[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] |gg M. Target. Je demande que la bibliothèque reste provisoirement en dépôt dans les mains de MM. de Sainte-Geneviève. (L’ajournement mis aux voix est prononcé.) M. le baron Mahy de Cormeré demande à être admis à la barre pour expliquer à l’Assemblée un plan de finances. Plusieurs membres demandent que M. de Gor-meré soit entendu. M. le comte de Castellane. Le temps de l’Assemblée est précieux, et tout ce qui est de nature à ralentir ses travaux doit être soigneusement évité. Je demande, en conséquence, que le plan de M. de Cormeré soit imprimé, qu’il soit renvoyé au comité des finances qui l’examinera et en fera rapport. Cette proposition est mise aux voix et adoptée. {Voir aux annexes de la séance le plan de finances de M. de Gormeré.) M, Darche, député d’Avesnes, demande un passe-port pour un voyage de quinze jours. Le passe-port est accordé. La commune de Sisteron se plaint de ne pas recevoir les décrets de l’Assemblée nationale. Les députés de Nîmes et de Montargis formulent la même plainte au nom de leur province. M. Rabaud de Saint-Etienne dit que dans sa province beaucoup de municipalités n’ont pas encore reçu divers décrets de l’Assemblée, notamment les arrêtés du 4 août, tandis que la loi martiale y a été très-exactement publiée. M. de Robespierre. Des troubles agitent le pays et des semences de guerre civile sont jetées dans les esprits par les ennemis du bien public. Pour déjouer toutes ces manœuvres, il est indispensable qu’un concert s’établisse entre l’Assemblée et les ministres du Roi. M. Rabaud de Saint-Etienne, Je propose le décret suivant : « Il sera nommé un comité de quatre membres, chargés de communiquer avec le garde des sceaux et les secrétaires d’Etat ayant le département des provinces, pour s’assurer de l’envoi des décrets sanctionnés ou acceptés, prendre connaissance des récépissés qui constatent cet envoi et rendre compte à l’Assemblée. » M. le marquis de Eoucault de Eardinalic. Je réclame la question préalable. La question préalable est mise aux voix et rejetée. La motion de M. Rabaud est ensuite mise aux voix et adoptée. M. Mounier, député du Dauphiné , écrit au président et envoie sa démission. Il ajoute qu’il sera prochainement remplacé par un suppléant. — La démission est acceptée. M. Rouche, organe des députés de Provence, renouvelle sa motion pour la restitution de l’Etat d’Avignon et du Comtat-Yenaissin.— L’Assemblée autorise l’impression du mémoire ( Voyez ce document annexé à la séance de ce jour). Un membre a observé que le tribunal du Châtelet, nommé provisoirement pour juger les accusations de crimes de lèse-nation, paraissait négliger les poursuites dont il était chargé, notamment sur l’affaire du sieur évêque de Tré-guier. L’un des commissaires du comité des recherches a demandé la parole pour deux heures après midi sur les travaux du comité. M. le Président annonce l’ordre du jour de la séance du soir ainsi que les nominations à faire dans les bureaux tant pour le président et les secrétaires que pour des membres de plusieurs comités. M. le Président annonce que, conformément au décret d’hier, le plus grand nombre des députés a remis ses boucles sur le bureau, que plusieurs religieux qui n’en portent pas ont remplacé cette contribution par une somme équivalente en argent, et que plusieurs personnes qui assistent à la séance dans les galeries publiques viennent de joindre leur offrande à celle de l’Assemblée. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le projet au ministre des finances , tendant à convertir la caisse d’escompte en banque nationale. M. le comte de Castellane. Je n’examinerai ni les torts de la caisse d’escompte, ni ses droits à notre reconnaissance. Je dirai seulement que je ne crois pas que la révolution soit sortie de ses bureaux, et qu’une banque ne pouvant exister que par la confiance, si l’on a retiré la confiance à la caisse d’escompte, il ne lui reste d’autre ressource que sa liquidation judiciaire; que je ne crois pas non plus qu’il suffise, pour délibérer, de la lecture du plan de M. Necker. Les inconvénients de ce plan sont faciles à apercevoir; on pourrait en trouver à chercher le crédit dans une caisse qui manque de crédit, à encombrer cette banque de 170,000,000 de res-criptions, quand elle est déjà surchargée d’effets publics; on pourrait en trouver à l’influence de ce projet sur les charges, à cet intérêt de six pour cent que la nation garantirait aux actionnaires ..... Le premier ministre des finances, sacrifiant l’amour-propre d’auteur, désire que vous cherchiez un autre plan. Quel que soit celui que vous adoptiez, il faudra toujours payer les actionnaires ..... 11 sera nécessaire, avant que de prendre un parti, de connaître l’état actuel de la caisse d’escompte ; c’est dans cette vue que je propose les dispositions suivantes : L’Assemblée nationale charge son président de faire au premier ministre des finances les questions que voici : 1° Les actionnaires de la caisse d’escompte ont-ils consenti au plan proposé par M. Necker? 2° Quelle est la totalité de ce qui est dû par le Trésor royal à la caisse d’escompte? 3° Quelle est la totalité des sommes dues par les particuliers à la caisse d’escompte? 4° A combien montent les effets royaux qui y sont déposés, et quelles sont les raisons de ce dépôt? 5° Quel est le montant des dettes de cette caisse? 