70 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] Je propose donc à l’Assemblée de décréter le retranchement des mots : « Dans le tribunal ordinaire qui avait d’abord connu en dernier ressort. « (Cette motion est décrétée.) M. Martinean. Je demande que les ministres soient tenus de présenter incessamment au comité des finances leurs vues sur l’organisation de leurs bureaux, ainsi que le tableau des dépenses nécessaires, pour que, sur le rapport du comité, il soit statué par l’Assemblée ce qu’il appartiendra. M. Briois-Beaumetz appuie cette motion. (L’Assemblée décrète la motion de M. Martineau.) L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l'organisation de la marine (1). M. Inouïs Itlonneron (2). Messieurs, l’objet qui vous occupe est certainement d’une grande importance, puisqu’il est question de statuer sur les réclamations de la marine marchande, à qui nous devons la prospérité du royaume. Comme je diffère, Messieurs, des vues de ce corps et de celles de votre comité, je réclame pour un moment votre attention. Les réflexions que je vais vous présenter sont le fruit de 29 voyages sur mer, dans l’espace de 25 ans, sur des vaisseaux militaires et de commerce. Il faut à des nations maritimes et commerçantes, dit le rapporteur du comité, une armée de mer, pour protéger leurs côtes, défendre leurs colonies et leur commerce , source de richesse et d'industrie . Une marine militaire et permanente est donc nécessaire à la France, que la nature avait appelée à tenir le premier rang dans ce rapport, et il est douteux qu’elle tienne le second. Mais en supposant l’existence de sa marine, telle qu’elle est aujourd'hui, composée de 75 à 80 vaisseaux de ligne, 60 frégates, et 35 à 40 corvettes, avec un état-major d’environ 1,000 officiers, supposés instruits, elle peut et elle doit protéger ses côtes, ses colonies et son commerce sans exciter des inquiétudes parmi les nations maritimes qui l’avoisinent. Ce n’est pas en organisant votre marine différemment de ce qu’elle est aujourd’hui, que vous atteindrez ce but. Qu’il y ait quelques offi-ciers généraux de moins, suivant les divers plans qui vous sont présentés, la machine n’en sera pas mieux organisée. L’instruction, la pratique et la discipline : voilà les trois grandes bases qui doivent ramener la marine a ce qu’elle était sous Louis XIV, qui en a été le créateur, et qui t’a maintenue dans un état de gloire et de prospérité pendant 60 ans. Je vais donc, Messieurs, me borner à discuter l’objet sur lequel les opinions sont le plus divisées, qui est de savoir le rang que doit avoir la marine marchande, si dans un mouvement de guerre l’Etat réclame ses services. On ne voit pas que l’Angleterre, dont la marine matérielle est au moins le double de la nôtre, et dont l’état-major, cependant, n’est pas proportionné à celui destiné à notre marine, ait recours, (1) Voy. ci-dessus, séance du 13 avril 1791, page 15. (2) Le Moniteur ne donne qu’une analyse de ce discours. en temps de guerre, au service de sa marine marchande. Mais, sans s’arrêter aux motifs qui peuvent la déterminer, j’observerai que votre comité croit devoir établir une différence, en disant : Que Vart de la guerre de mer n'est pas le môme que l'art de la navigation. Un membre de ce comité a ajouté : que , dans tous les temps, un intervalle immense séparait la marine militaire de la marine marchande ; que la marine marchande n'est pas habituée aux manœuvres militaires; que la profession du commerce est absolument étrangère au métier de la guerre. Quant à moi, Messieurs, je pense qu’il y a une similitude complète. Le marin marchand reçoit, dans toutes les villes maritimes, les premiers principes d’hydrographie, comme le marin guerrier, dans les ports de la marine militaire. En mer, il a, sur ce dernier, l’avantage de faire tout par lui-même, de s’amalgamer avec son état, par la nécessité du travail continuel qu’exigent le chargement ou déchargement de son vaisseau ; la direction de sa route, la manœuvre, les observations astronomiques, les relèvements; enfin, tout ce qui tient à l’art de la navigation. La guerre survient, le marin marchand se trouve dans la position, ou d’éviter l’ennemi, ou de le combattre. Dans le premier cas, il emploiera toutes les ressources de son art à calculer ses avantages ou ses désavantages ; dans le second, il aura sous ses ordres, des hommes instruits à manier le canon, puisqu’ils servent également sur des vaisseaux militaires; il arrive enfin dans un port de France, et il arme un corsaire. Ce n’est point ici une image de la guerre; c’est la guerre même dans tous ses détails et dans toutes ses fureurs. Après une ou plusieurs campagnes dans lesquelles il a développé les plus grands talents et le plus grand courage, je demande à l’Assemblée, j’interpelle même tous les généraux de la marine, instruits et dégagés de préjugés, s’ils croiraient qu’un vaisseau de ligne confié à un pareil homme ne serait pas en bonnes mains, surtout s’il avait à son choix des officiers subalternes pour le seconder? On m’objectera qu’il y a une grande différence entre le commandement d’un vaisseau ordinaire et d’un vaisseau à deux batteries. Je répondrai que cette différence n’existe point; que la manœuvre est partout la même; que les officiers destinés à la commander et les bras destinés à la servir sont en proportion des difficultés à surmonter. On a cru apercevoir que tel homme qui s’est distingué dans une affaire particulière, n’a pas justifié sa réputation lorsqu’on lui a confié le commandement d’un vaisseau de guerre. Je suis bien convaincu que, si sa justification n’eût pas été étouffé, elle aurait été complète. Vous en avez une preuve récente dans l’adresse que vient de vous présenter la fille du capitaine Thurot. Si le service de l’Etat exige, Messieurs, qu’un homme de cette classe soit employé pendant la