[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] 151 Vous jugerez, Messieurs, qu’avec une Assemblée des représentants de la nation l’établissement proposé ne peut avoir ni inconvénient, ni dangers, surtout en séparant, comme l’a établi le comité de finances, les fonds attribués aux départements de ceux affectés aux payements des arrérages et à la liquidation de la créance publique. 30 millions ou environ, que peut avoir aujourd’hui en caisse la caisse d’escompte, n’ajouteraient point de facilités aux escomptes des billets qu’elle fournirait au Trésor public, puisque ces 30 millions ne suffisent pas à l’escompte des billets que cette caisse a en circulation pour les opérations d’escompte auxquelles elle se livre. Le sort de la nation est dans les mains du premier ministre des finances ; aucun bien ne peut se faire que par lui. Investi d’une confiance qui lui donne d’aussi incalculables moyens, l’Assemblée nationale doit diriger tous ses efforts pour le seconder, lui élever un monument de gloire dont aucun mortel n’aura joui ; mais en même temps, des hommes animés du désir du bien public, doivent attendre de ce ministre, qu’oubliant tous intérêts autres que ceux de la nation, il n’aura qu’une seule perspective, celle d’assurer un bonheur durable à un grand peuple qui s’est abandonné à lui. Je me résume. Je propose : premièrement, que la nation rembourse aux actionnaires de la caisse d’escompte les fonds d’avances avec lesquels ils l’ont formée, et leur en paye, jusqu’au remboursement, les intérêts à raison de 6 0/0, taux de commerce ; Secondement, que lesdites actions soient remboursées à raison de 5,000 livres l’une, en y comprenant les 1,000 francs par actio rn,ésultant de l’appel fait au mois de janvier dernier ; Troisièmement, que la nation se charge de toutes les lettres de change escomptées par la caisse d’escompte sans exiger aucune indemnité des actionnaires actuels, pour raison de protêt desdites lettres de change ; Quatrièmement, que la caisse d’escompte donne un état exact de la quantité de papier-monnaie qu’elle a en circulation; Cinquièmement, quece papier soit échangé contre du papier de même espèce, marqué d’un timbre Dational, et des divers signes auxquels il serait reconnu ; Sixièmement, qu’il reste en numéraire, ou engagements du Trésor public, une somme égale à celle des fonds des actionnaires, dont la nation leur payerait l’intérêt. proposition. Je propose qu’il soit créé une caisse nationale dont le premier ministre sera invité à concerter le plan avec un comité de l’Assemblée nationale composé de six personnes ; que ce comité soit chargé de même de former, de concert avec le premier ministre des finances, et un comité nommé par les actionnaires de la caisse d’escompte, le plan des indemnités à donner à ces actionnaires. Que le travail terminé soit soumis à l’Assemblée nationale, qui en ordonnera; Que l’Assemblée nationale, remplie de confiance dans la probité du premier ministre, s’empresse de lui offrir la direction de cette caisse, où seront versés tous les fonds des impositions affectées aux payements des arrérages et des amortissements de la créance publique ; qu’il en choisisse lui-même tous les agents secondaires ; qu’enfin il soit nommé par l’Assemblée nationale un comité de six personnes, pour former, avec le premier ministre, qui le présidera, le conseil établi pour les opérations de la caisse nationale. 2e ANNEXE. Plan d'une banque nationale par M. le comte de Custine. . INTRODUCTION. Dans les moments de crise, tout citoyen doit à l’Etat, à la société dont il fait partie, le tribut de son travail, de ses réflexions ; des voyages que j’entrepris dans la vue d’étendre les connaissances à l’étude desquelles je m’étais livré pendant plusieurs années, m’ayant mis à portée de connaître les détails des différentes banques qui existent dans plusieurs Etats de l’Europe, j’ai profité, à mon retour, de mes loisirs pour rédiger le plan d’une banque qui pût servir à mettre en circulation avec plus de facilité le numéraire qui existe dans le royaume ; je m’estimerai heureux s’il se trouve dans ce plan des idées qui répandent quelque jour sur les principes de l’administratiou des finances de la France, qui fassent connaître les inconvénients qui en sont résultés, préviennent le retour à des erreurs aussi funestes. Quel motif plus puissant peut animer le zèle de tout citoyen attaché aux intérêts de sa patrie, que de voir un Roi animé de l’amour du bien, qui n’a cessé depuis les premières années de son règne de montrer le désir de faire le bonheur de ses sujets, avec cette sollicitude vraiment paternelle qui lui fit chercher, dès son avènement au trône de ses ancêtres, tous les hommes marqués par l’opinion publique pour être les plus propres à seconder ses vues bienfaisantes ; qui, fatigué de voir ses vœux si souvent trompés, de n’avoir, malgré ses recherches, mis à la tête des affaires que des hommes ou peu capables ou insensibles aux maux de leur pays, préférant leur repos, les hommages prodigués au pouvoir , aux grands travaux, aux entreprises nécessaires pour détruire les abus des différentes parties de l’administration, l’encens dejquelques adulateurs, des jouissances apathiques, à la gloire qui aurait illustré leurs noms, les aurait portés à l’immortalité, noms que cette coupable indifférence a condamnés à l’oubli ? Quoi de plus fait, dis-je, pour animer tout ce qui composera les Etats généraux de cet esprit public qui seul peut régénérer une grande nation, que de voir un Roi qui, lassé de tant de recherches vaines, persévérant dans son ardent désir de faire le bonheur de ses peuples, voulantle rendre immuable, assemble sa nation, pour discuter, régler elle-même, et avec lui, ses véritables intérêts? c’est là le résumé du rapport de l’administrateur des finances, fait au Conseil d’Etat du Roi le 27 décembre dernier: en effet, que doivent être les Etats généraux? le conseil permanent des rois, l’assemblée où se discuteront, s’arrêteront, se promulgueront les lois, les règlements sages, qui n’éprouvant pas de contradiction, restaureront une grande nation , rendront au Roi le calme et le bonheur, à sa couronne son lustre antique, la prépondérance qu’elle ne pouvait 152 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] perdre que par des conseils erronés; l’Europe attentive, tixe ses regards sur la France, et la nation assemblée va déployer un caractère de grandeur, de sagesse et de force, seul capable de soutenir cette importante révolution. Un nouvel ordre de choses, tendant à la prospérité, à la gloire de cette monarchie, fera oublier Jusqu'au souvenir de ces temps malheureux, déjà loin de