342 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. J <> nivôse an II L j ( 26 décembre 1793 Compte rendu du Moniteur universel (1). Un membre (2) du comité de législation fait lecture et présente à la discussion plusieurs articles additionnels à la loi du 5 brumaire, sur le partage égal des successions ouvertes de¬ puis 1789. Amar demande que la Convention charge son comité de législation d’examiner avec atten¬ tion le mode d’exécution de cette loi, qui est de la plus haute importance, puisqu’elle regarde les propriétés. Cambacérès-La proposition d’Amar nous ramène à un rapport indirect de la loi sur l’éga¬ lité des partages des successions. Il y a des motifs graves de la maintenir, comme il y en a peut-être pour la rapporter; mais dans tous les cas vous devez prononcer un sursis à son exécution, elle a déjà occasionné beaucoup de désordres dans bien des familles, un sursis qui donnerait le temps de méditer son exécution arrêterait les divisions qu’elle a fait naître. En (1) Moniteur universel (n° 98 du 8 nivôse an II {samedi 28 décembre 1793] P-396, col. 1). D’autre part le Journal des Débats el des Décrets (nivôse an II, n° 464, p. 90 et 96) et le Journal de Perle l (n° 461 du 7 nivôse an II [vendredi 27 décembre 1793], p. p, 212) rendent compte de cette discussion dans les termes suivants : I. Compte rendu du Journal des Débals et des Décrets. Un membre du comité de législation [Berlier] produit le projet de décret additionnel à la loi du 5 brumaire sur le partage égal des successions. Il est interrompu par Billaud-Varenne, qui monte à la tribune et dit : Vernier [Beri.ier] reprend la lecture des articles additionnels à la loi sur le partage égal des succes¬ sions. La discussion s’engage de nouveau sur l’effet rétroactif que la Convention donne à cette loi. Les mêmes observations qui furent faites lors de la première discussion, sont reproduites aujourd’hui. Philippeaux et Bourdon les rappellent et argumen¬ tent des principes de l’égalité parfaite. La Conven¬ tion nationale passe à l’ordre du jour sur le renvoi de la loi du 5 brumaire au comité de législation pour l’examiner et sur tout examen des principes qu’elle consacre. La Convention discutera demain les questions incidentes qui se sont élevées durant cette discus¬ sion. IL Compte rendu du Journal de Perlei. Mathieu [Berlier), au nom du comité de légis¬ lation, présente un travail sur les successions-II est ajourné. Un membre demande un rapport sur la loi du 5 brumaire concernant l’égalité des partages. 11 se plaint qu’on ait donné un effet rétroactif. Après de longs débats, sa demande est écartée par l’ordre du jour. (2) Ce membre est Berlier, dont nous repro¬ duisons ci-après, p. 344 le rapport non mentionné au procès-verbal. C’est par erreur que le Journal des Débats el des Décrets attribue ce rapport à Ver¬ nier et que le Journal de Perlet l'attribue à Mathieu. décrétant l’égalité des partages dans les succès’ sions, vous avez fait un grand acte de justice» vous avez voulu frapper les grandes fortunes. toujours dangereuses, dans une République» mais la loi étant générale les petits propriétaires ont été atteints. Mais qu’importe à la Répu¬ blique que 10,000 livres de revenu soient placées sur une tête ou sur cinq, mais il est intéressant pour le salut d’un Etat tel que le nôtre qu’un individu ne jouisse pas d’une fortune de 100,000 livres. Je demande que cette loi soit renvoyée à un nouvel examen du comité, et qu’il soit sursis à son exécution. ’ Thuriot. La question dont il s’agit est de la plus haute importance. Il y a eu un grand nombre de réclamations sur l’effet rétroactif qu’qn lui a donné. La Convention a cru établir un grand principe, et elle a, pour ainsi dire, jeté une pomme de discorde dans toutes les familles ; des procès sans nombre vont être le résultat de cette loi. Vous devez l’examiner avec attention, et voir si elle n’aura pas des effets dangereux; si elle est reconnue nuisible, elle doit être rap¬ portée. Une loi