6° Quelle est la masse des billets mis en circulation? L’Assemblée nationale demande qu’il lui soit fait rapport de tous les plans présentés au comité des finances, afin de les comparer avec celui du ministre. M. Eecouteulx de Canteleu rend compte d’une délibération par laquelle la caisse d’escompte demande à faire connaître son état au 460 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] vrai; il propose de nommer des commissaires, qui, après avoir pris la connaissance la plus complète des opérations, des statuts et de l’usage que cette caisse a fait de ses moyens et de son crédit, mettraient le résultat de leur travail sous les yeux de l’Assemblée; il demande en même temps qu’on admette à la barre des députés de la caisse d’escompte, qui s’y présenteront ce matin ou ce soir. M. le baron d’Allarde considère le plan de M. Necker comme impossible à exécuter, impolitique et injuste. Il est impossible qu'on trouve à placer 12,500 actions à 4,000 livres, tandis que les actions anciennes, ne valant que 3,700 livres, offriraient des avantages égaux. Il est impolitique de vouloir enfouir 50 millions dans le moment où un des plus grands maux est la rareté du numéraire. Il serait injuste de continuer à payer avec des billets des gens qui ne pourraient en réaliser la valeur qu’avec une perte plus ou moins considérable. La banque nationale ne présente qu’un impôt .déguisé, qui ne peut que favoriser l’esprit d’agiotage et d’égoïsme. Je passe aux avantages. La banque prêtera à la nation à un très-faible intérêt : la nation peut créer un papier-monnaie, et se procurer ainsi des ressources sans intérêt. La caisse fournira des secours au commerce. Je n’entends pas quel avantage le commerce pourra trouver à ce qu’on retire 50 millions delà circulation. J’entends bien qu’il y aura un double bénéfice pour la caisse. Si elle avait suivi son institution, elle aurait été utile au commerce en escomptant à 4 1/2; mais elle a toujours très-peu fait d’escompte, et les négociants, obligés d’escompter sur la place, payaient 1 1/2 par mois. Elle a, dit-on, rendu de grands services à la nation. Moi, je dis qu’elle a fait avec la nation des opérations qui n’ont été utiles qu’à elle, et dont elle a retiré un assez fort intérêt. Il n’y a donc nulle raison de préférence et de privilège; je ne vois rien qui ne mène à l’agiotage et ne tende à augmenter l’embarras. 11 n’y a donc de ressource que dans un plan général. Ce n’est pas seulement de l’argent qu’il nous faut, mais encore de la confiance, mais un ordre clair dans la perception de l’impôt et dans l’administration de la dette. J’ai présenté un plan d’impositions, dont lé comité des finances a adopté beaucoup d’idées, et j’espère qu’il réunira et assurera la confiance. M. le baron d’AUarde finit, en présentant Je tableau des effets heureux d’un ordre sagement établi dans les impositions. Il demande qu’il soit nommé sans délai un comité d’impositions, composé de six membres choisis dans l’Assemblée, et de six autres pris dans les comités de judica-ture, de commerce et d’agriculture. J’ajouterai seulement, dit-il, quelques observations sur ce qui a été dit hier par un des opinants. M. Dupont a défini une banque en ces termes : « C’est une invention par laquelle on fait semblant de payer quoiqu’on ne paye pas ». Sans doute, une banque n’a pas un numéraire égal à ses billets, sans cela elle ne ferait pas la banque; mais elle a des effets qui équivalent à ses billets et qui ont à courir soixante à soixante-quinze jours; le payement de ces effets, lorsqu’elle se trouve dans des instants de crise, vient successivement fournir à ses besoins. La banque qu’on vous propose n’aurait que des assignations à une année d’échéance, et si des circonstances menaient une grande quantité de billets à payer, il faudrait bien lui donner des arrêts de surséance. ( Voy . dans le tome IX des Archives Parlementaires, 1er série , p. 274, la motion de M. le baron d’Allarde sur un nouveau régime des finances.) M. le marquis de Gouy d’Arsy (1). Messieurs, il aurait été d’autant plus à désirer que le projet proposé par le premier ministre des finances eût été admissible, que s’encadrant alors naturellement dans le plan qui vous a été présenté par votre comité des finances, vous auriez eu sous les yeux un système complet de restauration, qui après avoir fixé toute votre attention, et avoir été suffisamment discuté dans votre sagesse, n’aurait demandé qu’un petit nombre de décrets pour offrir à l’Europe étonnée le spectacle vraiment surprenant d’un empire que l’on croyait, naguère, écrasé sous le poids d’un déficit immense, et d’un milliard environ de dettes exigibles, et qui se relevant de ses propres forces, établit tout à coup, entre la recette et la dépense, l’équilibre le plus parfait, soulage les peuples, forme une caisse considérable d’amortissement, satisfait à tout, paye tout, et, par la plus simple de toutes les opérations, liquide, dés à présent, ou dans des termes très-rapprochés, la totalité de ces dettes, justement appelées criardes, qui embarrassant toute la machine des finances, arrêtant le mouvement de tous ses ressorts, obstruant tous les canaux de la circulation, altérant ou détruisant toute confiance, sont l’écueil le plus dangereux de tous moyens régénérateurs, parce qu’elles sont l’obstacle du moment. Oui, Messieurs, tels sont, réduits à leur plus simple expression, les avantages incalculables qui vous ont déjà frappés, à la première lecture de l’organisation nouvelle que vous a présentée, le 18 de ce mois, votre comité des finances ; avantages dont vous apprécierez encore plus la valeur, lorsque l’impression aura plus particulièrement soumis à votre examen le travail de vos commissaires. Je ne reviendrai donc point sur ce plan, qui se divise de lui-même en deux parties, dont la première vous offre un tableau de comparaison qui prouve, sans réplique, qu’en soulageant le peuple de 49 millions par année, les revenus, grâce à vos sages économies, suffiront désormais à toutes les dépenses, et laisseront encore un excédant de 33 millions annuels, destinés à fonder l’amortissement successif de toutes les dettes constituées de l’Etat. Mais, vous le savez, Messieurs, puisque ces précieux avantages reposent sur la prompte exécution de la seconde partie de ce proiet, qui consiste à payer, d’ici à peu de temps, 950 millions de dettes sacrées, c’est sur cet article qu’il est indispensable d’arrêter un instant vos regards. Le payement de cette somme immense est fondé tout entier sur les rentrées suivantes : Recette de la contribution pa-. triotique .......... . ............ 2 175 millions. Cautionnement des nouveaux fermiers généraux, régisseurs, etc. 32 — Vente d’une portion des biens — ■ du clergé, ou de ceux des do-— maines ........................ 472 — Prêtfaitparlacaissed’escomple. 