nous, mais dont nous gémissons encore, où le pouvoir des ministres, passé dans leurs bureaux , donnait aux dépositaires de l’autorité royale la ressemblance et l’analogie la plus parfaite aux idoles du paganisme; ces faux dieux en effet, en avaient tous les attributs : aveugles cl sourds, ils étaient insensibles comme elles. L’autorité ministérielle est la seule qui perde au rétablissement de l’ordre qui doit naître des Etats généraux permanents, et les ministres actuels, dignes à jamais de la reconnaissance de la nation, ont été les premiers à donner les conseils qui tendent à cette régénération, prouvant par ce sacrifice combien ils sont dignes de la confiance du Roi et de la nation. Mais je pense qu’un tel ordre de choses, si digne de la bonté du Roi, de la sagesse des ministres qui composent ses conseils, ne peut reposer sur une base solide, que par l’établissement d’une banque nationale, administrée par la nation elle-même, par ses représentants ; j’essaye d’en esquisser le plan. J’imagine qu’en effet la masse de sûretés qu’offrira le crédit d’une nation telle que la nation française paraîtra plus solide, plus immuable, que celui d’hommes qui ne sont que des individus isolés de corps, de provinces même, qui souvent ont des intérêts différents. Je ne sais si je vois juste, mais à mes yeux rien n’est imposant comme la masse de crédit, de force, de prc-ondérance que présentera la France, réunie en tats généraux. Je n’ai pas la présomption de croire l’ouvrage que je mets sous les yeux du public capable de hxer son opinion ; il sera réfuté par des hommes instruits, peut-être défendu par d’autres, et du choc de ces opinions naîtra la vérité, qui mettra la nation à portée de se décider. Plan d'une banque appartenant à la nation (*). Je n’ai jamais pu comprendre la nécessité, qui paraissait indispensable en France, d’avoir un banquier de la cour (1) ou plusieurs agents du fisc destinés à faire le service et les fonds des différents départements, dont les besoins multipliés sans calcul, fixés sans prévoyance, par là même ne pouvaient être satisfaites qu’à des conditions très-onéreuses qui montaient rapidement es fortunes de ces agents du fisc au plus haut degré de l’opulence, dont leur inconduite lésa souvent précipités, entraînant avec eux la ruine d’une multitude de familles confiantes en (*) Avertissement de l’auteur : Je n’insère aucunes notes dans le cours de mon mémoire ; j’indique par des numéros celles qui se trouveront à la fin et pourront être rapportées par le lecteur aux paragraphes du mémoire où elles sont indiquées. J’ai communiqué ce mémoire à des personnes qui ont une réputation méritée et qui sont consommées dans les opérations de banque faites en grand : elles m’ont donné des observations que j’ai placées dans les notes, sans rien changer à mon mémoire ; tout ce qui, dans ces notes, n’est pas de moi, est marqué avec guillemets. des spéculations exagérées ou dans une ostentation qui aurait dû leur faire perdre la confiance publique, et qui par un effet contraire, tenant à l’esprit de la nation (2), attirait dans le piège une multitude d’hommes crédules. Je n’ai jamais pu regarder cette espèce d’agents du fisc que comme des sangsues attachées au corps politique de l’Etat, dont les fortunes ne sont réellement formées que par la sueur et le sang des peuples qui, par un épuisement continu, sont condamnés, ou à mourir de faim et de misère, ou à n’acquérir de quoi se sustenter que par un travail au-dessus des forces de l’humanité (3). A quoi attribuer un tel moyen si fort opposé à tous les principes de la saine raison ? à deux causes également funestes ; l’une, provenant des besoins multipliés et sans cesse renaissants d’argent, besoins augmentés encore par ces fausses opérations qui donnent un discrédit marqué aux effets publics ; l’autre parce que, effectivement, l’arbitraire qui régissait tout ne pouvait donner cette confiance, si nécessaire aux opérations que pouvait proposer ou faire le gouvernement. Un Roi juste, voulant le bonheur de ses peuples, rendant à une grande nation la liberté qui lui est nécessaire pour donner une confiance fondée à tous les capitalistes, qui ne craindront plus de voir absorber leur fortune par des déprédations multipliées prenant naissance dans le défaut de crédit et les fautes des administrateurs, donne les moyens à cette nation, pénétrée des ressources qu’elle peut tirer de son crédit, de mettre en circulation la masse la plus forte de numéraire qui existe dans aucun empire, facilite, par un mouvement rapide, les plus solides opérations, les plus grandes entreprises ; lui assure par une surveillance toujours existante, qui sera chaque année celle de la nation entière, qu’aucun abus ne pourra jamais lui faire perdre ce crédit, dont elle sera elle-même la garante la plus assurée, Pour atteindre un tel but, il faut une banque dont le directeur, les 8 sous-directeurs, choisis par la nation elle-même, ne soient comptables qu’à elle; ce choix ne portera que sur les hommes qui, par leur réputation méritée, auront conquis la confiance publique, ces 9 administrateurs de la banque n’opérant que réunis, et d’après des délibérations prises et consignées dans un livre de délibérations examiné chaque année par un comité nommé par les Etats généraux assemblés, chargé de rendre compte à ces Etats assemblés de la situation et des opérations de la banque (4). Une seule entrave pourrait être mise à un si utile établissement, au crédit qu’il doit avoir: ce seraient lesspéculationsdeces capitalistes dont les fortunes sont dues aux opérations dont ils étaient les agents; ils ne sont plus, ces administrateurs qui par leurs prodigalités, leur charlatanisme, leur impéritie même, touchaient toujours au moment de manquer à leurs engagements : il ne reste que leurs agents ; mais au lieu d’être frappée de la crainte qu’ils pourraient inspirer, la nation doit croire au zèle d’hommes dont la richesse est telle qu’ils ne doivent désirer que l’hon-neurd’êtreles restaurateurs deleurpays; l’on seper-suade au contraire qu’ils ne pourront croire leurs capitaux plus sûrs que dans la caisse de la Banque, et que, loin de chercher à la discréditer, ils établiront son crédit. Les premiers fonds de cette banque seront formés par une somme de 40 ou 50 millions (5), votée et payée par la nation ; cette somme serait le- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] 153 vée sur elle, en même temps que les fonds nécessaires à éteindre les anticipations ; cette banque une fois accréditée, quelle facilité ne donnerait-elle pas pour verser les plus grandes sommes aux extrémités du royaume et les en retirer? Cette banque aurait