3” 8 [Assemblée nationale. [ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 août 1789.] des troupes est indispensable dans un moment où tous les liens delà subordination paraissent rompus, où les troupes elles-mêmes pourraient devenir dangereuses. L’arrêté proposé contie la force aux personnes qui ont joui de plus de confiance, en la conférant aux tribunaux et aux municipalités. Si cette distinction de loi générale et de décret instantané avait été bien saisie, personne sans doute ne se serait élevé contre le projet du comité. M. le vicomte de Noailles. Le serment des troupes est prématuré ; je demande que la formule soit séparée des autres objets délibérés. Cette motion est appuyée, on-demande d’aller aux voix. M. le Président sépare la formuledu serment de la proclamation proposée, qui est mise aux voix et adoptée à une grande majorité. Il consulte ensuite l'Assemblée pour savoir s’il y a lieu à délibérer sur la formule du serment La majorité est pour l’affirmative. M. Desmeuniers fait sentir le danger qu’il y aurait à confier la puissance militaire à des officiers municipaux nommés par le Roi, dans les villes de guerre surtout, et il propose qu’elle ne soit accordée qu’aux municipalités électives. M. Garat, Vaine, s’élève contre cette restriction, et il soutient que lejdêcret et la formule du serment n’étant que provisoires, on ne peut se dispenser d’accorder le même droit aux officiers municipaux nommés par le Roi, parce qu’ils en ont besoin également pour maintenir la tranquillité publique, et qu’on ne peut les soupçonner de vouloir la troubler. M. Maunier lit la formule du serment, ainsi qu’il l’a rédigé. Elle est mise aux voix et adoptée.- Voici le texte entier du décret : DÉCRET « L’Assemblée nationale, considérant que les ennemis de la nation ayant perdu l’espoir d’empêcher, par la violence du despotisme, la régénération publique et l’établissement de la liberté, paraissent avoir conçu le projet criminel de revenir au même but par lavoie du désordre et del’anar-chie; qu’entre autres moyens ils ont, à la même époque, et presque le même jour, fait semer de fausses alarmes dans les différentes provinces du royaume, et qu’en annonçant des incursions et des brigandages qui n’existaient pas, ils ont donné lieu à des excès et des crimes qui attaquent également les biens et les personnes, et qui, troublant l’ordre universel delà société, méritent les peines les plus sévères; que ces hommes ont porté l’audace jusqu’à répandre de faux ordres, et même de faux édits du Roi, qui ont armé une portion de la nation contre l’autre, dans le moment même où l’Assemblée nationale portait les décrets les plus favorables à l’intérêt du peuple ; « Considérant que, dans l’effervescencegénérale, les propriétés les plus sacrées, et les moissons memes, seul espoir du peuple en ces temps de disette, n’ont pas été respectées ; « Considérant enfin que l’union de toutes les forces, l’influence de tous les pouvoirs, l’action de tous les moyens et le zèle de tous les bons citoyens doivent concourir à réprimer de pareils désordres ; « Arrête et décrète : « Que toutes les municipalités du royaume, tant dans les villes que dans les campagnes, veilleront au maintien de la tranquillité publique; et que, sur leur simple réquisition, les milices nationales, ainsi que les maréchaussées, seront assistées des troupes, à l’effet de poursuivre et d’arrêter les perturbateurs du repos public, de quelque état qu’ils puissent être; « Que les personnes arrêtées seront remises aux tribunaux de justice et interrogées incontinent, et que le procès leur sera fait; mais qu’il sera sursis au jugement et à l’exécution à l’égard de ceux qui seront prévenus d’être les auteurs de fausses alarmes et les instigateurs des pillages et violences, soit sur les biens, soit sur les personnes; etque cependant copies des informations, des interrogatoires et autres procédures, seront successivement adressées à l’Assemblée nationale, afin que, sur l’examen et la comparaison des preuves rassemblées des différents lieux du royaume, elle puisse remonter à la source des désordres, et pourvoir à ce que les chefs de ces complots soient soumis à des peines exemplaires qui répriment efficacement de pareils attentats ; « Que tous attroupements séditieux , soit dans les villes, soit dans les campagnes, même sous prétexte