744 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 121 octobre 1790. pages. Nous ne saurions prendre des mesures trop grandes. Plusieurs membres demandent à aller aux voix. D'autres demandent que la discussion soit fermée. — Quelques minutes se passent dans le trouble. Les cris: Aux voix! redoublent. M. d’André. Que signifient ces cris-là ? (La partie droite se lève en désordre.) M. delirieu. Deux observations principales s’étaient présentées à mon esprit, lorsque les quatre comités réunis vous ont présenté leur projet de décret. Celui particulier à M. de Menou ne m’a pas fait changer. Les ennemis de la France arment sur terre et sur mer ; l’insurrection se manifeste dans l’armée. Les corps municipaux, par un patriotisme mal entendu, s’arrogent tous les pouvoirs et le désordre s’accroît. Il est donc de la plus haute importance de prendre des mesures générales pour réprimer un mal qu’il serait bientôt impossible d arrêter. Je propose de décréter que les citadelles et remparts des places de guerre, lorsqu’il y a garnison, les arsenaux de terre et de mer sont déclarés être continuellement sous l’effet de la loi martiale ; elle sera censée y être toujours proclamée. (On demande la question préalable.) Cette idée n’est pas de moi ; elle vous a déjà été annoncée par M. le vicomte de Noailles. Plusieurs voix s'écrient : Plus de vicomte! M. de Alrleu. Je le désigne comme je veux. M. le Président. Monsieur l’opinant, je vous rappelle à l’ordre. M. de Virieu. La nation serait en droit de nous demander un compte sévère de l’usage que nous avons fait de sa confiance. Je ferai aussi quelques observations sur le pavillon qu’on se propose de substituer à celui qui a toujours fait la gloire et l’honneur du nom français. Tous les bons citoyens seraient alarmés si la couleur en était changée: c’est ce pavillon qui a rendu libre l’Amérique ; un changement tendrait à anéantir le souvenir de nos victoires et de nos vertus. Je partage le sentiment qui a engagé le comité à nous proposer d’arborer ce signe de notre liberté; en conséquence, je demanderai qu’à la couleur, qui fut celle du panache de Henri IV, on joigne celles de la liberté conquise, c’est-à-dire qu’il y soit joint une bande aux couleurs nationales; et pour rappeler une époque nouvelle je dirai : Contemplez ce drapeau suspendu aux voûtes de cette enceinte, il est blanc; c’est devant lui que vous avez marché à la fédération du 14 juillet. M. Guillaume. Je demande que la discussion soit fermée. (L’Assemblée décide que la discussion est fermée.) (On demande la priorité pour la motion de M. de Menou, et la question préalable sur les amendements.) M. de Menou fait lecture du décret présenté avant-hier par les quatre comités et de celui qui lui est particulier. M. de Laehèze. Je demande la priorité pour le décret présenté par les quatre comités. Je n’examinerai pas s’il y a de la convenance, lorsqu’on a été chargé” d’un rapport, de venir ensuite présenter un rapport tout différent. La priorité est déjà accordée, puisque depuis trois jours vous discutez le plan des comités. (M. l’abbé Maury demande la parole.) (On demande que la discussion soit fermée sur la question de priorité.) M. l’abbé Maury. Je ne dirai rien sur la priorité... (On demande la question préalable sur le projet de M. de Menou. — L’Assemblée décide qu’il y a lieu à délibérer. — La priorité est accordée à ce projet de décret.) M. de Menou fait lecture de la première disposition de la première partie de son projet de décret. — Elle est adoptée. M. de Menou fait lecture de la deuxième disposition de la première partie. M. Malonet. Le premier article comprend implicitement le second. Le second ne contient que des mesures de détail qui ne sont pas de notre ressort. Je demande donc la suppression de cet article. M. Charles de Lameth. On se plaint de ce que nous nous mêlons des mesures de détail : eh ! n’y sommes-nous pas obligés, soit que les ministres ne veulent pas s’en occuper, soit parce qu’ils n’en sont pas capables? Leur système est de faire croire le pouvoir exécutif paralysé, et leur système en cela n’est pas bien malin ; ils espèrent qu’on lui accordera toujours de nouveaux droits. Je le disais hier à un de mes collègues. Le pouvoir exécutif fait le mort. (On applaudit.) Puisque l’Assemblée n’a pas cru pouvoir déclarer que les ministres ont perdu la confiance publique, il faudra bien qu’on s’occupe de convaincre les plus incrédules qu’ils ne l’ont pas, qu’ils ne la méritent pas. ( Les applaudissements redoublent.) M. de Montlosier. Je demande que