des dépôts de fonds dans les principales villes de commerce du royaume; et dans celles où sont établies ses monnaies, ces fonds seraient en proportion des affaires et du mouvement d’argent de ces places, des besoins du commerce et même des dépenses du gouvernement. Les caisses de ces dépôts seraient tenues par un caissier choisi parle directeur et les sous-directeurs de la banque générale, la caisse soumise à l’inspection des représentants des Etats généraux choisis dans ceux des provinces qui avoisineraient le plus le lieu des dépôts de ces caisses. Ces caissiers, répondant et correspondant à la direction de la banque générale, mettraient en circulation le papier de la banque qui leur serait envoyé par la direction générale; des préposés des Etats généraux, pendant leur tenue, seraient chargés de la création de cette sorte de papier, dont la proportion à mettre en circulation serait réglée chaque année, d’après le rapport fait aux Etats généraux par les commissaires chargés de l’examen de la situation de la banque. Pour l’établissement d’une semblable banque, il est nécessaire de commencer par rembourser les anticipations suspendues, afin de laisser aux capitalistes possesseurs des fonds ;de ces anticipations, la possibilité de remettre ces fonds en circulation selon ce qu’ils croiront être leur plus grand intérêt. J’ai indiqué, dans mon plan à consulter sur les pouvoirs et instructions à donner aux députés aux Htats généraux des provinces de Lorraine et des évêchés, le moyen par lequel l’on pouvait faire le remboursement. La banque serait autorisée dans tous les temps à recevoir les capitaux qui y seraient versés eu donnant des lettres de change à 12 usances dont l’escompte serait payé en dedans, à raison de 1/4 0/0 par usance (6). Cette banque serait la caisse où serait versée la masse totale de l’impôt. Elle serait chargée de faire les fonds qui seraient arrêtés par les Etats généraux et fixés aux différents départements (7); elle acquitterait elle-même tous les intérêts de la dette nationale, serait le dépôt de tout les fonds affectés soit au payement des arrérages de la dette, soit aux amortissements (8). Une partie du fonds de l’impôt payée par les provinces serait versée dans la caisse des pro-vinces qui correspondrait à la banque, et cela en proportion de la quotité de l’impôt qui doit se reverser pour acquitter les charges à payer dans ces provinces. Les dépôts des provinces seraient autorisés de même à recevoir les fonds que l’on y verserait et et à en donner des lettres de change à 12 usan - ces, dont l’escompte serait payé en dedans, à raison de 1/4 0/0 par usance*; les caissiers des provinces et deux élus signeraient les lettres de change dont le compte serait envoyé chaque semaine, à l’administration générale de la banque. La banque générale comme les caisses des provinces ne prendraient de fonds qu’à hauteur de ceux nécessaires (9) aux opérations des escomptes à courtes échéances auxquelles se livrerait la banque (10). Toutes les opérations des caissiers des provinces seraient soumises à l’inspection de quatre élus choisis par les Etats provinciaux dans les lieux où seraient les fonds de la caisse, chacun de ces élus en aurait une clef, il ne resterait hors de la caisse que les fonds nécessaires pour le service de deux jours, et trois fois par semaine les opérations des caissiers seraient vérifiées par les quatres élus, et leurs résultats envoyés à la fin de chaque mois à l’administration générale de la banque. En outre des fonds nécessaires aux opérations de 48 heures, il serait laissé une somme plus ou mois forte, selon le mouvement des places, pour réaliser les billets en argent pendant les 48 heures. La banque se livrerait à une autre spéculation, celle de recevoir des fonds de tous pays et de toutes personnes qui pendant 15 années consécutives et sans interruption d’une seule année voudraient y verser une somme déterminée de quelque force qu’elle puisse être; celui qui pendant ces 15 années y aurait versé régulièrement cette somme toujours égale, à l’expiration de ce terme, lorsque les 15 payements auraient été faits , sans interruption, recevrait en revenu, sa vie durant, une somme égale au total du capital qu’il aurait versé dans la banque en payements égaux pendant ces 15 années; en sorte que celui qui aurait déposé 15 louis dans la banque par chaque année recevrait, au bout de 15 ans révolus, 15 louis sa vie durant (11). Mais cette spéculation, possible à tout le monde, ne pourrait porter cet intérêt, qu’au naturalisé, domicilié, et habitant son domicile en France au moins les deux tiers de l’année, son absence le privant, au delà de ce terme, de 3/569 de son revenu sur la banque. Un semblable établissement aurait encore un avantage, celui d’engager les pères de famille à l’économie, à placer sur la tête de leurs enfants dessommesproportionnées à leurs moyens, ce qui, dans l’âge où les enfants commencent à forcer leurs parents à une dépense, procurerait par leurs économies les moyens de pourvoir à l’éducation, à i’établissemeut de ces enfants: ce moyeu favoriserait plus qu’on 11e pense’ la population, qui seule peut faire la force dun grand empire. 11 serait créé une quantité de billets d’un tiers en sus des espèces existant dans les caisses de la banque (12). ües billets pourraient être convertis en argent, toutes les fois qu’ils seraient présentés dans l’une des caisses, soit de la capitale, soit des provinces, ils devraieut être revêtus de la signature du caissier de la banque etde quatre préposés à leur création ; être faits de papier de forme; particulière et timbrés, de manière à rendre leur contrefaçon impossible; être numérotés du numéro de leur quantité dans chaque espèce de billet. Les billets seraient de 100 pistoles, de 100 écus, de 200 livres, de 100 livres et de 50 livres ; ceux de 100 pistoles seraient bleus, tous les autres seraient jaunes; tous ces billets seraient timbrés au timbre de la couronne. Toutes les fois qu’il serait fait des envois de ces billets dans les provinces, il serait formé un bordereau où seraient inscrits les numéros qu’ils portent afin, dans le cas d'un vol, de pouvoir les faire connaître au public, par les affiches des différentes provinces e tfaciliter le moyen de 154 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] connaître celui dont ils viendraient originairement. A mesure que le crédit de ces billets s’établirait, la banque pourrait les mettre en circulation et par eux se livrer aux spéculations d’escompte que l’on va proposer ; i’on augmenterait le nombre de billets qui seraient mis en circulation pour servir à ces opérations ; mais cette augmentation