de chasse, seront incontinent dissipés parles milices nationales, les maréchaussées et les troupes, sur la simple réquisition des municipalités. « Que dans les villes et municipalités des campagnes, ainsique dans chaque district des grandes villes, il sera dressé un rôle des hommes sans aveu, sans métier ni profession, et sans domicile constant, lesquels seront désarmés ; et que les milices nationales, les maréchaussées et les troupes veilleront particulièrement sur leur conduite ; « Que toutes ces milices nationales prêteront serment entre les mains de leur commandant, de bien et fidèlement, servir le maintien de la paix, pour la défense des citoyens, et contre les perturbateurs du repos public; et que toutes les troupes, savoir, les officiers de tout grade et soldats, prêteront serment à la nation et au Roi, chef de la nation, avec la solennité la plus auguste. « Que les soldats jureront, en présence du régiment entier sousles armes, de ne jamais abandonner leurs drapeaux, d’être fidèles à la nation, au Roi et à la loi, et de se conformer aux règles de la discipline militaire; « Que les officiers jureront, à la tête de leurs pes, en présence des officiers municipaux, de rester fidèles à la nation, au Roi et à la loi, et de ne jamais employer ceux qui seront sous leurs ordres contre les citoyens, si ce n’est sur la réquisition des officiers civils ou municipaux, laquelle réquisition sera toujours lue aux troupes assemblées (1) ; « Que les curés des villes et des campagnes feront lecture du présent arrêté à leurs paroissiens réunis dans l’église, et qu’ils emploieront, avec tout le zèle dont ils ont constamment donné des preuves, l’influence de leur ministère, pour rétablir la paix et la tranquillité publique, et pour ra-(1) La première rédaction portait : es mains des officiers municipaux et sur la réquisition des officiers civils et municipaux. Voy. plus loin la séance du 13 août. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 379 [Assemblée nationale.] mener tous les citoyens à l’ordre et à l’obéissance qu’ils doivent aux autorités légitimes. Sa Majesté sera suppliée de donner les ordres nécessaires pour la pleine et entière exécution de ce décret, lequel sera adressé à toutes les villes, municipalités et paroisses du royaume, ainsi qu’aux tribunaux, pour y être lu, publié, affiché et inscrit dans les registres. On est revenu à la discussion sur les articles de la rédaction de l’arrêté du 4, relatif a l'abolition des privilèges. M. le marquis de Thiboutot, qui n’avait pas assisté à la séance du 4 août, demande à faire quelques observations sur les articles relatifs à la féodalité; il obtient la parole. M. le marquis de Thiboutot. Je ne saurais admettre, Messieurs, pour l’intérêt de mes commettants, la rédaction de l’arrêté qui se trouve dans ce moment-ci soumis à votre jugement. Elle semble annoncer à l’ordre de la noblesse la suppression de ses droits féodaux. C’est sur ces droits qu’est fondée l’existence des fiefs; c’est sur l’existence des fiefs que son fondées les distinctions de la noblesse, et je ne crois pas, Messieurs, qu’après le sacrifice volontaire qu’elle a fait de ses privilèges pécuniaires, vous vouliez la dépouiller de ses privilèges honorifiques. Vous n’ignorez pas que son intention n’est pas de s’en dépouiller elle-même; et comme il n’est point de Français qui n’ait eu dans ce moment-ci les yeux ouverts sur elle, il n’en est point aussi qui ne sache qu’autant elle a mis d’empressement à se soumettre à l’égalité de l’impôt, autant elle a cru pouvoir exiger de fermeté de ses représentants pour la défense des distinctions qui la caractérisent, et qu’elle croit nécessaires à conserver dans une monarchie. Vous ne pourriez donc regarder l’abandon qu’en ont fait hier quelques-uns des députés comme son propre vœu. L’empressemeut avec lequel ils l’ont fait doit même vous prouver qu’ils n’en ont point envisagé les conséquences, et vous devez cire d’autant moins étonnés qu’ils ne les aient point envisagées, qu’il n’était question de cet objet, si intéressant pour leurs commettants, que comme d’un objet accessoire et secondaire de votre arrêté. Les premiers mouvements de l’homme, Messieurs, sont sans doute pour la nature ; mais les seconds chez lui, doivent être pour la raison. Il est dans la nature de tout gentilhomme français de ne