384 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juin 1791.] à ce que M. de Laporte donne une déclaration signée de lui. Ce sont deux dispositions absolument liées. M. Prieur. Je demande que le déposant paraphe aussi les feuillets. M. Robespierre. Je ne puis que m’étonner que dans de pareilles circonstances on ne propose que des mesures aussi insignifiantes et aussi illusoires, et qu’on n’offre à la nation, pour garant unique, qu’un nouveau serment après tant d’autres. Les autres mesures déjà prises par l’Assemblée nationale me paraissent également faibles et insuffisantes ; mais je crois en même temps que ce moment-ci n’est pas propre à préparer les hommes; qu’il faut connaître plus particulièrement les circonstances qui tiennent au grand événement qui nous occupe, avant de vous proposer d’autres mesures; et qu’il faut d’abord méditer profondément. Ce que l’Assemblée nationale doit faire pour ne point tromper la nation, c’est d’avertir tous les bons citoyens de veiller sur les traîtres, et au salut de la chose publique. M. Barnave. Je crois, par le principe même du préopinant, qu’il est absolument indispensable que l’Assemblée nationale, représentant la nation dans ce moment important, s’assure le plus tôt possible des intentions et de la fidélité de ceux qui veulent la servir. Je me réduis à ma première proposition, et j’appuie le renvoi de l’autre au comité militaire, à charge d’en rendre compte immédiatement. M. le Président. La première motion de M. Barnave tend à faire signer et parapher le mémoire du roi par M. de Laporte, par le Président et par MM. les secrétaires. Je mets aux voix cette proposition. (La première motion de M. Barnave est mise aux voix et adoptée.) M. de La Rochefoucauld. Tout en adoptant le renvoi au comité de la seconde motion de M. Barnave, je demande que les chefs militaires, qui sont actuellement à Paris, soient incessamment mandés. M. le Président. La dernière proposition de M. Barnave tend à charger le comité militaire de rendre compte, le plus promptement possible, des ordres qui doivent être donnés à tous les commandants de troupes de ligne qui se trouvent à Paris. M. Prieur. Si M. Barnave ne fait pas la proposition de les mander à la barre, moi, je la fais, parce qu’il ne faut pas que nous perdions un moment. Veuillez bien mettre aux voix celte proposition, Monsieur le Président. M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély). La proposition de M. Prieur est directement opposée aux mesures que vous avez prises et au grand intérêt qui doit vous animer; voici comment je le prouve. Vous avez mandé les premiers organes, les premiers agents du pouvoir exécutif que vous avez dirigés par provision, et vous les avez renvoyés à leur poste pour y recevoir les ordres que vous leur donnerez et les transmettre à ceux qui les suivent. Vous ne pouvez pas, sans renverser la hiérarchie du pouvoir et l’ordre public que vous avez établi, correspondre directement avec les chefs de l’armée. Si l’Assemblée nationale a un ordre à donner à l’armée, elle l’enverra au ministre de la guerre qui le transmettra à tous les agents de la force publique. Si vous voulez donner des ordres immédiats, vous n’auriez plus d’ordre public avant qu’il soit 3 jours. Je demande donc qu’on attende les mesures que vos comités concertent avec les ministres, et que vous ne preniez pas de ces déterminations précipitées qui, loin d’assurer la tranquillité et l'ordre public, bouleverseraient tout. (L’Assemblée, consultée, renvoie la seconde proposition de M. Barnave au comité militaire.) M. Pison du Galland. Je demande que les articles 7 et 8 de la première section du titre II du Code pénal , que vous avez adoptés tout à l’heure, ne soient pas regardés comme détiniti-vement décrétés. J’ai, sur ces articles, quelques observations à présenter à l’Assemblée, et je crois ces observations utiles. (L’Assemblée, consultée, décide que la discussion sera reprise sur ces articles.) M. Le Chapelier. Il semble que l’urgence des circonstances ne permet