40 [Étals généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mai 1789.] de l’Assemblée nationale constituée, mais d’une collection de citoyens patriotes, envoyés et non arbitres , ne seront point chargés de concerter des plans de conciliation nuisibles au vœu exprès et rigoureux de nos mandats ; mais, l’olivier à la main et la patrie devant les yeux, ils porteront des paroles de paix, ils emploieront les grandes considérations d’intérêt public et tous les moyens que le patriotisme leur suggérera pour engager les ordres privilégiés à se "soumettre à l’opinion publique qui a déjà prononcé ; ils sèmeront , pour me servir de l’expression heureuse d’un membre de cette Assemblée, la lumière parmi les ténèbres; et nous obtiendrons peut-être l’avantage inappréciable de voir les deux premiers ordres volontairement incorporés à l’Assemblée nationale, concourir à l’établissement d’une constitution qui ne sera telle qu’il nous convient de l’avoir que dès qu’elle sera l’ouvrage de tous les codéputés aux Etats généraux. Ces conférences, nous dit-on, ne produiront rien, et on nous cite le colloque de Poissy et une multitude d’autres conférences rendues inutiles par l’esprit de parti ; mais si l’on jugeait du temps présent par les temps passés, quel triste augure pour les Etats généraux de 1789 ! Elles ne produiront rien, je le veux ; mais n’est-ce pas un succès que de convaincre nos commettants que nous avons délibéré avant d’agir ; que la réflexion, l’esprit de sagesse et de maturité ont présidé aux résolutions vigoureuses et définitives que nous serons dans le cas de prendre après avoir épuisé tous les moyens possibles de conciliation? Eh ! que risque-t-on d’adopter ce parti ? On perd du temps. Oui ; mais il faut savoir en perdre ; il faut savoir aussi que l’on gagne tout celui qui est donné à la prudence. On perd du temps... Mais s’agit-il donc d’une occasion tellement décisive qu’il ne nous soit plus possible de la retrouver et qu’il ne nous reste que le regret de ne l’avoir pas saisie ? Dans huit jours, comme aujourd’hui, nous serons à même de donner à la motion de M. Chapelier toute l’attention qu’elle mérite ; dans huit jours, et j’en atteste l’accueil qu’elle a reçu, nous nous trouverons ici avec les mêmes principes, la même fermeté, le même patriotisme; dans huit jours, corroborés par les députations de la capitale, nous ne nous exposerons pas aux reproches d’avoir pris une délibération infiniment importante sans le concours d’une portion aussi considérable que précieuse de nos collègues. Tant d’avantages attachés à la lenteur de notre marche seraient-ils balancés par Ja considération que l’on se propose de faire, que nos démarches pourraient être présentées par les corps privilégiés comme une adhésion à leurs principes, ou comme une espèce de reconnnaissance que l’Assemblée nationale s’est constituée en Chambre du tiers ? Je respecte l’excès de délicatesse qui a inspiré cette crainte ; j’en aime la cause, et je me garderais bien d’attaquer la conséquence si je ne pouvais le faire sans porter atteinte au principe. De tels soupçons, pour être fondés, devraient avoir un but d’utilité pour les ordres privilégiés; et ce but, que j’ai peine à apercevoir en politique, devrait être quelque chose de vraisemblable ou de possible. Or, en admettant la supposition et en portant les choses à l’extrême, que résulterait-il de ce que les ordres privilégiés nous regarderaient comme constitués et s’efforceraient de nous faire regarder comme tels? Que nous serions constitués ? non vraiment. Qu’en résulterait-il donc encore? que ce bruit répandu nous priverait de la confiance de nos commettants et du secours de l’opinion publique? Cela est plus à craindre que possible. Il faudrait d’autres preuves que des propos pour persuader au public, qui a les yeux ouverts sur nous, qui sait et juge les motifs de nos démarches, que l’élite de la nation, qui a les mains liées sur la délibération en commun