[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 septembre 1789.] 547 Uneopinion aussi respectable doit bien l’emporter sur celle de nos modernes législateurs. L’on cite l’Angleterre et l’exemple de son gouvernement. Les uns le louent, les autres le blâment. Je pense que tous ont raison. Le gouvernement anglais est rempli d’abus; et si cette nation était au moment de faire une Constitution, elle n’établirait certainement pas une Chambre haute ; cette Chambre haute, si utile au roi et si funeste au peuple. Mais, pour balancer l’exemple de l’Angleterre que l’on nous oppose, j’en citerai un autre ; c’est celui de la Virginie: dans sa Constitution de 1776, elle a refusé la sanction royale. Faisons autant qu’elle, et faisons plus que l’Angleterre ne fait pour elle-même. L’on me parle des cahiers ; tous veulent, prescrivent et demandent la sanction royale. Je doute d’abord qu'il y ait des cahiers impératifs sur ce point ; et s’il en existait, ils seraient abrogés. Je demande si tout ce que nous avons fait jusqu’ici a été prescrit dans nos cahiers ; et cependant les provinces n’y ont-elles pas adhéré? Que le veto soit suspensif ou absolu, je pense qu’il n’en est pas moins dangereux. Sera-t-il absolu? il terrassera le pouvoir législatif. Sera-t-il suspensif? il suscitera des querelles; il réveillera l’esprit de faction ; le roi se fera des partisans dans l’espace d’une session à l’autre ; nous aurons les royalistes et les anti-royalistes. Cette sanction sera inutile au prince; si le monarque est instruit et éclairé, il saura que l’intérêt du plus grand nombre est le sien, et que son opinion ne doit pas être séparée de l’opinion générale. Je me résume. La séparation des pouvoirs est la sauvegarde de la liberté publique. La sanction peut être très-utile si son opinion est celle de l’opinion générale, et elle sera dangereuse si elle est contraire au bien de l’Etat. JN’élevons pas de barrières entre le prince et ses peuples. Que nos descendants ne s’accoutumentpas à voir le trône avec indifférence. Le roi veut sanctionner une loi ? Qu’il vienne, comme venaient nos premiers rois dans l’Assemblée nationale, et il prononcera vos décrets. Le roi est un bon père, et il ne sera jamais mieux qu’au milieu de ses enfants. M. ***. Je crois devoir réfuter quelques objections faites en faveur de la sanction. En l’admettant, on détruit ladéclaration des droits de l’homme; toute souveraineté réside dans le peuple, et le veto absolu en serait l’anéantissement; la nation seule doit être juge entre les représentants et le roi, qui ne doit point avoir la liberté de faire des lois. Un honorable membre a objecté que le roi pourrait dissoudre l’Assemblée nationale et la reconvoquer. La dissoudre, c'est donner au roi la faculté de rompre toutes celles qui lui seront contraires. La convoquer, c’est contrarier le vœu de la nation, qui doit se convoquer elle-même par le seul effet de la loi. M. Treilliard parle en faveur du veto; il s’explique nettement sur la nature duuefo; il parait rejeter le veto absolu, c’est la conséquence de son raisonnement ; il ne veut qu’une seule chambre, et il incline pour le veto suspensif. M. «le Beaumetz appuie le veto suspensif; il répond à M. le comte d’Antraigues. D’abord il fait voir la confiance que l’on doit avoir dans l’Assemblée* nationale. Pourquoi attribuer plus de confiance à un délégué du hasard qu’aux délégués par le choix libre de leurs concitoyens, à un délégué séparé do la vérité qu’à des délégués placés au milieu des intérêts et des besoins? En un mot, faut-il plutôt croire à la sagesse d’un seul qu’à celle de plusieurs? Il réfute les deux moyens proposés par M. le comte d’Àntraigues pour forcer le Roi à donner sa sanction: l’insurrection et la cessation des impôts. t L’un, dit-il, est le signal de la guerre civile; l’autre celui d’un bouleversement dans l’Etat. Ce n’est pas au prince que l’on paye les impôts, mais c’est à la nation. Sans les impôts, les troupes se licencieront, les charges ne seront plus acquittées, et l’on sera bientôt dans les horreurs de l’anarchie. Je propose donc un moyen qui repousserait toute entreprise de la législature sur le pouvoir exécutif, qui, sans