M. de Lameth soit rappelé à l’ordre; ma motion est appuyée. M. de Folleville. Vous faites le mort, Monsieur le Président! M. de Montlosier. Mettez aux voix ma motion. M . l’abbé Maury. Les plaideurs ont 24 heures après la perte de leur procès. M. de Montlosier, Je retire ma motion par considération pour M. l'abbé Maury. M. Charles de Lameth. Le comité des rapports vous dira que l’administration souffre dans toutes ses parties. Quand un orage est formé, quand une sédition est commencée, le ministère s’empresse de vous la renvoyer, et voilà sa mission remplie ; et il veut que vous soyez responsables des événements. (Plusieurs voix s' élèvent dans la partie de droite: Vous n’êtes pas dans la question.) On se plaint que je ne suis pas dans la question. M. Malouet vous a dit que nous nous occupions des articles de détail ; j’ai voulu prouver que, par notre situation, nous y étions contraints : et puis on crie à l’usurpation, au despotisme ; on dit que l’Assemblée usurpe tous les [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 octobre 1790.] 745 pouvoirs. Il faut bien suppléer ou à la mauvaise foi ou à l’impéritie des ministres. Je ne finirais pas si je voyais raconter tous les maux qu’ils font et tout le bien qu’ils ne font pas. M. de Montlosler . M. de Lameth vient d’établir que le ministère était détruit et qu’il fallait s’en saisir. Je demande s’il est possible d’adopter une mesure qui sous-entend la spoliation du pouvoir exécutif. On veut confondre tous les pouvoirs, c’est-à-dire nous jeter dans l’anarchie. (L’amendement de M. Malouet, mis aux voix, est rejeté.) (La seconde disposition de la première partie du projet est adoptée.) M. de Menou fait lecture de la troisième disposition. Plusieurs membres de la partie droite demandent la question préalable. M. Millet-Mnreau. Je demande qu’on renvoie au comité la proposition de change r le pavillon, car, quoique je sois de cet avis, je ne veux pas que les trois couleurs soient divisées en parties égales. M. La Révellière-lépeaux. On peut simplement décréter le principe, que le pavillon sera aux trois couleurs, et on renverra au comité sur la forme à lui donner. Je suis bien étonné, lorsque le monarque lui-même a ordonné aux chefs de toutes les troupes de faire arborer aux soldats ce signe de la liberté, que la même proposition trou eici des contradicteurs. Peu m’importe laquelle des couleurs y sera en plus ou moins grande étendue. Ce n’est pas de cela qu’il s’.igit. La circonstance exige peut-être que je fasse ici une observation générale. Le peuple français est dans l’impossibilité de revenir en arrière, il faut qu’il achève la conquête de la liberté, ou qu’il périsse au sein du désordre et de la plus affreuse misère. (On applaudit.) M. la Galissonnière. 11 est d’autant plus nécessaire de conserver la couleur de notre pavillon, que celui des Anglais et des Hollandais est aux trois couleurs. D’ailleurs, vous occasionnerez des dépenses considérables; il faut conserver à la monarchie son ancien pavillon. Je demande la question préalable sur l’article proposé. . M. le Chapelier. Je vais vous proposer une rédaction, qui, en consacrant le principe, terminera tous les débats : « Le pavillon des Français portera désormais les couleurs nationales. L’Assemblée renvoie à son comité de marine les dispositions nécessaires pour l’exécution du présent décret. » (On demande que la discussion soit fermée.) (M. de Mirabeau l’aîné demande la parole.) M. de Foucault. Soit que vous adontiez la motion de M. Menou, soit que vous adoptiez la rédaction de M. Le Chapelier, vous consacrerez toujours le même principe. (Il s'élève de violents murmures dans la partie gauche.) Jugez Ct t article avec l’impartialité dont vous êtes capables. Je vous demande quels sont les départements, quels sont les militaires qui vous ont proposé de profaner ainsi la gloire et l’honneur du pavillon français; voilà la véritable cause des désordres de l’escadre; laissez à des enfants ce nouveau hochet des trois couleurs. M. Charles de Lameth. Je demande que l’opinant soit rappelé à l’ordre; il insulte les couleurs nationales. M. de Foucault. Les préjugés sont respectables; il faut les ménager. Ne nous laissons plus amuser de frivolités, de cet amour pour les modes. (Les murmures de la partie gauche interrompent l'opinant.) Il est dangereux de prendre une mesure inutile; puisque nous n’avons aucune réclamation, il est inutile de délibérer ; je demande la question préalable. M. de Mirabeau. Aux premiers mots proférés dans cet étrange débat, j’ai ressenti, je