SÉANCE DU 2 FRIMAIRE AN III (22 NOVEMBRE 1794) - N° 25 49 je voudrais que l’enceinte où je parlerais fut assez spacieuse pour contenir tout le peuple français. ( 'Applaudissements ). CALON : Les tribunes sont ouvertes pour le public. LE PRÉSIDENT : Les tribunes sont pleines ; les citoyens qui sont ici tiennent des places qui ne sont occupées par personne. Au surplus, la Convention n’a qu’à se prononcer et faire la loi ; je la ferai exécuter. On réclame de toutes parts l’ordre du jour. L’Assemblée passe à l’ordre du jour. *** : La Convention ne peut avoir deux poids et deux mesures. Je demande que, d’après le décret que vous venez de rendre, yous rapportiez celui qui exclut les étrangers de la salle. Plusieurs voix : L’ordre du jour. *** : Si la Convention nationale veut que le peuple exécute les décrets, qu’elle les exécute elle-même. *** : Je demande si ceux-là sont les amis du peuple, qui ne veulent pas s’en entourer. ( Applaudissements ). LANOT : Je déclare ici que jamais.... (. Murmures ). Carrier monte à la tribune. LE PRÉSIDENT : La séance d’hier ne sera pas perdue pour l’histoire. ( Bruit dans une partie de la salle). Le peuple qui y a assisté a prouvé, par son silence, son respect, qu’il était digne de la liberté. Citoyens, vous êtes invités à ne point oublier que c’est un jour de deuil pour la République, celui où un représentant est réduit à répondre à des accusations portées contre lui. Je vous invite à garder le silence le plus parfait et à ne donner aucune marque d’approbation ni d’improbation. Vous devez vous pénétrer de cette idée, que la position d’un accusé est la plus respectable pour l’humanité. CARRIER lit : Première liasse.- Troisième pièce. (Expédition de la commission déposée parDardare, sellier, au greffe du juge de paix du 3ème arrondissement de Nantes ; ladite expédition certifiée par Herbert, greffier. Au dos est un certificat de Boussard, général de brigade, de la bonne conduite de Dar-dare dans cette mission, et daté du 1er des sans-culottides). « Carrier à sanctionné un arrêté du comité révolutionnaire de Nantes, en date du 6 frimaire, 2ème année, par lequel le comité nomme Étienne Dardare inspecteur du convoi des prisonniers envoyés de Nantes à Paris, lui donne les pouvoirs les plus étendus pour tout ce qui est relatif aux voitures et aux voituriers ; fixe son traitement, pour cette fonction, à 10 liv. par jour, en recevant en outre le remboursement de tous les frais ordinaires et extraordinaires ». On se plaint de ce qu’on n’entend pas Carrier. Un membre propose, afin de lui épargner tant de fatigues, qu’un secrétaire lise les chefs d’accusation. Cette proposition est adoptée. CHATEAUNEUF-RANDON : Le meilleur moyen d’empêcher que Carrier ne soit interrompu, c’est d’empêcher qu’il ne se fasse du tumulte. Il faut que les citoyens qui sont rentrés dans la salle y restent ; mais il ne faut pas souffrir qu’il y en entre d’autres ; afin d’éviter le bruit. Cette proposition est décrétée (40). CARRIER : Cette sanction qu’on me reproche, loin de tourner contre moi, ne doit déposer qu’en ma faveur. On me demanda de faire traduire au Tribunal révolutionnaire les prisonniers dont on parle ; j’y consentis. Mon collègue, Prieur (de la Marne), doit avoir connaissance de ce fait. Je nommai Dardare pour transporter ces prisonniers à Paris ; je le chargeai de se procurer à cet effet des voitures et des voituriers. Ainsi cet arrêté est on ne peut plus sage. Quinzième liasse - Quatrième pièce. (Lettre à la Convention nationale par Mancel, ancien administrateur du département du Morbihan, en date du 18 vendémiaire, an 3e, renvoyée au comité de Sûreté générale, le 28.) «Avant la loi du 14 frimaire, Lebatteux entra dans le Morbihan, à la tête d’une