n’est bonne que lorsque la somme de bien qu’elle produit surpasse la somme des maux. Discutons de nouveau; les opinions seront différentes; de leur choc sortiront les lumières qui produiront une loi qui fera le bonheur du plus grand nombre. Philippeaux. Je m’oppose à tout norrvel exa¬ men du principe. L’égalité du partage des suc¬ cessions est un principe sacré, consacré dans la déclaration des droits, et dont vous devez vous glorifier d’avoir fait T application. Votre loi juste et bienfaisante a excité des réclamations, dit Thuriot ; oui, mais de la part des ennemis de la Révolution et des principes sur lesquels elle est fondée. Bourdon (de VOise). Le décret qui établit l’égalité des partages sur les successions, est un principe juste, et la Convention a bien mérité de l’humanité en faisant remonter l’application de ce principe jusqu’à la première époque de notre révolution. Ce qui pouvait vous alarmer, c’était de voir des anciens domestiques réduits à la misère par un effet de votre loi qui cassait toutes les donations faites depuis 1789; mais Cambon vous a proposé, et la Convention a applaudi à sa proposition en la décrétant, d’ex¬ cepter les donations dont le capital ne s’élève¬ rait pas au-dessus de 10,000 livres. Je demande que la Convention eonserve son énergie, et se montre digne de l’égalité dont elle a établi le règne, en passant à l’ordre du jour sur toutes les réclamations des aînés. Un membre : Une loi est bonne, lorsqu’elle fait le bonheur du plus grand nombre : or, les cadets sont certainement en bien plus grand nombre que les aînés; je demande donc l’ordre du jour. Pons (de Verdun). La Convention doit s’ex¬ pliquer aujourd’hui franchement sur le main¬ tien d’un principe qui n’est pas trop rigoureux et qu’elle n’a pas étendu aussi loin que je l’au¬ rais désiré. Toutes les chicanes qu’on fait sont le résultat des intrigues des aînés, ils veulent ou faire rapporter la loi ou du moins en retarder l’exécution. Les aînés disent : « Nous nous sommes mariés dans la persuasion que les biens. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAMES, j � décembre 1793 343 qui nous avaient été légués nous resteraient; quel va être le sort de nos enfants d’après votre loi”? » Mais, citoyens, les cadets ne sont-ils pas mariés, et leurs enfants n’ont-ils pas droit à votre justice? Voici une mesure que je vous propose, vous la renverrez à l’examen du comité si vous le jugez nécessaire. Vous avez décrété que telles donations seraient valables; eh bien, rapportez ce décret, et dites que les partages se feront en raison du nombre des enfants, par ce moyen les célibataires seuls seront punis. La Convention décrète qu’elle ne soumettra pas à un nouvel examen le principe de l’égalité des partages. Suit le texte du rapport de Berlier et du projet de décret relatif aux successions présenté par lui t d'après le document imprimé (1). Rapport présenté au nom du comité de LÉGISLATION SUR L’EXÉCUTION DE LA LOI DU 5 BRUMAIRE RELATIVE AUX SUCCESSIONS, par Berlier, député du département de la Côte-d’Or. (Imprimé par ordre du même comité.) Nota. Cet écrit pourra paraître long au pre¬ mier aspect, mais il fallait répondre à des mil¬ liers de pétitions et prévenir des milliers de procès. Quand on veut maintenir l’harmonie sociale, il ne faut pas de demi-lois ; et si cette vérité ne peut être contredite, c’est surtout en cette ma¬ tière. Rapport sur V exécution de la loi du 5 brumaire relative aux successions. Citoyens, Votre loi du 5 brumaire, basée sur les prin¬ cipes éternels de la justice et de l’égalité, a trouvé des détracteurs; pouvait-il en être au¬ trement? En faisant le bien général, elle bles¬ sait les intérêts particuliers. Quelques âmes froides et égoïstes ont pré¬ tendu qu’elle donnait ouverture à un effet ré¬ troactif, prohibé par les lois fondamentales de l’Etat. Eh quoi ! la mémorable époque de notre régé¬ nération politique n’est-elle donc pas devenue aussi celle où nos institutions civiles durent prendre un