l’avoue, comme la nlus grande partie de cette Assemblée, les boudions de la furie du patriotisme jusqu’au plus violent emportemert. (Il s'élève à droite des murmures que couvrent de nombreux applaudissements; l'orateur s’adresse du côté d'où partent ces murmures et dit) : Messieurs, donnez-moi quelques moments d’attention; je vous jure qu’avant que j’aie cessé de parler vous ne serez pas tentés de rire ..... Mais bientôt j’ai réprimé ces justes mouvements pour me livrer à une observation vraiment curieuse, et qui mérite toute l’attention dé l’Assemblée. Je veux parler du genre de présomption qui a pu permettre d’oser présenter ici la question q d nous agite, et sur l’admission de laquelle il n’était pas même permis de délibérer. Tout le monde sait quelles crises terribles ont occasionnées de coupables incultes aux couleurs nationales; tout le monde sait quelles ont été en diverses occasions les funestes suites du mépris que quelques individus ont osé leur montrer; tout le monde sait avec quelle félicitation mutuelle la nation entière s’est com dimeotée, quand le monarque a ordonné aux troupes de porter, et a porté lui-même ces couleurs glorieuses, ce signe de radiement de tous les amis, de tous les enfants de la liberté, de tous les défenseurs de la Constitution ; tout le monde sait qu’il y a peu de mois, il y a peu de semaines, le téméraire qui a osé montrer quelque dédain pour cette enseigne du patriotisme eût payé ce crime de sa tête. (On entend de violents murmures dans la partie droite ; la salle retentit de bravos et d’applaudissements . ) Et lorsque vos comités réunis ne se dissimulant pas les nouveaux arrêtés que peut exiger la mesure qu’ils vous proposent, ne se dissimulant pas que le changement de pavillon, soit dans sa forme, soit dans les mesures secondaires qui seront indispensables pour assortir les couleurs nouvelles aux divers signaux qu’exigent les évolutions navales, méprisant, il est vrai, la futile objection de la dépense; on a objecté la dépense, comme si la nation, si longtemps victime des profusions du despotisme, pouvait regretter le prix des livrées de la liberté! comme s’il fallait penser à la dépense des nouveaux pavillons, sans en rapprocher ce que cette consommation nouvelle versera de richesses dans le commerce des toiles, et jusque dans les mains des cultivateurs du chanvre, et d’une multitude d’ouvriers! lorsque vos comités réunis, très bien instruits que de tels détails sont de simples mesures d’administratioa qui n’appartiennent pas à cette Assemblée et ne doivent pas consumer son temps, lorsque vos comités réunis, frappés de cette remarquable et touchante invocation des 740 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 octobre 1790. J couleurs nationales, présentée par des matelots, dont on fait avec tant de plaisir retentir les désordres, en en taisant les véritables causes, pour peu qu’elles puissent sembler excusables; lorsque vos comités réunis ont eu cette belle et profonde idée de donner aux matelots, comme un signe d’adoption de la patrie, comme un appel à leur dévouement, comme une récompense de leur re-tour à la discipline, le pavillon national, et vous proposent en conséquence une mesure, qui, au fond, n’avait pas besoin d’être demandée, ni décrétée, puisque le directeur du pouvoir exécutif, le chef suprême des forces de la nation avait déjà ordonné que les trois couleurs fussent le signe national. Eh bien, parce que je ne sais quel succès d’une tactique frauduleuse dans la séance d’hier a gonflé les cœurs contre-révolutionnaires, en vingt-quatre heures, en une nuit, toutes les idées sont tellement subverties, tops les principes sont tellement dénaturés , on méconnaît tellement l’esprit public, qu'on ose dire, à vous-mêmes, à la face du peuple qui nous entend, qu’il est des préjugés antiques qu’il faut respecter : comme si votre gloire et la sienne n’étaient pas de les avoir anéantis, ces préjugés que l’on réclame ! qu’il est indigne de l’Assemblée nationale de tenir à de telles bagatelles, comme si la langue des signes n’était pas partout le mobile le plus puissant pour les hommes, le premier ressort des patriotes et des conspirateurs, pour le succès de leurs fédérations ou de leurs complots! On ose, en un mot, vous tenir froidement un langage qui, bien analysé, dit précisément : Nous nous croyons assez forts pour arborer la couleur blanche, c’est-à-dire la couleur de la contre-révolution (la droite jette de grands cris, les applaudissements de la gauche sont unanimes ), à la place des odieuses couleurs