338 [Awemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 juillet 1790.] Par la seconde, le ministre prévient que les soldats, qui ont excité des troubles à la Guadeloupe, ont exigé de l’assemblée coloniale des certificats de bonne conduite. (Après une légère discussion, l’Assemblée a envoyé ces lettres aux comités de marine et des colonies réunis. ) M. Regnaud (de Saint-J ean-d’Angély) annonce une autre lettre de M. de La Tour-du-Pin, sur l’organisation de l’armée. Cette lettre, qui est ainsi conçue, est renvoyée au comité militaire : Observations de m. de La Tour-du-Pin, ministre de la guerre , relatives au plan d’organisation de l'armée , précédemment envoyé à l'Assemblée nationale. 25 juillet 1790. Messieurs, par votre décret du 22 de ce mois, vous avez arrêté qu’il vous serait rendu compte des motifs qui ont déterminé à vous proposer l’entretien d’une armée de cent cinquante mille hommes. Dans un délai aussi court, je ne puis qu’indiquer rapidement tous les objets qu’il faut considérer pour se former un résultat de la force nécessaire à la sûreté d’un Empire. C’est de la nature de son gouvernement, de sa position géographique, de son étendue, de sa population, de ses alliances, des ennemis qu’il peut avoir, des forces qu’ils peuvent employer, que se compose le système de la défense d’un Etat. Telles sont les importantes considérations d’après lesquelles vous avez à fixer quelle armée peut être nécessaire à la France pour la guerre; il s’agira d’examiner ensuite jusqu’à quel point cette armée peut, sans inconvénient, être réduite à la paix. Sans doute, il appartenait aux représentants de la nation française de consacrer, les premiers, ce grand principe de justice, que la force militaire n’est créée que pour la conservation de l’Etat, et non pour son agrandissement; mais ce système juste et modéré n’en nécessite pas moins de grandes armées : s’il faut ne pas vouloir la guerre, il faut pouvoir la repousser avec vigueur; il faut surtout, autant qu’il est possible, chercher à en porter le théâtre chez nos ennemis. Défions-nous, Messieurs, de cette politique timide et trompeuse qui dirait qu’il suffit de bien garnir nos frontières; mais nous avons besoin, au contraire, d’armées fortes et manœu-vrières qui, agissant avantageusement au dehors, éloignent de notre pays les maux de tout genre qu’entraîne la guerre avec elle; nous devons chercher à faire vivre nos troupes aux dépens des Etats qui nous l’auront déclarée; alors nous obtiendrons, à la fois, repos pour le peuple et soulagement pour le Trésor public. Si vous considérez la force des armées qui neuvent nous être opposées, vous verrez que l’état de paix du roi de Hongrie est de deux cent trente mille hommes et que la conscription établie dans ses Etats peut les porter facilement au delà de trois cent mille. L’état de paix du roi de Prusse est de deux cent mille hommes, et une conscription d’un genre plus rigoureux encore peut les porter également à près de trois cent mille. Le contingent de l’Empire est de trente mille hommes, et doit, selon les circonstances, pouvoir se porter au triple de cette force. C’est contre une ou plusieurs de ces forces auxquelles peuvent se joindre des puissances du Nord, que nous devons songer à nous défendre-Mais il faut ajouter à la liste de nos besoins la conservation de nos colonies dans les deux Indes, et la garnison de nos vaisseaux; les puissances maritimes nous obligent à de grands efforts non seulement pour garantir ces importantes possessions, mais pour la protection que nous devons à notre commerce; c’est donc à une guerre de terre et de mer tout à la fois, qu’il faut que nous songions à faire face, et je pense, Messieurs, que vous en conclurez que, dans une telle position, ce n’est pas trop d’avoir un état militaire, constitué sur le pied de deux cent cinquante mille hommes, c’est-à-dire sur un pied plus faible que celui de chacune des puissances avec lesquelles nous pourrions avoir la guerre, quoique nous soyons presque toujours assurés d’avoir à la faire et sur mer et sur terre. Aussi, Messieurs, est-ce à l’heureuse position géographique de la France, au nombre et à la liaison de ses forteresses, à la nature de ses alliances, que nous devons de n’avoir pas besoin de plus nombreuses armées pour défendre d’aussi vastes possessions, une aussi grande étendue de côtes et de frontières. Je vais indiquer maintenant l’emploi des deux cent cinquante mille hommes que je crois nécessaires à la défense de l’Etat. On ne peut pas couvrir nos frontières , depuis Bâle jusqu’à la Meuse, avec une armée moindre de quatre-vingt mille hommes ; on ne peut pas en avoir moins de soixante mille pour pénétrer dans les Pays-Bas, et s’y maintenir ; la frontière des Alpes demande trente à quarante mille