170 — Voilà de quoi se composent les 950 millions que nous avons à payer pour mettre l’Etat à jour avec tous ses créanciers. Si l’on obtient réelle-(1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du discours de M. le marquis de Gouy d’Arsy. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] 161 ment cette somme, tout va être liquidé : il im-' porte donc essentiellement de savoir si on la touchera, puisque cette recette est la base fondamentale de tout le système régénératif. Or, 1° l’évaluation de la contribution patriotique n’est ni douteuse, ni exagérée. Tous les Français semblent, à l’envi, s’empresser d’offrir à l’Etat le tribut extraordinaire que ses besoins réclament; et, dans un royaume où il y a près de 3 milliards de revenus bruts, on ne force rien en estimant le quart du produit net à 275 millions; il rendra même sûrement davantage, si la confiance et la circulation se rétablissent : ainsi, je ne pense pas qu’il s’élève d’objections sur ce point ; 2° Le cautionnement des fermiers généraux, des régisseurs, et autres principaux employés, est un objet non moins certain. On frémit, en songeant que le génie fiscal a porté le montant des cautionnements jusqu’à la somme de 250 millions, créance dangereuse qui a toujours empêché l’Etat de se débarrasser des chaînes d’or qui le serrent de toutes parts. Quand un remboursement sagement imaginé les brisera, il ne sera pas difficile de trouver 32 individus, de chacun desquels, pour la sûreté même de la nation, on exigera 1 million; ainsi il ne reste point de doute sur cette recette de 32 millions; 3° La vente d’une portion des biens du clergé, et d’une partie des domaines, jusqu’à la concurrence de 472 millions, est possible en quatre ou cinq ans. Ce capital ne représente qu’un revenu territorial de 14 millions, et il est vraisemblable qu’on pourra disposer, dans cet intervalle, d’un semblable revenu, sans dépouiller même aucun des titulaires actuels. Il suffira de mettre en vente tous les biens ecclésiastiques actuellement aux économats, toutes les abbayes et bénéfices simples, à mesure qu’ils vaqueront, et tous les biens domaniaux qui seront à la convenance des particuliers. Il n’y a qu’une seule objection à faire contre cet expédient: c’est que quelque sûr qu’il paraisse, il ne procurera sûrement pas de l’argent dans les termes prochains, où il nous est si essentiel d’en recevoir; ainsi, il y aura un amendement important à ajouter à cette proposition. 4° Enfin, le secours de 170 millions que le comité des finances n’a fait qu’indiquer, et dont les moyens d’exécution semblaient dépendre entièrement du premier ministre des finances : ce secours, dis-je, que M. Necker a imputé sur un prêt qu’il fait faire à la nation par la caisse d’escompte, est absolument hypothétique, et l’Assemblée nationale ne voudra sûrement pas compromettre le salut de l’Etat, en confiant à une mesure plus qu’incertaine, les bases d’un édifice dont les fondements doivent être à toute épreuve, si l’on veut que sa solidité inspire cette confiance qui peut seule assurer la perfection de toutes les parties. Ici, Messieurs, j’ai besoin d’être encouragé par votre indulgence. Admirateur, comme vous, de M. Necker et de son génie, quand son expérience a tracé un plan, quand sa modestie le soumet à la critique, quand son patriotisme lui en a fait désirer sincèrement un meilleur, frappé de tant de vertus et de talents, qui de nous oserait descendre dans l’arène, si, pénétrés de nos devoirs, nous ne placions sans cesse sous nos yeux cette vérité : que nos opinions ne sont pas à nous, qu’elles appartiennent à la France entière, et que guidés par des intentions pures, nous devons, sans amour-propre, comme sans modestie, au corps respectable des représentants de la nation, lre Série, T. X. le tribut de toutes nos pensées, lorsqu’elles ont pout but l’intérêt général. C’est sous ce rapport seul que je vais essayer de vous démontrer, que le projet présenté par le premier ministre des finances, et qui tend à greffer une banque nationale sur l’établissement de la caisse d’escompte, ne pouvant être admis, il est indispensable, si l’on ne veut pas renoncer à l’exécution du superbe plan de votre comité des finances, de substituer un équivalent au contenu du mémoire que M. Necker a déposé, il y a huit jours, sur le bureau. Je ne répéterai point, Messieurs, ce que plusieurs préopinants ont déjà observé depuis cette époque. Je ne ferai point, comme l’un d’eux, le procès de la caisse d’escompte. Nous devons son établissement à M. Necker, et, dans le temps où il l’a créé, il eût été difficile de mieux faire. Depuis qu’elle existe, elle a rendu de grands services, mais elle a éprouvé de grands revers ; et si l’on a la justice de ne pas imputer à son organisation les malheurs qui l’ont affligée, il faut qu’elle rende au gouvernement celle de convenir que, sans sa protection immédiate, elle n’existerait plus depuis six ans. Je ne dirai pas non plus, avec un autre préopinant, qu’il faut la conserver par reconnaissance. La reconnaissance est une vertu de particuliers que la raison d’Etat ne saurait admettre ; Mais la justice qui doit présider à tous les actes d’une grande nation, nous impose la loi ou de rembourser à la caisse d’escompte ce qui lui est dû, si on la supprime, ou de la conserver aux fonctions qui lui avaient été précédemment assignées, si, en épurant son régime, elle veut continuer de se rendre utile au commerce, et de faciliter les échanges. Je dirai donc seulement : que le projet par lequel on voudrait associer la nation, déployant un crédit encore vierge, à un établissement purement ministériel que plusieurs suspensions ont défavorisé dans l’esprit des peuples, me semble vicieux sous trois rapports : 1° Parce qu’il est insuffisant; 2° Parce qu’il ne supplée point au numéraire effectif, suivant le vœu de son institution. 3° Parce que, contradictoirement à ce vœu, il en augmente le besoin. Je vais tâcher de prouver ces trois assertions. 