de la liberté. Cette observation est curieuse sans doute, mais son résultat n’est pas effrayant. Certes, ils ont trop présumé. Croyez-moi ( i' orateur parle à la partie droite ), ne vous endormez pas dans une si périlleuse sécurité, car le réveil serait prompt et terrible. (Au milieu des applaudissements et des murmures , on entend ces mots : C’est le langage d’un factieux.) ( A la partie droite ) : Calmez-vous, car cette imputation doit être l’objet d’une controverse régulière, nous sommes contraires en faits : vous dites que je tiens le langage d’un factieux-Plusieurs voix de la droite: Oui, oui! M. de Mirabeau. Monsieur le Président, je demande un jugement, et je pose le fait (Nouveaux murmures)', je prétends, moi, qu’il est, je ne dis pas irrespectueux, je ne dis pas inconstitutionnelle dis profondément criminel, de mettre en question si une couleur destinée à nos flottes peut être différente de celle que l’Assemblée nationale a consacrée, que la nation, que le roi ont adoptée, peut être une couleur suspecte et proscrite. Je prétends que les véritables factieux, les véritables conspirateurs sont ceux qui parlent des préjugés qu’il faut ménager, en rappelant nos antiques erreurs et les malheurs de notre honteux esclavage. (On applaudit.) — Non, Messieurs, non : leur folle présomption sera déçue; leurs sinistres présages, leurs hurlements blasphémateurs seront vains : elles vogueront sur les mers, les couleurs nationales ; elles obtiendront le respect de toutes les contrées, non comme les signes des combats et de la victoire, mais comme celui de la sainte confraternité des amis de la liberté sur toute la terre, et comme la terreur des conspirateurs et des tyrans... Je demande que la mesure générale comprise dans le décret soit adoptée ; qu’il soit fait droit sur la proposition de M, Re Chapeljer, concernant les mesures ultérieures, et que les matelots à bord des vaisseaux, |e matin et le soir et dans toutes les occasions importantes, aq lieu du cri accoutumé et trois fois répété de t Vive le roi ! disent : Vivent la nation , la loi et lé roi ! (La salle retentit pendant quelques minutes de bravos et d'applaudissements.) (La discussion est fermée à une très grande majorité.) M. l’abbé Manry monte à la tribune. — On demande à aller aux voix. — Il entre en fureur; il saisit la tribune et l’ébranle comme ppur la lancer sur le côté gauche. La troisième disposition de la première partie du projet de décret de M. de Menou est décrétée avec l’amendement proposé par M. de Mirabeau qui est conçu en ces termes ; « décrète, en outre, qu’au simple cri de : Vive le roi! usité à bord des vaisseaux, le matin et le soir et dans toutes les occasions importantes, sera substitué celui de : Vivent la nation, la loi et le roi ! (Un grand tumulte s’élève au milieu de la salle. — M. Guilhermy monte à la tribune. — On lui crie de descendre à la barre. — Après de longues agitations, il se fait un moment de silence.) M. de Menou. M. Guilhermy a traité M, de Mirabeau d’assassin et de scélérat ; je demande, que pour l’honneur de l’Assemblée, elle autorise son président à faire arrêter sur-le-champ M. Guilhermy. (La gauche se lève et demande à aller aux voix.) M. Guilhermy. D’après la motion que M. de Menou vient de faire contre moi, il me paraît qu’il n’a entendu que la moitié de ma phrase. Toute l’Assemblée a été témoin de lamanière dont M. de Mirabeau a empoisonné le discours de M. de Foucault. Il l’a accusé d’avoir méprisé les couleurs nationales. (La partie gauche s'écrie ; Il a eu raison de l’accuser.) M. de Foucault. Je suis prêt à redire ce quq j’ai dit. M. Guilhermy. M. de Foucault avait insisté sur le danger du changement de pavillon. M. de Mirabeau l’a accusé, ainsi qu’une partie de cette Assemblée, de vouloir la contre-révolution, parce qu’on voulait conserver le drapeau blanc; comme si, lorsque l’oriflamme suspendue à la voûte de cette salle ne porte pas les couleurs nationales, cette oriflamme était un signe de contre-révolution. M. de Mirabeau, parlant du triomphe d’hier, a dit qu’il serait court; il a traité de fac-r tieux les membres qui composent une partie de cette Assemblée. J’ai dit que M. de Mirabeau voulait faire assassiner cette partie de l’Assemblée, (Il s'élève des murmures,) M. l’abbé Manry. Je demande que l’Assemblée envoie deux officiers aux Tuileries, pour déclarer au peuple que je n’ai nulle part au pru� pos qui s’est tenu, et qu’qn l’a trompé sur moq compte. M. de Cazalës. Je demande la question préalable sur la proposition que fait M. l’abbé Maury,