[Assemblée national#.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 mai 1790.] 625 semblée nationale? Prenez garde : par cela seul, nous confondrions tous les pouvoirs; en confondant l’action avec la volonté, la direction avec la loi, bientôt le pouvoir exécutif ne serait que l’agent d’un comité; nous ne ferions pas seulement les lois, nous gouvernerions ; car quelles seront les bornes de ce concours, de cette surveillance? c’est en vain que vous voudrez en assigner; malgré votre prévoyance, elles seront toutes violées. Prenez garde encore. Ne craignez-vous pas de paralyser le pouvoir exécutif par ce concours de moyens? Lorsqu’il s’agit de l exécution, ce qui doit être fait par plusieurs personnes n’est jamais bien fait par aucune. Où serait d’ailleurs, dans un tel ordre de choses, cette responsabilité qui doit être l’égide de notre nouvelle Constitution ? Enfin, encore, n’a-t-on rien à craindre d’un roi qui, couvrant les complots du despotisme sous l’apparence d’une guerre nécessaire, rentrerait dans le royaume avec une armée victorieuse, non pour reprendre son poste de roi-citoyen, mais pour reconquérir celui de tyran? Eh bien! qu’arrivera-t-il ? Je suppose qu’un roi conquérant et guerrier, réunissant aux talents militaires les vices qui corrompent les hommes et les qualités aimables qui les captivent, ne soit pas un prodige, et qu’il faille faire des lois pour des prodiges. Je suppose qu’aucun corps d’une armée nationale n’eùt assez de patriotisme et de vertu pour résister à un tyran, et qu’un tel roi conduisît des Français contre des Français, aussi facilement que César, qui n’était pas *né sur le trône, fit passer le Rubicon à des Gaulois. Mais je vous demande si cette objection n’est pas commune à tous les systèmes, si nous n’aurons jamais à armer une grande force publique, parce que ce sera au Corps législatif à exercer exclusivement le droit de faire la guerre? Je vous demande si, par une telle objection, vous ne transporterez pas précisément aux monarchies l’inconvénient des républiques; car c’est surtout dans les Etats populaires que de tels succès sont à craindre. C’est parmi les nations qui n’avaient point de rois que ces succès ont fait des rois. C’est pour Carthage, c’est pour Rome que des citoyens, tels qu’Aunibal et César, étaient dangereux/ Tarissez l’ambition; faites qu’un roi n’ait à regretter que ce que la loi ne peut accorder; faites de la magistrature du monarque ce qu’elle doit être, et ne” craignez plus qu’un roi rebelle, abdiquant lui-même sa couronne, s’expose à courir de la victoire à l’échafaud ! M. Duval d’Eprémegnil. Je demande que M. de Mirabeau soit rappelé à l’ordre; il oublie que la personne des rois a été déclarée inviolable. ( Une grande partie de l'Assemblée applaudit.) M. te comte de Mirabeau, Je me garderai bien de répondre à l'inculpation de mauvaise foi qui m’est faite ;• vous avez tous entendu ma supposition d’un roi despote et révolté, qui vient avec une armée de Français conquérir la place des tyrans; or, un roi, dans ce cas, n’est plus un roi... (La salle retentit d’ applaudissements). M. le comte de Mirabeau poursuit : il serait difficile et inutile de continuer une discussion déjà bien longue, au milieu d’applaudissements. d’improbations également exagérées, également injustes. J’ai parlé, parce que je n’ai pas cru pouvoir m’en dispenser dans une occasion lre Série. T. XV. aussi importante: j’ai parlé d’après ma conscience et ma pensée; je ne dois à cette Assemblée que ce qui me paraît la vérité, et je l’ai dite. Je l’ai dite assez fortement peut-être quand je luttais contre les puissances: je serais indigne des fonctions qui me sont imposées; je serais indigne d’être compté parmi les amis de la liberté si je dissimulais ma pensée, quand je penche pour un parti mitoyen entre l’opinion de ceux que j’aime et que j’honore, et l’avis des hommes qui ont montré le plus de dissentiments avec moi depuis le commencement de cette Assemblée. Vous avez saisi mon système: il consiste à attribuer concurremment le droit de faire la paix etfla guerre aux deux pouvoirs que la Constitution a consacrés. Je crois avoir combattu avec avantage les arguments qu’on alléguera sur cette question en faveur de tous les systèmes exclusifs. I! est une seule objection insoluble qui se trouve dans tous comme dans le mien, et qui embrassera toujours les diverses questions qui avoisineront la confusion des pouvoirs; c’est de déterminer les moyens d’obvier au dernier degré de l’abus. Je n’en connais qu’un, on n’en trouvera qu’un, et je l’indiquerai par cette locu'ion triviale, et peut-être de mauvais goût, que je me suis déjà permise dans cette tribune, mais qui peint nettement ma pensée: c’est le tocsin de la nécessité qui seul peut donner le signal quand le moment est venu de remplir l’imprescriptible devoir de la résistance, devoir toujours impérieux lorsque la Constitution est violée, toujours triomphant lorsque la résistance est juste et vraiment nationale. Je vais vous lire mon projet de décret : il n’est pas bon, il est incomplet. Un décret sur le droit de la paix et de la guerre ne sera jamais véritablement le corps moral du droit des gens qu’alors que vous aurez constitutionnellement organisé l’armée, la flotte, les finances, vos gardes nationales et vos colonies; je désire donc vivement qu’on perfectionne mon projet de décret, je désire qu’on en propose un meilleur. Je ne chercherai pas à dissimuler le sentiment de déférence avec lequel je vous l’apporte; je ne cacherai pas môme mon profond regret, que l’homme qui a posé les bases de la Constitution, et qui a le plus contribué à votre grand ouvrage, que l’homme qui a révélé au monde les véritables principes du gouvernement représentatif, se condamne lui-même à un silence que je déplore, que je trouve coupable, à quelque point que ses immenses services aient été méconnus, que l’abbé Sieyès ...... je lui demande pardon, je le nomme ...... ne vienne pas poser lui-même dans sa Constitution un des plus grands ressorts de l’ordre social. J’en ai d’autant plus de douleur, qu’écrasé d’un travail trop au-dessus de mes forces intellectuelles, sans cesse ravi au recueillement et à la méditation qui sont les premières puissances de l’homme, je n’avais pas porté mon esprit sur cette question, accoutumé que j’étais à me reposer sur ce grand penseur de l’achèvement de son ouvrage. Je l’ai pressé, conjuré, supplié au nom de l’amitié dont il m’honore, au nom de l’amour de la patrie, ce sentiment bien autrement énergique et sacré, de nous doter de ses idées, de ne pas laisser cette lacune dans la Constitution: il m’a refusé; je vous le dénonce. Je vous conjure, à mon tour, d’obtenir son avis, qui ne doit pas être un secret; d’arracher enfin au découragement un homme, dont je regarde le silence et l’inaction (comme une calamité publique. Après ces aveux, de la candeur desquels vous me saurez gré du moins, voulez-vous me dispen� 40