298 ]A*iemblé« nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]18 juin 1190.] toyens vous ont honorés, et qu’il vous est d’autant plus nécessaire de la justifier dans ces circonstances, que le conciliabule de l’hôtel de Mas-siac et ses adhérents, font tous leurs efforts pour vous noircir auprès de la colonie. Nous avons l’honneur d’être avec les sentiments de l’attachement le plus cordial et de la fraternité la plus intime, Messieurs et chers compatriotes, vos très humbles, etc. Les membres de l'assemblée provinciale de Saint-Domingue ; Signé : LaRCHEVÊQUE-ThibaüD, président. p.-S. — Nous vous avons adressé le primata de cette lettre par le navire YAstrée, du Havre, capitaine Poupel, sous le couvert du président de l’Assemblée nationale. Ce navire a mis à la voile le 30 janvier. Ce 1er février 1790, ne varietur. Signé : le comte de Gouy, fondé des pouvoirs de la députation. Collationné et certifié la présente copie conforme à l’original déposé au secrétariat du comité des rapports. Délivré par nous, député, secrétaire dudit comité, cejourd’hui. Signé : ânthoine. 3e ANNEXE. MÉMOIRE ENVOYÉ LE 18 JUIN 1790, au Comité des rapports de l’Assemblée nationale , par M. de La Luzerne, ministre et secrétaire d’Étal, ayant le département de la Marine (1). « Paris, le 18 juin 1790. « Monsieur le Président, « J’ai l’honneur de vous envoyer un exemplaire de ma réponse à la dénonciation faite contre moi. Lorsque j’ai commencé à m’occuper de ce travaille ne projetais point de le faire im-rimer; mais les chefs d’accusation sont si nom-reux, l’affaire est si compliquée, et le rapport en sera nécessairement si long, que l’attention la plus suivie ne pourrait suffire à ceux qui n’auraient point une connaissance préalable des bases de ce rapport. J’ai cru, Monsieur, que j’avais le droit, et qu’il était même de mon devoir d’éclairer la justice de chacun de Messieurs les députés, puisque c’est par eux tous que je dois être jugé-« J’ai l’honneur d’être « avec un sincère attachement, « Monsieur , « votre très humble et très obéissant serviteur, « La Luzerne. » AVANT-PROPOS. Dénoncé aux représentants de la nation, j’ai cru devoir présenter à chacun d’eux ma défense appuyée de pièces justificatives. Ces pièces sont peu nombreuses, mais elles suffisent. Je me suis volontairement abstenu de produire beaucoup de témoignages que j’aurais pu invoquer. Des actes authentiques, des pièces qui ont été imprimées et publiées, soit en France, soit dans (1) Le Moniteur ne donne que des �extraits de ce ocument. la colonie, à une époque où l’on ne présumait pas qu’elles serviraient à ma défense, m’ont paru mériter un tout autre degré de foi que des lettres de particuliers, écrites d’une autre partie du monde ; lettres qu’on m’aurait peut-être reproché d’avoir sollicitées, et que, dans l’amertume de la critique, on aurait pu même suspecter d’antidate ou de contrefaçon. Un temps fort long se serait écoulé avant que j’eusse pu dissiper de tels soupçons ; il n’est pas aisé de constater la vérité à une aussi grande distance ; et, dans une affaire de la nature de celle-ci, on ne peut être trop en garde contre les pièces qu’on produit soi-même. Celles sur lesquelles j’appuie principalement ma justification, sont les édits, les ordonnances, les règlements et les arrêts ; j’en cite un très grand nombre, je ne les ai point fait réimprimer, ils sont connus ; ils ne peuvent être altérés, ils ont une date certaine ; on les trouve dans le recueil des lois de Saint-Domingue, publié par M. Moreau de Saint-Merry, en six volumes in-4°. Le papiers publics de la colonie constatent aussi la fausseté de plusieurs imputations qui m’ont été faites. J’ai indiqué, dans une note, que ces journaux sont exactement envoyés à la bibliothèque du roi, où l’on peut les consulter. Je n’avais point eu d’abord le projet de faire imprimer et d’insérer dans mon mémoire les quinze pièces qui m’ont été communiquées, et qui contiennent les chefs de dénonciation. Quel qu’en soit le syle, comme je désire surtout faire discerner là vérité et en faciliter le plus scrupuleux examen, mon vœu personnel eût été de présenter les dénonciations avec ma défense : je regrettais que chaque membre de l’Assemblée nationale ne pût pas avoir en même temps sous les yeux le reproche et la réponse ; mais des motifs de délicatesse me retenaient, je voulais ne blesser celle de qui ce soit. Ma discrétion serait aujourd’hui superflue, les dénonciations vont être publiques, puisque M. de Gouy d’Arcy a annoncé dans le supplément au Journal de Paris, du 14 juin 1790 n° 39, qu’elles étaient sous presse. Je joins donc au mémoire qui les réfute, les quinze pièces produites par les dénonciateurs, telles qu’elles m’ont été délivrées le 1er mai, après avoir été collationnées et signées par celui de MM. les députés qui est secrétaire du comité des rapports. � Cette addition retardera de quelques jours l’envoi du mémoire; le 18 de ce mois, lorsque je l’ai signé et envoyé en manuscrit au comité des rapports, il était déjà presque entièrement imprimé. Il en a résulté qu’on n’a pu se conformer à un décret postérieur de l’Assemblée nationale, et les noms propres se trouveront précédés des titres qu’il était d’usage d’y annexer. MÉMOIRE. Des députés de Saint-Domingue ont cru pouvoir me dénoncer sous le double rapport d’ancien gouverneur de cette île, et de ministre de la marine. J’avais, sans doute, le droit d’exiger, avant de répondre à la communication de leurs preuves (a), d’examiner si la loi de la responsabilité nouvellement portée, peut avoir un effet (a) Les députés de Saint-Domingue, qui ont signé la dénonciation, n’opt produit aucune pièces à l’appui. Je dois croire qu’il n’en existe point au dépôt du comité des rapports. 299 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] rétroactif à mon égard, mais cette marche était trop lente pour moi. L’innocence ne doit pas rester soupçonnée , l’idée d’une dénonciation m’importune, je vais au devant du combat que l’on veut me livrer. Les exemples de ministres cités au tribunal de la nation, lors même qu’ils sont honorés de la confiance de leur roi, sont rares; mais l’homme juste qui a soumis toutes ses actions au tribunal de sa conscience, qui n’a rien ordonné qu’il ne crût devoir l’être, qui ne s’est servi d’une autorité légitime que pour maintenir la tranquillité publique, qui a respecté l’humanité, qui en a défendu les droits sacrés jusque dans l’individu le plus obscur, est supérieur à tous les événements. Il répond à qui l’interroge, et sans rien révéler de ce que l’intérêt sacré de la nation lui ordonne de tenir secret, il trouve dans le résultat même de son administration, de quoi justifier les principes qui l’ont dirigée. Je sens combien serait délicate la position où je me trouve, sous un règne où l’on ne se serait assujetti à d’autres règles qu’à celles qu’auraient indiquées les circonstances, où une sombre politique aurait jeté un voile mystérieux sur les moyens qu’on aurait employés, où Je grand mot d’intérêt de l’Etat aurait tout permis et étouffé les réclamations les mieux fondées; mais que peut avoir à redouter le ministre d’un roi juste par caractère, confiant par principes, qui n’a jamais voulu régner que par la loi et qui rejette tout ce qu’elle im prouve? Le développement de l’administration du ministre est nécessairement alors l’éloge du monarque qu’il sert, tout ce qu’il a fait de bien appartient à celui dont il a exécuté les ordres, et la publicité qu’il donne à sa justification, ajoute encore à la haute opinion que la nation entière s’était formée de la sagesse du prince qui la gouverne, Pénétré de ces vérités, j’y trouve, je l’avoue, un grand adoucissement à la peine que m’a causée d’abord une dénonciation exprimée dans les termes les plus offensants, publiée avec affectation, répandue dans toute la France avec profusion, envoyée dans les deux Indes avant qu’on m’en eût donné une connaissance légale. La calomnie a cet avantage qu’elle s’empare des esprits, qu’elle a, pour s’y établir, tout le temps que l’innocence emploie à rassembler ses preuves. Mais quelque redoutable qu’en soient les effets, j’ai osé espérer que mes concitoyens ne me jugeraient pas sans m'entendre; je me suis flatté qu’ils ne croiraient pas, sur la foi d’un petit nombre de personnes, qu’un homme qui s’est toujours montré jaloux de l’estime publique, qui se l’est proposée comme le prix honorable de ses travaux, qu’on n’avait jamais accusé d’être l’apôtre du despotisme, fût devenu tout-à-coup l’oppresseur du faible, l’aveugle agent du pouvoir arbitraire et le fléau de la colonie dont le gouvernement lui était confié. J’ose croire encore qu’ils sentiront combien le combat est inégal entre ceux qui ont pu méditer leur dénonciation à loisir et un ministre qui se doit tout entier à la chose publique, qui n’a que peu d’instants dont il puisse disposer pour lui-meme et qui, depuis plus de deux ans, est éloigné de 1,800 lieues de la colonie où repose la majeure partie des actes utiles à sa défense. La dénonciation faite contre moi à l’Assemblée nationale et renvoyée par elle au comité des rapports , a treize chefs différents : treize personnes l’ont signée, mais, parmi elles, je sais distinguer mes vrais accusateurs. Il en est qui, après m’avoir lu, regretteront d’avoir trop facilement cédé à des impressions étrangères; je vais mettre l’Assemblée nationale et le public à portée de prendre une juste opinion des autres. Chacun de ces chefs portant sur un fait différent, exige une discussion particulière. Je les traiterai donc séparément, je me permettrai seulement de rassembler sous un même paragraphe ceux qui me paraîtront avoir une grande analogie entre eux. J’abrégerai par ce moyen ma défense et je tiendrai moins longtemps suspendue l’attention des amis de la vérité, qui prendront intérêt à ma justification. PREMIER CHEF DE DÉNONCIATION. Refus obstiné de lettres de convocation à la colonie de Saint-Domingue . SECOND CHEF. Obstacle mis dans la colonie à la nomination de ses députés aux États généraux . RÉPONSE. Jamais peut-être on n’agita dans un État européen de question plus grande par son objet, plus importante par ses effets, que celle de l’admission des représentants des colonies à l’Assemblée de la nation. Que d’intérêts à ménager, que de rapports à calculer, que d’inconvénients à prévoir 1 différences dans le climat, dans les productions, dans les individus même ; au premier aperçu, ne devait-on pas croire que la nature et la politique étaient d’accord pour écarter de l’Assemblée nationale les colonies à qui un régime particulier est absolument nécessaire ? D'un autre côté, peut-on oublier que le commerce des colonies équivaut presque au quart de notre commerce extérieur ? Quelle province possède autant de richesses qu’en renferme l’île de Saint-Domingue? Quelle influence ses productions n’ont-elles pas sur tous les marchés de l’Europe? Quelle ressource ne nous offrent-elles pas pour acquitter notre dette envers les nations voisines? Ceux qui habitent cette contrée sont nos frères. Il n’en est pas un seul qui n’ait conservé l’esprit de retour, que son cœur ne porte sans cesse vers la mère-patrie. S’ils désirent des richesses, c’est pour en jouir ud jour au milieu de leurs concitoyens. Ils envient au sol qu’ils cultivent, jusqu’aux moments que l’intérêt de leur fortune les oblige de lui donner. Telles furent les idées qui se présentèrent à mon esprit, quand je vis naître l’importante question de l’admissibilité des députés des colonies à l’Assemblée nationale. Je n’étais pas assez présomptueux pour entreprendre de la résoudre. Je me formai dès ce moment un plan de conduite, qui seul convenait à ma position ; j’écoutai tout, je rendis compte de tout au roi; je rapportai à son conseil ce qu’il m’ordonna de lui faire connaître. Cette observation doit précéder toute espèce de réponse de ma part. Les dénonciations ne pourraient m’atteindre, qu’autant qu’on prouverait que c’est moi personnellement qui ai refusé des lettres de convocation à la colonie, et mis des obstacles à la nomination de ses députés. Le récit de ce qui s'est passé, suffira à cet égard pour rendre ma justification complète. 300 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] Le 4 septembre 1788, neuf propriétaires d’habitations dans l’île de Saint-Domingue, qui résidaient ou se trouvaient alors en France, me remirent deux lettres; l’une était destinée pour le roi, l’autre m’était adressée; toutes deux portaient la date du 31 août 1788. Ges propriétaires s’étaient attribué dans celle qu’ils m’écrivaient, la qualité de commissaires de la colonie. Ils m’assuraient qu’un acte signé de quatre mille habitants, les autorisait à prendre ce titre; ils offraient de me communiquer cet acte. Je le refusai, désirant prendre à cet égard les ordres de Sa Majesté. Je remis le même jour les deux lettres au roi. Sa Majesté sentit l’importance de la question proposée; elle m’ordonna d’en faire le rapport au conseil d’Etat, d’y discuter : 1° s’il convenait de considérer les neuf propriétaires comme réellement commissaires et fondés des pouvoirs de la colonie entière; 2° si l’on devait autoriser Saint-Domingue à envoyer des députés à l’assemblée des Etats généraux. Elle approuva spécialement le refus que j’avais fait de recevoir l’acte qu’on avait offert de me communiquer avant de lui en avoir référé. Elle m’ordonna enfin de persister dans le plan de conduite que j’avais d’abord adopté. Les ordres du roi à cet égard étaient fondés sur des motifs de prudence et de sagesse qu’il est aisé de pénétrer. Un tel acte n’avait aucun caractère d’authencité ; rien ne garantissait la vérité des signatures dont il était revêtu; la vérification ne pouvait en être faite qu’à dix-huit cents lieues de la capitale. On n’avait reçu à cette époque aucun avis des administrateurs, qui indiquât la tenue d’assemblées particulières dont ces signatures et cet acte eussent été le résultat. La prudence exigeait donc qu’on se tînt au moins sur la réserve. En effet, il était dans l’ordre des choses possibles que cet acte ne fût pas le fruit d’une délibération régulière, et qu’on eût envoyé de Saint-Domingue des signatures mendiées. Dans le aoute, n’était-il pas du plus grand danger de donner une pleine confiance à cet écrit ? Pouvait-on y voir le vœu réel et réfléchi de la colonie sur les plus grands intérêts qu’elle eût jamais discutés ? Les propriétaires qui se présentaient comme fondés de procuration de leurs concitoyens n’ignoraient pas les formalités auxquelles étaient assujettis tous les actes de ce genre envoyés des colonies. Les particuliers et les corps, tels que les chambres d’agriculture, les conseils supérieurs, les assemblées coloniales, lorsqu'elles étaient formées, et même leurs comités intermédiaires, avaient droit d’adresser directement au roi leurs demandes et leurs représentations ; mais ils étaient obligés d’en donner aussitôt copie aux administrateurs de la colonie, qui en rendaient compte. Gette formalité n’était pas seulement utile, elle était nécessaire ; car, quoique les signatures des membres de ces corps pussent être conuues, il était possible aussi qu’on eût tenté de les contrefaire; et comment, à une si grande distance, se garantir des falsifications? comment déconcerter les projets fondés sur de faux avis, si l’on se dispensait de les soumettre à cette épreuve ? L’acte qu’on offrait de me communiquer ne pouvait la soutenir, quoique la règle qui l’y astreignait n’admît aucune espèce d’exception ; c’était un premier motif pour ne pas lui donner une entière croyance. D’ailleurs, une idée simple autant que juste se présentait à l’esprit de quiconque connaissait la population de Saint-Domingue. Gette île renferme plus de vingt-cinq mille citoyens majeurs et domiciliés. Gette assertion sera justifiée par le dénombrement qui précédera les assemblées primaires. Ainsi, en supposant certain tout ce qu’alléguaient les neuf propriétaires, en admettant que leurs pouvoirs fussent le résultat d’une délibération prise par quatre mille habitants, il était évident qu’une grande partie des citoyens, ou n’avaient pas été appelés, ou avaient été d’un avis contraire à celui des signataires. Il ne faut donc pas s’étonner qu’on ait pensé au conseil d’Etat, lorsque la question y fut discutée, que sur la foi d’une pièce aussi peu régulière, le roi ne devait pas regarder les neuf propriétaires comme fondés de la procuration de tous les habitants de Saint-Domingue. Les véritables intérêts de cette colonie y furent consultes ; on craignit avec raison de les compromettre, si l’on attribuait le droit de les soutenir ou d’en disposer, à neuf personnes qui ne prouvaient nullement que ce pouvoir leur eût été conféré par la colonie elle-même. C'est par ce motif de justice et de bienveillance pour la colonie que Sa Majesté se détermina à me défendre de correspondre par écrit avec les neuf colons, et me prescrivit de ne rien faire qui pût paraître une reconnaissance même indirecte de leurs prétentions. Quelque convaincu que je dusse être à cette époque de l’illégalité de leurs démarches, je n’en représentai pas moins le 11 septembre, dans mon rapport à Sa Majesté et à son conseil d’Etat, que la question était de la plus haute importance; je fis sentir qu’il convenait, pour le bien de nos possessions éloignées, de prévoir que Saint-Domingue ou toute autre colonie pouvaient la présenter sous une forme qui la rendrait digne de toute l’attention du gouvernement. Je croyais convenable de l’approfondir et de la décider, sinon definitivement, au moins d’une manière provisoire. L’Assemblée nationale s’est récemment déterminée à adopter, comme le ht alors le conseil du roi, le premier principe que j’y établis. Je soutins que la mère-patrie devait regarder toutes les colonies comme ses enfants : que si de tout temps elle avait désiré leur donner un régime aussi analogue à celui de la métropole, que