pas de séparer l’Assemblée; mais nous pourrions suspendre la délibération pendant une heure, pour entendre alors le rapport du comité militaire. (L’Assemblée adopte cette motion). La séance est suspendue à quatre heures du soir ; elle est reprise à six heures. M. Bauchy, ex-président , prend le fauteuil. M. le Président. J’ignore s’il y a dans l’Assemblée un des rapporteurs des comités qui doivent présenter leur travail à cette séance; mais je viens d’apprendre que, dans quelques minutes, le comité chargé de la classification des décrets de ce matin, sera prêt à vous en faire lecture. M. Regnaud a la parole. M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angély). Quelques-uns des ministres des puissances étrangères, actuellement à Paris, ont témoigné quelques craintes assurément bien fondées. Je crois qu’il est important de leur faire notifier, d'une manière positive, qu’ils devront correspondre, comme par le passé, avec le ministre des affaires étrangères. Voici donc ma rédaction : « L’Assemblée nationale ordonne que le ministre des affaires étrangères fera connaître aux ambassadeurs et ministres des puissances qui sont à Paris, l’intention de l’Assemblée de continuer, avec leurs cours respectives, la correspondance d’amitié et de bonne intelligence qui a existé jusqu’à présent entre leur nation et la nation française, et les instruire qu’ils doivent remettre comme par le passé, à M. de Montmorin, les notes officielles dont ils seront chargés, de la part de leur cour. « Le ministre est chargé de faire donner des ordres particuliers, pour assurer la sûreté et la tranquillité des ministres des cours étrangères. » Plusieurs membres : Gela ne vaut rien. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angély) . Je ne vous propose cette mesure, que parce que quelques ambassadeurs ont témoigné des craintes et demandé une garde au commandant général. 385 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juin 1791.] Plusieurs membres : Lesquels ? M. Regnaud (de Saint-Je an-d’Angély). Je vous nommerai, entre autres, l’ambassadeur de Portugal, qui s’est adressé au commandant de la section où il demeure. M. Graultier-Biauzat. Jamais il n’y a eu moins de raison de craindre dans Paris; personne ne peut le savoir mieux que M. de La Tour-Mau-bourg et moi, qui l’avons parcouru pendant près de 6 quarts d’heure. Autant vous déployez ici de vigueur, autant le peuple de Paris montre de sagesse. J’ai une idée que l’Assemblée adoptera peut-être: vous avez pris des précautions relativement aux papiers qui sont dans les dépôts des affaires étrangères. Je tiens beaucoup, moi, au garde-meuble ; je demande qu’il y soit placé une garde pour garantir ce dépôt précieux des dévastations qui se sont faites, même devant l’Assemblée nationale, et qu’on étende au garde-meuble les dispositions que vous avez prises ce matin, relativement aux appartements du château des Tuileries. M. Bion. Messieurs, les commissaires que vous avez chargés de l’inventaire du garde-meuble s’y sont transportés dès ce matin, pour aviser aux moyens de conserver les effets précieux qui y sont déposés : M. Thierry était absent, mais nous avons trouvé M. Chantereine. Une garde de sûreté y a été établie. M. Delattre. J’ajoute que nous avons demandé s’il avait été fait quelque enlèvement dans le garde-meuble. Non seulement on n’y a rien enlevé, mais même le roi et la reine y ont fait réintégrer ce qui en dépendait, c’est-à-dire les diamants de la couronne. M. Rabaud-Saint-Etienne. Je demande à M. Regnaud pour quel motif l’Assemblée annoncerait que le peuple parisien peut se porter à quelque insulte contre les ambassadeurs. Si l’on adoptait ceite proposition, on paraîtrait avoir des doutes sur la tranquillité du peuple de Paris, tandis que cette capitale présente un aspect tranquille, touchant et fier, qui fait présager assez quels peuvent être jamais les succès des ennemis de l’Etat. Que les ambassadeurs soient donc sans inquiétudes sous la garantie de la loyauté d’un peuple généreux, qui