[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juin 1791 .J 231 visoirement à exécution, avec l’approbation préalable du gouverneur, les dispositions des instructions et des différents décrets de l’Assemblée nationale qu’ils croiront pouvoir convenir à la colonie. « À cet effet, et pour mettre l’assemblée coloniale à même d’user de cette faculté, il lui sera adressé un exemplaire des décrets de l’Assemblée nationale, acceptés et sanctionnés par le roi, à titre d’instruction seulement, et sans qu’aucune disposition des décrets qui n’auraient pas été laits pour les colonies, puisse y être appliquée avec ou sans modifications, par rassemblée coloniale qu’avec l’approbation provisoire du gouverneur. » M. Pétion de Villeneuve. L’ouvrage que l’on vient de vous lire est immense; il contient l’organisation entière de nos colonies, régime intérieur, régime extérieur, lois réglementaires, et je ne crains pas de le dire, il n’est personne dans l’Assemblée, autre cependant que ceux qui ont participé à la rédaction de ce travail, qui puisse, avec la moindre connaissance de cause, y donner son adhésion, car pour nous, nous ne îe connaissons pas. Je suppose que les colonies les admettent telles qu’elles sont rédigées, l’Assemblée se trouvera engagée, puisqu’on aura adopté son propre ouvrage. On y dit bien que les hommes de couleur sont citoyens actifs, mais on n’y dit pas qu’ils sont éligibles. Je demande donc, qu’afin de savoir à quoi ces instructions nous engagent, elles soient imprimées et discutées avant d’être envoyées dans les colonies. M. l’abbé Grégaire. Il est bien évident que l'Assemblée nationale ne peut pas, d’après une simple lecture, envoyer dans les colonies cette espèce d’encyclopédie législative. 11 est pressant d’envoyer des forces pour assurer l’exécution du décret "sur les hommes libres de couleur. Je demande... M. ILavie. Vous avez envie de mettre le feu dans les colonies... {Murmures.) Vous, évêque, ministred’un Dieu de paix, vousêtesunboutefeu... (Bruit). Vous perdrez les colonies, Monsieur, par vos discours et par vos écrits. (Bruit.) La majorité du côté gauche rappelle à grands cris M. Lavie à l’ordre. M. l’abbé Grégoire. Puisqu’on m’interrompt d’une façon si malhonnête... M. Cigougne. C’est une calomnie ! M. Lavie. C’est une vérité ! M. l’abbé Grégoire. Je n’ai jamais prêché aux colonies que la soumission à la métropole, et je ne sais pas si les colons en font autant. Après avoir appuyé de toutes mes forces le décret que vous avez rendu en faveur des gens de couleur, j’ai cru entrer dans les vues de l’Assemblée en adressant aux gens de couleur une lettre par laquelle je les engage plus que jamais à resserrer les liens qui les unissent à la France. Je défie à quelqu’un de bonne foi de voir dans celte lettre autre chose qu’une intention pure et sincère d’attacher les gens de couleur à la mère patrie. J’en appelle à votre témoignage, puisqu’elle a été distribuée à tous les membres de l’Assemblée nationale (1). ( Applaudissements .) Après avoir exposé ce fait, je demanderai qu’on vous représente la lettre de M. de Gouy d’Arsy, par laquelle il a Pair d’émettre son dernier cri de désespoir. Qu’il me soit permis actuellement de lire 4 lignes de cette lettre qu’on me reproche, puisque j’ai été inculpé d’une manière indécente et calomnieuse. M. ILavie. C’est une vérité! (Murmures.) Plusieurs membres : A l’ordre, Monsieur Lavie ! C’est un calomniateur ! M. Gombert. Monsieur Lavie, vous êtes un vil et intéressé calomniateur ! M. l’abbé Grégoire. Voici, Messieurs, les derniers mots de ma lettre : « Religieusement soumis aux lois, inspirez-en l’amour à vos enfants; qu’une éducation soignée développant leurs facultés morales prépare à la génération qui vous succédera des citoyens vertueux, des hommes publics, des défenseurs de la patrie. « Comme leurs cœurs seront émus, quand les conduisant sur vos rivages vous dirigerez leurs regards vers la France en leur disant : Par delà ces parages est la mère patrie ; c’est de là que :œnt arrivés chez nous la liberté, la justice et le bonheur; là sont nos concitoyens, nos frères et nos amis; nous leur avons juré une amitié éternelle. Héritiers de nos sentiments, de nus affections, que vos cœurs et vos bouches répètent nos serments; vivez pour les aimer, et, s’il le faut, mourez pour les défendre. » (Vifs applaudissements.) M. de Foîlevilte. C’est un mandement et et une usurpation d’un évêque de département pour faire ia Constitution. M. le Président. A l’ordre, Monsieur 1 II n’y a point là de mandement. M. Fa vie. Lisez donc le haut de la page 9 (2). Plusieurs membres : Nous l’avons lu. M. l’abbé Grégoire. Après en avoir hautement appelé à l’opinion publique de la pureté de mes sentiments, je conclus en demandant que l’on se hâte de faire partir au plus tôt pour les colonies et votre adresse, et votre décret, et les commissaires; et, si on ne juge pas à propos de faire droit à la pétition de la ville de Bordeaux, je demande qu’on la renvoie au plus tôt au ministre de la marine afin que, sur sa responsabilité, il assure la tranquillité et l’exécution du décret. (Applaudissements à gauche.) M. llalouet. Je ne crois pas qu’il se trouve un ministre aussi hardi que le préopinant pour, sur sa responsabilité, vous garantir la paix dans les colonies. Il est sans doute bien fâcheux pour les colonies d’avoir été depuis trop longtemps travaillée par le zèle apostolique... (1) Voyez cette lettre ci-après aux annexes de la séance, page 232. (2) Voyez ci-après, aux annexes de la séance, p. 234, lre colonne, le passage de la lettre de l’abbé Grégoire, commençant par ces mots : « Elle est bien étrange. . . » 232 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Il4 juin 1791.] M. Gombert. Il vaut bien le vôtre (Rires)... 