[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 juillet 1789.] 249 ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE DUC DE LIANCOURT. Séance du lundi 20 juillet 1789 (1). La séance est ouverte par la lecture de différentes adresses des villes de Valence, Langres, Mayenne, Laon, Pontarlier, Crémieu, Auray, de la noblesse et des communes de Thimerais, de Saint-Thelo, près Ploërmel, et de plusieurs autres communes. Toutes ces adresses se ressemblent par l’adhésion entière qu’elles expriment aux arrêtés de l’Assemblée nationale. De toutes parts on s’empresse d’envoyer à l’Assemblée des témoignages de la reconnaissance publique pour sa conduite sage et courageuse. M. l’archevêque de Vienne, en présentant M. le duc de Liancourt, dit : Messieurs, vos suffrages ont élevé M. le duc de Liancourt à la dignité de votre président. Je lui remets la place que vous avez daigné me confier. C’est ma dernière fonction. Elle est bien propre à faire oublier ou à réparer celles que j’ai exercées jusqu’à présent. M. le duc de Liancourt, s’étant approché du bureau, prend la parole : Messieurs, en m’honorant de la faveur insigne dont j’ose ici vous faire mes respectueux remerciements, vous n’avez pas consulté mes forces ; vous n’avez écouté que vos bontés et votre indulgence. Présider l’Assemblée la plus auguste du monde entier, la présider dans des circonstances aussi grandes, succéder aux dignes prédécesseurs qui, à tant de litres, ont mérité vos éloges et l’universelle approbation, est sans doute une tache difficile que je ne puis me flatter de remplir dignement. Mais, Messieurs, considérez et n’oubliez jamais que je suis votre ouvrage : au défaut des qualités qui peuvent me manquer pour remplir comme vous avez droit de l’exiger l’honorable place que vous m’accordez, j’ose au moins vous assurer que personne ne porte plus sincèrement que moi au fond du cœur le profond respect pour les décrets de l’Assemblée nationale, le dévouement sans bornes pour le bien de notre commune patrie, une disposition plus entière à tous les sacrifices qui pourraient l’assurer, un attachement plus fidèle pour le Roi, et plus d’horreur pour les mauvais citoyens. Ce sont, Messieurs, les sentiments qui vous animent tous, ils sont Pâme de vos délibérations; et je sens qu’ils sont fortifiés en moi depuis que j’ai le bonheur d’être admis dans cette auguste assemblée que je supplie de regarder avec indulgence celui qu’elle a daigné élever par son choix. ( Vifs applaudissements .) M. Pétion de Villeneuve. La manière noble et courageuse avec laquelle M. l’archevêque de Vienne a rempli scs fonctions dans des circonstances si critiques mérite que l’Assemblée lui vote des remercîments. Cette proposition est vivement applaudie, et adoptée unanimement. M. le duc de Liancourt, nouveau président , fait part à l’Assemblée d’une lettre qui lui est (1) Cette séance est incomplète au 'Moniteur. parvenue de la part de M. Dufresne de Saint-Léon, chargé d’aller porter à M. Neeker les lettres du roi et de l’Assemblée nationale. Elle est datée de Bruxelles, du 18 juillet. Voici ce que M. Dufresne annonce : « M. le président, je suis arrivé à Bruxelles avec la dépêche que l’Assemblée nationale m’a chargé de remettre à M. Neeker, aujourd’hui à midi. 11 en était parti dès mercredi dernier. Mme Neeker, qu’une indisposition avait arrêtée, en est aussi partie hier. Je vais me remettre en route pour remplir l’objet de ma mission, en dirigeant ma route sur Francfort, d’après les renseignements qu’on m’a donnés. J'ai cru devoir vous faire pari de ce contre-temps par un courrier. » M. le Président ajoute que, pour calmer les inquiétudes de la capitale, il a cru devoir faire passer cette nouvelle au comité permanent de Paris. M. Camus, qui était au nombre des députés envoyés à Saint-Germain, fait le récit de leur mission. Nous nous sommes transportés , dit-il , à Saint-Germain; la foule n’y était plus; Tho-massin venait d’être conduit à Poissy. Nous nous sommes transportés à Poissy ; nous avons prié l’assemblée municipale du premier lieu de se tenir prête sur les deux heures, pour que nous pussions conférer avec elle. Dans les premières rues de Poissy, nous avons trouvé le calme ; la foule s’était portée vers la prison; tout le monde était armé. D’abord nous