guerre, il ne doit pas l’être en qualité d’enseigne comme votre comité vous le propose; on devrait lui confier le commandement d’un vaisseau, en lui laissant le choix de ses officiers; et, à la paix, il lui serait libre de prendre son rang dans la marine militaire, à compter de la date de son brevet. Si vous adoptez le projet du comité, vous ne verrez jamais un officier de mérite se présenter pour être admis en qualité d’enseigne; les sujets qui se présenteront, seront des capitaines sans talents, qui aviliront leur premier état au lieu de l’élever et de l’ennoblir, et qui parviendront cependant à une décoration qui ne [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES# (14 avril 179I.J '71 devrait être que la récompense du mérite mili-tciirG G’est ici le moment, Messieurs, de vous tracer le portrait de ces hommes que les circonstances peuvent amener au commandement d’un vaisseau de ligne, et peut-être à celui de nos forces maritimes. Le marin que je désire y voir appelé, est celui, qui, par le liant de son esprit et la fermeté de son caractère, sait captiver les hommes destinés à servir sous ses ordres, et maîtriser les dangers qui l’environnent de toutes parts; qui réunit, à une très grande pratique, une théorie profonde. Tous les écrits que j’ai vu publier sur la question que nous traitons représentent la marine marchande comme une horde destinée à sillonner les mers, pour aller dans quelque partie du globe faire quelque trafic. On n’a pas considéré qu’un homme de génie forcé par les premiers besoins de la vie, à parcourir l’Océan, peut donner à l’instruction tout le temps qu’il est en mer, et éclairer la pratique par la théorie, avec les attraits que lui présentent chaque jour et à chaque instant l’astronomie, la géographie et toutes les sciences exactes; car aucune n’est étrangère à l’art de la navigation. Si les hommes dont je parle sont rares, n’en accusons que l’ancien régime, il n’y avait, en France, d’espoir d’avancement et de considération, qu’en perdant un temps précieux dans les antichambres des ministres, ou en flattant les caprices et les passions des gouverneurs, des intendants et des chefs de corps. Autant ces mesures doivent déplaire à un homme fort de ses talents, et le décourager , autant les principes que vous avez établis l’inviteront à leur donner le plus grand effort . On alléguera que l’adoption de mon projet portera le découragement dans le corps militaire permanent que je veux maintenir. J’aime à croire que le ministre, sensible à la gloire et à la dignité du département qui lui est confié, n'appellera à ce service que des hommes désignés par l’opinion publique; et, dans ce cas-là, ce choix qui malheureusement ne saurait être nombreux, ne pourra pas déplaire à un corps qui s’empressera certainement de se distinguer par son patriotisme et par ses talents. S’il était nécessaire, Messieurs, d’invoquer l’expérience, je citerais Jean Bart, Duguay-Trouin, La Bourdonnais, que tout le monde sait être sortis de la marine marchande, et qui ont servi l’Etat avec autant de gloire que de succès. Tour-ville lui-même augmenterait l’éclat de cette liste puisqu’il a été admis dans la marine, en qualité de capitaine de vaisseau, après la réputation qu’il s’était faite dans la course. Si ces hommes n’eussent été admis dans la marine, que d’après le plan de votre comité, ils n’honoreraient point aujourd’hui l’histoire de leur pays : car iis auraient consumé dans l’inaction leur jeunesse, leur activité et le fruit de leur expérience. Quant aux officiers subalternes de la marine marchande, on doit observer qu’en temps de guerre plusieurs sont sans service, parce que le commerce maritime n’a plus la même activité. La marine militaire peut aisé ment se procurer les officiers auxiliaires dont elle aura besoin; iis feront le service d’enseignes à bord des vaisseaux; et s’ils se distinguent par quelques actions éclatantes, ils seront admis à entrer dans le corps de la marine militaire et à jouir des récompenses pécuniaires ou honorifiques, que leurs actions pourront mériter. Votre comité, Messieurs, en présentant le grand ensemble de la tactique navale, paraît craindre qu’il soit confié à un marin marchand; mais, l’évolution des escadres est le complément de cet art; on ne doit la confier qu’à l’expérience reconnue. Le marin marchand qui l’aura bien développée dans le commandement d’un vaisseau de ligne peut y être appelé comme tout autre. Je suis très éloigné de croire que, parce qu’un homme sera entré dans la marine en qualité de garde-marine, et qu’il sera parvenu au grade de capitaine de vaisseau, on doive, sans autre examen, lui confier le commandement d’une escadre. Dans ce nouveau grade, l’expérience (je ne saurais trop le répéter), est absolument nécessaire. L’Inde dans la dernière guerre, nous en a fourni un exemple. Le commandant de nos forces navales n’a développé du talent que dans la sixième et dernière affaire : dans toutes les autres, il n’a montré que du courage. Si vous adoptez, Messieurs, la disposition que j’ai l’honneur de vous présenter, vous satisferez, j’ose du moins l’espérer, la marine marchande. La nation y verra l’application du principe que vous avez consacré : Que tout hotnme est admissible aux emplois publics suivant sa capacité , et sans autre distinction que celle de ses vertus et de ses talents. Je propose, en conséquence. Messieurs, le projet de décret suivant sur l’admission de lamarine du commerce : Projet de décret. « Lorsque le service de l’Etat exigera que les offi ciers de la marine du commerce soient employés à bord des vaisseaux de guerre, ils y seront admis comme suit : « Les capitaines des vaisseaux de commerce, qui ont commandé pendant trois voyages dans nos colonies orientales ou occidentales seulement, pourront obtenir le commandement d’un vaisseau de ligne, d’une frégate ou