. Il convient aux intérêts mêmes de la juridiction ecclésiastique d'ordonner et d’exécuter les réductions convenables par les formes canoniques. 11 est également juste que les maisons et les communautés fondées remplissent l’objet des fondations par lesquelles et pour lesquelles elles sont établies. Et nous sommes bien persuadés que les bons religieux s’empresseront de se réunir dans un nombre propre à renouveler la discipline et la règle, et qu’ils voudront consacrer leurs travaux et leurs soins au progrès de l’éducation nationale, comme à l’enseignement de la religion. Il est dans la disposition du clergé de renoncer à son administration temporelle. Les biens dépendant des bénéfices doivent être soumis, sans distinction, à toutes les charges de l’Etat, des provinces et des communautés. On ne peut pas condamner les titulaires à la double dépense d’un régime sans nécessité. Il n’est pas possible de conserver les receveurs des décimes, quand les décimes ne subsisteront plus, et lorsque les contributions du clergé seront confondues dans l’ordre des impositions communes. Et le clergé n’aura point à regretter son administration particulière, quand il aura l’avantage de resserrer tous les liens qui doivent l’unir à la nation. C’est par ces progrès de réforme, c’est par une répartition juste dans l’utile emploi de ses biens, que le clergé peut suffire à ses charges, et qu’il lui sera possible encore d’offrir des secours à l’Etat. La première dette du clergé est celle des curés à portion congrue. 11 ne s’agit pas seulement de leurs intérêts personnels. H s’agit de conserver la dignité du culte et l’utilité du ministère. Leur situation, digne des regards de la nation, avait depuis longtemps occupé tous les soins du clergé. Nos désirs n’ont été remplis qu’en partie, et nous avons connu les obstacles sans pouvoir les surmonter. Les longues et dispendieuses formalités, les oppositions sans terme ont suspendu les unions sans lesquelles les donations convenables ne pouvaient pas être remplies. Il faut acquitter cette| charge indispensable, quels qu’en puissent être les moyens. Il n’est ni juste, ni possible de faire éprouver de plus longs délais à des pasteurs dont les besoins ne se distinguent pas de ceux de leurs paroisses. 11 serait à désirer qu’on pût fixer la portion congrue à quinze cents livres. Le luxe des villes couvre à vos yeux les secrets de l’indigence, et les vertus, toujours plus utiles dans l'opulence, offrent des secours qui manquent à la misère publique, toujours plus sensible dans les campagnes. G’est dans les paroisses de campagne que les pauvres n’ont d’autres ressources que celles du ministère de la religion. «24 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 octobre 1789.] On ne peut pas donner moins de 600 livres aux vicaires. On ne peut pas refuser à des prêtres vieillis dans l’exercice du ministère, ou devenus infirmes, les ressources dont ils ont besoin dans leur retraite et dans leur repos. On ne peut pas former des pasteurs capables de remplir les soins des paroisses, sans l’établissement et l’entretien des séminaires. On ne peut pas faire cesser et disparaître le culte de la religion dans les églises cathédrales. Il faut entretenir, par des réparations annuelles, les édifices nécessaires à l’exercice du culte public. Il faut pourvoir à la dotation des sièges épiscopaux. Ces différents objets, réduits dans une plus juste proportion, forment une charge de 120 millions. Et cette charge doit s’accroître encore par l’inégalité nécessaire des biens affectés dans les différentes provinces aux places utiles. Il reste encore à maintenir les établissements et communautés qui doivent subsister et qui peuvent suffire à leur destination. Les revenus du clergé n’étaient estimés qu’à 130 millions dans un ouvrage qui doit être regardé comme le résultat des recherches de l’administration générale. Il importe également, pour l’intérêt de l’Etat et du clergé, d’éviter les suppositions sans preuve et les calculs exagérés. On ne peut pas du moins porter les revenus du clergé à plus de 150 millions. Il est démontré par là même, que ses revenus doivent être épuisés par la seule dotation des places nécessaires et des établissements conservés. C’est sur ces revenus des fonds affectés à l’entretien du culte et des ministres, que doivent se lever les impositions de l’Etat, des provinces et des communautés. 