'fous vos efforts viendront écbouer... ( Murmures à droite.) Dix mille comme moi en sauraient mettre à la raison cent mille comme vous. Un membre : Monsieur le Président, levez la séance ! M. Malonet. Je n’ai rien entendu de l’éloquente apostrophe. L’Assemblée ne se trouve embarrassée que parce qu’elle a interverti la marche qu’elle s’était prescrite à l’égard des colonies et que maintenant elle ne sait plus quel parti prendre, parce qu’elle a abandonné sa promesse ae ne statuer que d’après leurs propres représentations (Murmures)... Il n’y a pas là d’attaque contre personne. M. Merlin. Seulement contre les décrets. M. Malonet. On vient de vous rappeler que la ville de Bordeaux vous avait fait les offres les plus patriotiques et qu’il fallait se hâter de les accepter. Rien de plus dangereux que ce nouveau conseil de recourir aux offres très indiscrètes, très répréhensibles, d’une portion de la ville de Bordeaux... A gauche : Très patriotique ! C’est le contrepoison de ce que vous faites. M. Malonet. ...désavouées parce qu’il y a de plus éclairé, de plus important dans le commerce de Bordeaux; offres qui font le désespoir des armateurs de Bordeaux ; offres qui, à ce que j’espère, ne seront jamais réalisées par les citoyens français. M. Péiion de 'Villeneuve. Sans doute, M. Ma-louet n’a pas connaissance d’une nouvelle adresse de Bordeaux, qui, non seulement contient les mêmes principes, mais encore qui s’exprime dans les termes les plus énergiques et les plus patriotiques et dans laquelle on insiste de nouveau sur toutes les mesures précédemment proposées. M. Malonet. J’ai connaissance de tout. M. de Lachèze. J’ai à demander à M. Pétion s’il croit que toute la ville de Bordeaux consiste dans le club des Jacobins. M. Malonet. Je ne conseille pas à la ville de Bordeaux de réaliser ses offres. Il est bien certain que ce que quelques membres de l’Assemblée ont appelé la mauvaise volonté du comité colonial est une calomnie irréfléchie, parce qu’on ne peut pas nier que ceux qui » nt concouru à ce travail avaient intérêt à c > qu’il réussît. Tous ceux qui, dans le comité colonial, ont un avis éclairé, ont pensé que le travail que vous a lu M. Defermon pouvait être uii'e aux colonies; mais ils ont été divisés sur le danger qu’il y avait d’eu faire la lecture dans l’Assemblée nationale. Il fallait plutôt autoriser tacitement vos comités à faire parvenir ce travail aux assemblées coloniales; car, si vous y avez fait attention, tous les articles sont tournés en décrets impératifs, et paraîtront, en conséquence de la lecture faite ici, un commencement de votre volonté. Je vois, dans la mesure qui a été prise, do très grands inconvénients, à moins que vous ne mettiez dans le décret une modification qui exprime en même temps que vous n’avez point délibéré, que vous n’avez entendu qu’accorder confiance au travail réfléchi et longtemps discuté dans vos colonies ; mais que vous n’avez point entendu délibérer sur un pareil travail. Si vous n’y mettez pas cette latitude, vous paraîtrez effectivement donner aux colonies un ordre de le recevoir. Voici l’arrêté que je vous propose : « L’Assemblée nationale ayant entendu, sans en délibérer (Murmures!) la lecture d’un plan de Constitution pour la colonie de Saint-Domingue, qui lui a été proposé par ses comités réunis, a approuvé que ledit plan soit remis comme i s-truction aux commissaires du roi, pour être par eux soumis à la délibération de l’assemblée coloniale, et être exécuté provisoirement tel quM sera arrêté par ladite assemblée et approuvé par le gouverneur. » M. de Folleville. Je demande la priorité pour le projet de décret de M. Malouet, attendu que sa rédaction remplit les intentions de l’Assemblée, parce qu’en donnant des mesures provisoires , vous exposez continuellement à des irritations qui toujours ébranlent le gouvernement. M. Delà vigne. On vous propose aujourd’hui de statuer précisément le contraire de ce que vous avez décrété, et c’est l’Assemblée nationa'e qui, si vous adoptiez le décret, exercerait l’initiative. (Aux voix! aux voix!)... Les termes d’un décret de cette importance doivent être pesés sérieusement et j’en demande le renvoi à demain. M. de Tracy. Je demande que le projet de décret du comité soit adopté sauf rédaction. (Marques d! assentiment.) (L’Assemblée, consultée, ferme la discussion et adopte, sauf rédaction, le projet de décret des comités.) M. le Président lève la séance à trois heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU MARDI 14 JUIN 1791. LETTRE aux citoyens de couleur et nègres libres de Saint-Domingue et des autres îles françaises de l'Amérique, par M. Grégoire, député à l'Assemblée nationale , évêque du département de Loir-et-Cher (1). Amis, Vous étiez hommes, vous êtes citoyens, et, réintégrés dans la plénitude de vos droits, vous participerez désormais à la souveraineté du peuple. Le décret que l’Assemblée nationale vient de rendre à votre égard sur cet objet n’est point une grâce, car une grâce est un privilège, un privilège est une injustice-, (t ces mots ne doivent plus souiller le Gode des Français. En vous assurant l’exercice des droits politiques, nous ayons acquitté une dette; y manquer eût été un crime (1) Yoy. ci-dessus, même séance, page 231.