266 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. m juillet 1789.] lices bourgeoises, ont craint les suites d'un armement général. Ces craintes sont bien fondées. La résistance à l’oppression est légitime et honore une nation : la licence l’avilit. Une insurrection nationale contre le despotisme a un caractère supérieur à la puissance des lois, sans en profaner la dignité. Mais lorsqu’un grand intérêt a fait un grand soulèvement, alors le plus léger prétexte suffit pour réveiller les inquiétudes du peuple et le porter a des excès ..... C’est de tels malheurs qu’il est instant de prévenir, et tel est l’objet de la proclamation, avec l’addition que j’ai proposée. La chose presse, notre silence multiplierait les abus; vouloir attendre que la constitution les arrête, c’est dire que la puissance publique doit disparaître jusqu’à ce que la constitution soit promulguée ..... Le peuple se plaint, eh bien! qu’il désigne les coupables, ils ne doivent point échapper à la sévérité des lois; mais c’est devant les tribunaux qu’ils doivent être poursuivis; c’est au procureur général du parlement que les plaintes et dénonciations doivent être adressées. M. Legrand. Les bons citoyens attendent tout de vous. Leur confiance en votre sagesse n’a pas de bornes. II faut faire une proclamation pour inviter les citoyens à la paix et au respect pour la loi; mais je crois aussiqu’il faut joindre à celle de M. de Lally le plan donné par M. de Mirabeau pour l’établissement d’une municipalité. M. B�aviJle-Ïjeroux. La motion de M. de Mirabeau est dangereuse, impolitique et contraire à la dignité de l’Assemblée. Elle serait compromise, si elle allait s’occuper de vider les discussions qui divisent les districts et les électeurs, et leur proposer dans ce moment des plans de municipalité qu’elle ne doit tracer que dans la constitution. M. le curé Grégoire. En adoptant la proclamation, je propose qu’on ajoute un moyen qui autrefois à réussi, celui d’engager tous les pasteurs de toutes les provinces du royaume à tranquilliser les peuples au nom de ia religion, en leur envoyant directement cette adresse. Qui de vous ne voudrait pas être dans ce moment au milieu de ses paroissiens, pour leur faire entendre des paroles de paix et de confiance dans les travaux de l’Assemblée nationale? M. de Luber$ac, ëoéque de Chartres , parle avec cette sensibilité d’âme, ce caractère de paix et de bonté dont il sait donner la teinte à tous ses discours. « Mon cœur se soulève, dit-il, au récit des scènes affreuses qui se passent dans Paris. Il faut y porter remède; ies moyens les plus prompts me paraissent les meilleurs. J’invite et j’exhorte l’Assemblée à s’en occuper. » Les mots île liste de proscription , prononcés par un des préopinants, font impression sur beaucoup de membres. Plusieurs, et même on pourrait dire le plus grand nombre, sont d’avis d’établir un tribunal quelconque, capable de mettre un frein au désordre. M. de Boafflers se range de l’avis de M. Camus, en admettant également l’urgence d’un tribunal. M. de Volney. J’observe qu’il existe maintenant trois pouvoirs dans la capitale : 1° l’Assemblée des électeurs; 2° le comité permanent; 3° la puissance naissante des élus des communes. Il paraît qu’il existe parmi les membres qui composent ces différents pouvoirs l’ambition de primer, si naturelle à l’homme : de ce conflit de pouvoirs il pourrait résulter les plus grands inconvénients ; il faut donc établir un tribunal qui ramène tout à l’ordre. M. Barnave. Il ne faut pas se laisser trop alarmer par les orages inséparables des mouvements d’une révolution. L’objet principal est de faire la constitution et d’assurer la liberté; pour cela, deux institutions sont d’abord nécessaires : les gardes bourgeoises et des municipalités bien organisées; ensuite il faut assurer une justice légale pour les crimes d’Etat; alors le peuple s’apaisera et rentrera de lui-même dans l’ordre. On fait lecture d’un arrêté pris par les électeurs de Paris, le 22 juillet, qui ordonne que toutes personnes arrêtées sur le soupçon de crime de