de tout autre bâtiment ; ils jouiront des honneurs et des émoluments attachés au grade de capitaine de vaisseau, et iis prendront rang dans le corps de la marine militaire, à compter de la date de leur brevet. « 2° Les autres officiers de la marine du commerce jouiront, seulement pendant qu’ils seront employés, des honneurs et des émoluments attachés au grade d’enseignes de vaisseau, sauf à récompenser, par des honneurs, de3 grades ou des pensions, les services distingués qu’ils auront pu rendre à l’Etat. » M. Loynes de La Coudraye. Messieurs, il y a trois mois que votre comité de marine vous présenta un plan sur l’organisation d’une marine militaire. Lorsque l’ordre de vos séances ouvrit la discussion sur cet objet, ceux qui montèrent à la tribune y vinrent successivement combattre les dispositions du comité. Tous sans exception les trouvèrent défectueuses; tous s’attachèrent àvou3 en montrer les vices et les inconvénients. Leurs raisons, Messieurs, vous déterminèrent; vous jugeâtes que ce plan ne remplissait point l’objet que l’on devait se proposer, et vous renvoyâtes à un nouvel examen, en adjoignant pour cela six nouveaux membres au comité, et en prescrivant de consulter des officiers de la marine. (1) Le Moniteur ne donne qu’on extrait de ce discours. 72 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 114 avril 1791.] 11 est fâcheux, Messieurs, que les circonstances aient rendu cette adjonction sans effet; il est fâcheux que la moitié des nouveaux membres n’ait pu paraître aux séances du comité; il est fâcheux que l’on en ait constamment éloigné MM. de Gal-bert et de Perigny, qui avaient droit d’y siéger, et que l’on n’y ait appelé que deux fois quelques officiers principaux de la marine, mais sans déléguer devers eux, et uniquement, à ce qu’il semble, pour remplir la lettre de votre décret. Vous vous rappelez aussi la retraite et les motifs de la retraite de M. de Menonville, un des nouveaux adjoints militaires, dont les connaissances sur cette partie étaient précieuses. Le résultat de ces faits a été, ce à quoi l’on devait s’attendre, la reproduction du même plan. C’est avec les mêmes principes, avec les mêmes règlements que votre comité reparaît. Les changements qu’il propose ne touchent point au fond de son ancien mode; et, dans plusieurs points, ils l’aggravent au contraire et le détériorent encore. Votre comité, alors comme aujourd’hui, avait principalement en vue de réunir et de fondre ensemble la marine du commerce et la marine militaire. C’est uniquement dans cette vue qu’il vous proposait et qu’il vous propose de n’avoir ni écoles, ni instruction particulières pour ceux qui se destinent au service d’officiers sur les vaisseaux, de l’Etat, c’est-à-dire, pour le métier militaire, le plus éminemment difficile et qui en a le plus essentiellement besoin. C’est pour cela qu’il vous propose de n’attacher exclusivement les officiers au service des vaisseaux de guerre, que lorsqu’ils seront parvenus au grade de lieutenant. C’est pour cela que le dernier grade d’officier, celui d’enseigne, serait nécessaire, suivant quelques-uns du comité, pour commander les vaisseaux de commerce ; mais que, suivant tous, il donnerait le droit de les commander, et réciproquement à l’officier de commerce le droit d’être appelé comme enseigne sur les vaisseaux de guerre. C’est sans doutepour contraindre d’unemanière indirecte, mais très puissante, à se porter vers le commerce, qu’il propose que les seuls officiers des grades de lieutenant et au-dessus reçoivent une solde constante, et que les aspirants et enseignes ne soient payés de l’Ètatque lorsqu’ils seraient en activité de service. C’est dans cette vue qu’on établit partout que la navigation marchande pourra remplacer celle sur les vaisseaux de guerre, pour les grades et les avancements, selon une proportion déterminée. Votre comité cependant, pressé par l’opinion publique sur la nécessité de l’instruction dans la marine, a cru satisfaire à ce sentiment sans nuire à sa marche, par l’obligation de répondre à des examens. Il en exige quatre : le premier au début pour être reçu aspirant de la troisième classe. Le second pour passer à la première classe des aspirants ; le troisième pour être fait enseigne, et le quatrième, enfin, pour parvenir au grade de lieutenant. En lisant cette partie du plan, je me suis vraiment cru, Messieurs, reporté au collège, et cette idée, à l’égard de militaires, m’a paru du moins extrêmement neuve et saillante. Cependant quelque peu d’expérience en marine eût pu laisser entrevoir au comité que des jeunes gens, souvent éloignés des ports par la difficulté, pour tous ceux qui ne seraient pas riches, de s’y entretenir sans appointements; que des jeunes gens, non surveillés après leur débarquement, souvent poussés vers la carrière du commerce et le détail des marchandises, par l’impossibilité de trouver place sur les vaisseaux de guerre; que des aspirants que l’on destine à faire pendant 18 mois de navigation l’apprentissage et le service de matelot, puis pendant 30 autres mois le service d’officier-marinier; que ces jeunes gens, dis-je, seraient vraisemblablement tellement dépourvus d’instruction, que ceux-mêmes qui obtiendraient les places au concours, pourraient être encore fort ignorants et fort au-dessous des connaissances nécessaires. Comment exiger sérieusement un examen à 30 ans d’un officier qui déjà enseigne, et peut-être commandant un vaisseau de l’Etat, aurait versé son sang pour sa patrie, qui déjà peut avoir rendu des services signalés à la nation, qui déjà peut avoir déterminé la paix ou la guerre? Il ne faut voir dans les examens que ce qu’il convient d’y voir : un moyen de s’assurer que le sujet qui se présente a de l’intelligence et du jugement, parce que le métier d’officier de la marine exige, en effet, ces qualités. Voilà pourquoi les