avons fait entendre des paroles de paix, et l’on ne nous a répondu que par des cris effrayants. De tous côtés on entendait : Il faut le pendre, il faut lui couper la tête. Nous avons demandé les officiers municipaux ; l’un était eu fuite, l’autre absent ; aucun n’était dans la ville. Nous nous sommes adressés à un officier invalide qui nous a appris que jeudi il avait été forcé de monter à cheval, de se mettre à la té te de la multitude pour enlever Thomassin ; que c’était un honnête homme, le père de sept enfants, payant 7,U00 livres de tailles, et qu’il nourrissait plus de quarante personnes; qu’ils ont amené Thomassin, les pieds et les mains liés, à Poissy, vendredi soir. M. l’évèque de Chartres a monlé sur une chaise, a cherché à haranguer la multitude, lui a représenté qu’il convenait et même qu’il était de l’intérêt commun de mettre Thomassin dans les mains delà justice, pour l’interroger et connaître ses complices. Ces réflexions ont paru toucher le peuple. M. l’évêque de Chartres a eu une conférence avec Thomassin pour s’instruire de la vérité des faits. Pendant cet intervalle tout a changé; le peuple s’est ranimé, a repris ses premiers sentiments de fureur; on s’écrie qu’il faut le pendre à l’instant. M. l’évêque de Chartres recommence à parler au milieu du peuple, le supplie d’accorder deux jours de délai ; enfin il demande, pour diviser la foule, que quelques-uns d’entre eux veuillent bien reconduire les députés. Tout est refusé opiniâtrement, et déjà on prépare le supplice de Thomassin. L’on nous en instruit; le malheureux est tiré de la prison; c’est alors que M. l’évêque de Chartres, à notre tête, se précipite aux genoux de tous ces furieux, que nous leur demandons grâce. 250 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 juillet 1789.] Thomassin est à genoux d’un côté, les députés y sont de l’autre-, c’est dans cette attitude suppliante que nous demandons inutilement la vie de la malheureuse victime. On le conduit au pied d’un mur où sont fichés des anneaux pour attacher des bêtes de somme. Thoraassin y est attaché; dans cet intervalle on va chercher la potence et le confesseur. C’est là l’heureux événement qui l’a sauvé. Les habitants de Poissy écoulent les cris de leur conscience, ils s’intimident, le remords les saisit, ils ne veulent pas que le crime souille leur ville; les habitants de Saint-Germain et de Poissy se divisent; Thomassin se réfugie dans la prison. La discorde augmente, et Ton consent que Thomassin parte avec nous, mais en nousisommant de le remettre dans les mains de la justice, en nous menaçant de nous pendre nous-mêmes s’il n’était pas exécuté. Une pareille menace ne nous épouvante pas; Thomassin monte dans la voiture de M. de Chartres, et c’est à ce prélat qu’il doit la vie; c’est à son éloquence persuasive que nous devons la victoire que nous avons remportée sur des furieux. A peine sommes-nous en marche, que l’on nous épouvante, que l’on nous fait craindre que le peuple ne tire sur la voiture de M. l’évêque de Chartres. Plusieurs habitants de Poissy nous accompagnent et nous font prendre par des chemins détournés, pour éviter Saint-Germain. Après une marche très-lente, très-pénible, et surtout après bien des alarmes, et non pas sans des rencontres de quelques femmes qui voulaient nous accabler de pierres, nous sommes enfin arrivés à Versailles. Nous avons été déposer Thomassin à la prison; le juge a été appelé, et nous y avons fait notre déclaration. A peine avions-nous terminé cette opération, que quelques furieux sans armes sont venus nous trouver pour nous rappeler notre parole et nous sommer de la tenir. Nous leur avons fait donner un extrait de notre déclaration, en les assurant que la justice allait en décider. M. Camus dépose un extrait des minutes du greffe de la prévôté de l’hôtel du Roi, et grande prévôté de France, au siège de Versailles. Cette pièce est ainsi conçue : « L’anmil sept cent quatre-vingt-neuf, le samedi dix-huit juillet, six heures et demie du soir, sont comparus en la Chambre du Conseil de la prévôté de l’hôtel, sise à Versailles, enclos de la geôle, et par-devant nous Claude-Joseph Clos, chevalier, conseiller d’Etat, lieutenant général civil, criminel et de police de ladite prévôté de l’hôtel assisté de notre greffier en