armée révolutionnaire, et, sans faire connaître ses pouvoirs, sa marche au département, il se porte sur Noyal-Muzillac, où plusieurs habitants des communes voisines s’étaient rassemblés dans l’église. Lebatteux prit ce rassemblement pour un attroupement, fit arrêter et fusiller huit individus qu’on lui désigna comme les chefs, quoique deux d’entre eux produisirent des certificats de civisme en bonne forme. Lebatteux levait des contributions dans les communes par où il passait, et n’en rendait compte à personne. Il arrive avec son armée révolutionnaire au chef-lieu du département, et, dans ce même instant, l’administration reçoit du représentant du peuple Carrier une lettre faite pour jeter la terreur dans les esprits : il traitait les administrateurs de scélérats. L’administration s’occupait encore de cette lettre, et allait répondre au représentant du peuple, lorsque Lebatteux parut, entouré de militaires; il reprocha au département d’avoir voulu faire marcher contre lui. On lui demande ses pouvoirs ; il les produit, les fait lire, et en demande l’enregistrement. On n’en vit jamais de plus illimités et de plus arbitraires : le département dépêcha sur-le-champ un courrier au représentant du peuple Carrier, qui répondit que, puisque l’administration avait été épurée par des représentants du peuple, il l’engageait à agir, d’accord avec Lebatteux, pour l’anéantissement des aristocrates, des modérés. (40) Moniteur, XXII, 565. 50 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Le soir un citoyen nommé Mouquet, revenant dê Paris, annonce à la Société populaire le décret du 14 frimaire, que la Convention venait de rendre, et qui supprimait les armées révolutionnaires. Lebatteux, après la séance, chercha Mouquet, le frappa et le fit traîner en prison chargé de fers. Le lendemain il fit tirer de la maison de détention huit individus qu’il fit fusiller; Mouquet, à la sollicitation du département, fût mis en liberté. La loi du 14 frimaire fut enfin connue. Avril, général de l’armée révolutionnaire, se retira avec sa troupe dans ses cantonnements ; Lebatteux traita de faiblesse cette obéissance à la loi. Mécontent du département, qui lui reprochait de ne pas avoir concerté avec lui ses opérations, il partit le lendemain. Tréhouart, représentant du peuple, était alors à Redon. Instruit par l’administration de la conduite de Lebatteux, il le fit arrêter ; mais Carrier lui rendit la liberté ; et enjoignit aux autorités constituées et aux troupes de ne point reconnaître Tréhouart pour représentant du peuple. Lebatteux, encore délégué de Carrier, donna carte blanche aux gendarmes de Malestroit, pour conduire devant lui tous ceux qu’ils croiraient suspects. Guéraut et Lacroix furent arrêtés par eux et fusillés ; sans connaître les motifs de leur arrestation, sans interrogatoire, sans jugement, et sans qu’on ait demandé au district de Ploërmel des renseignements sur leur compte. Lamberty ayant demandé à Carrier carte blanche pour aller dans le Morbihan, Carrier refusa ». CARRIER: Au moment où la grande armée des brigands était prête à entrer dans le Morbihan, ce département se souleva: ces faits sont connus de mes collègues Prieur et Bourbotte. Je chargeai le général Avril de dissiper les révoltés. L’administration du district de Redon, et il est bon de vous dire que cette commune est la clef du département du Morbihan, la communication qui l’unit à celui de l’Ille-et-Vilaine, le district de Redon m’envoya le procureur-syndic et Lebatteux, pour me demander que je confiasse à ce dernier une force armée pour empêcher les brigands d’entrer dans le Morbihan par Redon. Je donnai ordre aux administrateurs de couper le pont et de placer deux pièces d’artillerie pour repousser les