92 Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] qui en détermine clairement le sens et l’objet. Ainsi nous ne devons marcher dans cette route obscure qu’avec une extrême circonspection, et nous ne pouvons même donner à cet égard une définition précise avant d’avoir lixé la nature du pouvoir législatif. Le peuple, en qui réside essentiellement et éminemment la souveraineté, nous a confié le double pouvoir de faire en son nom une Constitution et des lois. Nous sommes donc actuellement la représentation du pouvoir constituant ; nous serons après la Constitution la représentation du pouvoir législatif ; mais dans l’exercice de l’un et de l’autre de ces pouvoirs, nous avons besoin de deux guides, la volonté du peuple et son intérêt. Ce que le peuple a voulu, nous devons le vouloir, puisque nous agissons en son nom ; nous devons aussi le vouloir lorsqu’il s’est clairement exprimé sur cette matière ; mais lorsqu’il ne l’a pas déterminée, c’est dans son intérêt, bien entendu, que nous devons chercher nos décisions. Ainsi, Messieurs, le peuple a voulu la sanction royale, nous devons exprimer le vœu de la sanction royale ; mais le peuple ne nous a pas dit ce qu’il entendait par la sanction royale, ni de quelle manière elle devait agir ; si elle consistait dans l’opposition du pouvoir exécutif aux lois portées par le Corps législatif ; si cette opposition devait être absolue ou limitée : et c’est là-dessus, que nous devons nous expliquer, en nous déterminant d’après l’unique considération du bien public. La sanction royale n’est à proprement parler que l’attacbe du prince aux lois qui lui sont présentées .par les délégués que le peuple a chargés de faire ces lois ; la sanction royale ne peut donc s’appliquer qu’aux lois et non à la Constitution. Le peuple n’a donc pas voulu, n’a même pas pu vouloir que l’acte qui organise les pouvoirs soit soumis à l’opposition de celui de ses délégués qu’il a revêtu de la plénitude du pouvoir exécutif ; sans quoi il eût transmis à son subordonné le plus inaliénable et le plus imprescriptible de ses droits, la souveraineté toute entière. C’est la Constitution qui fixe la forme du gouvernement, ui l’établit ou le confirme, qui assure l’hérédité e la Couronne dans une maison particulière ; si donc le peuple eût pu accorder au prince le droit d’opposition ou de refus, il lui eût accordé un pouvoir indépendant de la souveraineté, ce qui serait la plus inconcevable et la plus révoltante des absurdités. Ce n'est pas du pouvoir législatif que nous tenons le droit de faire une Constitution ; c’est du souverain chez lequel le pouvoir exécutif ne peut exercer aucun droit, puisque lui-même est entièrement subordonné. Mais, comme le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif sont l’un et l’autre une émanation du pouvoir souverain, c’est dans la volonté et l’intérêt du souverain qu’il faut chercher l’influence que les deux premiers peuvent et doivent avoir l’un sur l’autre. En France, le souverain De peut agir que par ses délégués. L’action de ceux-ci doit donc avoir pour unique objet la volonté et le bonheur de l’autre ; de là naît l’utilité, la nécessité même de la division des pouvoirs ; car l’expérience de tous les fidèles et de tous les gouvernements atteste que leur réunion, en des mains dépendantes par leur nature, entraîne inévitablement le malheur et l’oppression du souverain. Les pouvoirs dépendants doivent donc être organisés de manière que leur activité respective ait pour but l’avantage du pouvoir absolu, dont ils dérivent, ; et ils seront bien organisés si par une surveillance exacte, attentive, continuelle et réciproque, ils sont assez forts pour em-êcher les entreprises ou les attentats de l’un des eux contre le souverain, mais jamais assez pour l’opprimer. Ainsi quand le Corps législatif propose au dépositaire du pouvoir exécutif une loi sur laquelle le peuple ne s’est pas clairement expliqué, alors le prince, s’il croit la loi nuisible, a, je ne dis pas le droit, mais le devoir d'en avertir le peuple, et jusqu'à ce que le peuple ait exprimé sa volonté, le prince doit arrêter l’exécution de la loi. La fonction du Roi consiste donc alors dans un appel au peuple, et cet appel ne peut jamais être que suspensif, puisqu’en dernière analyse, le peuple ayant la plénitude des pouvoirs, pouvant modifier, changer même les fonctions de ses subordonnés, il ne peut être arrêté par l’opposition persévérante d’aucun d’eux. Ainsi, pour résumer, point de sanction pour la Constitution, elle serait absurde ; appel au peuple sur les objets de la législation. Telle est, ce me semble, la seule influence que Ton puisse accorder au pouvoir exécutif sur le Corps législatif. Je ne connais que ce moyen d’accorder l’intérêt du peuple avec sa volonté, tout autre porterait infailliblement une atteinte mortelle à la liberté politique de la nation et nous ne devons pas sacrifier ses droits. Séance du lundi 21 septembre 1789, au soir. La séance est ouverte par l’annonce de plusieurs dons patriotiques, de la part d’un écolier de treize ans qui a remis à M. le président six médailles ou pièces de monnaies étrangères, en argent; de la dame Paignon d’Anneville, propriétaire de la manufacture de Paignon, à Sedan, d’une somme de 3,000 livres; des habitants de Bèze, diocèse de Dijon, qui demandent la permission de vendre leur quart de réserve, et d’en offrir le prix, qui montera à 22,000 livres ; de ceux d’Aignay-le-Duc, diocèse d’Autun, qui ont délibéré d’offrir au Roi une somme de 20,000 livres ; d'un curé qui offre 200 livres par an, et une année de sa portion congrue, à verser dans la caisse nationale ; de M. Pelauque-Bèraut, député de la sénéchaussée du Condomois, qui renonce à la finance de son office de procureur du Roi en l’élection de Condom, en cas de suppression de cet office, et dès à présent à tous gages et recouvrement, tant qu’il en sera revêtu ; et enfin de MM. les députés de la généralité de Lorraine et Barrois, qui se sont engagés à réaliser à la caisse nationale le centième du capital de leurs fortunes. L’Assemblée reprenant l’ordre indiqué pour la séance, se fait lire le projet du comité des finances , relatif à la gabelle, ainsi que différents autres projets et amendements sur le même objet, proposés précédemment. Plusieurs orateurs demandent la parole. M. Dupré, député de Carcassonne (1). Mes-(1) L'opinion de M. Dupré n’a pas été insérée au Moniteur.