la différence du climat, des productions et du commerce le permettait, assurément cette uniformité ne devait jamais être plus marquée que quand il s’agissait d’envoyer des représentants à l’Assemblée d’une nation dont elles étaient membres. Gomme il n’existait en France aucune loi, aucun exemple sur cette matière, la dernière convocation des Etats généraux étant fort antérieure à l’époque de la splendeur et de la prospérité de nos colonies, il me parut convenable de consulter les lois et les usages des peuples voisins. Je parcourus successivement les gouvernements monarchiques et ceux dans lesquels prévaut l’esprit républicain. Je trouvai que ni l’Espagne, ni te Portugal, ni l’Angleterre, ni la Hollande (ce sont les seules puissances européennes qui aient de vastes possessions dans les autres parties du monde) n’admettaient de députés des colonies aux Assemblées de la nation convoquées dans la mère-patrie. J’ajoutai que ce n’était pas néanmoins sur cet exemple universel et sur cette espèce de droit 301 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790-1 public de tous les peuples, que devait être fondée la décision du roi ; qu’il était de sa justice et de son amour pour ses sujets de ne se déterminer que par des considérations d’utilité générale et die convenance réciproque. Assurément les colons devaient être réputés les meilleurs juges de ce qui importait à leurs propres intérêts; c’était donc eux que, sur ce point, il était équitable de consulter. Jusqu’à cette époque, aucun habitant de nos possessions éloignées n’avait fait connaître son opinion à cet égard. On remarquera même que, dès le mois de juillet 1787, le parlement de Paris avait demandé la convocation des États généraux, que le roi avait annoncé le 15 novembre de la même année, qu’il accéderait à ce vœu devenu celui de la nation ; que les remontrances du parlement, que la détermination même du roi devaient avoir été connues des assemblées coloniales de la Martinique, de la Guadeloupe, de Tabago, dont les séances n’avaient cessé qu’au 1er janvier, au 10 du même mois et au 14 février 1788; et cependant ni ces assemblées, ni les comités intermédiaires, ni les chambres d’agriculture de Saint-Domingue, n’avaient encore paru souhaiter que les , colonies françaises fussent représentées aux États généraux. On ne peut contester que ce silence absolu n’ait duré jusqu’au mois de septembre 1788. Gomment le roi et son conseil devaient-ils l’interpréter? était il possible de ne pas en conclure, ou que fis colonies éloignées ne désiraient pas être représentées par des députés aux États généraux, ou au moins qu’elles n’avaient pas encore suffisamment réfléchi sur le parti qu’il leur convenait de prendre dans une affaire de si haute importance pour elles? Le désir d’être réputées parties intégrantes de la métropole, malgré la distance qui les en séparait, avait pu être balancé chez elles par de puissantes considérations, dans le moment surtout où le nombre des députations allait être fixé par le roi, eu égard à la population. Il était assez naturel que ces colonies craignissent de n’êlre pas suffisamment représentées. Le nombre des hommes libres aux Iles du Vent et sous le Vent est si peu considérable, qu’il n’eût pas donné droit à toutes nos colonies occidentales d’envoyer plus de quatre députés à l’Assemblée. Saint-Domingue, la plus florissante d’entr’elles, n’aurait pas été autorisé à avoir seul ce nombre de représentants; car ceut mille individus, de tout âge et de tout sexe, étaient alors le nombre requis pour obtenir une députation entière, et le territoire qui nous appartient dans cette île ne renferme pas cinquante mille êtres libres. Il eût donc fallu, ou que le roi qui était obligé d’établir celte fixation provisoire, accordât une faveur particulière aux colonies, et alors c’était risquer d’exciter, par cette exception, les réclamations de toutes les provinces, ou que les colonies ne se regardassent pas comme suffisamment représentées, eu égard à leur territoire et à leur richesse. On pouvait d’autant plus présumer que ces considérations avaient fait préférer aux colonies le parti du silence, qu’elles avaient l’exemple encore récent des provinces de l’Amérique septentrionale, qui avaient paru peu jalouses d’eu-voyer des députés au parlement d’Angleterre, lorsque l’on tentait auprès d’elles ce moyen de conciliation. Elles avaient encore celui des Antilles anglaises qui ne désireraient nullement d’avoir au parlement de la mère-patrie un petit nombre de députés dont la voix y serait étouffée, tandis qu’elles trouvent un appui continuel dans la réclamation extérieure et plus puissante des riches planteurs qui habitent Londres, ou qui y viennent fréquemment. Il serait trop long de passer en revue toutes les considérations qui, à l’époque du 11 septembre 1788, pouvaient faire présumer que les colonies elles-mêmes étaient au moins incertaines sur le parti qu’elles devaient prendre, et rien assurément n’autorisait le conseil du roi à les prévenir. D’autres difficultés s’élevaient contre l’admission des députés coloniaux aux Etats du royaume, qui devaient incessamment s’ouvrir. La distinction des ordres existait alors, et quoiqu’il soit superflu de discuter maintenant ce qui a été nécessairement agité sur cet objet au conseil du roi en septembre 1788, il est aisé de sentir que, relativement au clergé surtout, qui dans les colonies n’a que très peu de propriétés et n’est composé que de curés nécessaires au culte, presque tous engagés daus les ordres religieux, les députations coloniales ne pouvaient facilement être assimilées à celles des bailliages du royaume. Le temps et les distances mettaient encore de nouveaux obstacles à l’admission des députés des colonies. Il importe de se rappeler que le roi n’avait pas conçu, àl’époque du 11 septembre 1788, le projet d’assembler les notables et cependant la convocation des États généraux avait été déjà annoncée comme devant avoir lieu au mois de janvier suivant. Or, combien la tenue des États généraux n’eût-elle pas été retardée, s’il eût fallu y admettre les députés des colonies? car alors il était indispensable de prendre un temps suffisant pour envoyer les lettres de convocation; il fallait donner aux propriétaires qui résidaient ou se trouvaient en France, le loisir de repasser sur leurs habitations, ou d’envoyer des pouvoirs à leurs gérants. Il fallait accorder aux assemblées primaires le temps de former leurs cahiers, aux assemblées coloniales celui de se réunir et de rédiger le cahier général de la colonie; enfin aux députés élus, celui de traverser les mers. Les députés des colonies occidentales n’auraient certainement pu se rendre en Europe avant dix mois, et l'on ne pouvait refuser le double de temps à ceux de nos possessions situées au delà du cap de Bonne-Espérance. Qu’eût -on pensé d’un aussi long retard ? Enfin, dans cette discussion importante, les colonies n’étaient pas les seules parties intéressées dont on eût à prendre l’opinion. Le roi pouvait-il, sans le consentement des États généraux, dont la convocation était prochaine, appeler au milieu d’eux les représentants de contrées si différentes et si éloignées de la métropole? Quels troubles, quelles dissensions entre les colonies et la mère-patrie n’eût pas excités une décision prématurée sur un point aussi délicat? que serait-il arrivé si les ütats généraux n’eussent pas approuvé le parti qui avait été pris, s’ils se fussent plaints d’une innovation qui ne pouvait être légitimée par l’exemple d’aucune nation et dont par cela seul les suites pouvaient être infiniment fâcheus6s ? J’oserai donc dire que la résolution prise par le roi et par son conseil le 11 septembre 1788, après la plus mûre délibération, était fondée en principes. Ge ne fut pas sans des motifs puissants que Sa Majesté décida alors que les colonies n’enverraient pas de députés à la prochaine convo- 302 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790]. cation; mais que si les États généraux, d’accord avec les colonies, pensaient que celles-ci dussent avoir des députés, on réglerait le nombre de représentants qu’elles y enverraient à l’avenir. Jen’ai donc point obstinément refusé d’envoyer des lettres de convocation à la colonie de Saint-Domingue; j’ai soumis au conseil du roi une question nouvelle de la plus haute importance. Le roi l’a décidée dans sa sagesse. Je n'ai ni repoussé le vœu des propriétaires , ni suscité contre les demandes patriotiques des colons , les ministres et le conseil de Sa Majesté. Accessible en tout temps, à toute heure, aux colons qui se sont présentés chez moi, je les ai toujours écoutés, et je crois les avoir entendus. le viens de mettre au grand jour la conduite que j’ai tenue : je l’ai crue celle d’un Français jaloux de la gloire de sa patrie; elle m’a paru convenir au citoyen comme au ministre du roi. Ai-je mis des obstacles à la nomination des députés de la colonie ? Cette dénonciation semble appuyée sur trois faits principaux. Les instructions données à M. du C... qui me remplaçait dans le gouvernement de Saint-Domingue. L’ordonnance que ce gouverneur fit publier dans la colonie. L’intervention du ministère de M. de LaM..., procureur général aü Port-au-Prince. Quant aux instructions remises à M. le marquis du G... je dirai avec vérité qu’il en reçut peu qui différassent de celles qui avaient été données à ses prédécesseurs; le roi d’ailleurs consent qu’elles Soient produites. Il était impossible de prévoir quand il partit de France en quel état il trouverait la colonie. C’était donc à sa prudence qu’on devait s’en remettre. Les circonstances déterminèrent sans doute le parti qu’il a pris. Aucun ministre ü’eût pu tenter raisonnablement de lui tracer le plan qu’il devait suivre. Ce qui s’est passé dans la colonie à l’arrivée du marquis du G... n’est pas difficile à justifier (1). Il rendit une ordonnance le 26 décembre 1788, de concert avec l’intendant ; elle prouve que ni l’un ni l’autre n’étaient encore informés de la résolution prise au conseil d’État, de convoquer en 1789 une assemblée coloniale. Voici ce qui y avait donné lieu. Plusieurs imprimés avaient été envoyés dans l’ile; on les avait présentés comme l’oavrage d’une commission chargée par la coionip de solliciter l’admission de ses députés aux États généraux. On se plaint dans le préambule de cette ordonnance, de ce qu’on avait fait circuler clandestinement un mémoire, de ce qu’on sollicitait de toutes parts des signatures, comme pour couvrir, par cette opération tardive, l’irrégularité des actes émanés de la commission prétendue; on y annonce que Si plusieurs habitants avaient donné leurs Signatures librement et volontairement, d’autres avaient cédé à des sollicitations, que même un très grand nombre avait refusé de signer. On y relate ensuite une requête dans laquelle plusieurs colons témoignaient leurs inquiétudes sur V avenir : si jamais il pouvait dépendre d'un nombre d’individus quelconque , d’a-dresèer à deux mille lieues des représentations à Sa Majesté , du nom des colons en général , de leur supposer des vues , des désirs qu’ils n'auraient pas manifestés , de solliciter pour eux de prétendus (1) Voyez pièces justificatives, n°* 1 et 2. avantages auxquels leur éloignement et la différence de régime ne leur permettaient pas d’aspirer. Je le répète, ce préambule d’une ordonnance publiée à Saint-Domingue, peut donner une idée juste de l’état d’incertitude où était alors la colonie. Quant aux dispositions que renfermait celte ordonnance, elles tendaient toutes à connaître le vœu des habitants, pour en rendre compte à Sa Majesté. Je n’examinerai pas si le mode qu’on avait indiqué était le plus convenable, mais je suis convaincu que l’intention était pure, qu’en ne rassemblant sur une même feuille qu’un certain nombre de signatures, on avait voulu connaître mieux la volonté de chaque individu, épargner des déplacements toujours coûteux aux colons, et prévenir les inconvénients de trop nombreuses assemblées, beaucoup plus grands dans les colonies qu’en Europe. En vain on accuse les administrateurs d’avoir désiré que le vœu des habitants leur lût adressé pour en soustraire la connaissance. Ils avaient annoncé, au contraire, que toutes les lettres qui leur seraient écrites, seraient déposées au secrétariat public des deux chambres d’agriculture. Elles l’ont été en effet ; tout citoyen a pu vérifier si son vœu y était réellement consigné, et s’il ne l’y trouvait pas, accuser les administrateurs de l’avoir supprimé. D’après les premières dispositions, l’article IV « qui défendait, conformément aux règlements « de Sa Majesté, toute assemblée illicite, sous « peine contre ceux qui y assisteraient d’être « poursuivis suivant la rigueur des ordonnances », ne me présentait plus que des précautions sages, prises contre les insurrections dans une île où le moindre événement peut en occasionner d’irrémédiables. Le dernier fait articulé dans la dénonciation que je discute, m’est absolument étranger. J’ignore ce qui a pu provoquer le ministère du procureur général au Port-au-Prince; on ne croira pas légèrement et sur une simple assertion qu’il ait menacé de traduire dans les tribunaux judiciaires tous ceux qui manifesteraient un vœu contraire à celui de la cour, encore moins qu’i£ ait voulu les décréter, les envoyer en France ; qu’il les ait traités de scélérats, parce qu’ils avaient senti qu’ils étaient des hommes. L’énergie de ce style ne rend pas l’imputation plus invraisemblable. Il y aurait eu de la folie à un magistrat de prendre, dans de pareils motifs, le texte de ses dénonciations judiciaires. Mais, dit-on, il fut tenté de dénoncer les neuf commissaires nommés par leurs concitoyens, pour soutenir en France les droits de la colonie. Il fut tenté ! il ne l’a donc pas fait, et l’on veut me rendre responsable de l’iutention qu’on prête à autrui? On assure m'en avoir porté des plaintes et que loin d’improuver, j’ai approuvé la conduite de M. de La M... Je ne pouvais, sur une semblable présomption d’intention ni l’approuver, ni l’improuver, et je n’ai fait ni l’un ni l’autre. J’ai répondu à ces deux chefs de dénonciation : se croit-on en droit d’en exiger davantage ? Je dirai qu’exact à suivre les décisions du roi que je croyais équitables, qui me paraissaient tendre évidemment à conserver les droits de l’Assemblée nationale et ceux de la colonie, nou seulement je ne regardais point comme valables les pouvoirs dont les commissaires de Saint-Domingue [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] assuraient être pourvus, mais que je croyais prudent de ne rien faire dont ils pussent s’autoriser pour écrire au delà des mers que leur mission était reconnue par le ministre. Je me livre aux reproches que peuvent m’attirer de quelques personnes les soins que j’ai pris des intérêts de la colonie, et les moyens que j’ai employés pour qu’elle ne fût point induite en erreur. Mes doutes sur la question en elle-même et sur l’authenticité de pouvoirs qui, dansitous les cas, enssent été conférés sans qu’on eût observé les formes, trouvent leur excuse dans ceux qu’a témoignés l’Assemblée nationale elle-même ; elle a flotté pendant deux mois entre l’admission et la non-admission des représentants de cette colonie. Peut-on faire un crime à un ministre de n’avoir pas voulu trancher une difficulté sur laquelle l’Assemblée nationale a été si longtemps incertaine, et qu’il appartenait à elle Seule de décider ? TROISIÈME CHEF DE DÉNONCIATION. État enlevé à un citoyen, estimable, pour couvrir son calomniateur de ses dépouilles. RÉPONSE. Je ne puis m’empêcher de le dire, ce chef d’accusation n’est qu’un tissu de faits faux et cou-trouvés. il n’est point de lois dont l’observation importe plus à l’humanité que celles qui ne permettent point à la même personne de cumuler les fonctions de médecin et d’apothicaire. Les médicaments que vend l’une doivent être soumis à l’inspection de l’autre ; et cette espèce de contrôle légal garantit au malade qu’il ne sera commis aucune erreur dans une matière où elles sont irréparables. Les statuts de l’université de Paris ne permettent l’entrée des écoles de médecine qu’à ceux qui ont renoncé formellement à débiter les remèdes en qualité d’apothicaires. La cumulation de ces deux fonctions serait beaucoup plus dangereuse encore dans les colonies que dans cette capitale. Le médecin du roi est établi par plusieurs ordonnances, notammeut par celle du 30 avril 1764, inspecteur de tous les médicaments destinés pour les hôpitaux et embarqués dans les navires. D’autres lui donnent conjointement avec l’apothicaire du roi, la police sur les productions de la nature, et les objets de commerce qui appartiennent à la médecine. L’article VII de l’ordonnance du 3 novembre 1780 défend à tout apothicaire et marchand droguiste de s’établir dans aucun lieu que ce soit de la colonie, sans avoir été examiné parle médecin, le chirurgien, l’apothicaire du roi, et deux docteurs en médecine, en présence d’un commissaire nommé par le conseil supérieur, et du procureur général. S’il était arrivé que le médecin du roi, au Gap, eût par cupidité cherché à cumuler dans sa personne les titres incompatibles de médecin et d’apothicaire ; qu’il eût, à l’aide d’un prête-nom, vendu les drogues qu’en qualité de médecin il ordonnait pour les malades; qu’il eût été tout à la fois le marchand et l'inspecteur des médicaments qui étaient destinés aux hôpitaux et à nos flottes, sa contravention à des règlements salutaires1 ne serait-elle pas évidente? n’aurait-il pas mérité 303 d’être privé de toutes ses places, pour en avoir méconnu les devoirs? Si les administrateurs de la colonie, au lieu de l’en déclarer déchu, lui avaient seulement imposé la nécessité d’opter entre l’une ou l’autre, n’auraient-ils pas à se reprocher un excès d’indulgence, loin d’avoir mérité qu’on les accuse d’une injuste sévérité ? Enfin, si l’homme qui avait tenté d’allier à ia profession de médecin le commerce lucratif de pharmacie, forcé de choisir entre l’un et l’autre, avait préféré le dernier, ne justifierait-il pas les inquiétudes qu’avait fait concevoir cette réunion en sa personne de fonctions et d’états incompatibles ? croirait-on qu’on l’eût dépouillé, parce qu’on aurait donné à un autre celui des titres qu’il aurait dédaigné ? Ces hypothèses se sont réalisées dans la personne et dans la conduite du sieur B..., qui fournit aujourd’hui un chef de dénonciation contre moi. Le sieur B.