serait toujours statuée par les Etats généraux, tant pour empêcher l’abus qui pourrait en être fait que pour être garant au public de la confiance entière qu’il pourrait avoir dans ces billets représentatifs de l’argent. Il ne serait reçu dans les caisses de la banque d’or et d’argent qu’au poids, elle ne payerait de même qu’au poids (13). Il serait réglé que toute pièce d’or qui passerait un certain taux de déchet ne pourrait plus être reçue qu’aux hôtels des Monnaies pour y être refondue ; et là, en outre de la valeur intrinsèque de l’or, au taux du fin, il y serait fait un état au porteur d’un tiers du bénéfice de la couronne sur la refonte des monnaies, ce qui ne pourrait s’exiger qu’en portant aux Monnaies les monnaies nationales et lorsqu’elles ne seraient pas rognées. Ce moyen, employé chez les nations les plus commerçantes de f’Europe, donnerait confiance au papier, le ferait même préférer à l’argent dans la crainte d’avoir une pièce d’or qui par le frayage aurait perdu de sa valeur ; il serait le meilleur remède à apporter au désir, naturel à beaucoup d’hommes, de voir de l’or, qui, ayant perdu ou pouvant perdre de sa valeur par le frayage (14), tenterait beaucoup moins leur cupidité. Les billets de la banque seraient reçus dans toutes les caisses pour le payement desimpositions, de même donnés pour les fonds à faire des différents départements. La banque serait autorisée à escompter les lettres de change dont le plus long terme serait à trois usances, à raison d’un tiers pour cent par usance ; ces lettres de change devraient être de domiciliés et naturalisés français solvables (15), tirées des domiciliés et naturalisés de même. Ces opérations, devant avoir pour objet de faciliter les spéculations du commerce national, ne doivent point, ainsi que l’a fait la caisse d’escompte, servir à donner des moyens au commerce étranger (16). Un semblable établissement doit aussi décider à ne plus tomber dans une erreur aussi forte que celle de remplacer des convois, des envois au loin d’approvisionnements, dans une guerre étrangère, par des lettres de change destinées à acquitter les approvisionnements dont les armées ont des besoins multipliés, qui, fournis par le commerce étranger, lui font passer le numéraire de la France (17) ; toutes les nations du nord, la Prusse, la Suède surtout, ont infiniment accru leur richesse par l’admission de ce système dans la guerre de 1778 faite contre l’Angleterre (18) ; La banque aurait toujours la première hypothèque sur ceux dont elle aurait escompté le papier (19), puisqu’en effet cette créance deviendrait une créance publique. La banque aurait toujours dans ses caisses, en argent, or ou lettres de change, escomptées à courtes échéances, tous les fonds de ses billets bleus ou jaunes répandus dans le public en circulation. Elle ne pourrait se livrer à des spéculations dont les échéances seraient à des termes éloignés, ou ne pourrait y employer d’autres fonds que ceux qui excéderaient dans ses caisses le numéraire qui aurait des emplois assurés. Les fonds provenant de ces bénéfices pourraient s’appliquer à deux espèces d’emplois également assurés : le premier, à fournir des fonds qui seraient employés à des défrichements dont, après avoir payé l’intérêt pendant trente ans à raison de 6 0/0 chaque année, les débiteurs se trouveraient avoir remboursé le capital et n’avoir plus rien à payer ; le second serait de faire des prêts, aux mêmes conditions, aux possesseurs des terres, pour la libération de leur dettes, et soustraire leurs fortunes à leurs créanciers ; ces deux spéculations ne pourraient se faire par la banque qu’en recevant pour hypothèque de ses créances des objets plus qu’équivalents à l’argent qui serait prêté. La banque, ne contenant que les fonds publics, aurait toujours un privilège acquis (20) et serait la première remboursée dans le cas de dérangement des fortunes des débiteurs à la banque (21); à cet effet, il y aurait des registres tenus où l’on pourrait danslous les temps vérifier ceux qui auraient contracté des créances envers la banque ; tout individu pourrait les voir. Quelle facilité un semblable établissement ne donnerait-il pas pour les grandes spéculations de commerce, facilité augmentée encore par la modicité du taux de l’intérêt de l’argent, que les commerçants pourrraient se procurer par lettres de change (22)! La banque, avant tout, s’occuperait de l’acquittement de la dette nationale; pour y parvenir, les fonds d’amortissements, ainsi que l’accroissement de l’extinction des intérêts des créances remboursées y seraient employées ; ce serait là une des parties les plus essentielles du compte que les administrateurs auraient à rendre chaque année à la nation. Cet établissement, une foi saccrédité, trouverait un bénéfice énorme dans le crédit même de ces billets. Quelle facilité un semblable établissement ne donnerait-il pas pour verser les fonds des impositions et les renvoyer aux lieux où ils doivent être employés! dès lors plus besoin d’une multitude d’agents du fisc dont toute l’utilité ne dérive que de la difficulté des versements de fonds au Trésor royal. La guerre se déclarant, la banque serait autorisée à fournir sur son crédit, au Roi, 100 millions pour pourvoir aux premiers frais dont les états d’emplois, ainsi que ceux des besoins de fonds extraordinaires seraient mis sous les yeux des Etats généraux, assemblés immédiatement, pour pourvoir aux moyens de fournir à la dépense nécessaire à la continuation de la guerre. L’on pense que ce plan pourrait remplacer avec de grands avantages les spéculations, dépourvues de bases solides, que la plupart des ministres des finances ont mis en avant pour soutenir un crédit dont la chute était certaine, parce qu’en effet aucun crédit ne peut avoir de base solide que celle qui repose sur une fondation immuable et qu’aucun ne peut avoir ce caractère que lorsqu’il porte sur l’intérêt général d’une nation et qu’il en dépend uniquement. notes Annexées au plan d'une banque nationale , par M. le comte de Custine. (K° 1) « Par les arrangements qui ont été [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 novembre 1789.] 