158 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 75 Le doyen d’âge des commissaires envoyés par les communes de la République pour l’acceptation de la constitution, se présente à la barre et offre une machine qu’il annonce comme propre à enfoncer les pilotis. Mention honorable et renvoi au comité d’instruction publique (1). 76 Sur la proposition d’un membre [BARRAS], la Convention nationale renvoie au comité d’instruction publique la pétition du citoyen Vaillant, savant dans l’art de l’ostéo-logie, qui réclame des secours pour continuer ses travaux et compenser les pertes qu’il a essuyées (2). Le citoyen Vaillant, dont on connoît les voyages dans l’intérieur de l’Afrique, et le riche cabinet d’histoire naturelle, dans la partie de l’ornithologie surtout, a demandé que la Convention lui procurât les moyens de faire continuer la gravure de ses dessins. Barras a rendu justice au patriotisme et aux profondes connoissances du citoyen Vaillant, et a cru que la Convention devoit se hâter de l’accueillir et il a provoqué le renvoi de la pétition au comité d’instruction publique (3). 77 DU BOIS DU BAIS : Citoyens, je viens à cette tribune faire entendre encore la voix plaintive d’un grand nombre de cultivateurs dont j’ai reçu les réclamations; je viens de nouveau invoquer en leur faveur votre justice et votre humanité, sentiments auxquels vous vous plaisez tant à vous livrer depuis que vous avez frappé le tyran et anéanti son odieux système; je viens enfin réclamer l’étendue d’une mesure bienfaisante et essentielle mais qui a été tellement restreinte, sous le régime oppressif qui existait, qu’elle a été presque sans effet. Citoyens vous devez vous rappeler le décret que je provoquai en faveur des cultivateurs détenus (4); vous sentîtes alors les motifs puissants de justice et même d’intérêt public qui devaient vous porter à restituer à l’agriculture des hommes innocents ou trompés, et dont l’abondance de nos récoltes rendait encore les (1) P.V., XLIII, 264. M.U. , XLII, 476; J. Mont., n° 109; Audit, nat. , n° 692; Rép. , n° 240. Mentionné par J. Fr. , n° 691; F. de la Républ., n° 408; Gazette frise , n° 959. (2) P.V., XLIII, 264. (3) M.U., XLII, 476; J. Mont., n° 109 (astrologie); J. Fr., n° 692; F. de la Républ., n° 408. (4) Décret du 21 mess, an II ( Arch . pari, t. XCIII, n° 20, rapport Vadier). Rapport précédé d’une série de pétitions dont la première avait été appuyée par Du Bois Du Bais (séance du 2 mess, an II (t. XCII, n° 51). bras plus nécessaires et plus précieux; mais alors aussi il était si difficile de faire le bien que ce décret, blâmé depuis ouvertement par l’infâme Robespierre dans son dernier discours, fut paralysé par les dispositions qu’il contenait. En effet, citoyens, il n’y eut qu’aux communes au-dessous de 1 200 âmes auxquelles ont accorda par privilège exclusif l’élargissement de leurs cultivateurs; comme s’ils n’étaient pas aussi nécessaires aux grandes communes qu’aux petites; comme si, aux yeux de la loi, les communes et les individus ne devaient pas, pour les mêmes cas, obtenir les même avantages ! Le législateur impassible doit peser les intérêts de tous les citoyens dans la même balance; il leur doit à tous la même justice, soit qu’il les récompense, soit qu’il les punisse; l’on pouvait donc, sans blesser ce principe sacré, qui fait la base principale de toute association, rendre pour les mêmes faits la liberté aux uns et la refuser aux autres, et pour les mêmes besoins accorder à des communes ce qu’on refusait à d’autres. C’est donc au nom de la justice égale et impartiale que vous devez à tous, et, qui plus est, au nom de l’intérêt public, qui veut impérieusement que le plus grand nombre de bras possible soit rendu à l’agriculture, que je demande, comme le demanda lors de la discussion notre collègue Jeanbon Saint-André, que toutes les communes de la République, quelle que soit leur population, jouissent de l’effet bienfaisant de la loi du 21 messidor, relative aux cultivateurs détenus. Citoyens, j’ai encore une autre observation à vous faire sur cette loi : c’est qu’elle n’accorde à ces malheureux cultivateurs que la liberté provisoire. Vous ne voudrez pas, sans doute, qu’après avoir subi la plupart une longue et peut-être injuste détention, et qu’après avoir été mis en liberté pour arroser la terre de leurs sueurs, en récoltant les abondantes moissons qui couvrent le sol de la République, ils reviennent ensuite charger leurs bras utiles de nouveaux fers ? Votre humanité repousse l’idée même d’une mesure aussi révoltante, et le tyran, qui avait toujours le mot de vertu dans la bouche, tandis que le crime était dans son cœur, eût été capable seul de ce raffinement de cruauté. Mais les tyrans ne sont plus ; les jours heureux de la justice et de la bienfaisance sont arrivés, et vous allez rendre à la République des milliers d’amis. D’ailleurs, citoyens, les récoltes une fois faites, les mêmes bras qui y auront été employés ne seront-ils pas aussi nécessaires pour préparer la terre à en recevoir de nouvelles ? Vous voudrez donc que votre bienfait pour les cultivateurs mis en liberté, et autres compris dans la loi du 21 messidor, soit tout entier, et que le mot provisoire soit supprimé de ladite loi. En conséquence, citoyens, je vous propose le décret suivant : La Convention nationale décrète que toutes les communes de la République, quelle que soit leur population, jouiront de l’effet de la loi du 21 messidor, relative aux cultivateurs détenus, et autres compris dans ladite loi, et