SÉANCE DU 20 BRUMAIRE AN III (10 NOVEMBRE 1794) - N°s 20-22 73 20 Les nouveaux inspecteurs du Palais national sont Pierret, Chedanau, Chabanon et Bourgeois, les suppléans, Christiani, Précy, Herard et Albert aîné (66). 21 Le citoyen Herbon, de Soissons [Aisne], réclame sa mise en liberté. Renvoyé au comité de Sûreté générale pour y statuer (67). 22 Le reste de la séance a été occupé par une discussion très vive (68). Réal soumet à la Convention la pétition de trois jeunes gens du département de l’Aisne (69), qui, étant les seuls soutiens de leurs mères, avaient obtenu de leur municipalité la faculté de se faire remplacer dans le recrutement des trois cent mille hommes, et qui cependant ont été poursuivis ensuite et condamnés à vingt années de fers. LEJEUNE demande le renvoi de cette pétition au comité de Législation. Ce sont d’excellents patriotes, dit-il, que les ennemis poursuivent. (On applaudit). [Demande que la Convention nationale se prononce d’une manière décisive contre les contre-révolutionnaires qui, méditent et exécutent sous ses yeux, la perte des patriotes les plus éclairés et les plus courageux.] (70) DUHEM : Puisqu’on assassine les patriotes à Paris, on peut bien les assassiner ailleurs. C Applaudissements ). DU ROY : Je demande la parole après le renvoi. DUHEM : On nous tuera ici. (Bruit.) Un homme s’agite violemment dans une des tribunes; il parle très haut et fait des gestes menaçants ; quelques tribunes latérales l’applaudissent. Un grand nombre de membres se lèvent, indignés de cette audace. (66) P.-V., XLIX, 108. (67) P.-V., XLIX, 108. (68) Débats, n° 778, 715. Pour l’ensemble de cette discussion nous suivrons le Moniteur, XXII, 473-476 et 477-481. C. Eg„ n° 814 ; M.U., n° 1338 ; Mess. Soir, n° 815 et 816 ; F. de la Républ., n° 51; Ann. Patr., n° 678; J. Fr., n° 776; Ann. R. F., n° 49; Gazette Fr., n° 1043 et 1044; Rép., n° 53; J. Montagne, n° 28 et 29. (69) Débats, n° 779, 721 indique une pétition ne concernant qu’un citoyen. Rép., n° 53, donne un citoyen opprimé de l’Aisne. (70) Rép., n° 53. Gaston parle dans le bruit. THIBAULT (71) : J’arrive dans l’Assemblée, et je ne sais point qu’elle est la cause de cette agitation ; mais quel que soit l’objet de la discussion, il est de la dignité de la Convention de ne pas souffrir qu’elle soit influencée. (Applaudissements.) Je vous dénonce un individu qui, dans cette tribune, a osé prendre la parole (oui, oui, s’écrie-t-on de toutes parts.) dans un lieu où elle est réservée aux seuls représentants du peuple, qui a osé les menacer et mêler sa voix à la leur ; c’est là une violation à la représentation nationale. (Oui, oui! s’écrie-t-on.) DU ROY et DUHEM demandent la parole. Le président annonce qu’il a donné des ordres pour faire arrêter l’individu désigné par Thibault (72). Un citoyen, placé dans les tribunes, ayant insulté un membre de la Convention et pris la parole, a été arrêté et conduit au comité de Sûreté générale (73). DUHEM : Je ne m’occupe point des individus, je ne songe qu’à la chose publique. On a dénoncé à la tribune plusieurs membres de cette assemblée [des Jacobins] (74) comme complice des émigrés qui sont en Suisse ; on a même annoncé qu’il existait une correspondance ; c’est cette annonce qui a suscité le mouvement aristocratique d’hier. (On rit et on murmure.) Comme il n’y a que les principes, que la vérité, qui doivent et qui puissent influencer la Convention, et non pas quelques individus, je demande pour mes collègues, et pour moi qui suis accusé individuellement, que les comités de gouvernement soient tenus de lire cette correspondance à la tribune, et je me réserve ensuite de les dénoncer au peuple français. S’il faut que nous périssions, nous périrons. ( Applaudissements .) Assez et trop longtemps le gouvernement a été influencé par de petites cabales ; je les dénoncerai ; j’ai dans ma poche les signatures des scélérats qui étaient à la tête de la révolte d’hier, et qui sont venus nous assassiner. Vous verrez que tout se tient dans la contre-révolution : ce n’était pas aux individus réunis aux Jacobins qu’on en voulait, mais aux représentants du peuple qui s’y portent. Quelques voix : Oui, oui! (Murmures.) DUHEM : On a menacé, on a frappé sous leurs yeux des représentants qui étaient venus pour établir l’ordre : et les individus qui se sont rendus coupables de cette faute ont été mis en liberté (75). Il faut que ceux qui, depuis cinq ans, n’ont pas varié sur la ligne révolutionnaire, (71) Débats, n° 779, 721, au lieu de Thibault donne Thibaudeau. (72) Moniteur, XXII, 473. Débats, n° 779, 721-722; C.Eg., n° 814. (73) P.-V., XLIX, 108. (74) Débats, n° 779, 722. (75) Débats, n° 779, 722, dit de cet épisode « je vous dirai qu’un représentant a été frappé au milieu des chevaux de nos collègues, et l’assassin a été remis en liberté ». 