4gg « ordonnés et fixés par M. le duc de Choiseul et « continués depuis, l’on fait payer à Paris les dé-« penses des affaires étrangères, tant les subsi-« des que les appointements des ministres ; il « n’est donc pas douteux qu’en temps de paix on « ne puisse se passer d’un banquier de la cour. « Il n’en est pas de même en temps de guerre « et surtout lorsque les armées se trouvent éloi-« gnées des frontières; en pays où il faut tout « payer argent comptant, il serait dangereux et « nuisible pour la circulation, d’y envoyer la 1 totalité des besoins en espèces, au lieu que le « banquier de la cour peut faire une grande par-« tie des fonds par des opérations de change et « l’étendue de son crédit; il vient même au se-« cours du gouvernement : M. de Monmartel s’est « trouvé plus d’une fois en avance de 40 millions.» On peut répondre premièrement, qu’en France il se trouvera toujours des banquiers assez accrédités pour faire ce service, lorsque la guerre arrivera, et que l’on ne doit pas conclure qu’il faille en paix un banquier de la cour ; Secondement, que la France aura probablement un jour des armées mieux organisées, par conséquent moins surchargées d’ofticiers et de bouches inutiles; il se trouvera sans doute dans ces armées des hommes assez instruits, lorsqu’elles seront en pays ennemis, pour nourrir la guerre avec la guerre, et, en pays amis, pour alléger une partie des dépenses inutiles; je puis citer à cet égard un mot de Frédéric II : Je ne conçois pas, disait ce prince, pourquoi la France après laguerre de Sept-Ans, faite pour l’intérêt de tout l’Empire, où elle a prodigué ses trésors, s’est encore encore crue obligée à verser en Allemagne après la paix des fonds immenses pour payer les denrées qu’avaient consommées ses armées dans les Etats des divers princes de l’Empire. « Avec ces moyens, continua-t-il, on peut « bien gagner le royaume des cieux, mais à « coup sûr on ruine ceux de la terre. » (N° 2) Cet esprit prend sa source dans une grande abondance d’idées qui, n’ayant eu jusqu’à cette époque aucun objet solide pour en faire l’application, n’a produit qu’une fermentation d’esprit; il prendra le caractère de la force, lorsque l’abondance des idées qui la produisaient pourra la diriger vers les affaires publiques. (N° 3) Quiconque a vu l’Europe a pu se convaincre d’une réalité affligeante pour toute âme sensible et patriotique, que dans aucun pays le spectacle de la misère du peuple n’est aussi frappant, aussi déchirant qu’en France. (N° 4) « Tous les bons citoyens qui s’intéres-« sent à la prospérité du commerce et des finau-« ces du royaume ont été peinés de voir que « plusieurs Etats de l’Europe doivent leur gran-« deur à des banques nationales et qu’un établis-« sement aussi salutaire n’ait pu se faire en « France, qui cependant réunit infiniment plus de « ressources qu’aucun de ces Etats; les exemples « multipliés du pouvoir arbitraire en sont la seule « cause, en ce qu’ils ont détruit la confiance du « public ; un seul arrêt du conseil anéantissait « tout, il n’est pas douteux qu’une banque na-« tionale, créée et administrée sous l’autorité des « Etats généraux, garantie par eux, n’encourage « tous les bons citoyens, et notamment les capi-« talistes, à y placer leur richesse. « Il ne sera pas facile cependant d’abolir en-« tièrement l’agiotage, à moins de retirer tous « les effets qui sont en circulation, puisque les « avantages qu’il donne ne sont pas égaux, mais « ce seraient plutôt de simples négociations de spé-« culation, que des moyens de désordre, telles « sont surtout les actions des eaux, et celles de « la compagnie des Indes. » L’on peut répondre à la première objection, que l’on convient de la nécessité que la banque soit créée, administrée et garantie par la nation ; aussi je regarde comme indispensable qu’il y ait des Etats généraux permanents et annuels. Et pour la seconde objection, surtout pour les actions de la compagnie des Indes, qui en effet semble n’avoir été créée que pour donner des moyens d’agiotage, il est facile de remédier à cet inconvénient ; les Etats généraux, sans doute, y pourvoiront. (N° 5) < On pense qu’un premier fonds de « 40 ou 50 millions n’est pas suffisant pour tout « le royaume, on devrait le porter à 100 millions « en ajoutant à cette somme pour un milliard « de billets au porteur, semblables à ceux de la « caisse d’escompte qui ne portassent pas inté-« rêt, et en acquittant avec ces billets les antici-« pations et autres dettes d’Etat, on diminuerait « par les intérêts épargnés une très-grande par-« tie du déficit. « Mais cette opération doit se faire successi-« vement avec la plus grande circonspection, le « crédit public serait perdu pour longtemps, et « le numéraire disparaîtrait, si on la précipitait, « et qu’on n’attendît point que les Etats généraux « eussent acquis une consistance et une solidité « à jamais inébranlable. » Mon mémoire ne présente pas moins de circonspection, que cette note n’en recommande, il fixe même une proportion renfermée dans les plus étroites bornes, du numéraire existant dans les caisses de la banque aux billets à mettre en circulation. (N° 6) « Il serait bien à désirer qu’on pût « établir et fixer l’intérêt de l’argent à 1/4 0/0 « par usance, mais on y réussira difficilement « il serait peut-être plus convenable d’accorder « dans les commencements 1/3 0/0, sauf à ré-« duire à 1/4, lorsque la banque aurait acquis « sa perfection. » Cette observation ne change rien à mon opinion sur le taux auquel doit être porté l’intérêt des fonds que recevra la banque, en donnant en échange des effets à douze usances; quel serait en effet un plus sûr emploi que pourraient faire de leurs capitaux tous les hommes à portefeuille et à spéculations, que de les placer à la banque, d’où ils pourront chaque jour les retirer, ou par voie d’escompte ou à leur échéance ? (N° 7) « Il pourrait arriver de grands incon-« vénients si la caisse de la banque était char-« gée des dépenses de la guerre, soit par terre, « soit par mer, puisque leur importance est trop « subordonnée aux circonstances, il pourrait ar-« river des événements malheureux, tels qu’une « grande bataille ou un grand combat naval per « dus, qui exigeraient des secours instants, qui « gêneraient beaucoup la caisse nationale, il ne « serait par difficile de faire des dispositions parce ticulières pour la guerre. » Ce sont en effet les Etat généraux qui doivent fixer les fonds extraordinaires des différents départements pour la guerre et donner des moyens de se les procurer, soit par des impôts, soit par des emprunts ; la banque ne peut être chargée que de les recevoir et les verser dans les caisses des départements et cela seulement lorsque les Etats généraux les auront accordés; mais alors je ne vois pas le plus léger inconvénient à ce que les fonds versés dans les caisses de la banque, la \ 56 [Assemblée nationale. | direction soit chargée de les fournir aux différents départements. (N°8). Un des premiers remboursements dont il serait nécessaire de s’occuper serait celui des payeurs de rentes et autres agents du fisc, dont les charges deviendraient inutiles par l’établissement de la banque. (N° 