plaindre aucun sacrifice pour l’intérêt de sa patrie ; mais il est de la raison et du devoir de ceux mêmes d’entre eux qui auraient oublié hier le vœu de leurs commettants, pour ne s’occuper que du leur, d’exprimer aujourd’hui ce vœu, de se conformer aux intentions bien connues de leur ordre, et de défendre de tout leur pouvoir sa propriété honorifique. On vous a présenté, Messieurs, les droits féodaux comme nuisibles à l’agriculture ; mais est-il un état, est-il même une république où l’agriculture soit aussi florissante qu’elle l’est en Angleterre? Et les seigneurs de terres ne jouissent-ils pas en Angleterre de presque tous les droits dont les anciens seigneurs normands jouissaient en Normandie, lorsqu’ils ont conquis ce royaume, et qu’ils y ont apporté les lois de leur pays? On vous a proposé de supprimer sans indemnité les corvées qui se trouvent encore dues aux propriétaires de quelques terres par les habitants des campagnes, et on a voulu vous faire envisa-[10 août 1789.] ger ces corvées comme des restes de l’ancienne servitude de la. France. Mais ne sont-elles donc pas, Messieurs, ainsi que tous les droits des seigneurs, le produit de la cession qu’ils ont faite de la plus grande partie de leurs terres à ceux qui n’en avaient pas ? Cette cession à bail perpétuel, connue sous le nom d’inféodation, ne doit-elle pas être, par la nature des choses, soumise aux mêmes lois que Celles faites à bail emphytéotique ou à bail de neuf et sept ans ? Et s’il a toujours été permis d’exiger des corvées des particuliers auxquels on a cédé, par bail à terme, le profit qu’on pouvait faire sur ses terres, n’a-t-il pas toujours dû l’être aussi d’en exiger de ceux auxquels on a cédé pour un temps indéfini le même profit? Vous savez, Messieurs, qu’il n’existe pas plus de charges sans bénéfices, que de bénéfices sans charges. Vous savez qu’on n’a jamais conclu ni accepté de marché, que lorsqu’on a trouvé plus d’avantage que de désavantage à le conclure ou à l’accepter. Vous avez déjà fait connaître l’esprit d’équité qui vous anime, en consacrant les droits de propriété, et en adoptant pour base ou pour premier principe de la constitution française, que tout citoyen avait un droit égal à la justice de la société. Les gentilshommes, Messieurs, sont des citoyens. 11 n’est aucun de leurs droits féodaux qui né soit le prix du droit sacré de propriété qu’ils avaient sur les terres qu’ils ont inféodées. Il n’eu est donc aucun dont il ne dût leur être tenu compte, si l’intérêt public pouvait en exiger le sacrifice. Je ne doute pas d’ailleurs, Messieurs, que vous ne pesiez dans votre sagesse si les mœurs des habitants des campagnes, si le commerce même, n’auraient pas à perdre infiniment à la permission qu’il vous a été proposé d’accorder à chaque cultivateur, de détruire dans tous les temps toute espèce de gibier sur ses terres. Il vous a encore été proposé de porter au denier trente l’estimation de la valeur de tous ceux des droits de ces terres dont on croyait que les seigneurs ne pouvaient êtreprivéssansindemniîé. Je dois vous prier de considérer que le plus grand nombre des rentes seigneuriales se trouve déjà réduit à la quatre-vingt-seizième partie de leur valeur, parce que le plus grand nombre des seigneurs a autrefois consenti à en recevoir le payement en argent, et que celles de ces rentes qui se perçoivent en argent ne leur produisent conséquemment plus aujourd’hui que 5 sous au lieu d’un louis, que 125 livres au lieu de 12,000 livres, et que 1,000 écus au lieu de 288,000 livres qu’elles devraient leur produire. Je dois opposer aux reproches que j’ai entendu faire en général au contrat féodal, dans cette auguste Assemblée, ce qu’en pensait, il y a quelques années, un des plus célèbres jurisconsultes du siècle. 11 n’est point, disait-il, de contrat plus favorable au débiteur. Il est le seul dont on puisse abandonner l’effet sans donner contre soi un droit de recours et d’indemnité, lorsqu’on se trouve trop grevé. Il est assujetti à une forme et à des lois particulières, pour la contrainte des redevables, qui tendent également à diminuer pour eux les frais de justice, et à alléger leur sort. Dans le plus grand nombre de provinces du royaume, les lois protègent le vassal et restreignent la liberté que le seigneur pourrait avoir d’abuser de ses droits. Des titres authentiques,