secousse, sans commotion, empêcherait qu’aucune loi ne fût exécutée sans la sanction du Roi. Toute loi ne pourra être présentée au Roi deux fois à la sanction pendant la même session. Le roi sera obligé, en refusant la sanction, de dire s’il argue la loi d’erreur, ou si elle est contraire à son autorité. Dans le premier cas, il suffira qu’elle soit représentée à la seconde session, pour que le Roi ne puisse la refuser. Dans le second cas, les mandataires auront des pouvoirs exprès, pour en demander la sanction ; et alors, si c'est la volonté générale, le souverain la sanctionnera; mais, dans aucun cas, le Roi ne pourra amender une loi qui aura été présentée. M. Barnave parle avec l’énergie que toute la France lui connaît. H démontre la nécessité de la sanction suspensive, avec une évidence qui ne laisse aucun nuage. M. Target s’exprime aussi avec éloquence, il réfute M. de Mirabeau sur les assemblées annuelles. Eh quoi! dit-il, pour le moindre acte que le Roi voudra faire, faudra-t-il que cette Assemblée soit rompue, faudra-t-il qu’elle craigne à chaque instant d’entamer telle question, parce qu’elle saura que le Roi emploiera le moyen de sa rupture? Il développe les raisons qui doivent faire regarder la sanction supérieure comme un appel au peuple. Séance du soir. M. le Président a fait faire lecture, par l’un de MM. les secrétaires, d’une lettre des officiers de la commune de Paris, par laquelle ils adressent à l’Assemblée un nombre d’exemplaires imprimés de l’arrêté dont ils ont or lonné la publication et commencé l’exécution le mardi premier de ce mois, concernant le trouble apporté à l’ordre public dans la capitale, le dimanche trente août dernier. L’Assemblée, après avoir entendu la lecture de cette lettre, et celle qu’elle a désiré lui être faite de nouveau de l’arrêté qui y était joint, a autorisé son président à répondre à MM. les officiers de la commune de Paris, pour leur témoigner sa satisfaction, et la confiance que lui inspire leur 548 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |2 septembre i 789. j «ôle pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. Un des membres de l'Assemblée l’a informé que les officiers de la milice bourgeoise de Limoges l’avaient chargé de soumettre au jugement de l’Assemblée nationale ia détention qui a été faite à Saint-Angel, de neuf citoyens qui, dans un moment d’alarme, s’étaient portés au secours de cette dernière ville, et y avaient été arrêtés comme complices du trouble qu’ils s’étaient efforcés de prévenir. 11 a exposé que ces neuf citoyens ayant été transférés dans les prisons de Limoges, y avaient été interrogés en présence des officiers municipaux; que leur innocence paraissait constante, mais que le peuple, encore abusé, faisait craindre quelques violences contre ces particuliers, s’ils étaient mis en liberté sans que l’Assemblée nationale eût pris cette affaire en considération. L’Assemblée ayant délibéré sur cette proposition, a déclaré qu’elle met lesdits neuf particuliers sous sa sauvegarde et celle de la loi; elle a chargé son président d’écrire aux officiers municipaux du comité et de la milice bourgeoise de Limoges, pour leur faire part du présent arrêté, et leur recommander de veiller à la sûreté des personnes détenues, si elles sont mises en liberté. Le comité des vérifications a fait faire , par l’un de ses membres, le rapport de la difficulté qui s’est élevée sur la seconde députation du bailliage d’Auxerre: l’Assemblée ayant délibéré sur ce rapport, et en confirmant l’avis du comité, a déclaré la seconde députation du bailliage d’Auxerre nulle et de nul effet, sauf à avoir égard, lors du règlement qui sera fait pour les convocations futures, aux droits réclamés par le bailliage d’Auxerre sur le Donziois, et encore sous la réserve des protestations contraires faites par les députés du Nivernais; et cependant les membres de fa députation rejetée seront admis comme suppléants, et autorisés, en cette qualité, à remplacer MM. les députés en cas de mort ou de démission. M. le baron de marguerites a proposé à l’Assemblée d’établir dès à présent un comité d’agriculture et de commerce, chargé de préparer tous les objets