sciences exactes sont la meilleure balance que l’on puisse employer pour juger de l’aspirant, quoiqu’elle ne soit, à beaucoup près, ni parfaite, ni suffisante; mais voilà aussi pourquoi il faut examiner le sujet de bonne heure, lors de ses premiers pas dans la carrière et non lorsque déjà il est officier et homme fait. Votre comité a cru ces examens possibles, mais leur exécution serait une chimère. J’ai vu, en pleine paix, des examens de cette espèce inévitablement suppléés, pour l’avancement des officiers absents, par les notions vagues et incertaines que les ministres avaient pu se former de leur capacité. Que sera-ce donc lorsque la guerre aura dispersé les officiers et aspirants de la marine dans les 4 parties du monde, et dans un système où l’on exige 4 examens au lieu d’un seul qui a eu lieu jusqu’ici? Ceux qui connaissent le mouvement si considérable qui existe en temps de guerre parmi les officiers de la marine, savent quelles entraves de telles lois apporteraient aux embarquements; une escadre pour les Indes pourrait ne pas trouver à compléter ses officiers; tel, malgré son goût et son aptitude, n’oserait suivre les traces de M. de La Pérouse, ou s’embarquer pour faire le tour du monde. L’article 31 réserve, il est vrai, pour ceux qui seraient à la mer le droit de se présenter au premier concours qui suivra leur retour; mais, aux termes du projet, les prétendants aux grades de lieutenant auraient perdu un nombre de rangs proportionné à la durée de leur absence, et cette perte est inappréciable dans un service et dans un grade où la moitié des avancements est accordée à l’ancienneté. Qui répondra d’ailleurs que ce nouveau concours n’ourira pas au concurrent, nécessairement plus occupé depuis longtemps de manœuvre et de guerre que de mathématiques, des difficultés qu’il n’anraitpas éprouvées à celui où il se trouvait naturellement appelé? Ces examens ridicules, impossibles, portent encore tout le caractère de l’injustice. En effet le projet d’une éducation commune pour les marines militaire et commerçante vous ferait demander à un capitaine de navire marchand fort au delà de ce qui lui est nécessaire. De quel droit, dirait-il, exigez-vous de moi de répondre à un examen public sur l’arithmétique, la géométrie, les éléments de la navigation et de la mécanique ; puis plusieurs années après à un nouvel examen sur la pratique vet la théorie de l’art maritime, [Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] 73 puis enfin à un troisième examen public sur des connaissances encore plus étendues sans doute ? Voulez-vous donc concentrer le droit de naviguer pour le commerce en qualité d’officier dans les seules familles assez riches pour prodiguer l’instruction à leurs enfants ? Ai-je besoin, ajouterait-il, de savoir la géométrie et la mécanique pour conduire mon navire et régir mon commerce? Combien en effet de capitaines de navire dépouilleriez-vous de leur état, si votre loi avait un effet rétroactif ? et combien d’hommes pour l’avenir priveriez-vous d’embrasser une profession qu’ils eussent parfaitement remplie sans une science qui leur est inutile? Voilà en effet, Messieurs, à quelles conséquences conduit un principe faux et erroné ! Exiger trop de la marine commerçante, affaiblir l’instruction de la marine militaire, nuire à toutes les deux, tel serait l’effet de la liaison entre elles, que l’on vous propose. Il est inconcevable que le comité de marine n’ait point abandonné cette base vicieuse attaquée par tous ceux qui ont parlé à votre tribune, inconnue à toutes les nations maritimes, et déjà marquée par vous du sceau de l’improbation. Cependant ce problème ne serait pas impossible à résoudre, en considérant les éléments qui ont produit cette idée, le petit nombre de ceux qui l’ont déterminée et la soutiennent dans le comité, et les causes qui les y attachent. Toujours dois-je vous avertir, Messieurs, et je puis l’avancer avec hardiesse, que les militaires qui connaissent le service de la mer, que les deux seuls marins qui existent dans le comité de marine, blâment et réprouvent ce plan, et regarderaient son admission comme la destruction de la marine en France. Je ne répéterai point les arguments qui furent employés il y a trois mois contre ce même plan, et qui vous déterminèrent à le rejeter, parce que votre temps est trop précieux pour le dissiper : mais il est indispensable de vous les rappeler sommairement, puisque c’est par les mêmes raisons qu’il faut combattre les mêmes erreurs. On vous observa d’abord l’énorme différence qui existait entre deux professions, dont l’une avait pour but le commerce et l’autre avait pour but la guerre. On vous dit que les agents du commerce partaient d’un port dans la seule vue d’arriver à un autre port, et qu’aussitôt après leur arrivée, bornés aux soins et aux détails de la vente et des achats, ils devenaient exclusivement marchands jusqu’à l’instant de l’appareillage pour leur retour : on dit qu’ils naviguaient habituellement seuls et sans ordre. Que les évolutions, la discipline et tout ce qui constitue l’art de la guerre leur était totalement étranger; on fit remarquer que la faiblesse de leurs équipages les oblige à des surcroîts de précaution dans la navigatiun qui ne peuvent que leur faire contracter des habitudes timides, inconciliables avec les manœuvres de guerre. On vous présenta d’un autre côté la destination de la marine militaire aux croisières, aux découvertes, aux combats, à l'art de chasser, de joindre, d’aborder, ou d’eviter un vaisseau. On vous dit que l’officier destiné à la guerre devait, dès sa plus tendre jeunesse, être formé aux évolutions, à l’action de combiner les mouvements et de présenter cet ensemble qui multiplie les forces et les moyens des armées navales ; qu’il devait y être exercé toute sa vie pour acquérir ce coup d’œil sûr que le jugement seul