et la votation par tête, qui ne peut s’en écarter sans perdre ses pouvoirs, a, dès le premier pas, compromis ses intérêts et trahi sa confiance. Respectons assez nos collègues privilégiés, respectons assez le public, respectons-nous assez nous-mêmes pour écarter ces vaines terreurs. Le public attend de nous de la fermeté ; il en a le droit, et il ne sera pas trompé. Mais c’est à la prudence de diriger et d’éclairer cette fermeté. Elle peut et doit s’allier avec les égards dus aux premiers citoyens de l’Etat, même lorsqu’ils se trompent, et avec les démarches conciliatoires propres à les ramener au but dont ils s'écartent. Et quelles sont donc celles que nous avons faites? Les avons-nous multipliées à raison de notre intérêt, du désir et du besoin qu’a la patrie de leur concours pour une bonne constitution ? Un seul envoi officiel de quelques membres a eu lieu dans le principe... Est-ce là avoir épuisé les procédés, les invitations, les instances? Sont-ce là tous les efforts préliminaires à un schisme si terrible dans ses conséquences, et à un manifeste authentique de séparation?... La voie des conférences proposées peut devenir inutile, mais elle ne saurait, sous aucun rapport, être nuisible. Cette motion est écoutée avec le plus grand intérêt. Elle détermine un grand nombre de membres à voter d’après le plan de M. Rabaud. M. lïelamline, député du Forez , fait une motion semblable à celle de M. Rabaud. M. de Volney désire que les auteurs des deux motions confèrent ensemble, en associant à leurs conférences quelques membres de l’Assemblée à leur choix, à l’effet de chercher à fondre les deux motions en une seule, dont le but serait: 1° de renouveler une invitation aux deux premiers ordres de se rendre dans la salle commune pour compléter l’Assemblée des Etats généraux; 2° de conférer avec les autres commissaires sur les moyens de les engager à revenir; 3° de proposer le parti à prendre en cas de refus constant et invincible. La suite des délibérations est remise à la séance suivante. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du samedi 16 mai 1789 (1). CLERGÉ. y/ Plusieurs curés lisent et déposent sur le bureau une déclaration signée d’eux, contenant qu’ils ne se croient pas liés par la résolution relative à la rédaction des cahiers prise par des individus qui ne représentaient point les Etats généraux ; que leurs pouvoirs les chargeaient de remettre les cahiers dont ils sont porteurs aux Etats généraux ; (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1789.] 41 [États généraux.] qu’ils s’y étaient obligés par la religion du serment; et qu’ils s’y conformeraient. Cette conduite excite du murmure; elle est ouvertement désapprouvée par un évêque et publiquement applaudie par un autre et beaucoup de pasteurs. Plusieurs évêques ne peuvent obtenir, par leurs sollicitations, que la déclaration soit retirée ; et comme on allait procéder à la rédaction des cahiers; les opposants sortent de l’Assemblée. NOBLESSE Le jugement des pouvoirs contestés continue d’occuper la Chambre. En Artois, la noblesse qui entre aux Etats a protesté contre l’élection faite dans les bailliages par toute la noblesse de la province. On ne s’arrête pas à ces protestations, sur le motif que la noblesse qui entrait aux Etats devrait exécuter le règlement, comme tout le reste du royaume l'a exécuté. La noblesse de Metz a cru devoir députer directement, quoique le règlement lui enjoignît de ne nommer que des électeurs qui, réunis avec ceux du bailliage, doivent nommer les députés. D’après cette irrégularité, l’élection de la ville de Metz est déclarée nulle. La séance est levée. communes. On continue le tour d’opinion sur les deux moyens proposés de rappeler les deux autres ordres. M. Malouel propose une sorte d’amendement par une déclaration laissée sur le bureau, et dont voici les termes : « Les députés des communes, apprenant par les arrêtés de MM. de la noblesse qu’ils se sont constitués