1° Le projet est insuffisant. En effet, quand même la caisse d’escompte nous prêterait tout à l’heure 170 millions, à bas intérêts, quand même elle les prêterait gratis, ainsi qu’elle se le propose, peut-être pour assurer sa conservation à laquelle elle met une grande importance, il n’en serait pas moins vrai que cette somme nous laisserait en état de banqueroute, si elle ne pouvait pas tout payer : or, il s’en faudrait bien qu’elle pût payer tout. L’exigible, l’arriéré et le suspendu, se montant à plus de 500 millions, ne pourraient être soldés avec 170. Nous serions donc à plus de 330 millions du but, et ces 330 millions seraient, par la suite, bien plus difficiles à trouver, quand on aurait eu l’air d’avoir épuisé les plus belles ressources. Donc il est évident que le prêt proposé par la caisse d’escompte est insuffisant. 2° Il ne supplée point au numéraire effectif. Pour que les 240 millions de billets de caisse 11 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] 162 que l’on propose de mettre en circulation suppléassent efficacement au numéraire, il faudrait nécessairement ou qu’ils fussent payables à volonté, ou que le cours fût forcé dans tout le royaume. Or, dans le plan proposé, leur conversion en argent, à bureau ouvert, est impossible, et le cours n’en est forcé que pour Paris. De cette disposition résultent des inconvénients très-graves et pour les provinces, et pour la capitale: d’abord pour les provinces. En effet, si elles ne sont pas obligées d’admettre ces billets dans les payements, la circulation des provinces continuera à être entièrement obstruée; car étant constamment créancières de la capitale, soit à cause des objets de consommation qu’elles lui fournissent, soit à cause des remboursements en délégation que l’étranger leur assigne sur Paris, et Paris ne payant plus qu’en billets de la caisse d’escompte, cette manière de payer ne sera d’aucun secours aux provinces, qui seront obligées de convertir à grands frais, et avec beaucoup de peine, en espèces, les billets de la caisse d’escompte qu’on leur aura donnés en payement. A cet inconvénient, qui mérite la plus sérieuse attention, parce qu’il peut avoir une grande influence sur tous les genres de rapports qui unissent le capitale aux provinces, et notamment sur les moyens d’approvisionnement et de subsistance, il convient d’ajouter : que le cours des billets de la caisse d’escompte, forcé dans Paris seulement, deviendra également préjudiciable à la capitale, dans ses relations commerciales avec l’étranger, et que l’Etat du change en souffrira un dommage notable. En effet, sans parler du discrédit qui frappera, dans toutes les places de l’Europe, le papier sur Paris, vu la faculté qu’auront les accepteurs de Paris d’acquitter leurs lettres de change, non-seulement en argent, mais en billets de la caisse d’escompte, on peut calculer aisément les pertes inévitablement attachées au besoin d’écus, dans lequel se trouvera perpétuellement la caisse d’escompte. Assiégée sans cesse par ses billets, elle sera forcée d’acheter à tous prix de l’étranger des piastres et des lingots, et ces marchés onéreux qui se solderont en écus, aggraveront continuellement le mal. Donc l’émission des billets de la caisse d’escompte, dans le mode proposé, ne supplée point du tout au numéraire etfectif. 3° Elle en augmente le besoin. Cette vérité dérive naturellement de la démonstration précédente. Par cela seul que la caisse d’escompte ne payera pas à bureau ouvert, le discrédit de ses billets subsistera, et comme elle ne saurait discontinuer la modique distribution de 300,000 livres par jour en espèces, à laquelle elle s’est bornée elle-même depuis sa surséance en faveur de ses nombreux créanciers, elle sera d’autant plus assiégée par les porteurs de ses billets, qu’elle en aura en circulation deux fois plus qu’il n’en a jamais existé. Or, pour faire face à ce simple service de 100,000 écus par jour, la caisse d’escompte sera obligée de se procurer continuellement de nouvelles espèces. Les marchands d’argent, français et étrangers, instruits de cet état permanent de besoin d’écus, recèleront et accapareront soigneusement tout le I numéraire que leurs richesses et leur crédit J pourront leur procurer, bien certains de le ven-I dre à grand prix aux administrateurs de la caisse d’escompte. A peine leur auront-ils livré ces écus à haut prix, qu’ils les soutireront eux-mêmes de la caisse d’escompte, qui chaque jour, en écoule pour 100,000 écus, sans bénéfice, et dès le lendemain, ils lui revendront ces 300,000 livres, à raison de 8 et 10 0/0 de gain (1). Telle est la manœuvre lucrative et facile que la cupidité peut répéter tous les jours, au grand détriment de l’Etat. Encore, si l’émission des 240 millions de billets de la caisse suffisait pour mettre l’*Etat à jour avec ses créanciers !... Mais, malgré cette émission, la nation reste en banqueroute, puisque avec 240 millions, elle ne peut payer : Ni l’arriéré des départements ; Ni les coupons des emprunts en forme de loterie ; Ni les capitaux d’emprunts échus en 1789; Ni les assignations sur les domaines; Ni les effets suspendus le 16 août 1788, et dont l’exigibilité est d’autant plus sacrée, que l’échéance en est plus arriérée. Que serait-ce donc que cette espèce d’emprunt de 240 millions en papier sinon une demi-ressource, un palliatif insuffisant, un petit moyen de se traîner timidement entre la solvabilité et la banqueroute ; enfin, le secret de rester environnés de mécontents, dont les justes murmures accroissent sans cesse un discrédit malheureusement trop fondé ? et ce discrédit tend toujours à augmenter la méfiance et le resserrement des espèces. Donc, l’émission de 240 millions de billets d’escompte, mis en circulation, augmentera infailliblement le besoin d’écus. J’ai démontré précédemment que ces billets ne suppléeraient point le numéraire effectif. Et j’ai prouvé que quand même ils le suppléeraient, cette ressource serait absolument insuffisante. Donc, le projet du premier ministre des finances, dont la base est un prêt de 170 millions proposé par la caisse d’escompte, ne saurait être admis. Et comme ce secours de 170 millions faisait partie intégrante du plan général présenté par le comité des finances, il sera indispensable d’y suppléer, si l’on ne veut pas renoncer au sys» tème consolateur qu’il nous offre. (1) Tout le monde est à portée de savoir que les écus coûtent actuellement à la caisse jusqu a 10 O/O. On n’en citera qu’un exemple : la caisse d'escompte a fait venir de Hollande, en dernier lieu, 8 millions en écus ; et comme elle ne pouvait en payer le prix qu’en indiquant directement ou indirectement les remboursements sur Paris, qu’Amsterdam ne devait rien à Paris, et que par conséquent le papier sur Paris se négociait à Amsterdam à très-vil prix, il est arrivé que cette opération a tellement fait baisser le change, que pour acquitter en monnaie de Hollande le prix de l’achat des écus, il en a coûté à la caisse d’escompte une différence de 10 0/0, uniquement relative au discrédit et à la perte du papier sur Paris. Le change ordinaire est, comme l’on sait, de 54 à 55. 