supprime de SÉANCE DU 29 THERMIDOR AN II (16 AOÛT 1794) - N° 77 159 ladite loi le mot provisoire sur la liberté qui leur a été ou leur sera accordée. [Cette motion a été applaudie par l’assemblée ]. LEVASSEUR (de la Sarthe), BERLIER, THURIOT et plusieurs autres membres appuient cette proposition (1). LEVASSEUR appuie cette proposition et demande qu’elle soit décrétée sur le champ (2). BERLIER demande que le projet présenté par DU BOIS DU BAIS soit adopté, mais que la mise en liberté soit restreinte à ceux qui étoient cultivateurs avant la révolution (3). MONTAUT et quelques autres membres craignent qu’on ne confonde dans la classe des agriculteurs des gens qui ne cultivent que depuis quelques années, et seulement quelques arpens pour la forme, et qui ont d’ailleurs 20 à 30 000 livres de rente. Ils demandent qu’on restreigne la faveur de la loi aux laboureurs et ouvriers vivant du travail de leurs mains. BOURDON (de l’Oise) : Les nobles sont ennemis reconnus de la révolution; il a donc fallu les envelopper dans la loi de suspicion, à moins qu’ils n’eussent des preuves positives de civisme. C’est ici tout le contraire. Les laboureurs, les ouvriers sont essentiellement amis de la révolution : il faut donc supposer leur civisme, à moins qu’il n’y ait des preuves positives contre eux. Je demande en conséquence que l’on remette en liberté tous ceux à la charge desquels il n’y a pas de délits formels (4). MAURE, CHARLIER et plusieurs autres appuient la proposition de Bourdon (5). COUTURIER vouloit de son côté qu’on ne gardât dans les maisons d’arrêt que les exnobles, prêtres, suppôts des fermes et tous leurs agens, ainsi que les prévenus de crimes, et que l’on mît provisoirement en liberté tous les autres détenus. Elie LACOSTE proposoit d’appliquer cette mesure à tous ceux qui ne sont pas prévenus, par des pièces, d’avoir provoqué le rétablissement de la royauté, d’avoir volé, etc., et d’avoir porté les armes contre la République (6). EHRMANN observe que tout ce que les préopinans demandent se trouve dans la loi du 21 messidor : il la lit. Vous voyez, dit THURIOT, qu’il ne s’agit que de rapporter l’article qui restreint la faveur de la loi aux communes de 1 200 âmes; et cela est d’autant plus juste que les agriculteurs sont plus pauvres dans les grandes communes que dans les petites; dans celles-ci, ils ont quelquefois 12 charrues; dans les autres, tout au plus deux (7). (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 506-507. (2) Débats, n° 695, 503. (3) J. Fr., r>° 691. (4) Débats, n° 695, 503-504; selon Ann. R.F. (n° 257) et Audit, nat. (n° 692), Bourdon (de l’Oise) propose aussi de charger les comités révolutionnaires de l’exécution de ce décret, afin, dit-il, de les mettre à même de réparer les sottises qu’ils auroient pu faire. (5) J. Fr., n°691. (6) Gazette fr!se , n° 960. (7) Débats, n° 695, 504. VADIER annonce que le motif qui a déterminé le comité à ne faire jouir du bienfait de la loi du 21 messidor que les communes dont la population n’excède pas 1 200 âmes était les craintes qu’il avait que, sous prétexte d’élargir dans les grandes communes un cultivateur, on mît en liberté un contre-révolutionnaire; au reste, il appuie la proposition de Du Bois Du Bais, mais il demande que la rédaction en soit renvoyée au comité de sûreté générale (1). Plusieurs membres demandent le renvoi de cette proposition aux comités de salut public et de sûreté générale, motivé sur ce qu’ils ont eu des raisons pour faire une exception à la loi du 22 (2). [Après une longue discussion THURIOT propose la rédaction suivante :] Après discussion sur la proposition d’un membre [THURIOT], la Convention nationale rapporte la disposition de l’article 1 er de la loi du 21 messidor, qui limite son effet aux communes de la République dont la population est au-dessous de 1 200 habitans; Décrète que la loi du 21 messidor aura son effet relativement aux citoyens y désignés dans toutes les communes de la République, et que les mises en liberté, en exécution de cette loi, seront définitives (3). *** : Je demande que le bienfait de la loi du 21 messidor soit étendu aux marins sans-culottes et aux ouvriers des ports, qui ne sont pas détenus pour d’autres causes que les citoyens dont la Convention vient d’ordonner l’élargissement. REAL : Je demande l’ordre du jour, motivé sur ce que ces citoyens sont compris dans la loi du 21 messidor. L’ordre du jour ainsi motivé est adopté (4). Sur la demande de rendre la loi du 21 messidor applicable aux soldats marins et ouvriers des ports, qui ne vivent que de leur solde, la Convention passe à l’ordre du jour, motivé sur ce que les soldats marins et ouvriers des ports, qui ne vivent que de leur travail, sont considérés comme artisans, et doivent conséquemment jouir du bénéfice de la loi du 21 messidor. L’insertion de cette loi au bulletin lui servira de promulgation (5). LEVASSEUR... demande aussi qu’on... étende [le décret] aux femmes. Il y a plusieurs comités révolutionnaires, dit-il, qui ont relâché les maris et gardé les femmes. Pour moi, j’ai cru qu’en renvoyant les maris labourer leurs champs, il falloit aussi renvoyer les femmes leur préparer la soupe. (On applaudit) (6). (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 507. (2) J. Fr., n° 691. (3) P.V., XLIII, 264. Rapport de la main de Thuriot. Décret n° 10 421, attribué à Du Bois Du Bais dans C* II 20, p. 255. (4) Moniteur (réimpr.), XXI, 507. (5) P.V., XLIII, 264-265. Rapport de la main de Guezno. Décret n° 10 425. (6) Débats, n°695, 504.