hommes, parce que la nature du pays donne aux ennemis que nous pourrions avoir dans cette partie, plus de facilité qu’à la France pour surprendre le passage des montagnes ; la garnison de nos vaisseaux exige au moins dix-huit mille hommes; celle de nos colonies en demande à peu près autant. En récapitulant ces différentes forces, vous trouverez deux cent seize mille combattants, et cependant il n’en est pas encore un seul employé à la garde de nos places et de nos côtes. J’ajouterai donc, Messieurs, au nombre ci-dessus de deux cent seize mille combattants, une réserve de trente-quatre à trente-huit mille hommes, formant à peu près le sixième de l’armée, tant pour réparer les pertes que pour garder nos forteresses et défendre nos côtes. L’histoire des guerres passées devient ici, Messieurs, un témoin précieux et irrécusable de la nécessité de cette force militaire ; consultez-là, vous nous verrez, sous les règnes précédents, avoir constamment, en armes, un bien plus grand nombre de troupes. En bornant donc à deux cent cinquante mille hommes les armées françaises, je n’ai point fait la supposition de la réunion de toutes les puissances contre la France; je n’ai fait que prévoir des événements ordinaires, et dans l’ordre de la vraisemblance; et j’ai cru qu’il fallait abandonner aux efforts du patriotisme le soin de surmonter les obstacles extraordinaires. Maintenant, Messieurs, s’il vous est prouvé qu’une armée de deux cent cinquante mille hommes est indispensable pour faire face aux besoius de la guerre, je vais indiquer jusqu’à [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 juillet 1790.J 339 quel point cette armée peut être réduite pendant la paix. Les deux cent cinquante mille hommes me paraissent devoir être composés de : Cavalerie ....... 40,000 hommes. Artillerie ....... 14,000 Infanterie ....... 160,000 Réserve ....... . 36,000 Total. . . . 250,000 hommes. Il est reconnu que l’instruction des troupes à cheval et celle de l’artillerie demandent une longue éducation et une constante habitude. On ne peut pas diminuer indifféremment la force de ces corps. On ne peut pas se flatter de trouver, au moment d’entrer en campagne, beaucoup d’hommes formés pour ces deux services; il faut donc en réduire le nombre avec mesure, et je ne pense pas qu’il puisse l’être au delà du quart pour ces deux armes. Quant à l'infanterie, lorsqu’elle est bien constituée, lorsque le nombre des officiers et des sous-ofticiers restant le même, la diminution ne porte que sur les soldats, lorsqu’il existe dans chaque compagnie un fond suffisant d’hommes bien instruits, cette arme peut être réduite dans une proportion double de celle de la cavalerie. D’après ces principes, Messieurs, une armée de deux cent cinquante mille hommes pourra supporter une réduction de : Cavalerie ....... 10,000 hommes Artillerie ....... 4,000 Infanterie ....... 50,000 Réserve ........ 36,000 Total, . . 100,000 hommes. Ce qui laissera l’armée à cent cinquante mille hommes; mais aussi cette réduction, déjà forcée, est la seule praticable. Au delà de cette mesure, la sûreté de l’Etat et l’honneur de nos armes se trouveraient compromis, et la nation entretiendrait toujours à grands frais une armée insuffisante. Je vous prie, Messieurs, d’observer qu’en établissant l’état de paix de la France à cent cinquante mille hommes, lorsque celui de l’Autriche est à deux cent trente mille, et celui de la Prusse à deux cent mille, j’ai calculé sur tous les moyens militaires de porter à la perfection l’instruction de ces cent cinquante mille hommes. Je ne parle point de cette perfection minutieuse qui fatigue les troupes, et qui ne peut jamais avoir d’application à la guerre, mais de celle vraiment nécessaire, et qui ne s’acquiert que par une longue présence sous les drapeaux. On s’égare, Messieurs, lorsqu’on vous parle d’une instruction d’un mois par an, comme pouvant être suffisante, sans compter tous les autres inconvénients de ce régime, sans attaquer l’économie qu’on s’en promet, sans calculer que l’exécution en serait ordonnée, et peut-être difficilement suivie, je puis vous assurer que les individus, soumis à ce service, en feront toujours trop pour leur liberté, et trop peu pour leur instruction. Ce système est incomplet; et si une puissance étrangère le pratique avec succès, c’est avec un service plus long que celui qu’on vous propose, et parce qu’elle y joint des moyens qu’assurément vous êtes loin de vouloir qu’on emploie dans nos armées. Je termine donc mon opinion, Messieurs, par établir qu’il ne faut pas moins qu’une armée de cent cinquante mille hommes en activité pendant la paix, et qu’il faut que cent mille auxiliaires soient tenus prêts à y être incorporés au momeot de la guerre. Signé : La Tour-DU-Pin. État général.