[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.] 107 il faut bien que la constitution ne puisse être changée que suivant les formes prescrites. Si on nous disait que dans un pays voisin du nôtre, l'Assemblée nationale exerce toujours les pouvoirs d’une Assemblée -constituante, nous répondrions d’abord que c’est une question parmi les Anglais ; nous montrerions ensuite les entraves très convenables au despotisme, dont ce peuple s’est entouré pour donner de la stabilité à sa constitution. Nous avons commencé à prendre, et nous déterminerons dans la fin de notre travail des moyensplus simples, plus conformes aux droits du peuple, plus rassurants pour la liberté. Il est sans doute possible que, malgré nos réflexions et nos soins, il nous soit échappé quelques erreurs dans l’établissement d’une constitution qui repose sur les principes les plus vrais de la monarchie : l’expérience éclairera sur les imperfections de notre ouvrage ; et à une époque donnée, ou par des formes convenues, l’examen sera porté sur ce travail. Ce n’est pas dans le premier moment où des institutions politiques s’établissent, qu’on peut en juger tous les avantages ou en apercevoir les défauts ; il faut que le cours de quelques années ait fait taire les passions, ait calmé tous les regrets. Que l’Assemblée nationale n’hésite donc pas à avertir les citoyens de chacun des départements, que les hommes qui pourraient leur conseiller d’élire des députés pour remplacer ceux qui composent l’Assemblée nationale actuelle, veulent essayer de détruire la constitution, et de ruiner la liberté publique ; qu'ils voudraient voir renaître les ordres, les distinctions, la prodigalité des revenus publics, tous les abus enfin qui marchent à la suite du despotisme ou de l’anarchie ; que s’ils n’osent pas parler de la destruction du corps législatif, ils voudraient du moins lui donner une organisation telle qu’il lui fut impossible d’exercer la puissance qui doit lui être confiée... M. l’abbé Maiiry. Il faut envoyer ces gens-là au Châtelet. ( Extrême agitation des voisins de M. l’abbé Maury ; grands cris; menaces du geste et de la voix.) M. le Président. Quand on se permet d’interrompre un opinant, de l’interrompre avec violence, ce n’est pas à cet opinant que l’on manque, mais à toute l’Assemblée : M. l’abbé, je vous rappelle à l’ordre. M.lie Chapelier. Nous parlons dans ce moment d’après la connaissance des mouvements qui se font dans les provinces. Ne craignons pas que l’on dise que nous voulons perpétuer notre mission ; au zèle que nous mettons dans nos travaux, à la fréquence de nos séances, à l’attention que n ous apportons à éloigner tout ce qui n’est pas intimement lié à la constitution et aux finances, le public ne se laisse pas tromper sur nos intentions ; il sait assez qu’il n’est pas un de nous pour qui un si long séjour à Versailles et à Paris, un éloignement de plus d’un an de sa famille, de ses affaires, de ses habitudes, n’entraînent quelques sacrifices, et que si, dans notre situation, il nous était possible de nous isoler de la chose publique, nous demanderions pour nous-mêmes la lin de notre mission. Mais ce n’est ni à soi, ni aux calomnies de quelques détracteurs qu’il faut songer, c’est à l’Etat. Or, deux choses sont nécessaires ; que la constitution soit achevée, et que, quand elle sera achevée, elle ait cette fixité sans laquelle on ne connaît pas de gouvernement. Il est impossible qu’une constitution ne soit pas faite par une seule Assemblée; il est impossible d’imaginer deux assemblées successives, toutes deux constituantes, dont l’une n’aurait pas le pouvoir de changer ce qu’aurait fait la première ; et si elle a ce pouvoir, les maux qui peuvent en résulter sont incalculables. Mais quand cette constitution sera-t-elle finie? Faut-il laisser la nation incertaine sur le moment où elle n’aura plus besoin que d’une Assemblée législative, et où elle pourra en nommer les membres ? Elle sait quels sont encore les devoirs que nous avons à remplir ; elle mesure comme nous l’espace qui nous reste à parcourir. Lorsqu’on a beaucoup de travaux à faire, il n’est pas possible de fixer précisément l’époque à laquelle ils seront terminés ; mais nous sommes désormais sûrs que dans bien peu de mois nous serons à même d'indiquer le moment où la nation pourra nommer sa première Assemblée législative. Après les principes que nous venons d’établir, il est peut-être inutile de dire qu’il y aurait une impossibilité physique à ce que les départements fissent actuellement des élections pour l’Assemblée nationale ; aucun d’eux n’est en état de calculer le nombre de députés qu’ilaura à envoyer ; il faut un travail préliminaire, qui apprenne à chaque département combien la population, sa richesse et sa contribution lui donnent de voix dans l’Assemblée législative. Une seconde question se présente ; elle se résout par un petit nombre de réflexions ; il y a quelques députés dont les pouvoirs ne devaient dans le principe durer qu’un an. Nous croyons, Messieurs, que la clause limitative est sans effet; que ces députés doivent demeurer dans i’ Assemblée, qu’ils n’ont point besoin d’une élection, qu’il est impossible que cette élection ait lieu, et que si quelques-uns d’eux quittaient le travail qu’il est de leur devoir d’achever, l’Assemblée ne devrait pas s’en apercevoir ; elle n’en serait ni moins complète, ni moins obligée de continuer ses opérations. En effet, d’après la maxime consacrée par un décret, que chacun de nous est le représentant de la nation entière et non de tel ou tel bailliage, la retraite de quelques députés ne peut d’aucune manière influer sur la légalité de l’Assemblée. Mais cette retraite aurait cela de fâcheux, qu’elle nous priverait de membres éclairés. Nous voyons avec plaisir, dans l’application des principes et des faits, les moyens de les conserver. Les mandats qui limitent à un an le pouvoir de quelques députés, ont été donnés dans un temps où l’on ne pouvait calculer que très imparfaitement les travaux qu’entraînait l’établissement d’une constitution ; on n’imaginait pas les difficultés qui nous seraient suscitées, on ne prévoyait point les embarras qui retarderaient notre marche. La crainte du despotisme fut la cause de cette limitation ; ceux qui l’imposèrent à leurs mandats croyaient donner un temps plus que suffisant pour terminer la constitution, car il n’a pas pu être dans leur esprit de nommer des députés pour ne faire qu’une partie de cet ouvrage, et pour l’abandonner avant qu’il fût consommé. Tous les députés ont reçu la mission de réformer la constitution. Voilà l’objet spécial de leur mandat, c’est à cette clause intégrale que toutes les autres sont soumises. La constitution n’est pas achevée; donc le man*