*., médecin du roi au Cap-Français, épousa en 1781 une veuve, propriétaire d’un magasin de pharmacie considérable. Il continua, quoique médecin du roi, ce commerce sous un autre nom jusqu’en 1785, qu’il passa en France et vendit son fonds. Son absence nécessitait la nomination d’un médecin par intérim ; ce fut du sieur Artaud que firent choix les administrateurs qui m’ont précédé dans la colonie. Je n’étais point gouverneur général quand le sieur B.... passa en France; je n’y ai été reçu en cette qualité que le 27 avril 1786. Ce rapprochement de dates prouve l’inexactitude d’Un fait articulé dans la dénoncialion. On y annonce qu’au départ du sieur B...., les administrateurs donnèrent sa place par intérim au sieur Artaud, sans dire que je n’étais pas du nombre de ces administrateurs. L’on ajoute que le sieur B...., à son retour, reprit sa place au grand regret du sieur Artaud et de son protecteur (qualité qu’on m’attribue), ce qui donne à penser que c’était de moi que le sieur Artaud avait tenu sa nomination intermédiaire. Je ne cherche point à approfondir quel fut l’objet du procès qui s’éleva entre le sieur B.... et l’acquéreur de son fonds de pharmacie ; mais il est prouvé, par des actes authentiques, que la femme du sietir B.... acquit les 1er et 6 mars 1786, deux fonds de pharmacie; l’un moyennant (a) 250,000 liv. du sieur Lartignon, l’autre pour 176, 150 liv. d’ün sieur Saussay, apothicaire brévelé du roi. On a grand soin d’observer dans les dénonciations, que la dame B.... h’était point commune en biens avec son mari. Pourquoi cache-t-on que, dans l’un et l’autre de ces traités, le sieur B.... se porta caution de sa femme, et son obligé solidaire ? On assure même qu’on a produit au conseil du Gap, plusieurs billets destinés à effectuer le paiement du prix de ces acquisitions, et que, dans ces billets solidaires, le sieur B.... s’exprimait en ces termes : Pour raison de la vente qui nous a été faite. Ces deux établissements furent mis soüs des (fl) Je préviens le lecteur que toutes les sommes dont il est parlé dans ce mémoire, sont énoncées en argent des colonies, à moins que je ü’iadique formellement qü’il s’agit de livres tournois ou d’argent de France, L’argent des colonies est à l’argent de FrahCé, dans le rapport de B à 2 ; ainai 300 livres, argent des colonies, ne représentent que â00 livres toUrftüis en argent dé France. 304 [Assemblée nationale ] noms supposés. Les commis qu’il y proposa, furent intéressés pour un tiers dans les bénéfices. Il procura à l’un d’eux le titre d’apotliicaire du roi par intérim. Il conserva à la maison de commerce qu’il avait acquise du sieur Saussay, apothicaire de Sa Majesté, le nom de son ancien propriétaire, et se ménagea, par cette double prévoyance, tous les marchés que le sieur Saussay avait faits avec le gouvernement pour le compte du roi. Cette contravention aux ordonnances indisposait le public, soit à raison des inconvénients qu’elle renfermait, soit à cause des bénéfices énormes qu’elle pouvait procurer à son auteur. Un jeune maître en pharmacie, appelé le sieur Albert, qui avait été employé pendant quelque temps dans les magasins du sieur B..., découvrit la fraude, envoya un mémoire en France, et demanda la place d’apothicaire du roi. M. le maréchal de Castries était alors ministre de la marine ; il me renvoya le mémoire comme gouverneur de Saint-Domingue. Je pris* avec l’intendant de la colonie, tous les renseignements que je crus nécessaires. Le sieur Artaud, nommé par mes prédécesseurs, médecin parintérim, quand le sieur B... était en France, fut celui sur lequel on jeta les yeux pour vérifier les faits. La confiance que fui avaient accordée les anciens gouverneurs,. sa probité, ses talents reconnus, furent les seules recommandations qu’il employa auprès de moi. Le sieur Artaud fit toutes les recherches convenables aux circonstances ; il crut même devoir, sous la foi du secret , communiquer au sieur Albert quelques-unes de ses observations, et lui en laisser copie. On verra bientôt ce qui est résulté de cette confidence : quoi qu’il en soit, le sieur Artaud découvrit les traités de 1786, cautionnés parle sieur B..., et rapporta des preuves sans réplique du commerce de pharmacie que celui-ci faisait depuis 1781, sous les noms interposés de ses deux commis. La loi toujours sévère aurait eu peine à excuser la contravention du sieur B... Nous fûmes, l’intendant de la colonie et moi, plus indulgents qu’elle ; nous nous bornâmes à exiger qu’il optât entre l’un des deux titres : son choix fut prompt, il abdiqua la place de médecin du roi, et ne fut plus qu’apothicaire. Ainsi vaqua la place de médecin du roi : Les services continuels que le sieur Artaud rendait à la colonie, la bonne réputation qu’il conservait au milieu de ses envieux, la confiance que lui avaient accordée nos prédécesseurs, nous déterminèrent à lui confier le titre de médecin du roi par intérim ; et le sieur Albert, qui désirait la place d’apothicaire, ne put l’obtenir puisque le sieur B. . . la conservait. Le sieur Albert oubliant quelque temps après la foi due au secret que le sieur Artaud lui avait confiée, en lui donnant une copie des observations qu’il nous avait fait parvenir, remit cette copie même à un autre médecin, des mains duquel elle passa dans celles du sieur B..., qui en fit la base d’une plainte en diffamation contre le sieur Artaud. Le premier juge reçut la plainte; ou informa. Le sieur Albert et deux autres témoins furent en-; tendus. On décréta le sieur Artaud d’assigné pour i être ouï; il subit interrogatoire, et fut renvoyé à l’audience. Il appela de la sentence au conseil supérieur du Gap; mais le dépôt fait au greffe par le sieur Albert des observations du sieur Artaud, suscita bientôt à l'accusé un nouvel adversaire. M. . . avocat, aujourd’hui membre de la depuis juin 1790.] talion de Saint-Domingue, et l’un des signataires du chef de dénonciation auquel je réponds, apprend qu’il est dit dans ces observations, qu’il s’est fait accorder par le sieur Saussay, son beau-frère, un intérêt dans son commerce "de pharmacie, pour avoir déterminé M. Bongard, alors intendant de La colonie, adonner au sieur Saussay, l’entreprise des fournitures de tous les médicaments nécessaires à la marine. Il rend plainte contre M. Artaud ; celui-ci appelle. On joint les deux plaintes, et le conseil du Gap évoquant le principal, ordonne que les observations du sieur Artaud seront supprimées comme injurieuses et calomnieuses tant au sieur B... qu’à M...; le condamne à faire une réparation d’honneur à l’un et à l’autre, en présence de quatre personnes à leur choix, et leur permet de faire imprimer et I afficher l’arrêt au nombre de deux cents exemplaires. Le sieur Artaud s’est pourvu en cassation contre ce jugement. Il présentait comme un vice de forme qui emporte avec lui la cassation des jugements en matière criminelle, le défaut de mention de la lecture des charges et informations ; il se plaignait d’un mal jugé évident. Il n’avait point diffamé le sieur B..., quand il avait remis de confiance au sieur Albert la copie des observations qu’il se proposait de nous envoyer; elles ne pouvaient par elle-même former un corps de délit. Il avait obéi aux ordres qui lui avaient été donnés ; il n’avait été que le vérificateur de faits que l’option faite p ir le sieur B..., rendait certains. Ges motifs déterminèrent le roi à prononcer en son conseil des dépêches, la cassation de l’arrêt du conseil du Cap-Français. Cet arrêt de cassation, rendu sur la requête du sieur Artaud, est susceptible d’opposition; il y a plus de deux ans qu’il est connu et aucune des parties n’a cru devoir s’en plaindre. Le récit que je viens de faire, et qui est appuyé de pièces authentiques, mettra l’Assemblée nationale à portée de juger du degré de confiance qu’elle doit donner aux dénonciations accumulées contre moi ; il n’est pas un fait attesté dans celle-ci qui ne soit controuvé. Il est faux qu’en 1785 je protégeasse le sieur Artaud, médecin au Gap, puisque je ne le connaissais point alors, et que je n’y suis arrivé qu’en 1786. Il est faux que le sieur Artaud fût le compétiteur du sieur B..., quand nous le chargeâmes de vérifier des faits dénoncés par le sieur Albert, puisqu’on ignorait que le sieur B... préférerait à la place de médecin du roi, celle d’apothicaire. 11 est faux que j’aie forcé le sieur B... à donner sa démission de la place de médecin, puisqu’il a été le maître, en l’optant, de la conserver. Il est faux que le sieur B... ait obéi à la force en se démettant de sa place, puisque encore une fois le choix lui en a été déféré. 11 est faux qu’il se soit pourvu contre cette prétendue violence au conseil du Cap, puisqu’il n’y a eu aucune violence d’exercice, et que sa plainte n’avait pour objet que de faire supprimer des expressions qu’il croyait injurieuses. Il est faux que j’aie conféré deux fois au sieur Artaud, par intérim, la place de médecin du roi, puisque j’étais très étranger à la colonie, et que j’habitais en France quand il obtint la première foiscetteplaeede laconfiancede mon prédécesseur. Enfin, il est faux qn e j’aie revêtu le calomniateur des dépouilles de l’innocent, puisque d’nn côté le sieur B... convenait d’avoir cumulé le ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] 305 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. commerce de pharmacie avec la profession de médecin du roi, et que, de l’autre, le sieur Artaud n’a été nommé qu’après l’option volontaire du sieur B. . . Mais, dût le mensonge envenimer encore les dénonciations qu’il a fabriquées, je dirai qu’en nommant le sieur Artaud, médecin du roi par intérim, j’ai voulu donner un médecin à la colonie et non une place au sieur Artaud. Je n’abandonnerai pas, parce qu’on m’attaque injustement, un homme instruit, vertueux, et qui a été longtemps utile à sa patrie. Je n’ai écouté en le choisissant que la voix de la justice ; alors il était heureux : je lui dois l’appui de mon témoignage quand il est poursuivi par l’infortune. On ne pourrait, sans être ému, entendre le récit des outrages qu’on lui a faits, les dangers qu’il vient de courir, les humiliations qu’il a dévorées. Echappé avec peine à la fureur de ses ennemis, il n’a trouvé de salut que dans la fuite. Cet acharnement dont le sieur Artaud a failli être victime, est dû au seul soupçon qu’il était complice d’une prétendue motion imputée à M. Moreau de Saint-Merry, son beau-frère, alors en France; et M. Moreau de Saint-Merry a soutenu et prouvé à ses compatriotes qu’il n’avait jamais élevé la motion qu’on lui prête : moyen assuré en effet de mettre l’homme le plus innocent en défaut, que de l’accuser à Paris de faits dont on sait que les preuves sont à Saint-Domingue, et de porter à Saint-Domingue des accusations qui seraient démenties à Paris par la seule notoriété publique. Mais c’est assez d’avoir rendu compte de ce qui s’est passé; je m’interdis toutes réflexions ; je n’ai eu pour objet que de démontrer mon innocence. QUATRIÈME CHEF DE DÉNONCIATION. Citoyens vendus à un aventurier pour les puissances étrangères. RÉPONSE. Quelle idée cette dénonciation présente ! Moi, Français, j’aurais souffert que mes concitoyens fussent vendus ! moi, j’aurais permis qu’on dégradât l’humanité au point de rendre mes compatriotes l’objet d’un trafic honteux ! moi, gouverneur pour le roi d’une de nos plus importantes colonies, j’aurais fait passer une partie de ses habitants à des puissances étrangères ! Quel tissu de faussetés 1 Heureusement la fable qu’on a imaginée pour faire la base de cette dénonciation, est mal ourdie ; l’invraisemblance y perce de toutes parts. Analysons-la avant d’y répondre. « Le sieur Vidal, homme entreprenant, et à qui j’ai, dit-on, témoigné confiance, a enlevé, au mois de mars 1781, cinq cents hommes des prisons du Port-au-Prince. On les a vus sortir marchant deux à deux, enchaînés, serrés par des menottes, s’avançant tristement vers le port, d’où ils ont fait voile pour Carthagène et Porto-Bello. « Arrivés sur les côtes d’Espagne, ces infortunés ont été contraints de s’engager au service de cette puissance étrangère. « On les a fait partir pour Quito, et ils ont été incorporés dans les troupes qui gardent ce pays. « Plusieurs de ceux qui n’ont pas péri, ont fui cet horrible esclavage en côtoyant les bords de 1*° SÉRIE. T. XVI. la rivière des Amazones ; ils sont descendus jusqu’à la Guyane et à Cayenne, et de là ils sont repassés à Saint-Domingue. » Tel est le roman. Voici la vérité. Le sieur Vidal, négociant et armateur à Saint-Domingue, faisait, dès 1786, des voyages à la côte espagnole. Les administrateurs de Saint-Domingue ont ordre de favoriser ce commerce avantageux pour la colonie et utile même aux ma-factures établies dans le royaume. Ce particulier m’apporta des lettres du vice-roi de Carthagène. Dans ces lettres le vice-roi me priait de permettre l’acquisition à Saint-Domingue et le transport à Carthagène, de poudre et de fusils dont il avait besoin. Je rendis compte au roi de la demande qui m’avait été faite, et que j’avais accueillie : Sa Majesté m’approuva. J’avais fait délivrer au sieur Vidal des armes et de la poudre, et la caisse publique a reçu le prix entier de tout ce qu’il avait emporté. Le sieur Vidal me représenta que le vice-roi avait besoin de recrues pour les régiments qui étaient à ses ordres. Je ne lui permis rien ; mais je ne pouvais empêcher ceux qui seraient tentés de passer à la côte espagnole, de prendre avec lui les arrangements qu’ils jugeraient à propos. Je n’ai eu avec cet armateur aucunes relations particulières ; deux fois seulement il a été invité a dîner au gouvernement. Il ne m’a point entretenu longuement ; les objets qu’il avait à traiter n’étaient pas susceptibles de grande discussion. Je me rappelle seulement qu’un de ses coassociés lui ayant intenté un procès au moment où il se disposait à partir pour Carthagène, j’ai demandé qu’on en accélérât le jugement. Je savais que le vice-roi avait intérêt à son prompt retour et qu’il attendait mes réponses aux lettres qu’il m’avait écrites. C’est la seule marque d’intérêt que je lui ai donnée. Il existe à Saint-Domingue et dans les bureaux du gouvernement des minutes des lettres que j’ai écrites au vice-roi de Carthagène ; on peut les consulter. Ma correspondance, d’accord avec ma conduite, n’a jamais eu pour objet que le plus grand avantage de la colonie. Plusieurs fois le sieur Vidal m’a rapporté du continent espagnol des couples d’animaux utiles et qui manquent à Saint-Domingue, quoique indigènes d’un climat semblable ; je les ai envoyés à la Gonave, île voisine et inhabitée, afin qu ils pussent y multiplier et être ensuite facilement importés dans l’île de Saint-Domingue, où il serait à souhaiter qu’on pût les naturaliser. Je le chargeai, peu de temps avant mon départ, de faire vérifier dans les bois voisins de Gartha-gèDe, si l’on n’y trouverait pas le quinquina ; je désirais qu’il en rapportât des graines et du plant; je lui demandai aussi de la vanille et quelques autres arbres ou plantes utiles. Je l’avais adressé à un botaniste nommé, autant qu’il m’est possible de me le rappeler, le docteur Mutis, que le le roi d’Espagne entretient dans cette partie de ses Etats. J’ignore quel a été le succès de ses recherches, mais les conférences que j’ai eues avec lui n’ont pas eu d’autre objet. J’ai exposé avec vérité tout ce que je sais de relatif au sieur Vidal ; ce qu’on lui impute me paraît hors de toute vraisemblance. Je dois d’abord observer que dans l’expédition qui m’a été délivrée, par ordre de l’Assemblée nationale, de ce chef de dénonciation, on porte une fois à cinq mille le nombre des hommes em-20 306 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] barques par le sieur Vidal; mais la dernière mention qui en est faite, les fixe à cinq ceDts : ces nombres sont en chiffres; il est possible qu’on ait ajouté ou retranché un zéro. Au surplus, que l’imputation qui m’est faite porte sur cinq mille oü sur cinq cents, elle est également invraisemblable, également fausse. En effet, e’est des prisons du Port-au-Prince qu’on a vu, dit-on, sortir ce nombre prodigieux de prisonniers; mais fait-on attention que les prisons ne peuvent contenir ni cinq mille ni cinq cents personnes; qu’elles étaient alors si peu spacieuses qu’on s’occupe en ce moment d’en construire de plus vastes? Cinq mille blancs sont la neuvième partie des personnes libres de Saint-Domingue : cinq cents même sont un nombre imposant, et qu’on n:eût pas vu sortir de l’île sans que leur départ eût fait sensation. Cependant depuis trois ans que le fait se serait passé, personne n’en a parlé ; c’est pour la première fois qu’on s’en occupe. Quelle flotte attendait cette armée ? Deux batiments qui ne passaient pas cent cinquante tonneaux chacun, et qui n’auraient pas contenu deux centshommes, quand on -ne leur aurait donné d’autre cargaison que les vivres nécessaires au voyage. D’où a-t-on rassemblé ce nombre prodigieux de prisonniers, qui n’ont changé de climats que pour recevoir de nouveaux fers? On a cherché à résoudre ce problème, en insinuant que, depuis, l’arrivée deM. Vidal, la police semblait redoubler de rigueur; que la moindre rixe, le moindre soupçon d’ivresse étaient punis de prison. Mais ces hommes innocents et emprisonnés se fussent-ils donc laissés embarquer pour des côtes étrangères sans réclamer? Les