brigands, s’ils se présentaient : car, s’ils eussent pénétré dans le Morbihan, ils y auraient fait une recrue considérable. Il n’est pas un seul de mes collègues du département du Morbihan qui ne sache qu’il ne fallait qu’une étincelle pour l’incendier. Ils savent qu’on a trouvé, naguère une liste de généraux qui devaient être à la tête de trente mille hommes, qui devaient se révolter dans le Morbihan; et c’est là ce qui y a nécessité l’envoi de quatre représentants. Tous ceux qui connaissent le Morbihan savent que c’est là où la Vendée prit naissance, que les brigands passèrent la Loire et vinrent ensuite dans la Vendée. Lebatteux me fut présenté comme un patriote ; je lui confiai un bataillon de la colonne de Mayence, et non point de l’armée révolutionnaire. Je défie qui que ce soit de prouver que j’aie jamais levé une armée révolutionnaire ; et où l’aurais-je prise dans la ci-devant Bretagne ? Vous savez combien il fut difficile d’y trouver des hommes, lorsqu’il s’est agi de marcher contre les brigands. Je donnai à Lebatteux un bataillon de Mayence, avec l’ordre d’agir hostilement contre tous les brigands qui se trouveraient dans les rassemblements contre-révolutionnaires portant les armes contre la République. Je prie mon collègue Du Bignon, qui a vu mon arrêté, de dire s’il porte autre chose. Si Lebatteux a abusé de mes pouvoirs, et c’est une chose qu’il faudrait examiner contradictoirement avec lui, je n’en dois pas être garant. Il est vrai que j’écrivis une lettre un peu âpre à l’administration du département du Morbihan; mais je n’y avais pas consigné le mot infâme de scélérat ; jamais une pareille expression n’est sortie de ma bouche. Je leur reprochai de ne point exercer une surveillance telle qu’elle pût empêcher et prévenir les soulèvements. Les administrateurs me répondirent qu’ils avaient été régénérés par mes collègues ; je leur écrivis alors la lettre la plus honnête, la plus amicale, la plus fraternelle, et je les invitai à se concerter avec Lebatteux ou avec le général Avril, qui commandait dans cette partie, pour empêcher que les brigands se rassemblassent. Mon collègue Tréhouart m’écrivit que Lebatteux abusait de ses pouvoirs, qu’il faisait arrêter les patriotes. Je répondis à Tréhouart, je lui exposai ce que j’avais fait, je le priai d’agir de même et de ne pas quitter le Morbihan. Je ne connaissais pas Tréhouart : il avait été appelé ici pendant que j’étais en mission. Plusieurs patriotes vinrent me porter des plaintes contre lui ; je les entendis sans rien faire. Mais lorsque je vis que les troubles du Morbihan prenaient de l’accroissement, que deux fois on avait été obligé de repousser les révoltés, que trois mille Anglais et émigrés étaient prêts à fondre sur nos côtes, que la grande armée des brigands était près d’entrer dans le Morbihan, où ils auraient fait une recrue considérable, et que, dans ces circonstances, Tréhouart avait quitté le Morbihan, j’avoue que je crus aux rapports qui m’avaient été faits contre lui : je crus qu’ils avaient de la réalité. Je pris l’arrêté dont il est question ; je ne le désavoue pas, j’en suis incapable ; vous n’entendrez jamais que la vérité sortir de ma bouche. Cet arrêté est très mauvais ; j’ai eu grand tort de le prendre, je le confesse ; et si la Convention pense que j’ai mérité quelque peine pour l’avoir fait, elle peut prononcer. Depuis j’ai vu ici Tréhouart ; il ne m’a fait aucun reproche, et j’atteste que je n’ai porté aucune dénonciation contre lui. Un des mes collègues me donna des renseignements sur lui, et je fus très fâché de m’être comporté ainsi à son égard. Cet arrêté ressemble à celui que Javogues avait pris à l’égard de Couthon ; et, je le répète, si la Convention me croit coupable pour