lèse-nation seront conduites à la prison de l’ab-bave Saint-Germain ; que deux électeurs seront chargés de faire part à l’Assemblée nationale de cette disposition, et de l’engager à prononcer sur le tribunal qui devra juger. M. Buclos-Dufrcsnoy, suppléant de Paris, député d’un des districts de cette ville, est introduit ; il dit qu’il est chargé de demander que l’As-sembléenationale autorise l’érection d’un tribunal formé de soixante jurés, pris dans les soixante districts, qui, après avoir prêté serment entre Tes mains deMM. Bailly et de Lafayette, procéderaient contre les accusés par une instruction publique, con formément à l’arrêtéqu’ila laissé sur le bureau. L’Assemblée délibère sur ces deux demandes ; plusieurs membres les combattent. M. de Wirieu et plusieurs autres disent que ces établissements sont de véritables commissions, toujours tyranniques et toujours odieuses, qu’il est indigne d’une Assemblée législative d’autoriser; qu’il n’est pas nécessaire d’établir de nouveaux tribunaux; que la France a des lois, des magistrats et une puissance exécutrice ; qu’il ne s’agit que de leur redonner l’activité et l'énergie que les derniers troubles ont affaiblies. Ils concluent à l’admission du projet proposé par M. de Lally. M. de Ulontmorcncy. Je n’ai pas cette fermeté stoïque qui regarde les événements actuels comme de simples accidents. Il faut prendre un parti; il faut, sans délai, inviter les citoyens à la paix et au respect des lois; un plus long silence nous compromettrait, et mettrait la chose publique en danger. Je conclus pour le projet de proclamation. On propose divers amendements. On veut aller aux voix, mais on renvoie les motions et les amendements à la discussion dans les bureaux, et on convient que l’Assemblée se réunira ce soir à sept heures, pour prendre une délibération défi-tive. La séance est levée. Séance du soir. Les bureaux se sont assemblés pour discuter séparément les motions agitées dans la séance du matin. A huit heures ils se sont réunis en Assemblée générale. Quelques membres rendent compte de l’opinion de leurs bureaux respectifs. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juillet 1789.] 267 M. l’abbé Grégoire rappelle la proposition faite ce malin, tendant à ce qu’on employât l’intervention des curés. Un membre demande que les tribunaux reçoivent par la proclamation une injonction de poursuivre les coupables, pour qu’ils soient punis selon les lois établies. M. Long. Cédons, Messieurs, cédons à l’ordre naturel des choses, en réclamant un tribunal composé de magistrats et de jurés; il existe des crimes, il faut les punir ; faites annoncer cette résolution, et vous verrez renaître le calme; alors vous inviterez le peuple à rentrer dans l’ordre, et votre proclamation ne sera plus que l’expression même de ses vœux, et le retour d’une confiance qu’il n’avait perdue que parce que les lois ont été muettes. M. Péüon propose l’établissement des jurés. La discussion allait s’engager de nouveau. Plusieurs membres demandent à aller aux voix, tant sur la motion de M. de Lally, que sur les amendements. L’Assemblée, consultée par assis et levé, adopte la motion avec l’amendement, qui porte que l’Assemblée déclarera qu’elle va s’occuper de la recherche des agents de l’autorité, coupables du crime de lèse-majesté, et d’établir un comité pour recevoir les dénonciations contre les auteurs des malheurs publics, sauf une nouvelle rédaction qui sera faite avant que la séance soit levée. A cet effet, le comité de rédaction sort pour s’occuper de son travail. A une heureaprès minuit, la nouvelle rédaction de la proclamation est présentée et lue à l’Assemblée. On y fait quelques légers changements sur les observations de quelques membres, et elle est enfin approuvée et arrêtée en la manière suivante: PROCLAMATION. « L’Assemblée nationale, considérant que, depuis le premier instant où elle s’est formée, elle n’a pris aucune résolution qui n’ait dû lui obtenir la confiance des peuples ; « Qu’elle a déjà établi les premières bases sur lesquelles doivent reposer la liberté