ne suffit pas pour donner. Que la discipline militaire, la science de commander à des équipages nombreux, de diriger un immense détail d’artillerie ne s’apprenaient que sur des vaisseaux de guerre ; que cette école seule formait à la précision, à la hardiesse des manœuvres qui constituent le talent. On vous dit que la marine marchande n’avait jamais fourni d’hommes de mer célèbres; que c’était une erreur de l’avoir confondue, à cet égard, avec la marine corsaire, qui elle-même n’existe plus; que M. Duguay-Trouin n’avait jamais navigué sur aucun bâtiment de commerce; et qu’il était bien difficile, en effet, qu’il se formât un marin et un général dans une profession mue par le désir du gain et par des spéculations mercantiles. On vous observa que l’officier de guerre devait être uniquement occupé de gloire et que, par ce motif, toutes les nations maritimes avaient rigoureusement interdit le commerce à leurs officiers militaires. On vous fit remarquer, en conséquence de ce principe, combien il était dangereux d’embarquer sur vos vaisseaux de guerre une classe d’officiers, dont le mélange devait nécessairement y introduire le goût des pacotilles, et tous les inconvénients qui en sont la suite. On vous dit enfin que, en élevant les prétentions et les titres des officiers de commerce, vous les éloigniez d’autant plus de cette simplicité dans la manière de vivre, si importante à l’économie, déjà négligée en France et qui rend la navigation des étrangers beaucoup moins dispendieuse que la nôtre. Cette alliance des deux marines, Messieurs, n’est pas une idée neuve, et peut-être votre comité l’a-t-il ignoré. Ce que l’on vous propose a déjà été tenté par un ministre célèbre et absolu, mais doué de grands talents et de grandes vues. Séduit par les déclamations oratoires d’un écrivain du temps; abusé sur les causes d’une guerre funeste, M. le duc de Choiseul, à la paix de 1763, voulut faire naviguer les jeunes officiers et les gardes de la marine sur les navires du commerce. Il choisit cependant les bâtiments qui, dans cet ordre, tenaient sans contredit le premier rang par l’instruction des officiers, le rang de leurs vaisseaux et le genre de leur navigation. Des officiers de l’Etat furent employés sur des vaisseaux de la compagnie des Indes; mais bientôt l’épreuve fit abandonner ce projet. On s’aperçut que des manœuvres routinières ne donnaient que peu d’expérience, qu’elles n’en donnaient aucune pour l’instruction la plus importante, celle des évolutions; que les séjours dans les rades et dans les comptoirs inspiraient, nécessitaient le goût du commerce; M. le duc de Choiseul reconnut son erreur et revint sur ses pas. M. d’Àprès, célèbre par ses cartes de la mer des Indes, m’a dit en 1774, que depuis le petit nombre d'années que les vaisseaux du roi fréquentaient l’Ile-de-France, il avait recueilli plus de découvertes, plus d’observations que dans toutes les années antérieures. C’est M. Grenier, M. Coëtivi, M. d’Hercé, un de nos collègues à l’Assemblée, M. d’Entrecas-teaux, tous officiers de la marine de l’Etat, qui ont levé les plans de l’archipel de Madagascar, qui ont découvert de nouvelles lies, marqué plusieurs dangers et frayé des routes nouvelles et inconnues, pour parvenir dans toutes les saisons aux Indes et à la Chine. Tous ont été plus sensibles à la gloire attachée à ces découvertes, qu’ils ne l’eussent été à l’accroissement le plus consi- 74 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] dérable survenu dans leur fortune. Conservez précieusement cet esprit et n’essayez pas de l’associer à des habitudes mercantiles qui, bienlôt et indubitablement, finiraient par le détruire. Pour exécuter ses projets, votre comité devait nécessairement se trouver gêné par les droits fondés et acquis des officiers qui sont en possession; par la justice, la décence, et par l’exemple de tous les peuples. Dans cette occurrence il a pris son parti, et il vient vous proposer ouvertement de supprimer le corps de la marine et de le recréer à sa manière. Ignore-t-il donc que l’idée de suppression porte toujoursavecelle un caractère de défaveur, qu’elle blesse la délicatesse de tout corps militaire? Et à qui veut-il donner cette mortification? Au corps de marine le plus instruit de l’Europe; au corps qui a fait la seule guerre heureuse que la France ait soutenue sur mer et qu’elle ait terminée par une paix glorieuse et utile; au corps dont presque tous les individus ont acquis l’expérience de plusieurs combats et de la guerre la plus active dont les annales du monde fassent mention; au corps qui, pendant ce même temps, dirigeait les travaux des ports avec une telle intelligence que pas un seul vaisseau n’a manqué sa mission; que jamais il n’y avait eu auparavant une semblable célérité dans les réparations, une pareille prévoyance des besoins, une égale promptitude à reprendre la mer; au corps qui a fourni l’exemple de cent combats glorieux et remarquables par la supériorité des manœuvres; qui même, après la journée désastreuse du 12 avril, rallié sous les ordres de M. de Vaudreuil, notre collègue, sut le premier tenir la mer et forcer les vainqueurs à l’inaction. Non, la sagesse et la justice de l’Assemblée ne lui permettront jamais d’adopter une telle proposition. Mais en recréant le corps militaire de la marine, conformément au mode de votre comité, quels seraient donc ceux des officiers généraux qui seraient exclus? et qui pourrait et voudrait les désigner? C’est au roi qu’on veut imposer cette tâche pénible : mais pourra-t-il se résoudre à dépouiller des serviteurs fidèles? et quelle règle dirigerait son choix? Tous, il le sait, ont bien mérité de la patrie; si tous n’ont pas les mêmes actions, tous ont eu la même volonté, le même zèle, tous sollicitaient du service; l’occasion seule leur a manqué. Rejettera-t-il de la liste MM. Du-chaffaut et