respectera toujours le droit des gens, et qui montre, par un calme profond, le sentiment le plus juste de sa force et de ses droits, et sous la garantie sacrée de l’Assemblée nationale. M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angèly). Je borne ma proposition à demander que les ambassadeurs et ministres étrangers qui sont à Paris soient avertis qu’ils peuvent continuer leurs relations avec M. de Montmorin, auquel ils devront remettre, comme par le passé, les notes officielles de leurs cours. Je crois qu’il est urgent, qu’il est important de décréter cette disposition, à laquelle je me réduis. M. Rœderer. Je trouve un autre motif à la proposition de M. Regnaud, et il faut le dire très nettement. Il est très possible ([ue des ambassadeurs qui sont envoyés auprès du roi de France aient besoin de connaître dans ce mo-lrô Série. T. XXVII. ment-ci qui remplace le pouvoir exécutif. Que faut-il donc faire? Il faut leur faire connaître le décret que vous avez rendu ce matin, par lequel les ministres conservent la plénitude de leur ancien pouvoir; et c’est à cela que doivent se borner vos mesures. M. Fréleau-Saint-Just. Je voudrais qu’on ajoutât une autorisation spéciale à M. de Montmorin, de dépêcher des courriers vers les cours étrangères où cette mesure pourrait être utile, pour leur témoigner que Isl nation française restera fidèle à ses traités. Des motifs pressants sollicitent cette mesure; une considération particulière vient à l’appui. Il faut que l’Assemblée sa< he qu’il n’y a pas d’efforts qu’on n’ait faits, depuis 3 mois environ, pour rompre l’ancienne alliance existant depuis 3 siècles, mais notamment depuis la paix de 1512, avec les Suisses. Nous sommes informés au comité diplomatique que les efforts tendant à rompre cette bonne intelligence ont redoublé; et tandis que les lettres qui nous étaient envoyées par le ministre, il y a 2 ou 3 mois, ne contenaient que des expressions rassurantes à cet égard, nous sommes forcés de déclarer que les dernières ne sont plus sur le même ton. Il peut donc être infiniment important de faire partir sur-le-champ un courrier pour M. de Vérac qui est chargé des négociations entamées avec les 13 cantons suisses. M. Démeunier. Je demande la parole. M. Fréteau - Saint -Just. Je ne demande pas que l’Assemblée intime cet ordre-là, mais qu’elle en laisse la proposition et la suite à M. de Montmorin, qui se fera autoriser par elle. M. Démennier. J’appuie la motion de M. Regnaud, réduite à l’assurance de continuer la correspondance avec les ambassadeurs étrangers ; mais je crois que l’Assemblée ne peut sans imprudence adopter la proposition du préopinanf. M. Fréteau ne fait pas attention que, dans ce moment de crise ou nous sommes, nous devons d’abord pourvoir aux précautions les plus urgentes ; vous l’avez fait ce matin. S’il reste d’autres précautions à prendre, vous h s prendrez dans le jour ou le lendemain; mais certes, la position de la nation française ne peut pas rester longtemps au point où elle est. 11 est clair qu’il faut ou que la trame du complot soit découverte, ou que le roi reconnaisse qu’entraîné et séduit par des factieux, il a abandonné son poste. Alors l’Assemblée nationale prendra les précautions nécessaires. Vous avez décrété un gouvernement monarchique : c’est alors que vous examinerez s’il faut un régent, ou si le roi reviendra à son poste. Dans ce moment-ci, des courriers envoyés par un ministre des affaires étrangères, autorisé par l’Assemblée nationale, à des puissances habituées à l’idée du despotisme, ne connaissant ni la Révolution, ni nos lois, c’est là une mesure inutile; le moment n’est pas venu; il n’est ni politique, ni prudent de le faire. L’ascendant de la justice et de la raison, et la force puissante d’une grande nation libre, qui a reconquis la liberté et qui saura la conserver, ne permettent pas de douter que nous ne triomphions de nos ennemis ; mais ne compromettons pas la dignité de la nation, en exposant à des humiliations ceux que nous enverrions vers des 25