9) « Pour mieux habituer le public à la « facilité d’employer ses fonds et les placer dans « les caisses de la banque, il serait peut-être plus « convenable de ne point refuser ceux que l’on « voudrait placer ; la banque ne serait jamais em-« barrassée de faire valoir ces fonds : il est essen-« tiel qu’elle soit toujours dans l’abondance. » Cette observation parait juste et doit être prise en considération. (N° 10) Les directeurs et les sous-directeurs de la banque ne pourraient mettre trop de soin aux choix qu’ils feraient des caissiers, devant être responsables de la bonté de choix et qu’aucune intrigue, ni motif de faveur ne pût y influer. (N° 11) « Celte opération mérite d’être bien « approfondie par les calculateurs les plus péné-« trants, car si beaucoup du rentiers vivaient « longtemps, leur placement deviendrait bien « onéreux pour la banque. » Ce ne seront jamais des banquiers qui feront de ces sortes de placements quinze années de non-jouissance paraîtraient bien longues à des hommes qui n’ont des fonds que pour les faire travailler, et lorsque ces opérations seront faites par des hommes qui n’enfouissent pas leurs fonds, les impôts qu’ils payeront dédommageront en grande partie des intérêts énormes qu’ils recevront, c’est au surplus une opération à laquelle se livre depuis longtemps la Banque de Venise, qui ne la trouve pas onéreuse. (N° 12) « On a déjà parlé des billets à créer; « on a proposé une somme d’un milliard qu’on « ne mettrait dans le public que successivement « avec circonspection, et toujours sous l’autori-« sation des Etats généraux. » J’ai proposé, de même, de mettre les billets au porteur en circulation, sous la direction et l’autorisation des Etats généraux, je crois même en avoir établi la proportion avec plus de sûreté, en en fixant la balance, d’après la quantité de numéraire qui existerait dans les caisses de la banque et les fonds dont elle serait chargée de faire le recouvrement; ce doit, être au surplus aux Etats généraux à régler avec sagesse cette proportion. (N° 13) « Ce serait beaucoup gêner le com-« merce et la circulation, si on ne recevait et ne « payait l’or et l’argent qu’au poids ; il en résulte « de l’embarras dans les Etats où ce mode est éta-« bli ; quelle gêne d’avoir toujours la balance à « la main dans un Etat où le numéraire est si « considérable ; il naîtrait de cet ordre de choses « des discussions continuelles entre le militaire « et le citoyen. » Je pense, au contraire, que l’or ayant été refondu depuis peu, il ne pourrait naître que de grands avantages de cet établissement, l’argent ne se donne déjà dans toutes les caisses qu’au poids ; lui seul serait dans la circulation pour changer les petits billets. Quant au numéraire en or, qui existe dans le royaume, cet établissement le porterait en totalité dans les caisses de la banque, et, en adoptant ce mode, c’est précisément l’objet que je me suis proposé ; ce moyen est suivi en Angleterre, en Hollande, et a produit cet effet. (N° 14) « Beaucoup d’anciens louis avaient « été altérés dans leurs poids sans qu’il en fût [20 novembre 1789.] « résulté aucun inconvénient, parce qu’on les ren « dait comme on les avait reçus. » C’est pour éviter le retour de ce moyen, aujourd’hui qu’il y a peu de pièces d’or altérées, que je propose celui de ne recevoir qu’au poids les pièces de ce métal qui sont en circulation ; c’est aussi pour éviter des spéculations que je sais avoir eu lieu en Angleterre, de frapper de la monnaie d’or au nouveau coin de France, avec de l’or allié à de l’argent qui diminue sa valeur et son poids. [N° 15) « Pourvu que celui qui a accepté une « lettre de change soit domicilié et connu pour « être solvable, il n’importe pas de quel pays soit le « tireur, ce serait trop gêner le commerce d’ex-« dure du change national les lettres de change « venant de l’étranger : car il est reconnu que la « balance, quoique moins favorable pour laFrance, « est toujours à son avantage ; on le répète, ce « n’est qu’à la solvabilité de l’accepteur qu’il faut « avoir égard, on ne peut même pas éviter que « les étrangers ne participent au profit qui résul-« tera de la facilité de l’escompte, car il leur est « aisé de faire faire leurs opérations par leurs cor-« respondants français. » Malgré la vérité "de cette observation, je persiste cependant dans la proposition que je fais par mon mémoire, parce que d’abord elle est une entrave de plus mise contre le banquier ou le négociant étranger, et que, secondement, le moyen que je propose le force à partager une partie du profit qu’il retire de la facilité du change avec le banquier français qui lui prête son nom. « La balance devient très-désavantageuse pour « la France lorsque les armées, en temps de « guerre, sont sorties du royaume ; il faut bien « alors payer l’excédant du change avec de Farci gent comptant. » Cette observation est juste, mais n’apporte aucun changement à la règle que j’établis; il sera temps, lorsque la nécessité amènera l’obligation de payer un solde à l’étranger, de se conformer à cette loi de rigueur; mais, quant à présent, augmenter les profits des banquiers de la nation doit être l’objet du règlement que l’on doit faire pour l’établissement d’une banque nationale. (N0 16) En effet, la caisse d’escompte qui, sous le rapport de faciliter les opérations de l’administrateur des finances qui l’a établie, qui a même régénéré le crédit public pendant sa première administration des finances, a produit un inconvénient qui doit mettre en garde le directeur de la banque nationale; la caisse d’escompte n’ayant d’autre objet que les intérêts de ses actionnaires, s’est abandonnée avec trop de facilité à l’escompte des lettres de change venant de l’étranger ; qu’en est-il résulté? qu’une partie de la Suisse, de l’Allemagne, qui manquaient de numéraire pour faire un commerce actif de denrées ou de marchandises fabriquées pour lui servir à des échanges, a envoyé en France du papier. Ce papier, endossé par des banquiers français, escompté par la caisse d’escompte, a fourni au commerce des pays qui nous environnent le numéraire dont ils manquaient totalement; cette spéculation n’est point imaginaire, elle n’a été que trop réelle; elle a nui au commerce de plusieurs places du royaume dont ces commerçants étrangers, manquant de fonds avant l’établissement ae la caisse d’escompte, n’étaient que les agents subalternes, tandis que le commerce du royaume, qui avait tout à perdre, qui était sans confiance à l’établissement de la caisse d’escompte, n’en a tiré que peu d’avantage ; cette caisse est cependant diffi-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblé© nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [20 novembre 1789.] 