11 est à présent de 50 à 51. 11 y a donc 9 à 10 O/O de différence. Cependant, comme il faut que les écus envoyés d’Amsterdam soient, en définitive, soldés par des écus, puisque la créance de l’étranger sur la France ne saurait s’acquitter autrement, il arrive que le sacrifice de 10 0/0 ne procure d’autre avantage à la capitale (jue celui d’avoir possédé, pendant quelques moments, l’argent des Hollandais. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] jgQ Il est eneore dans le projet du comité un arti-ticle singulièrement important : c’est celui qui rend nécessaire, en 5 ou 6 ans, la vente d’une partie des biens du clergé, ou du domaine, jusqu’à la concurrence de 472 millions. _ Je n’attaque pas la possibilité de cette opération; j’ai prouvé même, au commencement de ce mémoire, que son exécution ne présentait aucune difficulté raisonnable ; mais je ne dissimulerai point une objection sans réplique ; c’est que quelle que soit la possibilité de ce plan, il est sûr qu’il ne nous offre pas une ressource aussi prompte que nos besoins sont urgents. Il importe donc d’autant plus de parer à cet inconvénient, que si l’on parvenait à lever en même temps celui que présente l’article précédent, il ne resterait plus aucune objection, tant soit peu embarrassante, contre le plan régénérateur du comité des finances, et que nous aurions bientôt, sans doute, la consolation d’en décréter les dispositions bienfaisantes. Eh bien, Messieurs, toutes les objections tombent, tous les obstacles s’aplanissent, toutes les difficultés disparaissent, en présence d’une idée simple qui nous offre une foule d’avantages incalculables. C’est une création modérée et strictement proportionnelle à nos besoins, de billets nationaux qui n’auront aucun des caractères effrayants du papier-monnaie, si justement redouté. Pour démontrer irrésistiblement la préférence que mérite cette opération, je vais en opposer les avantages aux vices du plan que je viens de combattre. Je dis donc ; 1° Si la masse de ces billets nationaux s’élevait à 500 millions, elle suffirait à nos besoins ; 2° Ces billets suppléeront absolument le numéraire effectif; 3° Ils en diminueront le besoin; 4° Les seules objections spécieuses qu’on puisse leur opposer sont bien faciles à détruire ; 5° Enfin , cette opération présente tant d’avantages, que je ne vois aucun inconvénient capable de les contrebalancer. 1° 500 millions de billets nationaux suffiront à nos besoins. Je conviens, Messieurs, que d’après l’exposé de votre comité de finances les dettes criardes paraissent s’élever à 950 millions ; mais vous n’avez pas oublié que dans cette somme sont compris les remboursements d’un grand nombre de cautionnements. Ces remboursements, purement volontaires, peuvent se retarder, et ce retard ne causera même aucune perte pour l’Etat. A la vérité, fa nation restera chargée de l’intérêt annuel de ces cautionnemen ts ; mais quand cette dépense s’élèverait à 15 millions, elle serait amplement compensée par le produit que donneront les 500 millions de billets créés. En effet, puisqu’ils serviront à éteindre des dettes capitales qui coûtent annuellement près de 30 millions d’intérêt, ces 30 millions bonifiés serviront, moitié à continuer le payement de l’intérêt des cautionnements, et moitié à former une masse d’intérêts à 3 0/0, qui seront affectés aux billets nationaux, et payables aux porteurs de ces billets : ainsi , l’intérêt même accordé aux billets ne coûtera rien à D’Etat ; il leur vaudra une juste préférence; ils n’en feront qu’avec plus de faveur le service des écus. Donc, les 500 millions de billets nationaux proposés suffiront à nos besoins. 2° Ils suppléeront le numéraire effectif. A l’instant où, par le décret de création , les billets nationaux obtiendront un cours forcé par tout le royaume, la confiance publique viendra justifier ce décret, si la nation présente aux porteurs de billets un gage spécial et suffisant de sa garantie. Ce gage spécial sera, d’une part, la recette certaine de la contribution patriotique, et de l’autre, la vente assurée d’une portion suffisante des biens eccésiastiques ou domaniaux. Appuyés sur ces deux bases, les billets, représentant comme les écus toutes les denrées, commenceront à faire le service de Paris, celui des provinces , celui des particuliers. Bientôt, l’intérêt personnel considérant qu’en les rendant productives d’un intérêt fixe ou éventuel de 3 0/0, on a attaché à leur jouissance un attrait que les billets de la caisse d’escompte n’ont jamais eu, et que les écus eux-mêmes ne présentent pas, on ne tardera guère à sortir des coffres , des espèces jadis resserrées par la méfiance, désormais inutiles à la cupidité, pour y substituer des effets d’une solidité inattaquable, parantie par la nation, représentés par des gages spéciaux, et dont la présence ajoute chaque jour une valeur au capital. Donc, ces billets nationaux , plus recherchés que les espèces, seront le véritable supplément du numéraire effectif. 