de la Motte-Piquet, dont l’âge, les infirmités ou les blessures laissent espérer moins de services dans l’avenir? Quoi, le prix de leur saDg et le sacrifice de leur vie entière seraient ainsi méconnus! Ils seraient arrachés à leur plus douce habitude, celle de faire partie du corps où ils ont si glorieusement vécu : ils cesseront de jouir des conversations, de l'empressement de leurs anciens camarades; compagnons et témoins de (leurs belles actions! N’est-ce donc rien, pour l’utilité générale, que la présence et l’exemple de ces vieux généraux couverts de gloire et du respect public! Quel jeune officier peut les voir sans sentir dans son cœur le plus noble enthousiasme, sans désirer de marcher sur leurs traces? Les moins anciens seraient-ils sacrifiés? Dans ce nombre alors se trouveraient compris MM. d’Albert de Rioms, Destouches, Soulange, Gharitte, d’Aymar et autres, si avantageusement connus dans la dernière guerre. M. de La Pérouse aussi serait perdu pour la marine, lors même que les recherches que vous avez ordonnées le rendraient aux vœux de la France. Tous ces officiers généraux auraient à regretter que leurs services et leurs talents les eussent fait monter au grade de chef d’escadre, et ne leur permissent plus de concourir avec les capitaines de vaisseau pour celles des places de contre-amiral que le comité réserve exclusivement aux officiers de ce dernier grade. Le comité propose et avec justice de laisser aux officiers généraux qui ne trouveraient point place dans la nouvelle formation, leurs titres et leurs appointements. Mais dans ce cas c’est donc gratuitement, et, sans bénéfice pour l’Etat qu’on leur impose le sacrifice douloureux de toutes les espérances d’avancement et de gloire, qu’ils pouvaient concevoir pour l’avenir. Ne serait-il pas du moins plus sage et plus juste d’attendre que le temps ait réduit les officiers du grade de chef d’escadre ou contre-amiral au nombre déterminé, en observant seulement de faire un remplacement sur deux vacances pour ne pas laisser trop longtemps les capitaines de vaisseau sans aucun espoir d’avancement? Oui, Messieurs, si le plan du comité pouvait être admis, je vous proposerais sérieusement de faire décider par le sort, à votre tribune même, quels seraient les officiers généraux exclus; et ce serait celui qui n’a pas craint de lire un pareil projet que j’indiquerais pour puiser les billets d’exclusion dans l’urne fatale. Pourquoi votre comité appelle-t-il à concourir aux places de capitaines de vaisseaux, les officiers des classes qui déjà depuis longtemps sont hors du corps de la marine, et exclut-il de ce concours les capitaines de vaisseau sans activité ui font partie intégrante du corps? Comment es hommes si disposés à trouver des abus dans tout ce qui tient à l’ancien régime, n’ont-ils pas soupçonné en cette occasion que la défaveur ministérielle pourrait avoir influé sur le sort de plusieurs des capitaines qui ont été mis hors d’activité? Une loi trop générale à cet égard pourrait être souverainement injuste. Le nombre de 180 capitaines de vaisseau et de 800 officiers de grades subalternes est à peu près suffisant pour une marine de 80 vaisseaux de ligne. Si votre comité l’a reconnu, il n’en est que plus difficile d’exnliquer pourquoi il veut donner le titre d’enseigne à tous les capitaines marchands; disposition que nous avons démontrée d’ailleurs être d’une conséquence très funeste. 11 est donc évident que le grade d’enseigne, tel qu’il le propose, est pour lui un poste de réserve sans utilité réelle, uniquement destiné à favoriser son plan fivori, à réunir la marine marchande à la marine militaire sous une forme moins brusque, et qu’il a cru par là moins choquante. C’est par ce même motif, sans doute, qu’il livre principalement les aspirants aux simples fonctions de matelot; et sans cela pourrait-on concevoir qu’on leur fit faire pendant 18 mois de navigation l’apprentissage et le service de matelot, pour leur faire exercer encore pendant trente autres mois de navigation les fonctions d’officiers mariniers? Gomment une telle institution pourrait-elle convenir à des hommes destinés à acquérir des principes théoriques, dont tout le savoir doit être dans le jugement et la réflexion? Il serait difficile à des marins de juger pourquoi votre comité veut entretenir 60 maîtres canonniers et seubment 50 maîtres d’équipage. Certes les talents de ceux-ci ne sont point infé- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.] rieurs à ceux des premiers, et leur nombre est le même. S’appuyer sur un usage contraire serait s’autoriser d’une erreur; mais la disposition importante est celle de la création de 30 enseignes entretenus, choisis parmi ces maîtres. Si l’intention de votre comité, comme d’autres articles le manifestent, est qu’ils soient dispensés de leurs anciennes fonctions, cette proposition est très pernicieuse pour le service. Un bon maître d’équipage sur les vaisseaux de guerre est certainement un homme d’un très grand talent, mais d’un talent différent de celui de l’officier; de sorte qu’un très bon officier pourrait être un très mauvais maître, comme un excellent maître serait le plus souvent un médiocre officier. Que l’on accorde aux maîtres une grande considération, une paye semblable à celle des officiers, tous les marins y applaudiront; mais leurs talents sont trop rares et trop précieux pour les déplacer et les perdre. L’ancien plan du comité, qui n’accordait que vingt places d’enseignes à ces maîtres, était en cela moins défectueux. L’inconvénient disparaîtrait en partie, si les maîtres devaient conserver l’exercice deleurs importantes et honorables fonctions; mais, dans ce cas-là même, jamais les enseignes non entretenus, proposés par votre comité, jamais des capitaines de navires marchands, qui n’ont ni leur expérience, ni leurs actions de guerre, ne