l’avoir pris ; qu’elle m’inflige la peine qu’elle voudra. Je ne me rappelle pas que jamais Lamberty m’ait demandé carte blanche ; mais, puisqu’on dit que j’ai refusé cet individu, cela prouve que j’ai SÉANCE DU 2 FRIMAIRE AN III (22 NOVEMBRE 1794) - N° 25 51 bien pu en refuser d’autres. Si mon collègue Du Bignon est présent, je le pris de dire que mon arrêté ne portait pas ce que je vous ai rapporté. DU BIGNON : Je n’étais pas dans la séance lorsque Carrier a invoqué mon témoignage ; je demande qu’il me dise sur quoi. CARRIER : N’est-il pas vrai que j’ai confié à Lebatteux un bataillon de Mayence, pour agir hostilement contre les contre-révolutionnaires qui se trouvaient rassemblés portant les armes contre la République ? DU BIGNON : C’est là mot pour mot l’arrêté que j’ai vu dans les mains de Carrier. CARRIER : Ainsi, il n’y a rien de condamnable là-dedans. Première liasse. Dixième pièce. (Lettre aux comités de Sûreté générale et de Salut public. Tours, le 28 fructidor, l’an 2, sans signature.) « Il a confirmé par sa signature la nomination de gens sans mœurs, ayant fait faillite, que le comité révolutionnaire avait choisis pour rechercher les gens suspects et les incarcérer ; il leur a donné des ordres ». CARRIER : Je ne connaissais personne quand je suis arrivé à Nantes ; je devais naturellement avoir confiance dans les personnes que mes collègues Philippeaux, Ruelle et Gillet, qui étaient à Nantes depuis six mois, avaient appelées dans les places ; c’étaient eux qui avaient nommé les membres du comité révolutionnaire, de la municipalité, du département. Si ces fonctionnaires m’ont trompé, moi et mon collègue Francastel, en nous présentant des gens sans mœurs, ce que j’ignore, est-ce sur moi qu’on doit rejeter leur immoralité ? Quel est celui de nos collègues qui n’a pas été trompé dans quelques-uns de ses choix ? Première liasse. Huitième pièce. (Lettre écrite de Nantes, le 20 vendémiaire, l’an 3, à l’accusateur public près le Tribunal révolutionnaire, signée Orieux). « Carrier avait nommé Normand directeur de l’hôpital des Ursulines; il se trouva un grand déficit de linge et d’effets; le représentant du peuple lui a apuré ses comptes, et lui a donné à Paris une place de 9 à 10 000 liv. Il a fait entrer dans les hôpitaux, comme officiers de santé, des muscadins de vingt à vingt-deux ans, qui n’avaient jamais manié de lancettes, ni de livres de chirurgie ; il les a par là soustraits à la réquisition; dans le nombre se trouvent Caylus et Fonbonne ». CARRIER : Le premier fait est matériellement faux. Normand avait été nommé trois ou quatre mois avant mon arrivée à Nantes. Il avait été appelé dans sa place par un nommé Bouvet. Si l’on prouve que ce soit moi qui l’ai nommé, je provoque sur moi la peine la plus capitale. J’ai si peu apuré les comptes de Normand, que Bo peut attester que ces comptes n’étaient pas apurés même six mois après mon départ. BO : Ce que dit Carrier est vrai : il n’était plus à Nantes lorsque le compte fut arrêté. Les faits relatifs aux individus dont il est parlé plus bas sont encore faux. Caylus est un chirurgien qui a étudié à Montpellier; l’autre Fonbonne, est un père de trois enfants, qui a eu l’estime de notre collègue Bourbotte et d’autres. CARRIER : Voila deux faux matériels. On prétend que c’est moi qui ai nommé Fonbonne, tandis qu’il avait été placé par mes collègues Boursault et Ruelle, lorsque je couchais au bivouac. Jugez, par cette multiplicité de faux, de la confiance que doit inspirer cette nuée de contre-révolutionnaires, de conspirateurs, de complices de brigands, qui poursuivent un patriote, le vainqueur et le destructeur de la Vendée. Vingtième liasse. Première pièce. (Déposition de deux témoins, dont l’un a vu, l’autre