fers, dont on prétend qu’ils étaient chargés, n’auraient pu étouffer leurs plaintes ; elles n’en seraient devenues que plus touchantes ; un cri général d’indignation se serait élevé contre l’administration entière, surtout dans un pays où tous les blancs sont respectés, où l’intérêt commun veut qu’ils le soient. Cependant ces prétendus prisonniers n’ont pas réclamé; en ne trouve aucune requête présentée par eux dans les tribunaux qui leur ont toujours été ouverts; le public n’a ma nif esté nison mécontentement ni sa surprise : tes registres des prisons existent, qu’on les consulte, je suis certain qu’ils ne présenteront pas à cette époque un certain nombre de prisonniers plus considérable que dans les autres temps. G’en est trop pour prouver l'invraisemblance des faits, je vais en démontrer la fausseté. Aucun vaisseau ne mouille dans les ports de Saint-Domingue, que l’on n’inscrive à l’amirauté la quantité de tonneaux qu’il peut porter ; je demande qu’on vérifie sur les registres le nombre et la contenance des bâtiments du sieur Vidal. Aucun capitaine ne peut mettre à la voile sans que les rôles de son équipage ne soient visés, inscrits au bureau des classes, et déposés au greffe de l’amirauté; je demande qüe ces rôles soient compulsés : on doit y avoir noté été quel pays étaient les hommes qui ont traité avec le sieur Vidal ; on y trouvera probablement des Majorcains, des Minorcains, dés Italiens, des Maltais et autres gens âe mer étrangers à la France, attirés à Saint-Domingue par l’espoir d’un meilleur sort que eelui qu’ils éprouvaient dans leur pays, ou débarqués sur ‘cette côte dans le cours d’ùne plus longue navigation, quHls avaient projetée et qu’ilsont interrompue. Il est des hommes ennemis du repos, qui errent de climats en climats ; que l’amour de la nouveauté agite sans cesse ; qui loin du vrai ne trouvent, en quelque endroit qu’ils aillent, rien de ce qu’ils avaient espéré. Le sieur Vidal a pu en rassembler à Saint-Domingue, je ne pouvais m’y opposer. Il en est d’autres que leurs dettes et l'impuissance de les payer a privé de leur liberté. Les ordonnances relatives à la colonie, obligent le gouverneur général, lorsqu’il eu est requis par le créancier, de faire retenir prisonniers ceux contre qui les tribunaux ont prononcé des condamnation par corps. Il est possible que quelques-uns de ces débiteurs aient obtenu du sieur Vidal de quoi payer les sommes modiques qu’ils devaient, et se soient embarqués avec lui. Quels moyens, quelles raisons avais-je de les en empêcher? Je n’ai, comme gouverneur de Saint-Domingue, ni disposé des habitants de la colonie, par des traités honteux, indignes de moi et de tout bon Français, ni donné les mains à des enrôlements nuisibles à l’intérêt de l’État. Je serais exposé aujourd’hui à des reproches plus mérités, si, gênant la liberté naturelle qu’a tout homme d’aller chercher son bien-être où il croit pouvoir le trouver, j’avais empêché des étrangers, ou même des habitants de Saint-Domingue qui jugeaient à propos de tenter une meilleure fortune avec le sieur Vidal, de passer dans des pays où ils espéraient trouver des avantages plus grands que ceux dont ils jouissaient dans la colonie. Le départ fabuleux de cette légion enchaînée, a fait naître l’idée d’un voyage et d’un retour plus fabuleux encore. On â entrepris de persuader que l’Espagne qui aurait pu facilement envoyer cette peuplade imaginaire de Porto-Bello à Panama par terre, et de Panama sur des navires, à tel point qu’elle aurait voulu des côtes du royaume de Quito, du Pérou, du Chili même, leur a fait prendre une route, je ne dirai pas inusitée, mais presque impraticable. Quand on se prêterait un instant à l’illusion, quand on supposerait qu’à travers tant de dangers, sans moyens, sans ressources, ils auraient triomphé de tous les obstacles que la nature opposait à leur marche, et seraient arrivés à Quito, on croira difficilement que ceux d’entre eux qui, pressés, dit-on, du besoin de la liberté, se sont élancés vers elle, aient suivi furtivement les bords de la rivière des Amazones, qu’en la côtoyant ils soient descendus jusqu'à la Guyane et à Cayenne, et soient revenus à Saint-Domingue. Ce n’est pas dans une dénonciation que le merveilleux doit trouver place. Tout eu matière aussi grave çloitêtre soumis à l’épreuve de la loi ; la vérité sévère met sur la même ligne f invraisemblable et le faux, et les faits que l’on m’inn-pute ont l’un et l’autre de ces caractères. Je n’ai rien permis au sieur Vidal, qui fût contraire aux droits de l’humanité et à l’intérêt de l’État. Je n’ai point su que le sieur Vidal se fût lui-même rien permis de répréhensible à Saint-Domingue. Voilà tout ce dont je dois répondre : sa conduite au delà des mers, dans un pays qui n’est pas soumis â la domination française, n’était point assujettie à mon inspection, et elle ne le serait pas même à notre censure. \ [Assemblée nationale.] ARCHIVES PAnJLfeAlENTÀIRES, [18 juin 1790.] 30? CINQUIÈME CHEF DE DÉNONCIATION* Àrrêtement scandaleux d'un citoyen innocent. Jugement arbitraire et injuste. RÉPONSE. Tout juge est sous la, protection de la loi. L’ordonnance donnée aux États de Blois ne permet de prendre un juge à partie que quand il s’est laissé corrompre, quand son jugement est le fruit de la haine capitale qu’il portait à la partie condamnée, ou de l’extrême faveur qu’il a accordée, contre droit et justice, à celui dont les demandes ont été accueillies. Le juge n’est point responsable des erreurs de l’esprit; on ne peut lui reprocher que les vices du cœur. Je pourrais me renfermer dans ces principes, qui sont la sauvegarde de quiconque est chargé du pénible emploi de juger ses semblables. Mais cette défense, quelque régulière qu’elle soit en la forme, ne remplirait pas l’objet que je me suis proposé. Je vais donc dire, puisqu’on m’y force, ce qui m’a déterminé â donner des ordres pour que M.*** fût arrêté; je vais rendre compte des motifs d’une décision que l’on qualifie d’injuste et d’arbitraire. - M. de Barbazan, conamandant la station des forces navales à Saint-Domingue, se plaignit, en 1787, de ce qu’on élevait des bâtiments sur un terrain qu’il jugeait avoir été remblayé aux frais du roi, et conquis sur la mer. Ce terrain était précieux; on projetait d’y établir des magasins nécessaires au service de 'la marine. Le voyer dressa un procès-verbal, le 24 janvier 1787, dans lequel il constatait que M.*** faisait élever une case en bois et à étage sur un emplacement où il ne devait bâtir qu après en avoir reçû tes alignements , tant pour se conformer au plan de la ville du Capf que pour justifier de sa propriété. M.de Vincent, commandant en second, et Kt. Jau-vin, commissaire-ordonnateur, à qui Le procès-verbal fut communiqué, rendirent une ordonnance, et défendirent provisoirement à M-*** dé continuer la construction de son bâtiment jusqu’à ce qu’il en eût été autrement ordonné, et sauf à lui à justifier par devant eux de la propriété du terrain que couvrait le bâtiment. Cette ordonnance fut signifiée à M.***, le 26 janvier 1787* Deux jours après, le voyer de la ville du Gap constata* par un second procès-verbal1, que M.***, sans égard à V ordonnance qui lui avait été notifiée la surveille , continuait d’élever son bâtiment, qu'il avait fait monter des pans de bois et toute la chm'pente de la ease , de manière qu’elle était prête à recevoir la couverture, tant les travaux avaient été précipités.. Les sieurs de Vincent et Jauvin se contentèrent d’ordonner que ce second procès-verbal serait notifié à M .***, avec sommation d'exécuter l’ordonnance qui lui avait été précédemment signifiée. Le voyer reçut des ordres exprès de veiller à l’exécution de cette ordonnance, et de rendre compte journellement de ce qui se passerait. Cette seconde ordonnance fut signifiée à M.**1', le 29 janvier 1787. Le six mars, troisième procès-verbal du voyer. R constatait que M .*** faisait élever un second bâtiment en bois sur le terrain dont la propriété lui était contestée par le toi, qu'il joignait c second bàtiihent au premier qifil lui avait éi défendu dé continuer. Il s’agissait de connaître qüels étaient les droits de M. et ceux du rdi. I. Jauvin, commissaire-ordonnateur, së transporta doiic le 16 février sur le terrain tonteûtiéui avec M. de là Plaigne, commandant particulier ; M. de Boisfofêt, directeur générai des fortifications ; M. dé Château-vieux, ingénieur en chef; M. Massot, éapitâine de port; le voyer de la ville du Cap; M.’” tui-tnêrne, et deux experts, dont l’un avait été nommé par lui, et l’autre l’avait été pour le roi. M. Jauvifi s’était inuni d’Un platt dressé par feu M. Rabié, ingénieur en chef de la Colonie, d’après lequel il soutenait que le roi aVait acquis,, en 1783, le terrain même sur lequel M."* avait commencé de bâtir. Il se proposait d’opérer sur ce plan; mâis M.*** s’y opposa, et Soutint qu’il avait remis à Padmiùistràtidü ün autre plan fait par M. Polîart, ingénieur de la coloriie. A cettë assertion (suivant M.***) M. Jaiivin répliqua : Cela est faux. Au Odntrâife, M. Jaüvin soutint que, faisant sés efforts pour convaincre M.*** que le plan du sieur Rabié était celui sür lequel on avait acquis pour le roi, en 1783, et M.*** paraissant douter de la vérité de ce plan, il lui répondit : Non, Monsieur, le plan de M. Rabié n’est pds faux. ùet ingénieur esttnbtt. On ne dira pas que lé plan a été fait depuis. Quelles qu’aient été les expressions qu’a employées 1. Jauvin, M.*** en parut à l’instant peu offensé d’après les différents renseignements qui ont été pris ; ceux, cjui lui Sont lès plus favorables, ânnOnéèût qtf’il répondit S M. JaùVin :It est bien étonnant que vous doutiez de ce que fdi l’honneur de vous dire, triais venons à notre opération. Ou continua eu effet l’opération, et lorsqu’elle fut finie, M. JatfViu, èt tous Ceux qui avaient été présents au toisé dû terrain, acéUmpUgnèrent M.*’* jusque chez lui ; fis' entrèrent daùs k maison où il faisait sa résidence habituéiïe : ils y restèrent quelques moments, en sortirent avec lui, et ne s’en séparèrent que devant lé magasin du roi. Deuxjours s’écoulèrent sans que M. *** témoigné t à M. Jauvin le moindre mécontentement de ce qui s’était passé le 16 février 1787 au matin; mais le 18“ (et non pas sur t heure, comme le porte la dénonciation). M.*** m'écrivit du Capune lettre, où il accusait d’abord fit. JauVin d’avoir agi avec tant de passion « qu’il semblait l’attaquer plutôt en partie ïntéresséè qu’en juge tranquille et honnête qui cherche la vérité ». JI passait ensuite au récit de la scène dû 16 février, et il me la rendait en ces fermes : « J’ai remis autrefois, disais-je, à M. Jauvin un plan figuratif de remplacement que jfai vendu au roi-« Cela est faux, réplique aussitôt ce M. Jauvin. Vous sentez, mon général, ce qû’uû démenti de cette espèce a dû produire sur une âme comme la mienne. Je ne vous dissimulerai pas qu’ùn mouvement convulsif,, suivi d’un froid à ïne glacer les mains, en a été le premier effet : heureusement cela n’a produit, à la suite de ce premier moment, que le bonheur de me contenir en homme stupéfait' j; je n’ai cependant pù m’empêcher de faire sentir à ce fil. Jauvin l’indiscrétion insultante d’àn pareil' propos ............ ..... . ..... « Je vous demande-donc, mon général, que SL Jauvin, au milieu de douze officiers supérieurs ou chevaliers de Saint-Louis de fa garnison, soit 308 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.J tenu de me demander pardon, et je le lui accorderai, vu son physique débile, et la supériorité que j’aurais nécessairement sur lui. Cette leçon pourra lui apprendre à ne mettre ni outrage ni injustice dans la portion d’autorité sous laquelle il est affaissé. Les pouvoirs de juge du point d'honneur sont entre vos mains seules , mon général. Je suis Homme de guerre; les commissaires de la marine ont la prétention de l’être : ainsi vous seul êtes notre juge à tous deux. « J'attends donc cette justice de votre part, sans quoi il paraîtra que le démenti qui m’a été donné est une affaire pour laquelle il me serait loisible d’employer les moyens dont un homme outragé pourrait user. » Je répondis à M*** : « Vous m’obligez, Monsieur, à remplir des fonctions importantes, mais très délicates ; je vais prendre, comme vous le désirez, des informations sur ce qui vous a choqué. Je vous défends très expressément d’user de voies de fait. « Il m’est encore permis de me conduire paternellement dans cette affaire : je crois vous rendre le service le plus essentiel en vous ouvrant les yeux. .................................... « La dénégation des faits est de l’essence des procès; elle ne peut y être regardée comme une insulte. Qui que ce soit des assistants n’a vu comme vous, n’a interprété de même .................. « Lorsque M. Jauvin a nié qu’un plan eût été remis à l’administration, il ne défendait pas, comme vous, ses propres intérêts, mais ceux d’un tiers, ceux du roi. C'est un magistrat âgé, vénérable, c'est le commissaire ordonnateur, le représentant de l'intendant dans la partie du Nord : il exerçait des fonctions publiques; il remplissait son devoir, en exigeant qu’un titre important fût produit. C’est par votre lettre seule que je suis instruit; c’est elle qui dépose de ces faits et qui m’inspire toutes ces réflexions. Je vous prie de les peser vous-même. « Votre meilleur ami ne vous écrirait pas autrement que je le fais. 11 est à craindre que votre vivacité ne vous égare ; tous mes efforts tendent à empêcher un brave militaire qui a bien mérité de sa patrie de se perdre lui-même. * M. Jauvin n’avait été instruit qu’indirectement des plaintes que M.*** portait contre lui. Il m’écrivit du Cap Je 22, et sa lettre ne me parvint qu’après que j’eus fait la réponse dont je viens de donner l’analyse. Il niait formellement avoir eu l’intention de donner, ni avoir donné un démenti à M.***. Il ajoutait : « Incapable d’insulter un enfant, tranquille, uni dans ma façon d’être, zélé pour les devoirs qu’on m’impose ou que je me suis imposés, je réclame votre justice dans une circonstance qui intéresse ma tranquillité; elle ne peut diminuer l’estime que vous avez bien voulu me témoigner; je n’ai pas cessé de la mériter. » La description que M. Jauvin faisait ici de son caractère, répondait parfaitement à l’opinion qu’en ont conçue tous ses concitoyens. Magistrat sexagénaire, ses cheveux blancs ajoutent encore à la vénération qu’inspirent ses services et ses vertus. Il me tardait de savoir qu’une affaire dont il s’affectait, qui jetait l’alarme dans toute sa famille, fût terminée. La lettre que je reçus de M.***, datée du Cap, du 25 février 1787, me laissa peu d’espérances d’y réussir. Après m’avoir assuré que son intention n’avait jamais été d’employer aucune voie de fait (et il en avait pris l’engagement le 20 février au Cap, dans un écrit qu’il remit à M. de la Plaigne), il me marquait : « La chose est trop sérieuse, mon général, pour croire que vous ne nommiez pas une commission à ce sujet. Les lois pénales, établies par le tribunal des maréchaux de France, sur le démenti, entraîneraient certainement M. Jauvin à de bien plus forts désagréments que la réparation que je réclame. » Le même jour 25 février, date de cette lettre peu conciliante de M***, M. Jauvin lui en écrivait une qui ôtait tout prétexte à la moindre plainte. M. Jauvin y assurait d’abord n’avoir eu connaissance de la plainte portée contre lui que le mercredi 21 au soir, cinq jours après le fait qui y avait donné lieu : « Ma surprise, ajoutait-il, a été telle, que je n’en suis pas encore revenu. « « Si dans la chaleur d’un débat inévitable entre l’ordonnateur qui soutient d’une part les intérêts du roi, et les soutient avec d’autant plus de fermeté , qu’il s’y croit autorisé par des pièces dont il est muni, et vous, Monsieur, de l’autre, qui défendez vos droits avec chaleur, parce que vous prétendez qu’il y a erreur dans une de ces pièces, et croyez en avoir remis d’autres ; si, dis-je, dans cette discussion, il y a eu quelques mots louches, mal prononcés, mal interprétés, qui aient pu vous faire de la peine, je vous prie de croire que c’est contre mon intention ..... Je vous réitère que je n’en ai eu aucune de vous dire personnellement quelque chose qui pût vous choquer. J’aurais été le premier à vous offrir toutes les satisfactions que vous auriez pu désirer, à l’instant même et devant toute rassemblée, si je vous avais dit quelque chose d’offensant. » Il est peu d’offenses en effet, que� n’efface une explication aussi complète. M.*** ne la trouva cependant point satisfaisante : on en peut juger par la réponse qu’il lui adressa. « Une rétractation, Monsieur, lorsqu’elle est bien claire et généreuse, procure plus d’honneur à celui qui le fait qu’à celui qui la reçoit. Tous les discours de votre lettre tournent autour de la chose essentielle. On y voit clairement combattre deux passions, dont l’une attire virtuellement au centre, et l’autre répuise. « Mais comme je ne veux pas que ma conscience me reproche la faiblesse de passer ainsi une insulte qui aurait pu me perdre, vous ne devez pas trouver mauvais de me voir résolu à mettre en œuvre tous les moyens pacifiques de l’effacer de mon cœur. « Les bienséances attachées aux usages ne sont que l’écorce de l’honnêteté ; ne trouvez donc pas mauvais, je le répète, que je me refuse à une complaisance trop voisine de la lâcheté. « La régularité de mes actions sera toujours fondée sur les sentiments intérieurs de mon âme. « J’éviterai de parler ici de l’horrible affaire que vous eussiez fait éclater, qui nous aurait perdus l’un et l’autre, si je n’avais su maîtriser la violence de tous mes sens révoltés, dont l’effet s’est manifesté aux yeux et aux oreilles de tous les assistants, quand il n’en produisait aucun sur vous. Je dois donc me taire, et il serait difficile d’en parler sans scandale. « Rétractez-vous, Monsieur, dans les formes prescrites par la franchise, je dirai plus, par l’honneur. « Votre devoir consiste à ne rien faire qui ne porte avec soi le type de la justice, et souvenez-vous surtout que l’honnêteté d’un homme en place 309 [Assombléd nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] consiste autant dans les expressions dont il doit se servir, que dans la pureté de ses mœurs, et la décence de son maintien. « Tels sont, Monsieur, mes principes : Les circonstances ni les craintes ne sont pas faites pour me faire chanceler, elles servent au contraire d’aliment à mon honneur. » Tel fut le fruit de mes représentations, voilà ce que produisirent les démarches des personnes recommandables que j’avais chargées de s’entremettre pour pacifier les esprits, et terminer des débats sans objet. Instruit de l'envoi de cette lettre, dont M. Jau-vin m’avait fait passer la copie, j’écrivis encore à M***, le 28 février 1787. « J’ai reçu, Monsieur, lui disais-je, une lettre de M. Jauvin, par laquelle il m’assure qu’il n’est sorti de sa bouche aucune parole choquante pour nous. 11 est en vérité superflu d’ajouter qu’il n’a pas eu le moindre projet de vous offenser, car il vous est impossible d’avoir un doute à cet égard; mais fai chargé le commandant pour le roi de vous le dire , ce qui assurément doit vous suffire. D’après les lettres que je vous ai précédemment écrites, je crois tout fini ........ » Je devais, en effet, croire ce débat terminé; mais les avis que je reçus le 4 mars, d’une des personnes que j’avais chargées de négocier une réconciliation parfaite entre M... et M. Jauvin, me jetèrent dans les plus vives alarmes. Je ne nommerai point cette personne; la nature de l’affaire que l’on me force de rappeler justifie mon silence. Elle m’assurait avoir été obligée de contenir M. Jauvin qui, à la réception de la lettre de M..., voulait aller lui offrir la réparation qu’il semblait exiger. Elle ajoutait : je les veille l’un et l'autre pour éviter les événements. La juridiction du tribunal de Messieurs les maréchaux de France, était exercée à Saint-Domingue, par le gouverneur de la colonie, M... le reconnaissait dans sa lettre du 18 février. Les pouvoirs de juges du point d’honneur, y disait-il, sont entre vos mains seules, mon général, ainsi vous seul êtes notre juge à tous deux. J’usai donc de l’autorité que la loi me confiait. J’y fus déterminé par la crainte des suites que pouvait avoir une affaire à laquelle M..., en assurant qu’il n’userait point de voie de fait, désirait évidemment donner de l’éclat. Prévenu des dispositions dans lesquelles étaient les esprits, devais-je attendre qu’un magistrat dont les forces notaient que trop épuisées par de longs travaux, s’engageât dans un combat singulier pour une expression qu’il était même incertain qu’il eût employée? et quand il s’en serait servi, n’avait-il pas donné à M... toute la satisfaction que l’homme le plus susceptible pouvait exiger? Enfin dans quelle circonstance lui serait-elle échappée cette expression ? quand il faisait les fonctions de ministre de la justice, quand il soutenait les intérêts de l’Etat, dans une de ces discussions litigieuses, qui ne naissent que quand les parties sont contraires en faits. J’écrivis donc à M..., le 8 mars 1787, et je le prévins que j’avais ordonné de l’arrêter. Il le fut, en effet, et resta au fort Picolet pendant quatre jours, jusqu’au départ du premier bâtiment qui fit voile pour le Port-au-Prince. Le même jour que j’envoyais du Port-au-Prince, cet ordre rigoureux peut-être, mais devenu indispensable, M... m’annonçait, dans une lettre datée du Gap, des sentiments pacifiques auxquels il manquait d’avoir été plutôt exprimés. M*». devait être en mer quand je reçus sa lettre. L’affaire avait éclaté ; sa longue résistance devenue publique exigeait une marque d’improbation. Je résolus donc dès ce moment de faire assembler aussitôt son arrivée, M. Coustard, commandant en second de la partie de l’Ouest ; M. de Loppinot, commandant particulier par intérim de la ville du Port-au-Prince ; M. le marquis de Grippière, brigadier d’infanterie, colonel du régiment du Port-au-Prince, et M. Mollerat, major de ce régiment. Je crus qu’il convenait d’interroger M... en leur présence, quoique j’eusse seul, à Saint-Domingue, l’exercice de la juridiction qui appartenait parmi nous à Messieurs les maréchaux de France, et de prononcer un jugement dont la lettre tardive que j’avais reçue modérerait cependant les dispositions. J’ai suivi exactement cette marche, et le 26 mars 1787, j’ai décidé, comme juge du point d’honneur, « que si le vendredi 16 février 1787, « M. Jauvin (encore que son devoir l’obligeât de « combattre cette assertion de M..., qu’il avait « remis à l’administration un plan de M. Poliart), « avait dit : cela est faux, je le désapprouvais de « s’être servi de ces termes, et lui défendais d’em-« ployer désormais de pareilles expressions. » J’ajoutai : « Ma censure, à cet égard, n’est que « conditionnelle, le fait me paraissant au moins « très douteux ; car les informations qui attes-« tent que ces mots ont été prononcés, et celles « qui les démentent, sont absolument égales en « nombre et du même poids. Mais, soit que le « commissaire ordonnateur ait ou non ce tort « qui tient à la forme, je loue hautement sa pro-« bité rigide et son zèle pour les intérêts du roi, « qui lui étaient confiés. Il les eût trahis, s’il « n’eût pas opposé la dénégation la plus précise « à un fait non seulement dénué de preuves « mais absolument improbable. « En supposant que M... ait eu réellement à « se plaindre d’un mot échappé, je décide que « toute la satisfaction qu’il pourrait désirer, lui « a été donnée par ma lettre du 28 février, par « la déclaration que j’ai chargé le commandant « pour le roi, de lui faire, et par la lettre très « polie que M. Jauvin lui a spontanément écrite. « Ainsi non seulement je défends à M... d’user « d’aucune voie de fait, mais si la présente af-* faire a la moindre suite, sous quelque prétexte « et de quelque manière que ce soit, je l’en « rendrai personnellement responsable. Je m’abs-« tiens de prononcer sur toute la conduite qu’a « tenue M..., et parce que je lui ai verbalement « fait sentir combien je l’improuvais, et parce « que son acquiescement du 8 mars à ma décision « quoique tardif, a été volontaire ; mais si dé-« sormais aucune affaire où il aura intérêt, de-« vient affaire d’honneur, j’ordonne qu’on le û fasse sur-le-champ arrêter, et qu’on m’en rende « compte, afin qu’il soit conduit en France. « Gomme, en examinant ces deux questions, « il s’est trouvé des preuves claires et judiciai-« rement constatées de la désobéissance for-« melle et répétée de M... aux ordonnances pro-« visoires qui ont été sagement rendues par les « représentants des administrateurs, il est dû « exemple, et M... gardera les arrêts pendant « trois jours au fort de l’Ilet. » Je me suis fait un devoir de rendre le compte le plus exact des Circonstances qui ont nécessité ce jugement. Je demande à l’Assemblée nationale de les peser dans sa sagesse, de ne point perdre de vue l’âge du sieur Jauvin, les fonctions qu’il exerçait, le silence qu’a gardé, pendant deux jours* Mi.t sur une phrase que lui seul à regardée 310 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] çomrap pffensante, et le peu de sensation quRile avait produite sur tous peux qui accompagnaient les deux parties. Je la supplie de suivre la conduite sage et modérée du sieur Jauvin, de mettre en opposition la lettre qu’il a écrite à M... et la réponse qu’il a reçue. Qu'elle daigne remonter au principe de cette affaire, elle n’y trouvera qu’une ?discussion d’intérêts pécuniaires, où l’honneur ne pouvait être en rien compromis. Elle verpa dans M. Jauvin, le magistrat préposé pour défendre les intérêts de l’Etat; à ce titre, il était sous la sauvegarde immédiate de la loi. Appeler à son épée, à défaut de moyens, c’est substituer la force au bon droit. Ces exemples fâcheux étaient fréquents, quand le roi me nomma au gouvernement de la colonie. J’en ai représenté le danger au ministre, je lui ai demandé la permission de rappeler aux vrais principes de l’équité et de l’honneur ceux qui voudraient les méconnaître. La publicité que j’ai pris soin de donner à mes sentiments sur ce point a tenu lieu d’exemple; et, pendant près de deux ans que le gouvernement de l’île Saint-Domingue m’a été confié, on ne citera que trois personnes contre qui j’aie été forcé d user du pouvoir que me donnait la loi. Ces trois personnes sont M... mis pour trois jours aux arrêts, et deux particuliers envoyés en France pour des faits plus graves. Des représentations, des défenses ou verbales ou par écrits, ont, dans plusieurs occasions, conservé à la justice topte son autorité, en empêchant les parties de se la faire elles-mêmes. Je me résume. J’ai, comme exerçant la juridiction de MM. les maréchaux de France, ordonné R M... de garder les arrêts pendant trois jours? Je n’ai point en cela excédé les bornes de mes pouvoirs, J’ai jugé en mon âme et conscience : l’équité et l’intérêt public exigeaient un exemple; il était essentiel au bon ordre que j’étais chargé de maintenir dans la colonie. C’est avec regret que je me suis vu forcé de priver M... de sa liberté, pendant quelques jours avant de le juger. Mais dès que je le citais an tribunal, je devais m’assurer de sa personne ; c’était le seul moyen d’éviter des rencontres périlleuses qu] n’étaient que trop probables et dont il était dé mon devoir ae prévenir les effets, SIXIÈME CHEF D 'ACCUSATION. Réunion désastreuse des conseils supérieurs de Saint-Domingue. SEPTIÈME CHEF, fi f and chemin du Gnp ; mensonge public ; corvées (ifbityires ; dépense? énormes et inutiles. RÉPONSE, La réunion du conseil établie au Cap Français h celui dq Port-au-Prince est la hase des sixième p] sept|ème chefs de dénonciation, décident que 1§ réunion de ces conseils est (fl) désastreuse et que j’y ai eu une très grande part ; ils m’imputent : 1° De n'avoir pas prévu l'ordre dangereux qui consommé cette réunion ; 2° D’avoir exécuté cet ordre quand je pouvais m’u soustraire ; 3° D’en avoir , depuis mon entrée dans le ministère maintenu� avec opiniâtreté les meurtrières dispositions. La difficulté des communications entre le Cap-Français et le Port-au-Prince devait, suivant eux, écarter à jamais toute idée de TéuDÎon des deux cqnseils; mais comme U existe aujourd’hui un grand chemin pt une communication libre même pour les voitures, qui remédient à cet inconvénient, ijs ont tifé de la confection de ce chemin de nouveaux chéfs d’accusation contre moi. Ils me reprochent : 1° D’avoir trompé le ministre� en lui fournissant comme motif un fait matériellement faux ; 2° D’avoir voulu justifier mon assertion par des moyens destructeurs de l'humanité • C’est ainsi qpe les treize dénonciations principales se subdivisent en une multitude de petites dénonciations particulières. Ils m’imputent donc de u’ayoir pas prévenu la réunion des deux conseils du Cap Français et du Port-au-Prince ! Mais ils auraient dft faire précéder cette accusation de la preuve que j’avais eu le pouvoir d’empêcher cette réunion; car, en supposant qu’elle fût désastreuse, ils né pourraient me reprocher de ne m’y être pqa opposé qu’autant que j’aurais pu le faire. Or, qqeKe preuve ont-ils que j’ai eu cette possibilité? sur quoi se fondent-ils quand ils attestent (b) dqns leur dénonciation, que j’étais prévenu de ce projet avant de me fendre à Saint-Ûomingue ? Je déclare formellement que le ministre ne (a) Je crois convenable de rejeter dans une note la discussion d’up reproche qui ne paraîtra que bizarre, J’ai été pendant vingt mois gouverneur général de Saint-Domingue. Les administrateurs résident en temps de paix au Port-au-Prince, centre de la colonie. Les dénonciateurs me censurent d’y avoir trop constamment séjourné ; pour donner du poids à. cette allégation, ils soutiennent que je n’ai fait que deux voyages pendant la durée de mon gouvernement; Que je n’ai été absent chaque fois du Port-au-Prince que quinze jours; Que je suis parti au mois de décembre 1786, pour visiter la partie nofd et la ville du Cap où je n’ai resté que six jours; Que quelque temps après mon retour, fai fait une seconde course plus courte dans la partie au Sud. Voici ma réponse : 1° C’est le 27 novembre, et non dans le mois de décembre, que je suis plié dans la partie du Nord. Ma tournée a été de quarante-neuf jours et non de quinze. J’ai passé trois semaines ou un mois au Cap; j’y ai rendu, trois règlements ou ordonnances sur des objets d’utilité publique, relatifs à cette ville. Mon départ, mon retour sont consignés dans les gazettes du Port-au-PrinGe, des 30 novembre 1786 et 18 janvier 1787, n° SI et n° 5j; %° Je n’ai, depuis cette époque, ni en aucun temps de ma vie, visité le commandement ,dq Sud j j’étais prêt en novembre 1787 à me mettre eu route pour lé voir, lorsque je reçus l’ordre du roi qui me rappelait en Europe. Je rétablis ces faits peut-être minutieux, mais tellement notoires dans la colonie, que certainement elle n’a donné mission à qui qùe ce soit d’assurer à l’Assemblée nationale le contraire de ce que j’avance. (fi) Cette assertion de mes ([énonciateurs est absolument fayisse, [Assemblée nationale-] ARCHIVES PARLEMENTAIRES-[18 juin 1790.] 311 m’avait donné aucune communication de l’édit de réunion avant mon départ de France pour les colonies. Je déclare avec non moins de vérité que je n’en ai eu connaissance que par l’ouverture du paquet qui renfermait cet édit, ayee l’ordre exprès de le faire enregistrer. Je suis parti de France en décembre 1785, pour me rendre à Saint-Domingue, dont le gouvernement venait de m’être confié. L’édit de réunion fut apporté, avec cinq autres lois, en mai 1787, par un bâtiment du roi sur lequel étaient MM. de La M... et M ____ ; il y avait donc quinze mois que j’avais quitté la France quand l’édit de réunion m’est arrivé. Dans un espace de temps aussi long, le ministre a pu réaliser un projet qu’il n’avait peut-être pas conçu quand j’ai pris congé de lui ou du moins auquel il pouvait n’avoir pas définitivement arrêté ses idées avant mon départ. M. M. . . observe dans un mémoire qu’il vient de publier que M, le maréchal de Castries, ministre de la marine, le consulta le 1er octobre 1786 sur le projet des nouvelles lois, quant à la forme seulement qu’on devait leur donner. Ces lois n’étaient donc alors qu’en projet, et déjà il s’était écoulé dix mois depuis mon départ de France. Ce serait à ceux qui me dénoncent à tout prouver; ils ne prouvent rien, et je trouve dans des faits constants et d’une date invariable, des preuves qu’on peut appeler convaincantes de la fausseté de leur dénonciation . Sont-ils mieux fondés à me reprocher d 'avoir fait exécuter l'édit de réunion , quand je pouvais m’y soustraire? J’étais gouverneur pour le roi; les lois que l’on m’envoyait contenaient le mandat impératif pour moi de les faire enregistrer : l’obéissance était mon premier devoir, mais j’avais une trop juste idée de la droiture des sentiments de M. le maréchal de Gastries, l’équité du roi m’était trop connue pour que je me fusse tu, si l’on m’avait consulté, comme l’assurent les dénonciateurs, sur les inconvénients que pourraient entraîner quelques-unes de ces lois nouvelles, et sur les réformes dont elles étaient susceptibles. Je les aurais certainement examinées si l’on ne me les eût préalablement communiquées, et j’aurais franchement indiqué les changements et les corrections que requérait, selon moi, cette espèce de code, dont l’ensemble cependant m’a paru devoir produire des effets utiles au peuple. Je fus donc d’avis au conseil supérieur, qu’on enregistrât, et néanmoins qu’on adressât des remontrances au roi : telle avait été l’opinion unanime des membres qui y siégeaient. On ne peut aujourd’hui révoquer en doute cette circonstance dont toute la colonie fut alors instruite. M. le maréchal de Gastries avait prévu la plus forte ohjection que l’on pût faire contre l’édit qui réunissait les conseils ; il la réfutait d’une manière satisfaisante, et qui n’a pas même encore été combattue. « Gette réunion, disait M. le maréchal de Gas-s tries, dans sa lettre du 4 février 1787, pouvant « être désavantageuse dans les matières de peu « d’importance, il y a été remédié par une amplia-« tion de pouvoirs accordés aux vingt sénéchaus-« sées et amirautés de l’île, pour juger en der-« nier ressort jusqu’à la concurrence de 6,000 « livres tournois. » Gette ampliation, en effet, accélérait la décision de toutes les causes qui intéressent la classe du pauvre. De plus grands intérêts ne pouvant s’agiter qu’entre gens richeg, on devait prendre en moindre considération les frais de déplacement et de voyages. Je n’ai point mis à l’enregistrement de ces lois, une précipitation qui puisse faire présumer que j’aie coopéré à leur rédaction. L’édit de réunion des deux conseils n’a été scellé qu’en janvier 1787. Le vaisseau qui l’a apporté a mis à la voile le 22 février; il a relâché aux Iles du Yent, et n’est arrivé à Saint-Domingue que le 2 mai. Les magistrats du Gap ont eu plus d’un mois pour se rendre au Port-au-Prince, et le 41 juin l’enregistrement a été ordonné. J’ai été d’avis d’adresser des remontrances au roi, et l’imputation que l’on me fait d’avoir, depuis que j'ai été appelé au ministère, maintenu avec opiniâtreté les meurtrières dispositions de l'édit de réunion, me met à portée de prouver au public que je me suis toujours occupé des moyens de corriger les défauts que j’avais remarqués dans les lois que j’ai été chargé, comme gouverneur, de faire enregistrer. Je fus nommé, en septembre 1787, ministre de la marine; je n’en fus instruit qu’en novembre. Déjà le conseil supérieur avait arrêté à Saint-Domingue, dans une séance où j’assistai, les chefs sur lesquels les remontrances devaient porter; mais ces remontrances n’étaient point encore rédigées. Je recommandai, en quittant