en ordre, et qu’ils ont nommé cependant des commissaires conciliateurs ; présumant que l’intention de MM. de la noblesse est de consentir à une vérification commune des pouvoirs respectifs, ou que leurs commissaires conciliateurs ont une autre mission inconnue aux députés des communes ; dans tous les cas, l’Assemblée non constituée desdits députés, ne pouvant arrêter qu’en conférence un vœu commun, a résolu de le manifester et d’en rendre compte au Roi et à la nation, ainsi qu’il suit : « Nous, députés des communes, profondément pénétrés des obligations que nous avons contractées envers la nation, et désirant avec ardeur les remplir religieusement, déclarons que notre mission est de concourir de toutes nos forces à asseoir sur des fondements inébranlables la constitution et la puissance de l’empire français, de telle sorte que les droits de la nation et ceux du trône, l’autorité stable du gouvernement, la propriété légale et la liberté de chaque individu soient assurés de toute la protection des lois et de J a force publique. « Pour parvenir à cette fin, nous devons et désirons vivement nous réunir à nos co-députés, MM. du clergé et delà noblesse, et soumettre aux Etats généraux la vérification de nos pouvoirs respectifs. Assemblés chaque jour depuis (e 5 mai, nous avons invité avec instance, et nous réitérons nos invitations à MM. du clergé et de la noblesse, de procéder à cette vérification ; nous espérons de leur patriotisme, et do toutes les obligations qui leur sont communes avec nous, qu’ils ne différeront pas plus longtempsde mettre en activité l’Assemblée nationale ; nous demandons en conséquence et nous acceptons toute conférence qui aurait pour but cet objet ; nous sommes d’autant plus impatients d’en accélérer le moment, qu’indépendamment des travaux importants qui doivent nous occuper, nous sommes affligés de n’avoir pu rendre encore au Roi, par une députation des Etats généraux, les remercî-ments respectueux, les vœux et les hommages de la nation. Nous déclarons formellement être dans l’intention de respecter et n’avoir aucun droit d’attaquer les propriétés et prérogatives légitimes du clergé et de la noblesse ; nous sommes également convaincus que les distinctions d’ordre ne mettront aucu’be entrave à l’union et à l’activité nécessaires des Etats généraux. « Nous ne croyons pas permis d’avoir aucune disposition irritante, aucun principe exclusif d’une parfaite conciliation entre les différents membres des Etats, et notre intention est d’adopter tous les moyens qui nous conduiront sûrement à une constitution qui rendrait à la nation l’exercice de ses droits, l’assurance d’une liberté légale et de la paix publique ; car tel est notre devoir et notre serment. « Signé Malouet. » Un membre observe que si l’on délibérait sur celte déclaration elle interromprait le recueillement des opinions sur les partis proposés par M. de Saint-Etienne et M. Chapelier ; elle est en conséquence renvoyée, et on continue à prendre les voix. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du lundi 18 mai 1789. CLERGÉ. L’examen et le dépouillement des cahiers occupent la séance. noblesse. MM. de Sabran, de Masenod et de Sade, députés des seigneurs de fiefs de Provence, se présentent à l’Assemblée ; ils forment opposition à l’admission des députés de la noblesse de Provence. Ils demandent eux-mêmes à être admis, et déposent sur le bureau un mémoire imprimé contenant leurs motifs et leurs conclusions. COMMUNES. La question débattue dans les trois séances précédentes est remise à la discussion. On discute la motion de M. Rabaud de Saint-Etienne. M. de Mirabeau l’aîné. Messieurs, les sentiments très-estimables, les principes en général très-purs qui caractérisent les deux motions dont nous sommes occupés, n’ont pas suffi pour me ranger entièrement aux propositions de MM. Rabaud de Saint-Etienne et Chapelier. Je désirerais qu’un avis mitoyen tempérât ou plutôt réunît ces deux opinions.