pourraient venir avec justice commander à de tels hommes. Je n’étendrai pas plus loin cette discussion ; j’en ai dit assez pour prouver que le plan de votre comité est mal conçu, dans ses vues générales comme dans ses détails. Les examens qu’il propose ne préserveraient pas le corps de la marine de retomber dans une ignorance funeste. Ce plan amènerait le goût de la pacotille et du commerce, si dangereux pour la guerre, si sévèrement et si raisonnablement proscrit par les ordonnances de toutes les nations maritimes. Il détruirait ce ressort puissant de l’âme des militaires : le désir exclusif de la gloire; il affaiblirait la considération attachée au grade d’officier, en le prodiguant à 5,000 individus, dont un grand nombre particulièrement sur les côtes de la Méditerranée, tels que les capitaines de tartanes savent à peine lire, il nuirait au commerce même, en élevant encore les prétentions des capitaines marchands, si opposées aux habitudes simples et économiques des navigateurs des autres nations. Ge projet renferme des dispositions iniques, d’autres nuisibles au service public, il est inadmissible dans toutes ses parties . > Le temps vient où l’enthousiasme cessera, où l’on nous jugera sur nos œuvres. Lorsque des hommes de loi se seront trompés sur la rédaction de quelques points de jurisprudence, on dira : Ils se sont trompés; cependant leur intention put être bonne. Mais si des hommes de loi et des commerçants avaient rédigé une organisation de marine militaire, contre le sentiment et les réclamations des militaires et des marins, on dirait avec amertume : Comment ne se seraient-ils pas trompés? On se rappellerait avec ironie l’adage célèbre : Ne sutor ultrà crepidam. Revenez, Messieurs, au système vrai et universel, au seul bon ; celui d’avoir une marine de l’Etat, exclusivement militaire. Ayez des écoles pour instruire vos élèves de la marine, pour diriger leurs premiers pas dans cette carrière pénible et savante. Faites pour ce service ce que vous avez jugé, avec raison, devoir faire pour le 7o génie, l’artillerie, les ponts et chaussées; ce que vous ferez, sans doute, pour les ingénieurs constructeurs. Personne ici ne doit, ni ne veut attaquer vos principes constitutionnels. Certes on ne choque point les droits de l’égalité, delà liberté, lorsqu’on ouvre la même porte à tous les citoyens, lorsqu’on exige les mêmes conditions de tous les Français 1 Un esprit faux pourrait seul voir différemment. La navigation marchande et la marine de guerre sont deux professions dissemblables. Elles ne demandent point les mêmes talents, elles ont un esprit totalement oppoœ ; on ne connaît ni la morale, ni la marine, lorsqu’on dit le contraire : en effet la théorie et l’expérience ont également prouvé que l’amour du gain et celui de la gloire se gênent l’un l’autre, se nuisent, s’excluent chez la plupart des individus. Il y a peu de jours que le ministre de la guerre parlait ainsi, en vous rendant compte de l’insurrection du régiment de Languedoc; et la vérité de cette maxime énoncée dans votre tribune fut reconnue et exprimée par des applaudissements. On se trompe, ou l’on vous trompe, sur la grande ressource qu’on a trouvée pour la guerre dans le secours des officiers auxiliaires : c’est seulement dans la dernière guerre, que M. de Sartine imagina ce moyen, et déjà l’on n’y aurait plus eu recours; parce que la bonne volonté ne suffit pas pour être transporté sur un vaisseau de ligne, parce que les principaux maîtres s’élevaient de toutes parts, et avec fondement contre ce plan; parce que des jeunes gens seuls se présentèrent et que les capitaines de commerce sages savent bien que commander un bâtiment marchand n’est pas savoir conduire un vaisseau de ligne. Jusqu’ici on ne s’est pas plus attaché à détruire le travail du comité, qu’à vous présenter d’autres vues. Que cette circonstance cependant ne vous effraye point, je sais que plusieurs pourraient vous présenter des plans et des vues saines. Mais ce n’est point en assemblée qu’il convient de lire et de débattre de pareils ouvrages. Ce n’est qu’en comité qu’on peut le faire avec fruit. J’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, quinze jours vous suffiront pour organiser et bien organiser la marine, lorsque vous voudrez réellement qu’elle le soit. 11 ne faut pour cela que vous apercevoir enfin, après une double épreuve, que les connaissances de votre comité de marine ne pourraient être appliquées avec avantage à ce qui concerne la marine; il ne faut que vous adresser à ceux que votre comité ait dû lui-même naturellement consulter; déléguer des juges plus compétents pour la discussion des plans, que vous demanderiez, et nommer de nouveaux rapporteurs auprès de vous. Depuis 30 ans la marine a été l’objet des spéculations d’une foule de novateurs. Toutes les idées que l’on peut vous présenter ont déjà été produites et plusieurs ont été tentées ; c’est cela même qui rend ce travail facile et sûr. Par une autre occurrence très heureuse, le ministre actuel de la marine réunit toutes les connaissances, toute l’instruction que donnent la théorie et la pratique de la mer. Sa campagne sur Uisis, la part qu’il a eue à la confection de l’ordonnance de 1776, tels sont les titres qui assurent ses talents, qui lui donnent un droit certain à votre confiance. Entouré de MM. de Granchain, de Borda, de La Prévalaye, il semble que le hasard ait mis à sa portée e"t à la vôtre toutes les lumières que vous pouviez désirer. Voilà, Messieurs, la source où vous devez aller puiser; et, si j’en connaissais une meilleure, je vou3 l’indiquerais, 76 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 avril 1791.J avec la même franchise, avec tout le désintéressement de quelqu’un qui n’a rien, qui ne veut rien de la marine, qui et depuis plus de dix ans en est séparé. En attendant cependant, soyez sans