la colonie, de hâter le travail, et je me félicitai de pouvoir, comme ministre, solliciter auprès du roi des réformes que comme gouverneur de Saint-Domingue j'avais cru convenables et même nécessaires. Je ne reçus ces remontrances à Versailles, qu’en avril 4788; elles étaient volumineuses; elles exigeaient un long examen. J’en accusai la réception, le 17 avril 1788, aux officiers du conseil, en les assurant que j’en rendrais compte au roi, et que je leur ferais connaître ses intentions. J’employai près de deux mois à consulter et à méditer sur une affaire d’aussi haute importance. Je présentai mon opinion au roi, et Sa Majesté m’ayaut donné ses ordres, j’écrivis, le 8 juillet 1788, aux administrateurs de la colonie, une lettre qui devait être et qui a été enregistrée au conseil supérieur de Saint-Domingue, J’y disais, au nom du roi : « Sa Majesté est dans l’intention de maintenir « la réunion qu’elle a ordonnée des deux conseils. « L’intérêt des justiciables exige qu’il n’existe « dans la colonie qu’une seule cour souveraine « de justice, et qu’une même jurisprudence. <•' Le zèle du conseil supérieur n’en est pas « moins louable. Il a servi à éclairer Sa Majesté « sur les inconvénients réels, quoique momen-s tanés et locaux, qui résultent de la réunion des « deux cours; elle a résolu de les faire cesser. « Elle a été spécialement frappée, pour le bon-« heur de ses sujets, des dangers d’un incendie « qui pourrait consumer toutes les archives ras-« semblées au Port-au-Prince, et de la difficulté « qu’éprouvent les plaideurs lorsqu’ils veulent s’y rendre par terre de la partie septentrionale « de l’île. « Le roi vous commande d’accélérer la cons-« truction des canaux et des fontaines qui dpi-« vent distribuer l’eau dans tous les quartiers de « la ville où siège le conseil; d’accélérer aussi « celle de la grande route que vous avez fait ré~ « cemment tracer à travers la chaîne des mon-; « tagnes qui séparent le commandement de l’Ouest; '« de celui du Nord. Je pe douté point « ne hâtiez, au tapi qu’il vous sera possible, « travaux utiles et même nécessaires dont le cQitb 312 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] « mencement est dû à votre amour du bien « public et à votre prévoyance (1). » En rapportant ce fragment de ma lettre, n’accréditai-je pas la dénonciation qui a été faite contre moi? J’annonçais à la colonie l’intention où était le roi de maintenir la réunion qu’il avait ordonnée des deux conseils ; j’attestais qu’il était de l’intérêt des justiciables qu’il n’existât à Saint-Domingue qu’une seule cour souveraine de justice, qu’une même jurisprudence, et ce sont précisément-là les délits qu’on m’impute. Je pourrais sans doute opposer à mes dénoneia-ciateurs les ordres exprès du roi, que j’ai dû exécuter comme son ministre, et un mot ferait disparaître la dénonciation, puisqu’elle remonte à une époque où la responsabilité n’était point encore établie ; mais j’avouerai, avec la franchise et la fermeté qui conviennent à mon caractère (dût mou aveu profiter à mes adversaires), que j’ai regardé la réunion des conseils comme pouvant devenir utile aux habitants de la colonie. 11 serait étrange, sans doute, qu’on voulût ériger en principe que la multiplicité des tribunaux supérieurs est avantageuse en soi. Oublions, s’il est possible, ce que ces établissements coûtent à la chose publique; n’ayons point égard aux individus qu’ils enlèvent à la classe vraiment utile des citoyens qui multiplient par leurs travaux les productions de la terre, ou les répandent également par le commerce dans toutes les contrées de l’univers ; fixons seulement nos regards sur la diversité de jurisprudence qui s’établit dans des tribunaux supérieurs, égaux entre eux en autorité. Les lois ne sont jamais tellement parfaites qu'elles embrassent tous les cas, qu’elles s’adaptent d’elles-mêmes aux espèces qui se présentent à décider. Les circonstances de fait laissent un vaste champ à l’arbitrage du juge; de là naît dans chaque tribunal une espèce drhabitude de juger certaines causes, habitude qui varie suivant les lieux, suivant les temps, et qui exige de la part de ceux que des intérêts différents y conduisent, une étude plus difficile que ne serait celle de la loi même. Je pensais et je pense encore que l’unité du tribunal supérieur était le seul moyen de parer à cet inconvénient, beaucoup plus grand qu’on ne croit. Saint-Domingue semblait inviter à la réunion de ses conseils par l’uniformité de sa coutume, par celle de ses productions : l’étendue de son sol et sa population n’y mettaient point d’obstacles insurmontables. Le Port-au-Prince, placé au centre de la colonie, était le siège naturel de ce tribunal unique. La partie de Saint-Domingue qui appartient à la France» n’a pas plus de superficie que la province de Bretagne; les deux extrémités de son territoire ne sont pas à plus de soixante-dix lieues de la ville du Port-au-Prince ; sa population ne s’élève pas à plus de cinquante mille êtres libres, de tout âge, de tout sexe, de toute couleur : et si l’on en retranche les femmes en puissance de (1) Le surplus de la lettre était relatif aux imperfections remarquées dans les autres lois qui avaient été envoyées. Le roi désirait qu’après y avoir mûrement réfléchi, des magistrats adressassent, au mois d’octobre 1789, de nouvelles remontrances, et les administrateurs des observations. On fixa cette époque, parce qu’elle est celle de la rentrée du conseil et pour donner, aux membres qui le composent le loisir de réfléchir endant les vacances aux changements qu’il convien-rait d’y faire. maris et les enfants, on trouvera à peine trente-cinq mille individus capables d’ester en jugement. Sur la surface de cette île sont répandus vingt tribunaux anciennement établis sous le titre de sénéchaussées et dû amirautés. Un édit envoyé en même temps que celui qui réunissait les deux conseils, donnait une ampliation de pouvoirs à ces tribunaux de première instance ; il les rendait compétents pour juger en dernier ressort jusqu’à six mille livres, argent de France, et augmentait le nombre des juges qui devaient y rendre la justice. Des précautions aussi sages ne rapprochaient pas seulement la justice du justiciable; mais quiconque obéirait à la loi, devait être assuré que la loi ne serait point inutile pour lui ; il trouvait une expédition plus prompte et moins coûteuse. Le recours au conseil supérieur ne pouvait plus avoir lieu que dans les causes d’un intérêt majeur; et alors la fortune dont jouiraient ceux entre qui elles naîtraient, ferait compter pour moins l’obligation d’aller solliciter un jugement définitif à une distance de vingt, de trente, de cinquante lieues pour la presque totalité des habitants ; de soixante ou de soixante-dix lieues pour quelques-uns seulement qui se sont fixés aux extrémités de la colonie. Contre des motifs si puissants de réunir les deux conseils, on pouvait objecter le danger de rassembler toutes les minutes dans un seul greffe et dans une ville autrefois exposée à de fréquents incendies; mais j’avais prisdes précautions sûres pour les prévenir. Un vaste réservoir nouvellement et solidement construit tient pour ainsi dire suspendue sur la ville une masse d’eau immense et offre des secours assurés contre le feu. Cinq fontaines établies dans les différents quartiers coulent sans interruption.il existe suffisamment de tuyaux dans les magasins pour en construire deux autres ; elles seraient achevées maintenant, si la disette de fonds qui depuis les derniers troubles se fait sentir à Saint-Domingue n’eût obligé de suspendre des travaux qui touchaient pour ainsi dire à leur fin. Les montagnes escarpées qui s’élèvent entre le nord et l’ouest de Saint-Domingue, la difficulté des communications mettaient encore des obstacles à la réuniou des deux conseils; mais je dois observer d’abord que le trajet par mer de l’un à l’autre de ces ports est rarement dangereux. Les vents y sont réglés, l’hivernage redoutable aux autres Antilles est presque inconnu entre le Gap et le Port-au-Prince; les traversées n’y sont pas longues. Quelques bâtiments ont échoué à la pointe de la Gonave pour s’en être approchés trop près; mais j'ai fait lever et graver une carte exacte des côles de cette île, et j’ai averti par ce moyen les navigateurs des écueils qu’ils devaient fuir. J’ajouterai qu’au mois de juillet 1788, date de ma lettre, je savais qu’en janvier de la même année il avait été ouvert une grande route qui communiquait du Port-au-Prince au Cap-Français. On travaillait à cette route importante avec une telle ardeur, qu’en dix-neuf mois elle a été achevée. Les montagnes ont été coupées, les ravines comblées, les descentes rendues faciles. La pente la plus rapide n’excède pas aujourd’hui trois pouces et demi par toise ; on doit y avoir établi des voitures publiques. Une ordonnance rendue par MM. du G... etdeMarboisle28mail789, enregistrée au conseil supérieur de Saint-Domingue, en a déterminé le départ et l’arrivée; elle 313 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (18 juin 1790. | a fixé le prix des places pour les différents endroits où elle passe. L’aurait-on cru? de ce chemin même que j’ose appeler un des plus grands bienfaits dont la bonté du roi ait pu gratifier Saint-Domingue, on a tiré un nouveau chef de dénonciation contre moi. On le subdivise comme on a fait du premier, en dénonciations particulières, présentées sous les noms effrayants de mensonge public, corvées arbitraires, persévérance opiniâtre dans dispositions pernicieuses. J’ai, si l’on en croit la dénonciation, trompé M. le maréchal de Gastriesenlui présentant comme une route praticable, celle qui n’était pas encore ouverte ; je me suis, par là, rendu coupable d'un mensonge public. Mais pouvais-je présenter à M. le maréchal de Castries, alors ministre de la marine, comme un moyen propre à déterminer la réunion des deux conseils du Gap et du Port-au-Prince, la communication ouverte par terre entre ces deux villes, quand j’ignorais même que cette réunion des conseils fut projetée? Ge n’est point avec moi que le ministre a préparé l’édit qui l’ordonne, je n’en ai été instruit qu’en mai 1787. Si l’on a annoncé dans le préambule de cet édit que des chemins commodes et sûrs faisaient dès lors communiquer entre elles toutes les parties de la colonie , cette erreur ne doit pas être imputée à celui qui était séparé de dix-huit cents lieues du rédacteur de la loi; je n’v ai aucune part, et si j’eusse été consulté, je n’eusse certainement pas fait l’éloge d’un chemin dont, avant la date de l’édit, j’avais connu moi-même les difficultés et le danger. Gomment s’est-on permis, sans avoir vérifié les faits, de m’imputer un mensonge public? Le ministre qui m’a précédé dans le département de la marine a pu être induit en erreur, mais il ne l’a pas été par moi. Je n’avais aucun motif pour lui donner des éclaircissements sur un fait qui me paraissait devoir lui être indifférent : il ne m’avait point communiqué son projet, et il m’était impossible de pénétrer sa pensée. Pour procurer à la colonie cette communication, j’ai, dit-on, demandé des corvées aux habitants riverains ; j’en ai exigé de ceux qui demeuraient au loin ; et tandis qu'en France on supprimait la corvée, je la créais à Saint-Domingue. Ce chemin a coûté des sueurs aux malheureux, des hommes à la colonie et deux millions à la caisse publique. Gomme les inculpations se pressent sous la plume de mes dénonciateurs, quel moyen de leur échapper ? Que pourrait-on faire qui ne leur déplût? Ils blâment la réunion des conseils; ils se plaignent des barrières que la nature a mises entre les habitants des différentes contrées de Saint-Domingue. Ils n’osent condamner ouvertement les grands chemins, mais ils ne veulent pas qu’on les fasse par corvées, et trouvent mauvais qu’ils soient faits à prix d’argent. Personne ne niera que la facilité des communications ne soit une source de richesses. La sûreté publique, le transport des denrées sollicitaient depuis longtemps, pour Saint-Domigue, l’ouverture d’une route, qui unît pour jamais entre elles les principales villes qui s’y sont formées ; mais la confection des chemins exige de grands travaux ; de tout temps la corvée était établie dans la colonie ; elle avait acquis une existence légale par des ordonnances enregistrées aux deux conseils, en juin 1776 et novembre 1781. Tant que ces lois n’étaient pas révoquées* on pouvait commander la corvée ; le chemin aurait été ouvert, formé, perfectionné par ce moyen, qu’il ne fournirait aucun prétexte à dénonciation. Enfin, on n’a commencé à travailler au chemin qu’en janvier 1788, et j’avais quitté la colonie dès le mois de novembre 1787 pour repasser en France. Quels reproches fondés peut-on donc me faire, comme gouverneur, sur l’emploi de ces corvées ? Gomme ministre, je déclare qu’il m’a été assuré qu’on les avait seulement employés à tracer et à baliser la route, ouvrages peu pénibles et de courte durée. Les remblais et déblais, les charrois de matériaux, tous les autres travaux ont été faits à prix d’argent. Les régiments du Gap et du Port-au-Prince y ont travaillé; la caisse publique a fourni à toutes les dépenses, au moyen de l’ordre qu'on avait rétabli dans les finances ; et cet ordre était tel qu’au 28 octobre dernier, il restait au Trésor 1 ,200,000 livres, non compris 100,000 écus destinés à la construction d’un pont sur l’Àrtibonite. Ces travaux profitables à la colonie en général, n’ont été nuisibles à aucun individu en particulier. Les registres des deux régiments qui y ont été employés, constatent que les maladies étaient moins fréquentes parmi les soldats qui travaillaient à ce chemin que parmi ceux qui vivaient renfermés dans leurs casernes. Enfin, personne jusqu’à présent ne s’était plaint qu’on eût fatigué ses bestiaux, harassé ses nègres pour perfectionner une route qui, depuis longtemps, était l’objet des vœux de tous les colons. Plusieurs des faits que je cite peuvent être vérifiés dans les comptes que l’intendant de la colonie a rendus au mois de juillet des années 1788 et 1789; on n’a, jusqu’à ce jour, élevé contre ces comptes aucune objection solide ou même spécieuse; plusieurs colons estimables qui, n’ayant aucune faveur à attendre de l’intendant, n’étaient mûs que par le seul amourde la vérité, y ont applaudi. M. le marquis de Gouy d’Àrcy, l’un de mes dénonciateurs, récuserait-il le témoignage du sieur Ghailleau son proche parent ; du sieur Lebon, commandant de milices, tous deux habitant à Plaisance? ils sont placés au centre des travaux que le chemin du Gap au Port-au-Prince a nécessités. Mais je vais citer une pièce authentique, contre laquelle qui que ce soit ne s’est élevé, et qui prouve qu’on a avancé un fait dénué de toute vérité, en assurant queces ouvrages ont été faits par corvée. Qu’on lise le préambule de l’ordonnance rendue le 28 mai 1789, par MM. du G...., et de Marbois. Personne depuis ce jour n’a pu douter que ce chemin n’ait été ouvert par les ordres et aux frais de Sa Majesté (1). Dois-je encore me disculper de cette persévérance opiniâtre dont le reproche termine le second chef de ces deux premières dénonciations ? Je pourrais dire qu’il n’appartient qu’à un caractère faible de changer au gré des circonstances; j’avouerai cependant qu’il en est de tellement impérieuses, que l’homme le plus ferme doit y céder. Un grand nombre d’habitants de Saint-Domingue désiraient le rétablissement du conseil du Gap. J’ai cru devoir le proposer, et dans une lettre que j’ai adressée le 15 mars dernier à M. Thouret, président du comité, chargé df présenter à l’Assemblée nationale un projet (1) Voyez pièces justificatives, n° 3; 314 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.’ de décret et d'instructions pour la nouvelle constitution des colonies, j’ai expressément énoncé qu'il serait très désirable de satisfaire la partie au Nord sur le rétablissement d'une cour de justice, rétablissement qu’elle désire avec ardeur, Je crois en avoir dit assez pour ma défense. Je terminerai cette discussion, déjà trop étendue, en observant qu’au premier octobre 1879, les tribunaux de Saint-Domingue n’étaient en retard sur aucune affaire contentieuse. La justice y était rendue à l’instant même où les parties venaient la demander, et pendant plus d’un siècle on s’y était plaint d’une lenteur dans son administration, qui équivalait presque à un déni absolu. Je p’ai pas la prétention d’avoir fait le mieux possible, mais j’avais le désir du bien, et j’ai mis à l’opérer toute l’énergie dont je me sentais capable. J’aurai rempli mon objet dans cette partie de ma défense, si nies concitoyens en sont convaincus. HUITIÈME CHEF DE DÉNONCIATION. Démission arrachée injustement à un magistrat septuagénaire , doyen du conseil. RÉPONSE. Ce chef de dénonciation semblait ne devoir renfermer qu’un seul genre de faits, cependant on en a pris occasion pour parler d’un jugement qu’obtint M. de S... pour m’imputer une accusation qui n’a été intentée contre ce magistrat ni par moi, ni par aucun autre. Ces différents faits tiennent à la réunion des deux conseils. Le roi avait déterminé qu’il n’y aurait plus qu’un conseil supérieur à Saint-Domingue. Le Port-au-Prince étant le chef-lieu de la colonie, c’était dans cette ville que le nouveau conseil devait tenir ses séances ; il devenait doncindispen-sable d’y transférer les minutes du greffe du Cap, après en avoir constaté l’état. M. de S...T conseiller au Cap-Français et un autre de M-ty, ses confrères furent nommés commissaires par le conseil de Saint-Domingue, à l’effet de procéder à cet inventaire. Les greffes sont, à Saint-Domingue, le dépôt public ôù se versent les sommes dont la justice croit devoir s’assurer, en attendant le jugement définitif des causes portées devant elle. Le greffier du conseil du Cap avait en dépôt à ce titre plus de cent mille livres, argent des colonies. Ce premier soin des commissaires devait être de constater l’état des dépôts; ils négligèrent cette opération importante. Qu’arriva-t-il ? Soit que le désordre régnât depuis longtemps dans la caisse, soit que le greffier eût conçu le projet de s’approprier les fonds qui y avaient été versés, il s’embarqua sur un bâtiment américain et disparut. On se peint aisément l’effet que produisit la nouvelle de son départ. Les créanciers de ceux qu’on avait contraint de déposer, virent avec douleur échapper le gage de leur créance; chacun se iivra à ses conjectures. Qn se demandait pourquoi jes commissaires ne s’étaient pas assurés d’abord de la caisse ; qn les taxait de négligence; on remarquait que la fuite du greffier avait été annoncée par des indices qu’on n’eût pas dû négliger. Jusque-là fastueux, facile, trop obligeant peut-être, on l’avait vu tqpt à CQUP vendre ses meubles, disposer de ses nègres, convertir ses effets en argent ; que fallait-il de plus pour le rendre suspect et provoquer la vigilance des commissaires ? Dans ces sortes de conjonctures, celui qui souffre, acquiert pour ainsi dire le droit d’être injuste dans ses soupçons; il s’attache aux moindres circonstances, il saisit jusqu’aux plus légers rapports; ses erreurs doivent être traitées avec indulgence , Le procès fut instruit, et le greffier contumax fut condamné à la peine capitale qu’il avait encourue. Quel prétexte peut-on trouver dans ces faits pour m’inculper? Gomment se permet-on de m’appeler l 'adversaire, l'accusateur, le délateur de M. de S. .. / Où est donc l’accusation que j'ai portée contre lui? Dans quel tribunal a-t-elle été suivie? Les pièces du procès fait au greffier fugitif existent, je les invoque; ce sont des témoins qu’on ne peut m’enlever et qui s’élèvent contre l’imputation qu’on a osé me faire. Non, je n’ai point porté d’accusation contre M. de S. . . ; il n’est rien émané de moi qui en ait le caractère. On a trompé l’Assemblée nationale, lorsqu’eu parlant de la disparution des dépôts du greffe, on n’a pas craint de dire :IM. de La Luzerne et M. de Marbois se permirent d'accuser M. de S... d'avoir coopéré à ce criminel enlèvement . J’ai pu, sans doute, lui témoigner, comme au plus ancien des commissaires préposés à la confection de l’inventaire, combien était fâcheuse pour la chose publique la disparution dû greffier dépositaire et l'enlèvement des dépôts. La perte en elle-même était considérable. Quels reproches n’étaient pas fondés à faire ceux qui avaient été condamnés à déposer et ceux qui attendaient la décision de la justice pour retirer du greffe les fonds qu’ils prétendaient leur appartenir? Combien cette perte devenait plus fâcheuse, quand des magistrats auraient pu la prévenir, quand ils auraient dû veiller sans cesse sur le dépositaire, qui ne pouvait leur refuser ses comptes à la moindre réquisition de leur part! Quels reproches ne méritaient, pas les commissaires, pour n’avoir pas apposé les scellés sur la caisse lors de la réception de l’arrêt qui les commettait à la confection de l’inventaire du greffe? Gomment se consoler d’avoir laissé celui qui y était préposé disposer de tous ses effets, vendre ses meubles et ses esclaves, soustraire à la justice les premiers gages qui se présentaient à elle ? Quelle confiance assoupie que celle qui n’est stimulée ni par des préparatifs aussi alarmants, ni par le cri du public, qui ne voyait qu’avec inquiétude, depuis longtemps, les dépenses auxquelles se livrait ce dépositaire! J’ai pu, j’ai dû, sans doute, représenter tous les effets d’une pareille négligence; j’ai dû dire qup plus les magistrats ont de droits au respect du public, moins ils doivent s’exposer à sa censure, qu’ils ne peuvept commettre de fautes légères, que les regards des plaideurs sout pénétrants et que la peine du magistrat inattentif est la perte de la confiance de ceux que la loi a placés dans le ressort de sa juridiction. J’ai dû enfin hâter la confection de l’inventaire, le transport au Port-au-Prince des minutes qu’il importait au public d’y voir rassemblées, et ne pas souffrir que ces opérations retardassent plus longtemps le jugement des procès que la réunion des conseils avait suspendus. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 jum 1790.] 315 Voilà sur quoi a porté fpa correspondance avec M. de S. . Les minutes en reposent dans la colonie; je ne les ai point apportées avec moi, qu’on les consulte: elles sont beaucoup plus au pouvoir de mes dénonciateurs qu’au mien ; mais je ne hasarde rien en assurant qu’on n’y trouvera aucune trace de ressentiment contre M."de S.. . Je l’avais peu vu au Cap, et ses longs services parlaient en sa faveur. Aussi lorsque sa délicatesse, alarmée par les bruits qui s’étaient répandus, le porta à se dénoncer à sa compagnie, j’applaudis le premier à l’arrêté où cette compagnie, dont j’étais membre, consigna le témoignage de la reconnaissance due aux services qu’il avait rendus. J’ai répondu à la première partie de la dénonciation; je vais examiner la seconde; elle prend son texte dans la démission de M. de S. .. Quelques observations préliminaires sur la composition du conseil établi à Saint-Domingue doivent précéder ma justification. La réunion des conseils du Gap et du Port-au-Prince était prononcée ; c’était au Port-au-Prince que devait être fixé dorénavant le siège du tribunal souverain de la colonie. Il importait donc aux habitants du Cap et à tous ceux de l’ancien ressort de ce copseil, que leurs magistrats vinssent, Je plus tôt possible, prendre place avec ceux dont ils devenaient les collègues. Instruits de la jurisprudence de leur siège, c’eût été pour les justiciables un point de tranquillité que de penser qu’ils les retrouveraient pour juges. Déjà préparés sur les différentes affaires qui leur avaient pté distribuées, ils devaient épargner aux parties les longueurs d’un nouveau travail. A ce motif, suffisant pour hâter l’arrivée au Port-au-Prince des membres de l’ancien conseil du Cap-Français, s’en joignait un beaucoup plus puissant encore : c’était d’assurer le service du tribunal, service d’autant plus important que ce tribunal était unique. Le premier, le plus saint des devoirs d’un souverain est d’administrer la justice à ses sujets. Le roi y a pourvu à Saint-Domingue en créant un conseil composé de vingt juges ; il a rendu les tribunaux moins coûteux en supprimant les épices ; fi a procuré aux magistrats l’existence honorable qu’ils doivent avoir en leur donnant des appointements suffisants. Tout magistrat doit être exact à ses devoirs; et si le seul amour du bien nous a fourni tant d’exemples de citoyens zélés qui oublient ce que leur grande fortune leur offre de jouissances, pour se consacrer tout entiers à l’étude des lois, quelle exactitude ne dojt-on pas exiger de ceux qui reçoivent le prix du temps qu’ils consacrent à des fonctions tout à la fois lucratives et honorables? Dans des compagnies peu nombreuses, l’assiduité est plus qu’qn devoir, elle est d’une nécessité absolue; aussi en a-t-il été fait une loi impérieuse à fous les membres du conseil de Saint-Domingue. L’article 19 de l’ordonnance de 1787 défend aux douze conseillers et aux quatre assesseurs bréyetés, de prendre plus d’un mois de congé par an, et il ne veut pas que plus d’un d’entre eux en puisse profiter en même temps. L’article 26 de la même ordonnance prescrit à tout officier, ayant séance au conseil supérieur, d’y assister le preqner octobre, jour de la rentrée, nonobstant tout congé qu’il aurait pu obtenir-La mercuriale s’y fait le jour même; la vie privée et publique de cbacup est soumise 4 la censure. On exige que les membres ducoqsçil donnent l’exemple de l’exactitude à remplir leurs engagements ; on y regarde comme un crime impardonnable le moindre abus de l’autorité dpnt fis sont dépositaires. Le gouverneur et l’intendant ne sont pas affranchis de la loi générale ; ils doivent recevoir les avertissements, les injonctions même dont le tribunal assemblé les a jugés susceptibles. Gouverneur général, je n’ai jamais, cherché à me soustraire à cette loi ; devenu ministre, j’ai dû en maintenir l’exécution. Je le devais d’autapt plus que le nombre des juges n’est jamais complet, dans quelque tribunal que ce soit, et moins à Saint-Domingue que partout ailleurs. Les maladies y sont fréquentes ; les voyages en France y sont quelquefois nécessaires, En 1789, quatre des magistrats du conseil de Saint-Domingue y étaient venus pour cause de santé ; un autre y avait été appelé par des travaux relatifs à la législation delà colonie; un sixième, emporté parle torrent de ses affaires personnelles, ne faisait que de courtes apparitions au Port-au-Prince. Un assesseur n’avait voix délibérative qu’en cas de partage d’opinion@. Le nombre des vocaux se trouvait donc réduit à treize, et POU-vait être diminué par }es maladies ou les accidents qui menacent sans cesse l’humanité. Dans une pareille position, n’était-il pas d’un devoir indispensable de rappeler au Port-au-Prince tous les magistrats qui composaient le conseil, de les mettre tous en activité? l’intérêt du public l’exigeait, celui des membres du conseil le demandait. Toutes les affaires s’instruisent par écrit à Saint-Domingue ; elles se jugent par rapports ; elles sont en très grand nombre. Un des membres ne peut être absent sans surcharge pour les autres. L’inexactitude des magistrats serait à Saint-Dominque le plus grand de tous les vices dans l’administration de la justice, Dans un pareil état de choses, le repms, j’en conviens, est presque impossible; l’intérêt général l’emporte sur toute espèce de considérations particulières. Les services passés doivent être récompensés, mais ils ne peuvent autoriser à laisser vacante une place qui doit continuellement être remplie. J’ai dû donner et j’ai donné en effet les ordres les plus précis à tous les membres du conseil de se rendre au tribunal auquel ils appartenaient. Ces ordres, émanés du roi lui-même, ont éfé notifiés à M. de S..., comme à d’autres membres du conseil. M. de S... a prétexté sa mauvaise santé et est resté au Cap, Plusieurs mois se sont écoulés; les affaires s’accumulaient, l’administration de la justice jaq-guisseit : j’ai, de la part du roi, renouvelé les ordres. M. de S... répugnait à s’éloigner du Cap où ses biens ej sa famille le retenaient; d’autres magistrats imitaient son exemple, Je ne pouvais faire céder l’intérêt général à des çppsi-dérations particulières; j’ai dit et dû dire au il fallait venir remplir sa place ou Fabriquer. Cet ordre, qui était juste, ne portait-il que sur M. de S....? non, et j’ai l’avantage, dans la circonstance, de pouvoir prouver qqe mes léttpes étaient toujours relatives à ceux des meqifires du conseil, au nombre de deux ou trois,' qui remplissaient avec peu d’assiduité leurs fonctions. Cet ordre, a-t-fi été précipité? non, et M, fip S... entre autres est rpsté revêtu de sqp titré pendant quinze mois ; i( a touché pendant tout ce temps ses appointements sans avoir parq qpé senle fois au conseil. Ne serais -je pas répréhensible, si j’avais toléré un abus aussi nuisible au service public et à l'administration de la justice ? 316 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] Mais M. de S... est septuagénaire, il a servi cinquante ans sa patrie. Oui, sans doute, l’État lui doit une récompense honorable ; mais il ne peut permettre qu’il soit présenté à la colonie comme un des vingt juges qui doivent prononcer sur le sort de ses habitants, et que jamais il ne paraisse au tribunal. Un vrai magistrat s’offenserait d’une pareille tolérance, elle serait infiniment préjudiciable au public. Quelque vénérable que soit un vieillard courbé sous le faix de ses longs travaux, M. de S... eût acquis de plus grands droits encore à la reconnaissance de ses concitoyens s’il avait montré moins de répugnance à opter entre l’exercice ou l’abdication volontaire de ses fonctions. Mais un moment d’erreur n’efface point aux yeux d’un roi juste la fidélité et les travaux de beaucoup d’années. Sa Majesté accepta la démission de M. de S...; mais elle permit d’annoncer qu 'elle se proposait de lui donner des témoignages de la satisfaction quelle avait de ses anciens services , en lui accordant des lettres à! honoraire s'il les demandait. Ces offres que je me suis alors félicité de pouvoir lui faire, les expressions qui les accompagnaient, doivent éloigner tout soupçon de ressentiment de ma part, je n’en avais conçu aucun. J’ai rendu justice à M. de S... quand il s’est acquitté de ses devoirs ; je lui ai, comme à tout autre, enjoint, au nom du roi, de les remplir quand il a paru les oublier. NEUVIÈME CHEF DE DÉNONCIATION Exaction publique ; poursuite tyrannique envers un père de famille innocent , et suites cruelles de ce traitement barbare. RÉPONSE. La dénonciation que j’analyse en ce moment porte, de l’aveu même de mes adversaires, sur des faits qui me sont étrangers; ils ne l’ont imaginée qu’à cause de la protection spéciale que j’ai, disent-ils, accordée à ceux qui, suivant eux, ont de graves reproches à se faire. Le décret d’ajournement personnel décerné contre le sieur de La F..., son voyage au Port-au-Prince, son retour au Cap, sa mort survenue peu de temps après, voilà les bases de la dénonciation. Certainement je suis absolument étranger à tous ces faits. Suivant la dénonciation même, c’est à la fin de 1788 que M. de La F... a été décrété d’ajournement personnel par le conseil de Saint-Domingue, et j’ai quitté la colonie en novembre 1787. Je n’ai donc pu, ni comme gouverneur, ni comme membre du conseil, avoir ta plus légère influence sur le décret prononcé. Eloigné de 1,800 lieues de Saint-Domingue, il m’était impossible, comme ministre, de dispenser M. de La F... d’un voyage que sa santé pouvait, à ce que l’on assure, difficilement supporter, ni d’arrêter l’exécution d’un jugement dont physiquement je ne pouvais avoir la moindre connaissance. Quand ce décret et le voyage qui' l’a suivi auraient causé la maladie de M. de La F..., ce qui ne paraît nullement prouvé, on ne pourrait jamais, je ne dis pas me l’imputer, mais y trouver un prétexte au plus léger reproche. D’abord, il n’aurait pas été en mon pouvoir d’interrompre le cours de la justice. On ne peut employer que les voies de droit contre les jugements des tribunaux souverains, et ces voies de droit, le ministre ne peut les suppléer; il faut que les parties elles-mêmes y aient recours. La veuve et les héritiers de M. de La F... ne se sont pas encore plaints; il paraît même que la procédure du Port-au Prince n’avait pas été suivie, puisque M. de La F... était retourné chez lui, et qu’il est mort au milieu de sa famille. Assurément le temps qui s’est écoulé entre le décret et sa mort, ne permettait pas que je fusse instruit des poursuites faites contre lui, ni que j’en adoucisse les effets. Le silence des parties intéressées (en supposant même que j’eusse pu connaître les circonstances de cette affaire, et qu’elles eussent été aussi graves qu’on l’annonce) aurait arrêté nécessairement les meilleures dispositions où j’aurais été. Ici ma défense est complète, on ne peut se le dissimuler; mais dois-je souffrir qu’on me soupçonne d’avoir laissé subsister une loi abusive et qu’on la qualifie d'exaction publique qui a donné lieu à des poursuites tyranniques , et qui a eu des suites cruelles ? Je vais donc dire ce qu’est cette loi; on reconnaîtra bientôt que le roi n’a point dû l’abolir, et que ceux qui y contrevenaient, s’exposaient aux poursuites de la justice; mais les détails de ces poursuites et leurs effets me sont étrangers, les tribunaux ne sont même saisis d’aucune réclamation à cet égard. Indépendamment de l’octroi qui est fixé à Saint-Domingue, et que les habitants accordent au roi, on perçoit dans cette colonie, des droits nommés municipaux ; ces droits sont destinés à payer la solde de la maréchaussée, les frais de police, l’achat des terrains et des corps-de-garde, le loyer et l’entretien de ces bâtiments dont l’État n’est pas propriétaire. C’est aussi sur ces droits qu’on prélève de quoi rembourser aux habitants le prix de leurs esclaves comdamnés au dernier supplice, et que l’on paye les pensions des curés et vicaires. C’est au conseil supérieur que sont confiées la perception, la garde, la disposition du produit de ces droits municipaux ; les receveurs sont nommés par le conseil, et c’est à lui seul que les comptes sont rendus. Ce droit se perçoit par forme de capitation, et cette capitation, levée par tête de nègres, est plus ou moins forte, suivant l’état où se trouve la caisse à la tin de chaque année, et eu égard aussi aux besoins de l’année suivante. Le conseil supérieur la fixe seul; le ministre n’y a aucune influence; elle a été de 30 sous tournois pour 1789. Les marguilliers sont, dans la colonie de Saint-Domingue, les collecteurs-nés de cette capitation. La loi leur alloue trois pour cent de la recette, à condition qu’ils feront les deniers bons, et qu’ils en seront responsables en leur propre et privé nom. Cette rétribution dont ils ne profitent même point ordinairement, ne les indemnise pas de la perte qu’ils éprouvent sur leur collecte ; aussi les places de marguilliers sont-elles onéreuses et regardées comme des charges publiques. La destination de ces fonds, plus encore que la crainte qu’on n’en abuse, provoque la vigilance du conseil, et lui fait tenir la main à ce qu’ils soient versés à l’époque marquée dans la caisse qui doit les recevoir. M. deLaF... marguillier, a été décrété d’ajour- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790. 