[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 août 1790 ] conciliabules, contraindre les chefs à leur remettre les registres de comptabilité , s’ériger en juges de leurs droits, prononcer sur leurs propres demandes, rendre leurs officiers responsables de leurs prétentions exagérées, et les forcer d’y satisfaire de leur bourse ou de leur crédit. Elle n’a pu croire qu’on lui parlait de régiments français, en apprenant que la garnison de Metz, oubliant jusqu’à la gloire qu’une partie des corps qui la composent acquit ailleurs sous le général qui la commande, osait également braver tous les officiers et lui-même, et se livrait à tous les désordres où peut emraîner l’esprit de révolte excité par la cupidité. Les masses générales, cet argent de l’Etat dont l’ordonnance fit de tous temps un dépôt inviolable et sacré, vonl, si l’on n’y met ordre, devenir dans chaque régiment la proie de l’avarice et le prix de la sédition. Dans quelques corps, les soldats les ont déjà pillée s ; dans d'autres, iis demandent à se les partager. Si des décrets sévères ne se hâtent de mettre un frein à leur avidité, comment, en ces jours de détresse, remplacer les millions qu'ils auront enlevés des caisses militaires? Ces dilapidations des masses ne sont pas, au reste, la seule perte que le corps militaire ait depuis quelque temps fait éprouver au Trésor public. Lors des fédérations, diverses garnisons ont consommé, en fêtes, des sommes considérables que Sa Majesté croirait peu juste de faire payer au soldat. Entraîné par l’exemple, emporté par l’enthousiasme du moment, la générosité de ses concitoyens a provoqué lasienne. Dans les transports de sa sensibilité, il n’a consulté que son cœur, et d’indiscrètes dépenses ne lui ont paru qu’un juste retour de politesse et d’amitié fraternelle. Le roi voit avec trop de plaisir ses troupes unies d’esprit et de cœur au reste de sa nombreuse famille, pour jamais pouvoir se résoudre à leur rendre moins doux, par de fâcheuses retenues, le souvenir de ces jours de concorde et de patriotisme. Mais tout en excusant ces imprudentes magnificences, vous penserez sans doute, avec Sa Majesté, qu’il est de la plus haute importance d’en prévenir pour jamais le retour. Quoique bien moins condamnable que les désordres dont je vous ai plus haut rendu compte, celui-cin’entraî-nerait pas de suites moins fâcheuses: tous ces divers excès finiraient par mettre le Trésor public à la merci de l’armée, et réduiraient bientôt la France à ce point funeste où, ne pouvant exister sans soldats, elle ne pourrait non plus exister avec pix. Jg viens, Messieurs, de vous indiquer le mal et croyez que je suis loin d’en avoir exagéré la grandeur et l’urgence; daignez jeter les yeux sur les extraits joints à ce mémoire, et vous sentirez combien le péril est pressant. Hâtez-vous d’accourir au secours de la patrie; c’est désormais de vous seuls qu’elle attend son salut: l’autorité du trône devient insuffisante en ce moment critique ; les lois l’ont sans doute armé de tout le pouvoir nécessaire pour maintenir au dedans l’ordre et la tranquillité; mais il ne s’agit plus de les y maintenir, il les y faut établir, ou plutôt il les y faut créer. Unissez toute votre force à celle du roi, pour arrêter la dangereuse fougue du corps militaire. La lenteur des délibérations, toujours inséparable de la sagesse dans tout corps politique et nombreux, ne vous a pas permis encore d’achever la rédaction du code pénal militaire que vous avez annoncé: qu’en l’attendant, l’ancien reprenne tout son empire. Dans l’ordre civil, les 1* Série, T. XVIL 641 lois peuvent quelquefois dormir sans péril imminent pour l’Etat ; mais sa sûreté exige qu’elles veillent sans relâche sur le corps militaire. Si son activité cesse un moment d’êire enchaînée par les liens de la discipline, elle va s’exercer sur tout ce qui l’entoure avec d’autant plus de force qu’elle fut ci-devant plus comprimée. Le soldat aujourd’hui n’a ni juges, ni lois; ren-dez-lui l’un et l’autre; que les séditieux recommencent à trembler devant ces mêmes conseils de guerre qui les ont si longtemps contenus. Le mal sans doute est grand, mais non pas sans re-rnè le ; il reste encore à la patrie des corps fidèles, et l’instant du retour des lois verra, n’en doutez point, renaître dans nos troupes la paix, l’obéissance