ouï dire, et déclaration de quelques accusés. Lettre de l’accusateur public près du Tribunal révolutionnaire, au comité de Sûreté générale, du 25 vendémiaire, l’an 3, signée Leblois). « Pendant le séjour du représentant du peuple Carrier à Nantes, le comité révolutionnaire a fait embarquer et noyer quatre-vingts prêtres réfractaires, qui n’étaient sujets qu’à la déportation». CARRIER : J’ignore et j’ai toujours ignoré si le comité révolutionnaire a pris la mesure dont il est question. J’ai su l’événement dans le temps, et j’en ai fait part à la Convention. On m’a dit qu’ils avaient péri tout naturellement ; j’ignore si le comité révolutionnaire a commis un acte arbitraire ou non. Première liasse. Neuvième pièce. (Lettre d’Orieux, sans date, timbrée de Nantes, adressée à l’accusateur public près le Tribunal révolutionnaire.) « Carrier a fait noyer ces prêtres, après une orgie avec le comité révolutionnaire ». CARRIER: Tout à l’heure c’était le comité révolutionnaire qui avait commis le fait, et maintenant Orieux, cet homme dont les faux multipliés sont reconnus, vient dire que c’est moi qui l’ai fait après une orgie. Des orgies, moi! J’ai toujours vécu avec la plus grande partie de mes collègues. Il y en a ici qui me connaissent depuis mon enfance; d’autres me connaissent depuis quatorze ans ; j’ai fait mon droit ici avec quelques-uns; je les interpelle tous de dire s’ils m’ont jamais vu faire une seule orgie, s’ils m’ont jamais vu une seule fois ce que l’on appelle un peu gris. Quelle confiance voulez-vous ajouter à la déclaration de cet Orieux ; qui a fait au moins trois faux matériels, de cet huissier déhonté, de ce concussionnaire reconnu. UN SECRÉTAIRE : Vingtième liasse. Deuxième pièce. (Déclaration de Bachelier, prévenu.) « C’est lui qui a ordonné cette noyade ». 52 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE CARRIER : Qui ne sait pas que Bachelier est lin des prévenus, qui, pour s’échapper, reverse tout sur moi ! Pièce du deuxième envoi fait à la commission, le 12 brumaire. (Déclaration d’OIive Recapet, ci-devant cuisinière de Normand, dans le temps où le représentant du peuple Carrier était à Nantes. La déclarante n’a su signer. Extrait des registres des déclarations du comité de surveillance de Nantes. Pour copie conforme, le 3 brumaire de l’an 3. Ont signé les membres du comité.) « Rollin, médecin en chef de l’armée de l’Ouest, et Laurent, dépensier de l’hôpital des Ursulines à Nantes, soupant avec Carrier chez Normand, directeur de l’hôpital, burent à la santé des calo-tins qui avaient bu à la grande tasse ». CARRIER : C’est une cuisinière probablement mécontente de celui chez lequel elle était, qui vient faire pareille déclaration. Est-il probable que Rollin, Laurent, Normand et moi, ayons pu porter une santé si atroce? À quel but, à quel propos l’aurions-nous fait ? Des hommes qui ont un cœur et une âme peuvent-ils porter une santé aussi horrible? C’est une personne qui ne sait point signer, dont la déclaration est isolée, dont l’authenticité n’est pas garantie par un serment, que l’on croirait sur un pareil fait ! La séparation des gens attachés de ceux aux gages desquels ils étaient produit ordinairement des mécontentements et des haines, et c’est à de pareils motifs qu’on doit cette déclaration. Vingt-et-unième liasse. Première pièce. (Dénonciation de Pierre Sourrisseau, Nantes, le 26 vendémiaire, l’an 3. Pour copie conforme, le 29 vendémiaire, signé par les membres du comité révolutionnaire de Nantes.) «Pierre Sourrisseau dépose que Foucault jeune, un de ceux qui amarraient la galiote qu’on avait employée à l’expédition des prêtres, lui a ordonné, de la part du représentant du peuple Carrier, de laisser son portail ouvert toute