3° Ils en diminueront le besoin. Cette proposition est une conséquence immédiate de la démonstration précédente. En effet, on ne recherche les écus que pour deux motifs : ou pour satisfaire aux besoins privés de la vie , ou pour se livrer à des spéculations lucratives. Or, les billets nationaux ayant cours partout, circulant librement partout, étant reçus partout, divisés, comme ils le seront, en somme à la portée de la plupart des besoins, satisfaisant conséquemment à toutes les nécessités de la vie, plus précieux que les écus par l’intérêt inhérent à leur essence, seront aussi plus recherchés que les écus : alors, plus de ces spéculateurs avides qui accaparaient avec tant de soin les espèces ; l’espoir du lucre une fois évanoui, leur cupidité cherchera un autre objet ; ils n’entasseront plus des trésors dont l’émission combinée ne leur procurerait aucun avantage. Les écus n’étant plus soustraits à la circulation, nous ne serons plus exposés au douloureux sacrifice d’acheter, à une perte énorme, des lingots ou des piastres chez l’étranger, et nous verrons les particuliers et les spéculateurs, satisfaits de l’usage commode et lucratif des billets, ne plus témoigner aucun empressement pour les espèces. Donc la création bien entendue des billets nationaux diminuera le besoin d’écus. 4“ Les seules objections spécieuses qu’on puisse leur opposer sont bien faciles à détruire. Il y en a deux ; voici la première : Une création de billets nationaux va faire cacher tout l’argent — Voici la réponse : Existe-t-il aujourd’hui des billets nationaux? et cependant il me semble que l’argent est assez soigneusement caché. Ces billets, continue-t-on , vont faire sortir tout l’argent du royaume. — Voici la réponse : 164 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Exisle-t-il aujourd'hui des billets nationaux ? et cependant il me semble que l’argent ne cesse de s’écouler avec l’étranger. Cherchez donc d’autres motifs au resserrement et à la translation du numéraire. La méfiance en est la seule cause, et la méfiance ne vient que de ce qu’on ne paye pas. On ne paye pas, faute de moyens. Si l’on avait de quoi payer, si l’on satisfaisait les créanciers de l’Etat, si on mettait les rentes à jour, bientôt de Paris aux extrémités du royaume, la circulation se rétablirait, la confiance renaîtrait, le resserrement diminuerait, l’émigration cesserait -, et ne vous abusez pas, tout cela ne peut se faire qu’avec une monnaie fictive, à laquelle vous aurez su imprimer le caractère de la réalité. « Mais, me disait un administrateur de la caisse d’escompte, comment osez-vous proposer de créer pour 500 millions de billets nationaux, tandis que nous osons à peine livrer à la circulation, pour 240 millions des nôtres? » Ma réponse fut très-simple : 240 millions de vos billets sont beaucoup trop *, 500 millions des billets nationaux seront à peine assez, et en voici la preuve : on n’est point obligé de recevoir les vôtres ; ils ne rapportent rien ; leur quantité est insuffisante pour payer tout ; ils vous resteront. Le cours des miens est forcé; ils portent intérêt; ils acquitterontl’arriéré, l’exigible, elle suspendu; il ne m’en restera pas un. Il n’est point de réponse à cet argument-là C’est ainsi que l’on peut renverser la première objection spécieuse , élevée contre les billets nationaux. La seconde est plus forte en apparence, c’est celle des changes. Ici, Messieurs, je réclame un moment toute votre attention. Cet objet est un peu abstrait ; il n’a peut-être pas fixé souvent vos regards, et il ne serait pas nouveau devoir des gens intéressés à faire prévaloir une opinion contraire, abuser du peu d’habitude qu’ont sur ces matières les personnes plus éclairées sur tout autre sujet, pour leur opposer des difficultés qui , d’abord , paraissent insolubles, mais qu’une explication claire et méthodique ne tardera pas à dissiper (1). On objecte à l’établissement des billets nationaux, faisant fonction d’espèces, l’influence que (1) Tout le paragraphe suivant est extrait presque littéralement du mémoire que j’ai publié le 19 septembre dernier, sous le titre de ; Moyens proposés à l’Assemblée nationale, pour prévenir la banqueroute de l’Etat. Ces moyens étaient au nombre de trois ; une taxe patriotique, la conversion de la vaisselle en espèces, et la création de billets nationaux. Ces trois moyens, dans mon opinion, étaient inséparables. Le lendemain de la publication de ce mémoire, M. Necker vint demander à l’Assemblée nationale une contribution patriotique, et la fonte de l’argenterie. Il s’en tint là. L’expérience a prouvé l’insuffisance de ces deux ressources isolées de la troisième. Flatté de m’être rencontré sur deux points avec un grand homme, aurai-je la douleur, sur le plus important, de le voir s’éloigner de moi, quand des raisonnements irrésistibles forment un mur autour de nous ? Ah 1 ce n’est pas l’amour-propre qui désire ce rapprochement; c’est l’amour de la patrie qui le réclame, puisqu’à la régénération des finances, et à la cessation prochaine de la crise actuelle est attaché, bien certainement aujourd’hui, quoiqu’on en dise, la perte ou le salut de l’Etat. [21 novembre 1789.] ce mode de payement, en France, peut avoir sur les rapports commerciaux de ce royaume avec l’étranger ; mais cette objection ne peut avoir de force réelle que dans la double supposition suivante, savoir : 1° Que les mandats donnés en payement ne seraient pas parfaitement équivalents au numéraire �effectif dont ils remplissent momentanément la fonction ; 2° Que le résultat des rapports de notre commerce avec celui des puissances étrangères serait en définitive à notre charge, c’est-à-dire que, balance faite des sommes que nous avons à recevoir de l’étranger, en échange des productions de notre sol et de notre industrie, avec les sommes que nous avons à payer à l’étranger, à cause de l’importance en France des denrées et marchandises des autres puissances, il nous resterait une somme quelconque à faire passer hors du royaume pour solder la différence du prix de nos achats à celui de nos ventes. Je dis qu’il faut que cette double supposition existe : l’une sans l’autre ne suffirait pas pour nous alarmer sur les variations du change; et en effet, Si notre représentatif est vraiment égal en valeur au numéraire réel, quand même nous serions débiteurs, il importe peu à nos créanciers que leur payement s’opère sous une forme ou sous une autre, pourvu que les deux formes soient également bonnes. Si, au contraire, la balance est à notre profit, et que nous soyons créanciers , quand même les billets nationaux que nous faisons concourir avec nos écus au service de la circulation, n’auraient pas