et l’amour du devoir. M. le Président répond en ces termes : « L’Assemblée nationale ne peut entendre, sans douleur, les nouvelles affligeantes que vous lui apportez. Elle allait, sur le rapport de son comité militaire, s’occuper des moyens de ramener cette subordination, sans laquelle il n’est point d’armée; l’assurance que vous lui donnez, que le plus grand nombre des régiments est demeuré fidèle à la discipline, lui prouve que l’on peut compter sur le patriotisme du soldat français, quand il ne sera pas égaré par les ennemis du bien public. Elle ne doute pas du zèle qu’un ministre, toujours le père, l’ami du soldat, mettra à seconder ses efforts. L’Assemblée nationale délibérera incessamment sur le message que vous faites de la part du roi.» (Le ministre de la guerre se retire.) (Le mémoire de M. de La Tour-Du-Pin est renvoyé au comité militaire.) M. Emmery. Je suis chargé par le comité militaire de vous présenter deux projets de décrets qui sont relatifs, l’un à l’insubordination des régiments de royal-Champagne et de Poitou; l’autre qui concerne les troubles qui régnent dans plusieurs corps de troupes. Messieurs, nous étions prêts hier à faire notre rapport, mais l’Assemblée n’a pas pu nous entendre ; notre sollicitude n’a dont point été dé-vancée par celle du ministre de la guerre. Messieurs, il n’y a plus de subordination, plus de discipline, je dirai presque qu’il n’y a plus d’armée : car qu’est-ce qu’une armée sans discipline? Les soldats, sous prétexte d’injustices qui n’ont pas été commises et qui, à coup sûr, n'ont pas été vérifiées, attaquent leurs officiers et les forcent à se reconnaître leurs débiteurs ; ils leur font souscrire des engagements. Empressés de jouir d’un meilleur sort, ils ont pensé que la promesse de nouvelles lois abrogeait déjà les anciennes. Il faut que l’Assemblée appuie de son autorité les lois existantes. Nous avons cru devoir remonter à toutes les causes particulières de l’état de désordre où est l’armée. Chacune des causes que nous avons trouvées motive le décret que nous avons l’honneur de vous proposer. L’esprit d’imitation à fait adopter des usages tout à fait incompatibles avec la discipline militaire. Dans presque tous les régiments se sont formés, comme on vous l’a dit, des clubs, des comités. Les soldats ne doivent jamais se réunir que sous un chef. Quelles seraient les suites funestes de délibérations prises les armes à la main? i La suppression des clubs est l’objet d’un article j particulier. i Les soldats se plaignent, comme de concert, de 41 642 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 août 1790.] la mauvaise administration des régiments. Cette plainte est trop générale pour qu’elle soit sans fondement, ou du moins sans prétexte : il est important que les comptes soient vérifiés avec le plus grand soin et la plus grande authenticité. Se montrer rigoureusement juste est le meilleur et le plus infaillible moyen de tout calmer. Cet objet forme encore un article du projet de décret. Ce qui agite beaucoup les soldats et répand parmi eux la plus vive fermentation, c’est la distribution arbitraire qui s’est faite de cartouches jaunes, qui portent toujours avec elles le déshonneur. L’honneur d’un citoyen demande de plus grands ménagements : Nul ne peut être attaqué en cette partie, ou dépouillé de ses biens, sans un jugement préalable : Le soldat a, plus que tout autre, à raison de ses grands travaux, ce droit commun de la société. Je ne vous dirai pas combien, dans ces derniers temps, on s’est permis ces actes atroces : Je rends justice au ministre qui a donné, à cet égard, des instructions très utiles aux commandants des régiments; mais il ne faut pas, Messieurs, que vous vous en teniez là : il faut que vous abolissiez cet infâme usage qui fait avoir au soldat le déshonneur pour prix d’une longue carrière. La conduite des officiers envers les soldats peut être encore un sujet de mécontentement pour ceux-ci. Il faut qu’ils apprennent qu’on n’a jamais plus de droits à la soumission de ses inférieurs, que quand on a pour eux les égards qu’ils sont en droit d’attendre ; c’est encore un des objets du décret proposé. Les officiers verront qu’on s’est occupé également de leurs droits et de leurs devoirs. On ne peut se dissimuler que plusieurs des insurrections qui, dans l’origine, auraient pu facilement être étouffées, se sont développées parce que le soldat a trop peu de moyens de se faire entendre. 