457 cile à supprimer , je le prouverai dans la suite de cette note. Aujourd’hui, l’influence de l’administration sur la caisse d’escompte doit se borner à l’engager à être désormais plus circonspecte dans l’escompte de ses papiers. (A) Observation faite à cette note : * Cette note est de la plus grande vérité, mais « l’inconvénient est inévitable, puisque les com-« merçants,pour gagner, trouvent bien des moyens a de masquer leurs opérations. » Il faut donc les diminuer le plus possible, ces moyens, au moins faire partager le bénéfice qui en résulte aux banquiers et négociants français. Mais cette faute commise par la caisse d’escompte doit d’autant plus déterminer les directeurs de la Banque nationale à mettre une grande réserve à escompter les lettres de change des banquiers des différentes places du royaume qui sont connus pour faire les opérations dont je viens de parler. 11 sera inutile de se mettre en garde contre un second inconvénient qui a résulté de la facilité avec laquelle la caisse d’escompte s’est livrée à l’escompte des lettres de change venant de l’étranger, le système d’emprunt onéreux qui y a donné naissance ne sera probablement plus celui que l’on adoptera, au moins les intérêts n’en seront-ils pas à un taux aussi haut que celui que l’on était obligé d’accorder dans les instants où les besoins d’une guerre que l’on faisait n’ayant mis que tardivement des impositions nouvelles, forçait à avoir recours à des formes d’emprunts extrêmement onéreux. Des emprunts, en effet, qui assurent cinq fois-le capital aux prêteurs devaient donner naissance aux spéculations auxquelles se sont livrées Genève, Francfort, plusieurs villes d’Allemagne, de Hollande, de Suisse, qui, sans déboursement de fonds, et par un simple commerce de papier, se procuraient la plus grande partie des sommes quelle plaçaient dans les emprunts. En effet, toute maison de ces pays ayant un crédit prenait, par ses correspondants, une partie dans les emprunts des lettres de change tirées sur ces correspondants, acceptées par eux, escomptées à la caisse d’escompte ; fournissait ensuite les fonds des nouvelles lettres de change escomptées de même à l’échéance des premières, et qui servaient à leur payement jusqu’à ce que l’excédant des intérêts de l’emprunt, payé par le gouvernement, ait éteint successivement et par degré le premier fonds payé parles spéculateurs. Et c’est ce jeu, dont le terme doit faire pencher la balance du solde si fort au désavantage de la France, qui a donné naissance aux fausses opérations faites pour la refonte de nos monnaies ; dans les premières années ce solde, peu considérable, se payait en argent blanc; il fixa cependant l’attention ducontrôleur général, qui en conclut que l’argent étant très-pur en France, il fallait l’altérer: aussi l’argent fabriqué depuis la fin de 1783 ne se prend-il plus en Allemagne. L’effet qu’a produit la refonte de l’or, quia suivi immédiatement et, pour la même raison, d’empêcher sa sortie qui n’avait cependant lieu que pour payer le solde dû à l’étranger, à l’Angleterre surtout, a produit un effet trop connu pour qu’il soit nécessaire de l’énoncer. Si l’on supprimait la caisse d’escompte aujourd’hui, il en résulterait que beaucoup de ces maisons qui se sont livrées aux spéculations faites dans les emprunts, n’ayant plus le moyen de faire escompter les lettres de change, seraient forcées à douner leur bilan, ce qui entraînerait la faillite de plusieurs maisons de banque ; le contre-coup se ferait vivement ressentir en France et à la caisse d’escompte même. Get événement produirait au moins une grande baisse dans les fonds publics. (N° 17) 11 est incontestable que rien n’a fait ressentir un contre-coup plus vif aux finances de la France que l’abus qui a été fait après la retraite de l’administrateur des finances, en 1782, du système introduit par lui des lettres de change que tiraient les armées répandues au loin sur la surface du globe, pendant la dernière guerre, pour se procurer les fonds nécessaires à acquitter les dépenses indispensables de ces armées ; plus les lettres de change se sont multipliées dans les différents pays où elles étaient répandues, plus elles se sont avilies : il en sera toujours de même lorsque sur un marché on y surchargera la même espèce de marchandise ; et nos lettres de change portaient ce caractère, elles devaient y diminuer de valeur, aussi n’ont-elles pas tardé à arriver à 25, à 30 0/0, quelquefois même à 35 0/0 de perte; j’ai ouï dire que dans l’Inde elles avaient passé 40 0/0 de perte. Non-seulement ces lettres de change étaient avilies, mais l’argent qu’on se procurait par elles, employé à l’acquisition des denrées de consommation, était un numéraire perdu pour la France ; mais l’on va voir que l’effet en a été encore plus fâcheux que cette perte même. Il ne s’agit pas de calculer dans les finances d’un Etat, à livres, sous et deniers, ce que coûteront des convois qui peuvent être pris, le fret des vaisseaux qui les portent, il faut aussi mettre dans la balance l’avantage qui résulte pour l’Etat de l’emploi de ce moyen. Le numéraire reste, la denrée sort, sa perte même en augmente le prix, et dans ce cas un impôt, facilement payé par l’augmentation du prix de la denrée, produit encore un autre bien, celui d’éviter les emprunts, système de finances dont le poids se fait sentir longtemps après les guerres. (N° 18) L’Angleterre, épuisée à la fin de 1782, se trouvait sans numéraire dans les caisses de la Banque, il en existait peu en Angleterre; les prises multipliées des Anglais sur les Hollandais n’avaient produit d’autres effets que d’accélérer la ruine de cette même Angleterre. On le comprendra facilement lorsque l’on saura que tous les vaisseaux de ces prises, assurés en Angleterre pour une beaucoup plus grande valeur que leur valeur réelle, espèce de jeux imaginés par les commerçants d’Amsterdam qui, ne doutant pas de l’exécution des menaces hostiles de M. le chevalier Yorck, ambassadeur de cette puissance en Hollande, avaient eu recours à cette spéculation. Pendant que cette déclaration enrichissait Amsterdam, elle ruinait Londres et l’Angleterre par trois moyens : par le payement d’assurances dont les évaluations étaient forcées ; par le bas prix auquel se vendaient les marchandises d’une multitude innombrable de prises; par la stagnation que ces ventes multipliées causaient à celles des fabrications des manufactures anglaises dont tous les magasins regorgeaient lors de la signature des préliminaires en 1782. C’est dans cette situation que milord Landson pénétré de l’impossibilité dans laquelle .