nouveau caractère, et faisons-nous autre chose aujourd’hui que de donner un juste développement aux principes qui furent pro¬ clamés, le 14 juillet 1789, par le peuple français, vainqueur de la tyrannie et des abus? Combien ont, depuis cette époque, plus par¬ ticulièrement blessé l’ordre tracé par la nature, parce qu’ils se complaisaient dans nos anciennes institutions, et craignaient le jour de la justice ! combien y ont dérogé pour punir leurs héritiers naturels d’avoir mieux valu qu’eux ! Que l’ouvrage des passions disparaisse donc (1) Bibliothèque nationale : 90 pages in-8° Le38, n° 642. Bibliothèque de la Chambre des Députés ; Collection Portiez (de l'Oise I, t. 64, n" 1. et cède enfin la place à cette distribution que là main de la nature a tracée elle-même; c’est la Société régénérée en 1789, qui réclame ses droits depuis cette époque, et qui respecte assez l’har¬ monie générale pour tirer un voile sur les effets antérieurs de quinze siècles d’erreurs et de pré¬ jugés. Mais, en posant ce grand principe, il en est un autre bien puissant dans l’ordre politique, et qui n’a point échappé à votre sollicitude. Les intérêts de l’indigent furent toujours sa¬ crés pour vous, et déjà vous avez senti et dé¬ crété qu’à leur égard, le principe de la distribu¬ tion naturelle devait être modifié. Quand est-ce, en effet, que la nature fut bles¬ sée? Lorsqu’ en s’écartant de la ligne qu’elle tra¬ çait, on ne le fit que pour porter la fortune là où elle était déjà, effet trop fréquent de nos mœurs anciennes, créées et entretenues par nos bizarres institutions. Cependant, et même dans ces temps de cor¬ ruption, il se trouvait des êtres humains et sen¬ sibles, quelquefois ce fut l’indigent qui fut gra¬ tifié. De telles dispositions pourraient-elles être, sans injustice, indéfiniment frappées par la loi nouvelle? Non, sans doute; et si, en général, la nature distribue mieux que les hommes, s’il faut en conséquence la leur proposer à l’avenir pour règle invariable de leurs dispositions, n’oublions pas qu’il s’agit en ce moment de celles dont l’effet était échu avant la loi, et qui doivent trouver en elle le juste appui que le corps social réclame en faveur de ses membres peu fortunés. C’est ainsi, citoyens, que vous avez tracé la route à votre comité, en lui renvoyant le soin de vous présenter ses vues sur le mode d’exécu¬ tion de la loi du 5 brumaire, travail qu’il vient aujourd’hui vous soumettre par mon organe. Dépositaire exact des grands principes que vous avez décrétés, fidèle à la loi de la nature, et non moins attentif aux intérêts de la plus touchante portion de la société, votre comité ne s’est point arrêté à tout ce qui ne lui a offert que déclamations vagues contre la loi que vous avez rendue; si quelques individus en souffrent et s’en plaignent, un plus grand nombre y applau dira, lors surtout qu’elle sera complète, et l’in¬ térêt général se trouvera ainsi d’accord avec la justice et la raison. Mais, parmi les réclamations nombreuses qui sont venues de tous les points de la République, il en est sans doute qui portent un grand carac¬ tère, et qui méritent toute votre attention. Il y aura des ambiguïtés à faire disparaître, et des additions à faire, car nous devons au peuple des lois claires et complètes. Il y aura aussi des mesures d’exécution à combiner, mesures sans lesquelles la meilleure loi n’offrirait qu’une théorie stérile et funeste. Tels sont les points divers que votre comité s’est proposé de remplir; et, pour atteindre à ce but, ü a pensé qu’il convenait de reprendre la loi article par article, en appliquant à chacun les explications ou additions qui pourront lui convenir. Cette discussion, comme on le conçoit à l’avance, ne sera point ornée de fleurs; et con¬ traint de se traîner sur de pénibles détails, votre comité n’en appelle que plus spécialement votre attention sur une matière qui intéresse aussi essentiellement la société entière, dont le bon¬ heur est votre vœu et doit être votre ouvrage