11 en résulte une diminution inévitable et juste des revenus du clergé. Il faut prendre sur ce qui lui reste les secours extraordinaires qu’il peut offrir à l’Etat. 11 est à désirer que ces secours extraordinaires puissent être employés aux besoins les plus pressants de l’Etat, et que la proportion de ces besoins soit aussi la mesure des secours du clergé. Vous avez jugé par la mémoire du premier ministre des finances, et par le rapport de votre comité, des moyens par lesquels la balance pouvait être rétablie à l’avenir entre la recette et la dépense. llest possible que ces moyens, considérés dans leur détail, soient susceptibles de quelques changements, et qu’ils se perfectionnent par vos réflexions ; mais il n’est pas douteux qu’il en résulte une espérance presque assurée d’une juste et convenable proportion entre les charges et les revenus. Ce n’est pas sans doute encore ce que la nation peut et doit attendre de vos soins. Il y a trois opérations importantes à faire : La première était de déterminer le rapport des revenus avec les intérêts des dettes et les dépenses de chaque année; La seconde est de pourvoir au payement des remboursements à terme et des sommes exigibles ; La troisième est celle de l’extinction successive de la dette publique. Cette dernière opération ne peut se faire que par l’emploi mieux combiné d’un crédit national, ou par un accroissement d’imposition. 11 faut regarder une plus forte imposition comme impossible, puisqu’on a compris, dans les produits de la recette, les impositions nouvelles à prendre sur les biens des privilégiés, et que ces impositions entrent dans la balance de la recette avec la dépense. Il reste à se servir du crédit de la nation, et ce crédit ne peut lui-même être le résultat que des deux premières opérations. Si la recette n’égale pas la dépense de chaque année, il n’y aura point de crédit. 11 n’y aura point encore de crédit, si chaque année est surchargée de remboursements à terme qu’on est forcé de suspendre, et de dettes exigibles qu’on ne peut pas acquitter. Ces dettes exigibles et ces remboursements à terme montent à la somme de 435 millions. C’est de l’acquit de cette charge extraordinaire que doit dépendre le maintien de la proportion une fois établie entre la recette et la dépense, et le succès de toutes les opérations de crédit qui doivent pourvoir au remboursement de la dette publique. C’est de là que dépend la destinée de l’Etat. C’est pour remplir une partie de cette charge extraordinaire que tous les citoyens sont appelés à venir au secours de l’Etat. Quel sera le produit de cette contribution universelle que le besoin sollicite, que la loi ne fixe point, et dont aucune autorité n’a droit de régler la proportion? Croyons-nous pouvoir mesurer l’étendue du zèle pour la patrie, ou lui donner les mêmes bornes qu’à la levée d’un impôt? Il est certain que nous ne pouvons pas calculer les effets d’une opération qui n’a nul rapport avec toutes les autres impositions. Il semble, d’un côté, qu’elle les réunit toutes, puisqu’elle se lève sur les propriétés de tous les genres; il semble, de l’autre, qu’une appréciation nécessairement arbitraire, et souvent susceptible de doutes, peut opérer des diminutions dont les causes ne seront pas connues. Si l’on prend un moyen terme entre les calculs les plus restreints, et les plus étendus, on peut compter sur une recette de 140 ou 150 millions. Il est possible qu’il manque encore une somme de 300 millions pour rétablir l’Etat sur ses fondements et pour lui donner cette consistance qui doit fixer la balance des charges et des revenus, et servir de base à la libération progressive de la dette publique. Quelles que soient les extensions ou les limites de la taxe patriotique, il est nécessaire d’y suppléer, et tel est le service important que le clergé, s’il est possible, doit rendre à l’Etat ; et tel doit être enfin le juste et convenable objet de l’ambition de l’Etat et du clergé. Le comité des finances avait proposé d’appeler le clergé à la concurrence d’un revenu de 10 ou 12 millions, applicable au supplément des anticipations. Il ne s’agit pas de déterminer encore comment et par quels moyens on peut établir la taxe du clergé, et donner son exécution à la garantie des biens ecclésiastiques. Les moyens doivent être en proportion avec les revenus et les charges, et nous croyons pouvoir proposer des opérations qui peuvent concilier un si grand intérêt avec les charges de la religion et les revenus de clergé. Il faut rendre les biens de l’Eglise utiles pour l’intérêt de l’avenir comme pour les besoins du moment, et laisser au clergé le pouvoir d’acquitter dans tous les temps ce qu’il doit à la religion et à la patrie. Mon avis est: Premièrement, que la propriété des biens ecclésiastiques appartient aux églises auxquelles