chef, III. et Rév. seigneur, Mgr Jean-Baptiste-Joseph de Lubersac, évêque de Chartres ; messire Jean-Baptiste Massieu, curé de Sergy, près Pontoise ; messire Louis-Charles de Latouche, capitaine des vaisseaux du Roi, et chancelier de S. À. S. Mgr le duc d’Orléans; messire Edme de Rancourt de Villiers, écuyer; messire François Peteau de Maulette, chevalier de Saint-Louis ; Me Armand-Gaston Camus, ancien avocat au Parlement, et de l’Académie des inscriptions et belles-lettres; Me Marin-Gabriel-Louis -François Périer, avocat en Parlement, ancien notaire au Châtelet de Paris, et Me Augustin Ulry( avocat du Roi au bailliage royal de Bar-fe-Duc, tous députés à l’Assemblée nationale, lesquels nous ont fait la déclaration suivante : ;que ce matin, à l’ouverture de la séance, il a été exposé par M. Périer qu’il y avait émeute à Saint-Germain-en-Laye , contre plusieurs fermiers accusés d’avoir accaparé et emmagasiné des grains ; que dans le cours de cette émeute, le sieur Sauvage avait été massacré sur la place publique dudit Saint-Germain, et que, suivant les avis qu’il venait de recevoir, la vie du sieur Thomassin, fermier à Puiseux, près Pontoise, était actuellement dans le danger le .plus imminent; sur quoi lesdits sieurs comparants, et avec eux MM. Ghoppier, curé de Flins; Schrnits, avocat à Château-Salins ; Hell, avocat, procureur-syndic de l’Assemblée provinciale d’Alsace, et Millon de Montherlant, avocat à Beauvais, pareillement membres de l’Assemblée nationale, ont demandé à ladite Assemblée qu’elle les autorisât à se transporter à Saint-Germain, pour apaiser, s’il était possible, le trouble qui paraissait y exister, et sauver la vie au sieur Thomassin, en le remettant entre les mains de la justice; qu’étant arrivés à Saint-Germain sur les onze heures et demie, ils ont appris que ledit sieur Thomassin était actuellement à Poissy, où ils se sont transportés; qu’y étant arrivés sur le midi, ils ont été à la prison, où on leur avait dit que le sieur Thomassin était renfermé, et à la porte de laquelle ils ont trouvé un grand nombre d’hommes, dont la plupart étaient armés, et de femmes, lesquels hommes et femmes on leur a dit être partis de Poissy, de Saint-Germain, et des environs, qui demandaient que ledit sieur Thomassin leur fût livré, pour être à l’instant pendu; qu’ils sont entrés dans la geôle, ont trouvé dans l’escalier plusieurs personnes armées; que s’étant assemblés dans la salle d’audience, après avoir délibéré sur ce qui était à faire, ils se sont rendus dans la rue à la porte de la prison, où M. l’évêque de Chartres a fait au peuple les discours les plus pathétiques, pour le calmer et apaiser sa fureur, en demandant que le sieur Thomassin fût remis entre les mains de la justice, pour lui faire son procès; et se flattant de l’avoir calmé, ils se sont retirés dans la salle d’audience, où ledit sieur Thomassin a été conduit, et M. l’évêque de Chartres, M. de Villiers et M. Périer se sont retirés avec lui en la Chambre du conseil; après quoi les sieurs comparants et leurs collègues sont descendus une seconde fois dans la rue, les clameurs ayant repris avec plus de fureur que précédemment; cependant M. l’évêque de Chartres ayant parlé de nouveau au peuple, et plusieurs des comparants s’étant répandus dans la foule, ils se flattaient d’avoir obtenu un sursis de deux jours ; qu’en conséquence, ils se retiraient vers la porte de la ville, lorsqu’on vint leur annoncer que le sieur Thomassin venait d’être arraché de sa prison, et qu’on le traînait dans la place publique pour y être pendu ; les comparants et leurs collègues s’ôtant aussitôt jetés dans la foule, ont vu le sieur Thomassin qui avait les mains liées, et que l’on traînait à la mort ; qu’ils se sont précipités à genoux aux pieds du peuple, pour demander qu’il fût livré à la justice, et qu’au moins on lui accordât un délai de vingt-quatre heures; maisils ont été refusés, avec menaces d’attenter à leur propre vie. Le sieur Thomassin a été conduit au pied d’un mur, et l’on s’apprêtait à le pendre : le peuple, à cet effet, avait mandé le curé de la ville, pour le confesser. Ledit sieur Thomassin, les comparants, et leurs collègues, avaient été forcés par le peuple de se retirer , il ne leur était resté d’autres ressources que de conjurer les