la même valeur que nos écus, il importe peu à ceux qui nous doivent, et qui, ayant à nous payer, n’ont rien à recevoir de nous, de savoir de quel signe nous faisons usage dans nos payements. A la vérité, quoique la balance de notre commerce général soit à notre avantage, il est des puissances dont nous nous trouvons débiteurs plutôt que créanciers, soit dans tous les temps, soit dans certaines circonstances, et on pourrait me dire que les payements particuliers que nous nous nous trouvons alors chargés de faire à ces puissances, nous coûteront davantage, si notre manière de payer est moins parfaite que la leur. Mais pour peu qu’on veuille réfléchir sur les compensations qui s’établissent entre eux par les délégations perpétuelles que fait le royaume débiteur, sur ceux dont il se trouve créancier, on verra que les combinaisons et les arbitrages du commerce maintiennent entre les diverses puissances l’équilibre nécessaire pour faire jouir pleinement chacune d’elles de la faveur que sa position lui donne dans le balance générale, et que celles qui ont à recevoir d’une part au moins l’équivalent de ce qu’elles ont à payer de l’autre, sont rarement sujettes à voir exporter leur numéraire : ainsi, pourvu qu’un royaume, dans l’ensemble de ses rapports extérieurs, obtienne un bénéfice quelconque en dernier résultat, la diversité de ces rapports multiplie nécessairement les combinaisons du change, mais elle ne peut jamais altérer que très-faiblement l’état du change à son préjudice. Au reste, il est démontré que nous ne sommes ni dans l’une ni dans l’autre des deux hypothèses que j’ai feintes pour appuyer l’objection prévue; et voici comment je le prouve : 1° Les billets nationaux seront équivalents au numéraire effectif dont ils partageront l’office, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] .[fig et ils auront même un degré de faveur de plus, en ce gu’ils seront productibles d’intérêt. Je dis qu’ils seront équivalents, à des espèces, si, devant en définitive, et dans un terme très-court, se résoudre en écus, ils forment, dans l’intervalle, comme les écus, le signe de convention par lequel on puisse désigner et se procurer toutes les autres valeurs. Or, il a été démontré précédemment qu’il ne pouvait subsister de doute ni sur la réalisation de la somme nécessaire à leur extinction, dans le délai fixé, ni sur l’effet de la sanction nationale qui leur donnera cours. Donc les billets nationaux, infailliblement convertibles en écus, à une époque certaine et rapprochée, feront, dans l’intervalle, le même service que les écus ; donc ils seront équivalents au numéraire effectif. 2° Le résultat de nos rapports de commerce avec l’étranger, loin d’être à notre charge, nous donne au contraire un grand bénéfice dans la balance universelle, et on n’a pas besoin d’insister sur cette vérité dans un royaume dont le numéraire effectif s’est élevé successivement à près de de 3 milliards, et qui, n’ayant pourtant point de mines dans son sein, ne peut avoir acquis cette énorme somme, que par le bénéfices immense que lui procurent, chaque année, les exportations des denrées indigènes, l’industrie de ses manufactures, et surtout les riches productions de ses colonies d’Amérique. Après avoir ainsi constaté la non-existence de la double supposition , nécessaire à admettre our légitimer la crainte de l’influence des filets nationaux sur le change avec l’étranger, j’admets encore pour un moment que, faute de réflexions, nos voisins, alarmés d’abord par l’émission de ces billets, fassent refluer dans le royaume, par des ventes à leur perte, la portion de nos fonds publics qu’ils possèdent aujourd’hui : cette fausse opération de leur part, dont nous serions à portée de profiter par les ressources que nous procurerait un accroissement de 500 millions à nos moyens ordinaires de circulation, ferait ressortir encore à notre profit l’état du change : car si nous sommes aujourd’hui tributaires de quelques puissances étrangères, c'est à cause de l’intérêt qu’elles ont pris dans nos fonds, c’est à cause des arrérages que nous leur payons, et des capitaux que nous leur remboursons sans retranchement, quoiqu’elles les aient acquis au-dessous du pair: or, il serait trop heureux qu’un semblable bénéfice , fait jusqu’à présent par les peuples voisins sur le gouvernement français, fût reversé dans le sein même de l’Etat. Donc la création des billets nationaux ne peut avoir aucune influence fâcheuse sur les rapports commerciaux de la France avec l’étrauger. 5° Enfin , cette opération présente tant d’avantages, que je ne vois aucun inconvénient\capable de les contrebalancer. Pour prouver cette assertion, il me serait difficile de continuer à suivre la marche serrée et méthodique que je m’étais prescrite, et que j’ai observée jusqu’à ce moment. Ici les idées se présentent en foule, et il n’existe de difficultés que dans le choix. La première réflexion qui se présentera à un homme sage avant la lecture d’un projet de finances, est celle-ci : Pour qui ce projet a-t-il été conçu ? — Pour restaurer un grand royaume. — N’est-il pas à craindre qu’il ne soit bien compliqué? — Oui, sans doute, puisqu’il doit embrasser toutes les parties. Mais, qui doit juger ce plan ? — Une Assemblée nationale, composée de douze cents députés. — En ce cas, la première qualité de ce système régénérateur, doit nécessairement être d’une simplicité telle, qu’au même instant elle frappe tous les esprits ; qu’elle fasse la conquête de toutes les opinions ; qu’elle n’exige qu’une décision non complexe ; qu’elle n’entraîne point une foule de décrets qui réclameraient des discussions interminables ; qu’un seul acte de la volonté des représentants de la nation puisse ordonner l’exécution du nouveau plan, et que, sous leur surveillance, les détails en puissent être confiés au pouvoir exécutif. Voilà les caractères auxquels, avant tout, je reconnaîtrai le projet qui doit convenir à la restauration de nos finances. Celui que je viens de vous soumettre, Messieurs , porte-t-il cette empreinte nécessaire ? Combien d’idées présente-il ? deux seulement : l’équilibre établi pour l’avenir, entre la recette et la