et la félicité publiques ; « Que le Roi vient d’acquérir plus de droits que jamais à la confiance de ses fidèles sujets; « Que non-seulement il les a invités lui-même à réclamer leur liberté et leurs droits ; mais que, sur le vœu de l’Assemblée, il a encore écarté tous les su jets de méfiance qui pouvaientporter l’alarme dans les esprits; « Qu’il a éloigné de sa capitale les troupes dont l’aspect ou l’approche y avaient répandu l’effroi ; « Qu’il a éloigné de sa personne les conseillers qui étaient un objet d’inquiétude pour la nation; « Qu’il a rappelé ceux dont elle désirait le retour ; « Qu'il est venu dans l’Assemblée nationale, avec l’abandon d’un père au milieu de ses enfants, lui demander de l’aider à sauver l’Etat ; « Que, conduit par les mêmes sentiments, il est allé dans sa capitale se confondre avec son peuple, et dissiper par sa présence toutes les craintes qu’on avait pu concevoir ; « Que, dans ce concert parfait entre le chef et les représentants de la nation, après la réunion consommée de tous les ordres, l’Assemblée s’occupe et ne cessera de s’occuper du grand objet de la constitution ; « Que toute méfiance qui viendrait actuellement altérer une si précieuse harmonie ralentirait les travaux de l’Assemblée, serait un obstacle aux intentions du Roi, et porterait en même temps une funeste atteinte à l’intérêt général de la nation et aux intérêts particuliers de tous ceux qui la composent ; « Qu’enfin il n’est pas de citoyen qui ne doive frémir à la seule idée de troubles dont les suites si déplorables seraient la dispersion des familles, l’interruption du commerce; pour les pauvres, la privation de secours ; peur les ouvriers, la cessation du travail ; pour tous, le renversement de l’ordre social ; «< Invite tous les Français à la paix, au maintien de l’ordre et de la tranquillité publique, à la confiance qu’ils doivent à leur Roi et à leurs représentants, et à ce respect pour les lois, sans lequel il n’est pas de véritable liberté ; « Déclare, quant aux dépositaires du pouvoir qui auraient causé ou causeraient par leurs crimes, les malheurs du peuple, qu’ils doivent être accusés, convaincus et punis, mais qu’ils ne doivent l’être que par la loi, et qu’elle doit les tenir sous sa sauvegarde, jusqu’à ce qu’elle ait prononcé sur leur sort; que la poursuite des crimes de lèse-nation appartient aux représentants de la nation ; que l’Assemblée, dans, la constitution dont elle s’occupe sans relâche, indiquera le tribunal devant lequel sera traduite toute personne accusée de ces sortes de crimes, pour être jugée suivant la loi et après une instruction publique; « Et sera la présente déclaration imprimée et envoyée, par tons les députés, à tous leurs commettants respectifs. » La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE DUC DE LIANCOURT. Séance du vendredi 24 juillet 1789 (1). A l’ouverture de la séance, ont été présentées plusieurs adresses rédigées dans les mêmes principes et remplies des mêmes sentiments que celles qui ont précédé. Après lecture de celle d’Arras, on a rendu compte de celles des villes de Marseille, Moulins, Châlons-sur-Marne, Saint-Pons en Languedoc, Luxeuil, Lure, Gien-sur-Loir, Sainte-Mènehould, Boulai, Romans, Concarneau, Niort, Clamecy, Caussade en Quercy, Castelnau etMontratier, de la même province; Saint-Georges près Montpellier ; deux de la ville de Vienne, en date des 12 et 18 juillet; une des citoyens de Reims, une autre des fabricants de la même ville ; une des citoyens de Saint-Pierre-le-Moutier, une autre des électeurs du bailliage de Vire, de la sénéchaussée d’Annonay, de Chàteau-Chinon en Morvan ; des électeurs et officiers municipaux de la ville de Meaux, des officiers municipaux de Vienne; des communes de Nuits, Joigny, Saint-Sauveur de Locminê; des remerciements de la même ville au clergé, pour le zèle et le patriotisme qu’il a montré aux journées des 17, 23 et 27 juin dernier. Après la lecture du procès-verbal des séances de la veille, on a lu des lettres d’Evreux, Péronno (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.