était l’Angleterre de continuer la guerre, connaissant la crise dans laquelle étaient les manufactures de son pays, sachant la multitude de lettres de change françaises répandues sur la surface du globe, se décida à faire la paix et « l’aurait faite à toutes conditions » (ces paroles, il les a prononcées): pour faire retirer au commerce d'Angleterre les lettres de change versées avec profusion 158 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1789.] par la France dans les diverses partie du globe, et ce sont ces lettres de change qui ont fait passer en Angleterre une partie si considérable du numéraire en or qui existait dans le royaume, et qui aujourd’hui dans la banque d’Angleterre porte les empreintes de cette couronne, et a relevé ses moyens d’une manière aussi incompréhensible après la guerre désastreuse que cette nation venait de terminer. « J’ai cru, dit lord Landson, qu’il fallait sacrifier un peu de gloire, qui ne pouvait pour la nation avoir aucune utilité réelle, à l’avantage certain de relever ses finances épuisées, de lui rendre un numéraire quelle n’avait plus. » Il savait, ce ministre, qu’en signant le traité, sa chute était inévitable; il l’a signé, et pourquoi? c’est qu’en effet l’intérêt public l’animait, et qu'il tenait peu à une place qui n’a d’attrait que dans un pays où la nation n’est rien et les ministres des hommes absolus. L’ administration en France Fit encore à cette époque une faute qui n’a pas peu contribué à relever les finances de l’Angleterre, de se charger du solde de l’Espagne avec plusieurs nations, en échangeant l’argent qui se fabriquait dans les monnaies de France, pour faire ce solde contre du papier qui, retiré par l’Angleterre et pour des marchandisses, lui a valu un numéraire considérable, au payement fait en France de ces lettres de change. Si l’on voulait énumérer toutes les fautes faites par l’administration des finances en France, dix volumes suffiraient à peine pour en faire le tablaeu. ( N° 19) Cette disposition serait le plus sûr moyen de faire tomber l’intérêt des fonds puisqu’ils prendraient infailliblement le taux des fonds publics, que l’on préférerait au prêt avec un gage certain même à taux d’intérêt modique lorsqu’il assurerait de recevoir ses fonds, chaque année. (N° 20 et 24) « La priorité que l’on propose « en faveur de la banque serait injuste, ainsi que « l’est aujourd’hui, celle qui est établie en faveur « des deniers royaux, car qui pourrait savoir « pour quelle somme la banque pourrait avoir « escompté d’un individu? toute hypothèque « deviendrait une caution incertaine, pour ne pas « dire nulle. » Cette priorité ou privilège qui existe aujourd’hui en faveur des deniers royaux n’a lieu, en effet, que parce que ces deniers appartiennent à la nation; ceux de la banque appartenant de même à cette nation, doivent avoir le même avantage ; j’ajouterai qu’il est d’autant plus intéressant de le lui conserver, que ce sera le moyen décisif pour engager tous les capitalistes à verser tous leurs fonds dans les caisses de la banque, premier objet que je me suis proposé dans cet établissement de banque. (N° 22) En effet, dans tous les temps le commerçant bien famé pourrait se procurer à quatre pour cent toutes les sommes nécessaires aux spéculations auxquelles il voudrait se livrer. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. THOURET. Seance du samedi 21 novembre 1789 au matin (1). M. Rabaud de Saint-Etienne, l'un des (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. secrétaires , donne lecture du procès-verbal de la séance de la�veille. Il lit ensuite les adresses, savoir : Adresse de félicitations, remerciements et adhésion des habitants de Guerlesquin en Bretagne et de plusieurs paroisses voisines qui [demandent une justice royale. Adresse du même genre de la baronnie deMon-tignac, composée de vingt et une paroisses. Adresse de la ville de Cuiseaux, qui présente à l’Assemblée nationale le tribut de son nommage, en l’assurant d’une obéissance entière pour l’exécution de tous ses décrets. Adresse du même genre du comité permanent de la ville de Lavalette en Angoumois. 11 adhère notamment au décret de l’Assemblée nationale concernant la contribution patriotique, et la conjure de hâter ses travaux pour rendre le calme intérieur à tous les citoyens. Adresse du même genre de la ville de Darney en Lorraine ; elle demande l’établissement dans son sein d’un district ou chef-lieu d’arrondissement. Adresse du même genre de la ville de Dôle en Franche-Comté; elle réclame une cour supérieure de justice, et d’être, à l’avenir, le chef-lieu d’un département. Adresse du même genre de la commune de Dijon ; elle espère que l’Assemblée fixera dans son sein des établissements nationaux capables de lui offrir des ressources qui la mettront à l’abri des révolutions politiques. Adresse du même jour des électeurs du bailliage principal de Dijon; ils réclament avec instance l’exécution pleine et irrévocable des arrêtés du 4 août et jours suivants. Adresse du même genre de la ville de Pont-de-Veaux en Bresse. Elle expose que s’étant conformée, avec une soumission respectueuse, aux décrets de l’Assemblée nationale, relatifs à la libre circulation des grains, elle est sur le point d’en être entièrement dépourvue, parce qu’elle a fourni presque seule, depuis la récolte, l’approvisionnement de la ville de Lyon, qui ne peut recevoir des subsistances de la Bourgogne, par la désobéissance de plusieurs villes riveraines de la Saône qui arrêtent journellement les bateaux de blé destinés pour cette grande ville; elle réclame le pouvoir de l’Assemblée nationale contre ces villes rebelles. Elle fait en outre le don patriotique d’un contrat de rente., sur l’hôtel-de-ville de Paris, de 4 à 500 livres. Délibération de la ville d’Orthez, l’une des principales villes du Béarn qui, en confirmant celle du 4 septembre, déjà adressée à l’Assemblée nationale, porte l’adhésion la plus formelle et la plus absolue à tous les décrets pris et à prendre par l’Assemblée nationale, et la renonciation à tous ses privilèges. Il est également pris des mesures pour fixer et distinguer les secours patriotiques. M. Bailly, maire de Paris , demande pour la ville l’autorisation d’accepter le don qui vient de lui être fait de la bibliothèque de l’abbaye de Sainte-Geneviève. M. Muguet de Manthou. L’offre des Géno-véfains ne peut être acceptée en ce moment; ce serait un exemple dangereux. Sans contredit l’emploi qu’ils font d’une propriété aussi précieuse est très-convenable ; mais n’est-il pas certain que, d’après votre décret, la disposition en appartient à la nation? Je propose l’ajournement de cette question.