dépense, et, dès à présent, le payement de toutes les dettes exigibles, en vertu d’une création modérée de billets nationaux, fondés sur des gages inaliénables, et revêtus de la garantie de la nation. Si vous admettez ce plan, quelques décrets vont assurer la restauration que la France entière appelle à grands cris. Vous pouvez, dès ce moment, poser la borne au delà de laquelle fi ne sera plus permis au génie malfaisant du fisc et du despotisme d’assiéger le peuple français , Vous pouvez fixer au commencement de l’année qui va s’ouvrir, l’époque à laquelle les abus consternés iront s’ensevelir dans la nuit des temps, et céderont la place au nouvel ordre de choses qui, pour notre bonheur, va se lever sur nos têtes ; enfin, vous n’avez qu’un mot à dire, et tout sera changé. Il faut, disait dernièrement un des préopinants, M. Dupont (de Nemours ) en défendant le système opposé, il faut que les billets que l’ont créera , soient si avantageux qu’on les préfère à l'argent, ou qu'avec eux l'on n’ait besoin que de très-peu d'argent. A qui mieux s’appliquera ce principe, qu’au projet que vous venez d’entendre ? Dans un royaume où circulent constamment 2 milliards et demi de numéraire ; dans un empire qui verse, chaque année, 700 millions dans le Trésor public, sera-t-on embarrassé un seul instant d’une circulation de 500 millions de papier, qui vont rétablir l’aisance chez les particuliers, rappeler le luxe dont nous avons besoin, et qui nous fuit ; ranimer nos manufactures, si précieuses à l’humanité et aux arts ; conserver l’industrie nationale qui s’échappe ; vivifier le commerce qui languit ; rétablir en notre faveur la balance qui nous était favorable; substituer à ces consolations éphémères, à l’aide desquelles le projet du premier ministre des finances peut endormir encore quelques moments la capitale, des consolations éternelles et immuables qui embrasseront toutes les provinces, et verseront sur le royaume entier leur influence bénigne ; abolir ce fléau du discrédit qui afflige Bordeaux, Marseille, Lyon, Nantes, au point que le papier à vue sur Paris y coûte 3 à 4 0/0 ; que les espèces, aspirées sans cesse par les besoins des provinces, ne refluent plus vers le centre commun, et y rendent inutiles tous efforts de la caisse d’escompte ; faire cesser ce manège odieux qui fait perdre aujourd’hui 2 0/0 sur un billet de caisse qu’on veut changer contre écus, perte d’autant plus grande que nous ne voyons [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [21 novembre 1789.] pas le terme où elle peut s’arrêter ; opposer à l’intérêt de quelques banquiers privilégiés, l’avantage de la nation qui doit garder tous ses bénéfices pour elle-même, et ne plus donner d’autres privilèges exclusifs que ceux d’invention ; empêcher l’établissement d’une nouvelle table de jeu sur la place, dans un moment où le vœu de la nation est de détruire l’agiotage, et où la place est couverte d’effets royaux; suspendre les émigrations nombreuses qui nous enlèvent des citoyens riches , des manufacturiers , des agriculteurs et des écus ; rappeler les étrangers qui nous apportaient en tribut les trésors des deux mondes ; enfin nous mettre à même d’ouvrir un emprunt perpétuel en billets nationaux, dans lequel la confiance des peuples, viendra nous apporter, à 4 0/0, des sommes avec lesquelles on remboursera des dettes qui en coûtent six et sept ? Tels sont, Messieurs, quelques-uns des avantages qui appartiennent incontestablement au plan que j’ai eu l'honneur de soumettre à votre examen ; je vous supplie de vous rappeler que toutes les bases en ont été discutées, que tous les résultats en ont été, un a un, rigoureusement démontrés, et qu’il doit m’être permis de conclure : Qu’aucun inconvénient n’est capable d’en con-tre-balancer l’importance. J’ai détruit précédemment les seules objections spécieuses qu’on pourrait m’opposer. J’ai prouvé que les billets nationaux diminuaient le besoin des écus. J’ai prouvé qu’ils suppléaient effectivement au numéraire effectif. J’ai prouvé qu’une création de 500 millions de ces billets suffisait à tous nos besoins. Donc j’ai prouvé la possibilité, la nécessité, et la facilité du plan que j’ai substitué à celui d’un prêt de 70 millions par la caisse d’escompte, dont j’ai démonlré l’impossibilité, l’insuffisance et l’inutilité. H ne me reste plus, Messieurs, qu’à réclamer votre indulgence, vous rendre grâces de l’attention flatteuse que vous avez daigné m’accorder, et vous supplier de me permettre de vous proposer le décret suivant : L’Assemblée nationale, voulant faire goûter à la France les douceurs d’une constitution libre, et procurer aux peuples, dans la restauration générale des finances, un soulagement qui doit affermir à la fois les bases de la constitution et celles de la félicité publique, a décrété et décrète : 1° L’admission pure et simple du plan présenté par le comité des finances, à l’exception de l’article réservé pour un prêt de 170 millions, lequel n’aura pas lieu; 2° La création des billets nationaux, jusqu’à concurrence de 500 millions, divisés depuis i ,200 livres jusqu’à 50 francs, ayant cours par tout le royaume, portant intérêt au porteur de 3 0/0 par an, remboursables par cinquième, d’année en année, par la voie du sort, àdater de l’année 1791 ; 3° L’affectation spéciale, à la sûreté et au remboursement de ces billets, du produit de la contribution patriotique, du produit de la vente qui sera faite, d’ici à six ans, d’une partie des biens du clergé, actuellement vacants ou qui vaqueront dans cet intervalle, et encore du produit de la vente d’une portion des biens domaniaux ; .4° Enfin, l’établissement d’une caisse particulière, dans laquelle sera versé, à mesure de rentrées, sous la surveillance de la nation, le produit des objets spécialement affectés pour en assurer la destination. J’ai l’honneur de déposer ma motion sur le bureau. Divers membres demandent l’impression du discours de M. de Gouy-d’Arsy. Cette impression est ordonnée. M. le due de la Rochefoucauld présente quelques considérations sur le plan de finances proposé et déclare qu’il fera imprimer son opinion ( Voy . cette opinion aux annexes de la séance). M. l