74 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE que ceux qui comme moi, n’ont rien à se reprocher, périssent aujourd’hui ou sauvent la patrie. ( Applaudissements .) Il faut que le peuple sache apprécier ces libelles infernaux, protégés par l’apathie de ceux qui ont la force publique en main. Il faut que tout le monde soit à sa place. S’il y a des conspirateurs parmi les Jacobins, la liste est au département; que le gouvernement les saisisse, mais qu’il ne nous laisse pas assassiner. Si au moins hier, lorsque nous étions entourés de blessés, de femmes, d’enfants assommés par les contre-révolutionnaires ; si, lorsque nous avions arrêté les assassins que nous avions pris en flagrant délit, les poches pleines de pierres, après avoir brisé nos portes et pris nos serrures, car ils ne perdaient pas la tête ; alors, si nous avions reçu du gouvernement un coup d’oeil, je ne dis pas de protection, mais de compassion, nous aurions été contents. Si les membres des comités du gouvernement étaient venus nous visiter au milieu de ce bombardement, ils auraient vu des patriotes blessés, dont le coeur palpitait de joie à la nouvelle de la prise de Maëstricht et au cri de Vive la Convention ! [et la liberté] (76), ils auraient vu les assassins que nous avions arrêtés dans nos sorties ; car nous faisions là des sorties comme dans une ville de guerre; ils auraient vu ces assassins protégés par les patriotes et couverts du bonnet de la liberté. Et voilà les hommes qu’une faction vendue à l’aristocratie, qu’un Tallien, un Fréron, Tallien surtout, que je dénoncerai lorsqu’on aura lu les lettres, voudraient faire passer pour des contre-révolutionnaires! [Bruit et applaudissements .] (77) Les troupes étaient à la gauche de notre salle, et les assassins à la droite. C’est aux représentants qu’ils en voulaient, [à Amar] (78) ; en venant du Palais-Royal, ils le disaient hautement, et moi-même [j’ai été saisi au collet] (79), j’en ai saisi un; je les remis entre les mains de la force armée, et on lui a rendu la liberté un instant après. [Il se fait du bruit.} (80) [Nous aurons du courage, s’il en faut, dit un membre] (81) BOURDON (de l’Oise) : J’y étais, et je dirai aussi les faits. ( Murmures de quelques tribunes; l’indignation de la Convention les apaise bientôt.) DUHEM : Dis donc, dis donc! Reubell s’élance à la tribune. CLAUZEL : Je demande que le président du comité de Sûreté générale rende compte de ce qui s’est passé cette nuit dans la séance des quatre comités de Salut public, de Sûreté générale, de Législation et Militaire réunis. (76) Débats, n° 779, 722. (77) Débats, n° 779, 722. (78) Débats, n° 779, 722. (79) Débats, n° 779, 722. (80) Débats, n° 779, 722. (81) Débats, n° 779, 723. DU ROY : Je demande la parole au nom de la Convention. CLAUZEL : À peine le comité de Sûreté générale... {Bruit.) Je veux vous rendre compte de ce qui s’est passé ; je dois avoir la parole. DU ROY : Je la demande contre le comité de Sûreté générale. CLAUZEL : [au nom du comité de Sûreté générale]. Nous étions hier au comité de Sûreté générale, mes collègues Bourdon, Reverchon et moi, lorsque, sur les huit heures, on vint nous annoncer qu’il y avait un rassemblement aux Jacobins : sur le champ nous convoquâmes les comités Müi-taire, de Salut pubbc et de Législation. Nous nous réunîmes et nous ordonnâmes à une force armée d’aller engager le peuple, au nom de la loi... Quelques voix : Ce n’est pas le peuple... [le peuple n’assassine pas, c’étaient des aristocrates] (82) D’autres : Si, si! DUHEM : C’est le peuple du Palais-Royal. [Le peuple n’est pas composé d’assassins, dit encore une autre voix.] (83) BENTABOLE : Président, fais respecter la Convention. AMAR prend le fauteuil. CLAUZEL : Pour engager, au nom de la loi, ces individus à se retirer. On a dit que les comités de gouvernement ne s’étaient point occupés de ce rassemblement, et à peine furent-ils réunis qu’ils arrêtèrent que trois membres (84) de chacun des comités Militaire, de Salut public et de Sûreté générale, monteraient à cheval pour porter des secours aux assiégés. DUHEM : Oui, après deux heures de bombardement. [{Bruit)] (85) CLAUZEL : Comme les quatre comités sont encore réunis, je demande qu’ils viennent ici pour être présents au compte que rendra le président du comité de Sûreté générale (86). {Applaudissements. ) La proposition de Clauzel est adoptée. Un membre [CLAUZEL] propose de faire avertir les membres des divers comités de se rendre à la Convention pour être pré-sens au rapport qui doit être fait sur ce qui s’étoit passé la veille aux Jacobins. Décrété (87). (82) Rép., n° 53. (83) Débats, n° 779, 723. (84) Débats, n° 779, 723, signale deux membres du comité Militaire et deux du comité de Sûreté générale. Rép., n° 53, indique que « des représentants, pris dans le sein des comités réunis, montèrent à cheval sans aucun délai, et se portèrent au lieu où était le tumulte ». (85) Débats, n° 779, 723. (86) Débats, n° 779, 723, indique que c’est le citoyen « Reubell qui présidoit hier les trois comités » ; C. Eg., n° 814. (87) P.-V., XLIX, 108-109. Rapporteur Goupilleau (de Fontenay) selon C* II, 21.