relatifs au commerce et à l’agriculture dont l’Assemblée devra s’occuper, et de lui en faire le rapport après la Constitution. Après la discussion de cette proposition, l’Assemblée a délibéré successivement sur l’établissement de ce comité, et sur la manière dont il serait composé. Sur la première de ces deux questions, l'Assemblée a décrété qu’il serait formé un comité d’agriculture et de commerce, qui s’occuperait dès-à-présent de tous les objets relatifs à ces deux sources fécondes de la prospérité publique, pour en faire le rapport après la Constitution, et lorsque l’Assemblée pourra se livrer à cette portion de ses travaux. Sur ia seconde question, l’Assemblée a décrété que 'l’élection des membres de ce comité serait faite par généralités, et que chacune d’elles nommerait un député. M. le Président a levé la séance, et a indiqué celle de demain matin pour neuf heures précises. ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 2 septembre 1789. Opinion de M. le duc de ILa Rochefoucauld sur la sanction royale (1). Messieurs (2), guidé par les lumières que les préopinants ont répandues sur la question importante qui fait le sujet de votre délibération, je vais avoir l’honneur de vous exposer ma manière de l’envisager. C’est avec un saint tremblement que l’on doit faire le premier pas dans la carrière de la Constitution ; je sollicite donc votre indulgence et j’entre en matière. La loi , vous l’avez définie, Messieurs, est l’expression de ia volonté générale. Si une nation entière pouvait s’assembler , l’expression de cette volonté ne serait pas douteuse, et personne n’imaginerait de mettre eu question si ce résultat aurait besoin d’une sanction particulière pour devenir une loi véritable. Mais il n’en est pas-de même lorsque l’autorité législatrice étant confiée à des représentants, leurs décisions ne peuvent plus être considérées comme l’expression de cette volonté générale que par une sorte de fiction. Quels que soient les avantages de la législation par représentants sur celle exercée directement par le peuple, il y a cependant des précautions à prendre pour que les délégués ne puissent pas substituer leur volonté particulière à la volonté de la nation, et la plus sûre de ces précautions est la fréquence des élections ; mais elles ne peuvent pas se répéter trop souvent, et surtout dans un grand Etat ; il faut donc en ajouter d’autres, et c’est ce qui a fait naître lidée de celte balance de pouvoirs qui a trouvé tant de panégyristes, dont le nom est bien fait pour en imposer. Mais la mécanique politique, si je puis m’exprimer ainsi, a peut-être le même sort que la mécanique proprement dite ; après s’être longtemps servi des méthodes compliquées, l’on parvient à découvrir que les moyens les plus simples, et l’emploi le plus direct des forces sont encore ce qui vaut le mieux. De là le retour à un corps unique pour faire les lois parait être le plan le plus désirable, et c’est vraisemblablement celui que vous adopterez. Cependant il ne faut pas vous dissimuler que ce corps unique, s’il n’est pas astreint à des formes précises, et si lorsqu’il sera peut-être entraîné par l’enthousiasme, il ne trouve pas un régulateur qui modère sa marche, peut mettre la nation en danger par des décisions précipitées, trop peu réfléchies, et même contraires à son vœu. Différents moyens se présentent, et vous devez ou choisir entre eux, ou peut-être les employer tous, parce que sans altérer ia simplicité, de la machine, ils serviront à en régler le mouvement. Premièrement, on pourrait établir un conseil pour examiner les projets de lois qui, nés dans la Chambre des représentants, lui seraient envoyés (1) L’opinion de M. le duc de la Rochefoucauld n’a pas été insérée au Moniteur. (2) Inscrit le 1er de ce mois, pour parler sur fa sanction royale, j’avais cru devoir mettre mon opinion par écrit, précaution nécessaire pour ceux qui, comme moi n’ont point les talents d’orateur ; le nombre d’opinants qui s’était fait inscrire avant moi, devant, à ce que je vois, remplir le temps destiné à cette discussion, je prends le parti de payer mon tribut par la voie de l’impression, {Note de M. le duç de la Rochefoucauld.}