11 faut qu’il passe, pour obtenir justice, par des intermédiaires qui souvent sont intéressés à étouffer sa plainte. Vous le savez, Messieurs, l’injustice produit toujours l’indépendance. Les soldats, choqués de ces difficultés, ont tenté, quelquefois avec succès, de faire triompher leurs plaintes. Votre comité, guidé par les plus pures vues du bien public, a adopté à l’unanimité le projet de décret qu’il vous présente aujourd’hui. ( Ces développements sont très applaudis). M. Emmery poursuit et rend compte de l’affaire du régiment de royal-Champagne, d’après les procès-verbaux qui ont été envoyés au comité. Les officiers du régiment de Champagne ont donné le 1er août un bal aux gardes nationales. Quelques cavaliers mécontents, ayant à leur tête un sieur Point, adjudant-major, ont profité de cette occasion pour s’attrouper et faire des menaces au sieur Odille qui venait d’être nommé officier dans le régiment. Le lendemain, ils se sont encore attroupés et le sieur Point leur a fait prêter serment de ne pas reconnaître le sieur Odille dans son grade. M. Emmery lit deux projets de décrets. Le décret concernant les régiments de royal-Gham-pagne et de Poitou est ajourné à demain. L’Assemblée décide qu’elle discutera immédiatement le décret concernant les troubles qui régnent dans plusieurs corps de l’armée. M. Emmery lit l’article 1er et prévient l’Assamblée qu’il ne s’agit en ce moment que d’une loi de circonstance. L’article 1er est adopté sans discussion. M. de Foucault. Je demande qu’on ajoute à l’article 2 une disposition par laquelle les arrêtés pris par les comités formés dans les régiments seront déclarés illégaux. M. de llurinais. Il faudrait prévoir également le cas où les soldats seraient en butte à des jeunes gens comme officiers. C’est un sujet sur lequel j’ai toujours gémi depuis que je suis au serVice. Il faudrait que quiconque aura infligé une peine fût tenu d’en rendre compte dans les vingt-quatre heures, dès les huit heures du matin. M. de Noailles. Je ne puis que rendre hommage au mobile qui a fait parler le préopinant ; mais je dois lui faire remarquer, de nouveau, que ce que nous décrétons aujourd’hui n’est qu’une loi provisoire, et qu’il y a une extrême urgence à ce que le décret soit rendu sans retard. (L’article 2 est adopté.) M. Emmery donne lecture de l’article 3. M. de Tracy. Cet article relatif à la reddition des comptes dit que les vérifications seront faites sur une période qui comprendra les six dernières années. Je propose qu’on remonte jusqu’à 1776. Cette époque me paraît particulièrement favorable, parce qu’elle répond à une nouvelle organisation, et que c’est de ce moment que commencent les craintes du soldat. M. de Rochebrune. On ne parviendrait certainement pas à trouver des pièces authentiques si l’on devait remonter jusqu’à l’année 1776, ce qui permettrait de supposer des erreurs là où il n’y en aurait pas. En conséquence, je demande que les inspecteurs reçoivent la mission de revoir tous les comptes qu’ils trouveront, sans exception, quelle que soit leur date, sans avoir à reconstituer ceux qui n’existeront pas. Quant au nombre des soldats qui doivent assister à la vérification, il n’est pas nécessaire qu’il y en ait quatre; il suffit d’en admettre trois de chaque régiment, un de la tête, un du centre, un de la queue. M. Emmery présente une nouvelle rédaction de l’article 3. Elle est adoptée. M. de Foucault demande l’ajournement de l’article 4 ainsi que celui de l’article 5, jusqu’au moment où l’Assemblée décrétera un code pénal sur les délits militaires. Toutefois, si l’Assemblée croit devoir décréter les deux articles, il propose d’ajouter au cinquième, dont les dispositions sont trop vagues, après les mots : les cartouches jaunes, ceux-ci : expédiées depuis le 1er mai 1789. Cet amendement est adopté. L’article 6 est adopté sans discussion. L’article 7 est également adopté sans changement. M. Robespierre. Vous venez de décréter dans l’article 7 qu’on informera contre les auteurs et participes des troubles qui auront lieu dans les corps, et qu’ils seront punis suivant la rigueur des ordonnances. C’est le moment de vous faire remarquer combien sont vicieuses la forme et