la nuit, pour une expédition secrète qu’il avait à faire ». CARRIER: Il parait que Sourrisseau est un homme vendu à qui veut l’acheter ; mais, en supposant que cette déclaration fut vraie, j’atteste que je n’ai jamais vu ni connu Foucault. Si Sourrisseau avait reçu de ma part l’ordre de tenir sa porte ouverte, il en représenterait un écrit. Je n’ai jamais vu cet homme. Je subis la peine capitale dans la minute si l’on me prouve un arrêté signé de ma main à cet égard. Comment voulez-vous que la déclaration isolée d’un homme, déclaration qui n’est même pas assermentée, et qui est reçue par un comité qui ne cherche qu’à me trouver des ennemis, puisse faire foi contre moi ? Première liasse. Neuvième pièce. (Lettre signée Orieux, sans date, timbrée de Nantes, adressée à l’accusateur public, à Paris). «Il a causé la mort à une foule de braves défenseurs de Nantes en leur faisant respirer un air pestiféré par les cadavres nombreux laissés sur la terre pendant plusieurs mois, en leur faisant monter la garde dans des prisons infectes ». CARRIER: C’est encore le faux témoin Orieux, l’huissier déhonté, qui m’accuse. Il est vrai que plusieurs Nantais sont morts d’une maladie pestilentielle qui régnait à Nantes, et qui y fut apportée par les brigands. Mes collègues Turreau, Prieur (de la Marne) et Bourbotte ont même manqué en périr; mais pouvais-je empêcher cette contagion ? Ce qu’il y a de certain, c’est que j’établis une commission de santé, et que j’ordonnai de faire des fumigations partout. Je fis, avec la pompe à feu à laquelle personne ne pensait, et c’est moi qui l’ai imaginé, je fis nettoyer les rues, les prisons, les coins et recoins de la ville de Nantes, et c’est par cette précaution que la contagion cessa à l’instant. Les officiers de santé peuvent attester ces faits. Quatrième envoi fait à la commission, le 18 brumaire, an 3. (Lettre de Bignon, président de la commission militaire de Nantes, le 25 ventôse an 2.) « Il a régné à Nantes pendant quelques temps une maladie pestilentielle qui avait pris sa source dans la maison d’arrêt de l’Entrepôt, destinée aux brigands que l’on y amenait de toutes parts. La commission militaire y a resté pendant un mois, depuis huit heures du matin jusqu’à dix heures du soir ; elle jugeait de cent cinquante à deux cents brigands par jour ; depuis le 7 nivôse jusqu’au 28, elle en a jugé plus de quatre mille». CARRIER : Ainsi il est constaté qu’il régnait à Nantes une maladie pestilentielle qu’il n’était pas en mon pouvoir d’empêcher. Je déclare, et la garnison attestera ce fait, que pendant le séjour que j’ai fait à Nantes, il n’y est pas entré au-delà de trois mille brigands, et c’étaient de ceux qui avaient passé la Loire. Il est vrai qu’il y en avait dans les prisons ; la commission les a jugés ; jamais je ne me suis mêlé de ces jugements ni de leur exécution ; ainsi je n’ai jamais participé en aucune manière aux exécutions horribles dont on parlera dans un instant. La commission jugeait, c’était à elle à faire exécuter ses jugements ; il n’était pas en mon pouvoir de les arrêter ni de les précipiter (41). Sur l’article LV, relatif à deux arrêtés, l’un du 27, l’autre du 29 brumaire, par lesquels Carrier par oit avoir donné l’ordre d’exécuter sans jugement des brigands pris les armes à la main, dont la liste est en tête des arrêtés, et contient des femmes et des enfans de treize à quatorze ans, il déclare n’avoir pas connoissance de ces arrêtés ni s'en souvenir nullement, et il observe qu’il n’en existe que des copies collationnées, et demande que les originaux soient produits. Il soutient au fond que ces arrêtés sont conformes aux décrets qui mettent hors la loi les brigands pris les armes à la main. (41) Moniteur, XXII, 565-568.