alarmes, jamais la marine ne fut en meilleur état, ses vaisseaux mieux entretenus, ses magasins plus soignés, ses officiers plus instruiis et plus exercés, son administration plus éclairée et plus capable : dans cet état des choses on peut heureusement se passer de l’intervention prochaine d’un comité de marine, et des idées exagérées d’hommes à prétentions. On pourrait sans danger renvoyer à une autre législature, pour donner le temps aux passions de se calmer; c’est, je le crois, ce qu’il y aurait de mieux à faire. Un seul objet manque et flétrit le reste, je parle de l’indiscipline et de l’insubordination des équipages. Que le retour à l’ordre soit votre ouvrage, et alors, Messieurs, il ne vous restera qu’à désirer que toutes les parties du service public soient disposées comme la marine. Il est un article déjà décrété lequel il me semble que vous pouvez rappeler ici, parce qu’il détruit tout sujet légitime de plainte; c’est l’aptitude de toutes les classes de citoyens à être admis comme officiers sur les vaisseaux de l’Etat. Mais, pour fournir au ministre de la marine quelques données certaines pour la base du travail que vous lui demanderiez, je vous propose de décréter le petit nombre des articles suivants : « Art. 1er. L’Etat entretiendra une marine exclusivement militaire. « Art. 2. Il sera établi des écoles pour l’instruction et la discipline de ceux qui seront admis à prétendre aux places d’officiers au service de la marine de l’Etat. « Art. 3. Toutes les classes des citoyens auront un droit égal à être admis aux écoles de la marine de l’Etat. « Art. 4. Le ministre de la marine sera tenu de rédiger sur ces principes un plan d’organisation d’une marine militaire pour être rapporté et discuté à la première législature. » Plusieurs membres à droite demandent l’impression du discours de M. Loynes de La Goudray. M. I�oynes de La Condray. La question préa-M. Moreau de Saint-Méry. L’auteur demande lui-même la question préalable. Je demande à mon tour que le discours de l’antipréopinant soit imprimé. (L’Assemblée, consultée, décrète l’impression des discours de M. Louis Monneron et de M. Loynes de La Goudray.) M. le Président. D’après le recensement du scrutin pour la nomination des deux commissaires qui doivent installer le tribunal de cassation, Messieurs FréteauetGoupil-Prét'eln ont réuni la pluralité des suffrages. En conséquence je les proclame commissaires pour installer le tribunal de cassation. M. le Président donne lecture de deux lettres : L’une des ouvriers des travaux publics de la section de l’ile Saint-Louis, qui invitent MM. les députés à l'Assemblée nationale à assister au service qu’ils font célébrer samedi 16 avril 1791, à 9 heures précises, en l’église de Sainl-Louis-en-l’Ue, pour M. Honoré Riquetti de Mirabeau. L’autre de MM. Dutremblay, Devaiues, Condorcet, Lavoisier, Rouillé Delétang, commissaires de la trésorerie. Cette lettre est ainsi conçue : « Monsieur le Président, « Chargés de garder le dépôt des contributions que la volonté du peuple consacre au maintien de ses droits, nous veillerons sur. ce trésor de la liberté, qui ne sera plus employé que pour la conserver ou pour la défendre. « Exécuteurs fidèles des décrets de l’Assemblée nationale, eux seuls régleront notre conduite. La limite qu’ils nous ont marquée nous sera toujours sacrée, et nous jurons entre vos mains de n’oublier jamais que ces dons du peuple qui, déposés dans la caisse commune, n’ont pas cessé de lui appartenir, ne doivent être dépensés que pour lui et par le vœu de ses représentants, seuls juges de ses besoins, seulsinterprètesdesavolonté. « Nous ne perdrons jamais de vue que la certitude du bon ordre dans le Trésor national est le seul moyen de faire supporter à des hommes les privations que les contributions leur imposent, et de perpétuer cette confiance dans la foi publique, que la courageuse justice de l’Assemblée nationale a su créer au milieu d’une révolution, et maintenir dans le sein des orages. « Nous regarderons comme un encouragement honorable la surveillance habituelle et immédiate qu’elle exercera sur nous. Nous mettrons notre gloire à nous montrer à elle occupés sans cesse d’éloigner cette obscurilé, cette complication qui amènent le désordre, en donnant les moyens de le dissimuler; à nous pénétrer de cette maxime, qu'il n'y a d'utile que ce qui est juste , et d'honnête que ce qui peut être public. « L’embarras dans les finances est pour un peuple libre le premier pas vers la corruption, ui n’est qu’un esclavage déguisé. Le monstre e l’inégalité se nourrit de ces richesses égarées qu’entassent ses mains avides. C’est avec l’or des nations que la perfidie forge leurs fers, que la tyrannie achète ses armes; et les arides détails de nos fonctions s’ennobliront à nos yeux, par l’idée que les gardiens du Trésor public sont aussi les soldats de la liberté. « Nous demandons à l’Assemblée, d’après ses propres décrets, de donner à l’établissement destiné pour la réunion de toutes les recettes et de toutes les dépenses, le nom de trésorerie nationale. Il rappellerait à tous les citoyens le fondement sacré sur lequel doit reposer leur confiance. « Nous vous prions, Monsieur le Président, de vouloir bien présenter à l’Assemblée nationale l’expression de notre fidélité et de nos hommages. « Nous sommes avec respect, Monsieur le Président, vos très humbles et très obéissants serviteurs. Les commissaires de la trésorerie , Dutremblay, Devaines, Condorcet, Rouillé Delétang, Lavoisier. M. deCrillon propose de statuer immédiatement sur la demande exprimée dans cette lettre et présente le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que l’établissement formé par un de ses précédents décrets pour la réunion de toutes les recettes et de toutes les dépenses, portera, à l’avenir, le nom de Trésorerie nationale. » (Ce décret est adopté.)