347 nement personnel : je n'ai point cherché à pénétrer les motifs du décret; encore une fois j’étais à 1,800 lieues de Saint-Domingue. La levée de cet impôt ne regarde en rien l’administration ; je n’ai donc pu ni approuver ni improuver ce qui s’est fait à cet égard. Quiconque a une idée de la législation de Saint-Domingue, sait que depuis 1766, les conseils supérieurs ont seuls statué sur tout ce qui concerne la caisse municipale. Les assemblées coloniales, tenues en juin et juillet 1764, joignirent la perception de cette capitation à celle de l’octroi. Le roi et les administrateurs, en son nom, se trouvèrent chargés de la recette et de l’emploi de ces revenus , mais Sa Majesté, par l’ordonnance du 1er février 1766, confia de nouveau aux conseils supérieurs le droit qui était rentré dans ses mains, et eux seuls, depuis vingt-quatre ans, se sont occupés de tout ce qui concerne les caisses municipales. L’administration des fonds qui y entrent et leur distribution n’étaient pas uniformes dans toute la colonie. Dans le ressort du Port-au-Prince il n’y avait qu’un seul receveur, une seule caisse pour tous les objets que j’ai indiqués plus haut. Dans la partie du Nord, au contraire, les pensions des ministres du culte n’étaient point payées sur la caisse municipale. Ces pensions étaient inégales : chaque paroisse fournissait aux besoins de son curé, mais par des délibérations que le conseil supérieur pouvait réformer. Après la réunion des deux conseils du Gap et du Port-au-Prince, celui connu depuis, sous le nom de Conseil de Saint-Domingue , ordonna, par un arrêt du 13 mars 1788, la réunion des deux caisses en une seule. Il sentait combien il était désirable que les pensions des curés et vicaires fussent établies sur des bases uniformes ; mais il crut qu’une disposition de ce genre, qui tenait à la police générale de la colonie, ne pouvait émaner que des administrateurs, et ceux-ci rendirent, le 5 mai 1788, une ordonnance qui régla ces pensions à 2,000 livres pour les curés, et à 600 livres pour les vicaires. Depuis cette époque, le conseil supérieur, par un arrêt de règlement du 5 février 1789, étendit à la classe indigente des habitants du Nord, une immunité dont elle jouissait depuis longtemps dans les parties de l’Ouest et du Sud ; il affranchit de tout paiement de droits municipaux ceux qui ne résidant ni dans les villes ni dans les bourgs, ne posséderaient que quatre esclaves ou un moindre nombre. Est-ce à ces lois qu’on me reproche d’avoir applaudi ? elles étaient sages ; elles tendaient au soulagement de l'humanité ; elles étaient conformes aux anciens règlements; elles établissaient une uniformité vraiment désirable entre toutes les parties d’une colonie florissante. Ceux qui les mettaient en vigueur méritaient bien de leur patrie ; je le crois encore, et il paraît absurde de prétendre que les magistrats et les administrateurs qui les ont rendues, aient été mûs par d’autres considérations que par le zèle et l’amour du bien public. Je devais ces éclaircissements à ceux mêmes qui me dénoncent ; mais je ne puis présumer qu’ils insistent davantage sur des imputations dont je suis séparé par tout l’espace que la nature a mis entre l’Europe et Saint-Domingue. DIXIÈME CHEF DE DÉNONCIATION. Réunions tyranniques au domaine du roi , et concessions frauduleuses. RÉPONSE. Le sol de Saint-Domingue, au moment où une portion de cette île est entrée sous la domination française, a été regardé comme faisant partie du domaine de l’État. La fertilité de la terre provoquait l’industrie du cultivateur et ne trompait jamais ses espérances. Nos rois ont offert de concéder gratuitement ce sol à quiconque voudrait le mettre en culture ; mais pour entrenir les habitants dans une activité utile à la colonie, ils ont imposé pour condition expresse de toutes les concessions, que les terrains pourraient être réunis au domaine, toutes les fois que le concessionnaire ne mettrait pas sa terre en valeur dans un temps marqué, ou qu’après l’avoir défrichée, il cesserait de la cultiver. Il existe une multitude d’ordonnances et de déclarations de nos rois, qui déterminent les cas où les réunions doivent être prononcées, et les formalités auxquelles elles sont assujetties (a). Les trois premiers articles de la déclaration du roi, du 17 juillet 1743, donnent des idées justes de ce qu’on doit entendre par concessions et réunions. I. « Les gouverneurs, lieutenants généraux pour « nous, et les intendants des colonies, conti-« nueront de faire conjointement les concessions « de terres aux habitants qui seront dans le cas « d’en obtenir pour les faire valoir, et leur en « expédieront les lettres, aux clauses et condi-« tions ordinaires et accoutumées. II. « Ils procéderont pareillement (b) à la réunion « à notre domaine des terres qui devront être « réunies, et ce à la diligence de nos procureurs « des juridictions ordinaires, dans le ressort des-* quelles lesdites terres seront situées. 111. « Ils ne pourront reconcéder les terres qui « auront été une foisconcédéés, quoiqu’elles soient « dans le cas d’être réunies qu’après que la réu-c nion en aura été prononcée, àpeine de nullité « des nouvelles concessions et sans préjudice de « la réunion, laquelle pourra toujours être pour-« suivie contre les premiers concessionnaires. » (a) Ou peut consulter sur ce point l’arrêt du conseil du 26 septembre 1686, ceux des 12 octobre 1683, 1«- décembre 1610, 17 octobre 1713, la déclaration du roi du 17 juillet 1743, les lettres patentes du 19 octobre 1787, et deux ordonnances du roi, des 18 mars 1763 et 21 janvier 1787. (p) Par une ordonnance du 18 mars 1766, on créa un tribunal nommé le tribunal terrier , pour prononcer sur divers objets, et spécialement sur les poursuites en réunion. Un édit enregistré le 11 juin 1787, a supprimé depuis ce siège, et a rendu aux administrateurs la connaissance de tout ce qui est relatif aux réunions. 318 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] Ainsi les concessions sont l’aliénation d’un terrain, faite en vertu de la loi par le gouverneur général et par l’intendant; aliénation qui transmet la propriété du sol désigné à un habitant quelconque, sous la condition expresse que, dans un temps marqué, il le mettra en valeur et continuera de le cultiver. Les réunions sont le retour au domaine de ce terrain cédé, faute par le concessionnaire d’avoir mis sa terre en valeur dans le temps marqué ou d’en avoir continué la culture. L’objet des lois publiées sur cette matière est d’entretenir une émulation désirable entre les colons et d’empêcber, autant qu’il est possible, les anciens concessionnaires de laisser leurs terres incultes. Les auteurs du chef de dénonciation auquel je réponds en ce moment ne blâment point ces lois; ils avouent, au contraire, que le gouvernement avait imposé des obligations fort raisonnables aux concessionnaires ; mais ils prétendent que désormais les réuniops et les concessions pourraient nuire à notre commerce de café, parla trop grande Quantité qu'on en cultiverait, et à la (a) salubrité e l’air de Saint-Domingue, parce qu’elles entraîneraient les destructions des forêts qui y attirent les nuages et y provoquent les pluies. Enfin, ils allèguent que, depuis vingt ans, mes prédécesseurs n’avàient pas prononcé vingt réunions par année, et ils me reprochent de n’avoir pas suivi leur exemple, Je vais répondre à ces premiers chefs de la dénonciation; je repousserai ensuite l’attaque de mes adversaires sur l’abus qu’ils prétendent que j’ai fait de la faculté qui m’était accordée, conjointement avec l’intendant de la colonie, de prononcer des réunions et de faire des concessions nouvelles, Les dénonciateurs mettent d’abord en avant une proposition qui, sans doute, paraîtra très extraordinaire. « Un ministre, disent-ils, qui, sans considérer « la différence des époques et les changements « que le temps apporte à toutes les institutions « humaines, prétendrait se référer servilement « aux lois du siècle dernier, et les faire observer « aujourd’hui avec rigueur, serait un très mau-« vais politique qui servirait mal sa nation et « particulièrement la province confiée à ses « soins. » J’interrogerai à mon tour ceux qui me dénoncent; je leur demanderai s’ils se contenteraient d’une justification de ma part qui serait appuyée sur un pareil principe. Je suppose que je me fusse écarté des dispositions des ordonnances, et que, cité comme je le suis aujourd’hui, j’osasse dire : Il çst vrai que fai enfreint la loi, mais j’aurais été mauvais administrateur si j’eusse voulu faire observer servilement celle du siècle dernier. Un ministre doit considérer la différence des époques et les changements que le temps apporte à toutes les institutions humaines , J’ai servi ma patrie en m’élevant au-dessus d’une loi qui m’a paru mauvaise et je ne suis pas cru lié par celles qui avaient vieilli. Avec quelle force, avec quel avantage mes (a) Cette allégation est tellement dépende par l’expérience que je me crois dispensé d’y répondre. Je ne citerai pas Saint-Domingne seul pour exemple, mais toutes les contrées Où le climat est chaud et le sol fertile, plus on y fait des défrichements, plus on a découvert là terre des hois qui 1 ombrageaient, plus on a diminué l’insalubrité de l’air. dénonciateurs ne réclameraient-ils pas en faveur des principes ! Gomme ils soutiendraient que le temps, loin d’altérer le respect qu'on leur doit, ajoute encore à leur autorité? Quand tout s’incline au nom seul de la loi, un ministre est dénoncé pour s’être fidèlement conformé à celles qui existent depuis plus de cent années et que d'autres lois successives ont maintenues dans toute leur vigueur! Gomment me disculperais -je d’avoir trahi sciemment mon devoir, si j’eusse refusé de concéder les terres qui étaient demandées au gouvernement pour la première fois, lorsque ces concessions sont spécialement ordonnées par toutes les lois de la colonie? Le règlement du leï avril 1783, titre III, art. 4, n’oblige ceux qui veulent obtenir des terrains propres à être mis en culture qu’à se munir d’un certificat de l’arpenteur de la paroisse dans l’étendue de laquelle ce terrain est situé, à le faire publier pendant trois dimanches cousécutifs, en la forme ordinaire, à l’issue de la messe paroissiale et à le faire visiter par le commandant du quartier. La publication avertit ceux qui pourraient y avoir des droits. Le visa du commandant du quartier est pour les administrateurs de la colonie un garant que la concession peut être faite sans aucun inconvénient pour le public, et que le défrichement ne nuira pas à la conservation des eaux. Ge commandant, toujours pris parmi les propriétaires, est intéressé personnellement à ne point laisser tarir les sources qui fertilisent son canton. Je n’ai fait aucune concession sans avoir vérifié si ces formalités avaient été remplies : que peut-on exiger de plus ? J’aurais été injuste si, m’opposant au vœu de lq loi, j’eusse refusé des concessions nouvelles qui ne portaient préjudice à aucun citoyen, et qui ne pouvaient exciter de légitimes réclamations. D est une considératiou de bien plus haute importance, qui, suivant les auteurs de la dénonciation, devait empêcher qu’on ue fît des concessions. On s’était aperçu que le café et l’indigo épuisaient prodigieusement la terre, il fallait bénir l’heureuse impossibilité où se trouvaient plusieurs colons d’étendre une culture précieuse au delà des besoins des consommateurs. Si les concessionnaires avaient pu défricher tout ce qui leur avait été concédé, le café serait tombé à un prix si bas qu’il n’ aurait pas dédommagé des frais de culture ; aussi, les administrateurs qui m’avaient précédé , n’ avaient-ils pas prononcé vingt réunions par année. Je réponds d’abord à cette dernière partie de l'objection, que j’ai été gouverneur général en 1786 et 1787. L’année 1785 est doue celle qui à précédé mon administration, et l’année 1788, celle qui l’a suivie* 11 a été imprimé en 1789, âu Port-au-Prince, iia été répandu avec profusion dans la colonie entière, un tableau que je produis, des réunions poursuivies et prononcées pendant les années 1785, 1786, 1787 et 1788. Personne jusqu’à ce jour n’a douté de l’exactitude de cette pièce authentique ; elle est revêtue de l’attestation du greffier, homme public, et dont l’intégrité est connue. En 1785, il y a eu soixante-dix-sept réunions poursuivies, soixante-cinq ont été prononcées ; et en 1786 il n’y a eu que vingt-six réunions poursuivies, et vingt-trois de prononcées. Rapprochons maintenant du résultat des deux [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] $10 années qu’a duré mon administration, celui des deux années qui l’ont précédée et suivie. En 1786 et 1787 il y a eu cent treize réunions poursuivies, et cent deux prononcées. En 1785 et 1788 il y a eu cent quatre-vingts réunions poursuivies, et cent trente-trois de prononcées. Je présente les faits et je m’abstiens de toutes réflexions. Je demande, en second lieu, s’il serait d’une sage politique de restreindre volontairement la culture du café et d’empêcher son accroissement dans la colonie, par la seule raison qu’en le multipliant, il baisserait de prix? Les nègres deviendront plus chers, parce qu’on en emploiera davantage ; les propriétaires des sucreries (tels que sont onze des treize signatures delà dénonciation que je réfute), contraints d’acheter continuellement des recrues de noirs dont leurs ateliers ont besoin, verront augmenter leurs frais d’exploitation: cela peut être, mais le public aura le café à meilleur compte, et l’intérêt général doit toujours l’emporter sur l’intérêt particulier. On ajoute que cette plante épuisant la terre, il est à craindre que l'univers n'éprouve tout à coup une privation, qu'une abondance momentanée ne ferait que rendre plus sensible. Ces inquiétudes pourraient avoir quelque apparence de fondement, si Saint-Domingue était la seule contrée qui produisît du café, comme les îles hollandaises sont les seules qui, jusqu’à présent, aient donné des épiceries en abondance; mais plusieurs autres îles et le continent de l’Amérique offrent d’immenses terrains propres à cette culture; les nations voisines s’y livreront avec ardeur, dès que nous commencerons à nous ralentir, et que nous ne pourrons plus fournir aux demandes des consommateurs. Déjà même les Hollandais et les Espagnols ont obtenu des succès qui stimulent l’industrie et l’activité de nos cultivateurs. Supposons pour un instant qu’on eût refusé depuis longtemps des concessions, qu’on eût rejeté les poursuites en réunion, qu’on eût mis des entraves à la culture des cafés dans nos colonies; qu’en serait-il arrivé ? Les anciens propriétaires dont les habitations sont en plein rapport, auraient peut-être marché à plus grands pas vers la fortune; la denrée aurait augmenté de prix, les nègres auraient diminué de valeur ; mais bientôt l’étranger aurait été averti par son intérêt personnel, il se serait emparé d’une branche de commerce que nous aurions négligée ; et si nous tentions de nous en ressaisir, nos efforts seraient impuissants, le plus diligent ayant tout l’avantage en matière de commerce et de culture, Un gouvernement sa�e et éclairé ne refuse jamais de faire produire à la terre tout ce qu’elle peut donner; il s’efforce, au contraire, de procurer toutes les facilités qui dépendent de lui, à ceux que l’amour des richesses attire dans ses colonies. S’il diminue par là les profits des anciens cultivateurs, il en enrichit de nouveaux ; le nombre des consommateurs s’augmente en raison de ce qu’on leur procure des jouissances plus faciles et moins coûteuses. Il est une manière sûre de juger des effets que produisent les réunions et les concessions; c’est de considérer la progression des cafés (a) produits par la colonie, et du nombre des nègres qui y ont été importés. Les tableaux suivants présentent les résultats de l’importation des nègres et de leur prix, de l’exportation des cafés et de leur valeur. Ainsi, en six années, le produit d’une seule branche de commerce s’est élevée de 33,429,750 livres à 92,003,850 livres, c’est-à-dire qu’il a presque triplé, et le café; loin de diminuer de valeur, a continuellement augmenté. En 1783, il était à quinze sous la livre ; en 1784, à dix-sept sous; en 1785, à vingt sous; en 1786, à vingt-deux sous: en 1787, à vingt-six sous; en 1788, à vingt-sept sous. Get exposé Adèle prouve, comme je l’ai déjà avancé, que l’abondance de cette denrée n’en fait pas toujours baisser le prix. Tels ont été les effets des réunions et des concessions qui m’attirent aujourd’hui le reproche d’une déférence servile aux lois du dernier siècle ; comme si les réunions et les concessions n’étaient pas des moyens assurés d’entretenir l’activité du cultivateur, comme si cette activité n’était pas une source inépuisable de richesses pour la nation. L’agrandissement des villes marche nécessairement du même pas que la culture du sol. Le Port-au-Prince s’est accru d’un tiers dans l’espace de quatre années; on a vu se former des quais immenses, s’élever des maisons vastes, où il n’y avait autrefois que des marais malsains ; les constructions ont été facilitées par la réunion des terrains abandonnés; cent vingt années d’expérience ont prouvé la nécessité d’y avoir recours. Le gouvernement n’a pu se méprendre pendant un si long espace de temps sur ses véritables intérêts, et le résultat de ses opérations ne laisse aucune place à des critiques légitimes. Je n’ai encore rempli qu’une partie de la tâche 320 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18juinl790.| que m’ont imposée mes infatigables dénonciateurs. « Après avoir démontré, disent-ils, que les réu-« nions ne tendaient à rien moins qu’à consotn-« mer la ruine entière de la colonie, ils veulent « prouver qu’elles ont été une source de tyrannie « et de concussions : de tyrannie, si les proprié-« taires ont été dépouillés ; de concussions, si les « tyrans ou leurs sous-ordres ont trouvé dans ces « larcins publics, ou des avantages personnels, « ou le plaisir de la vengeance. » Qui ne croirait, d’après une pareille dénonciation, que le pouvoir de réunion est concentré dans la personne des administrateurs, qu’ils peuvent arbitrairement les prononcer, qu’elles ne sont assujetties à aucune forme; cependant (et ceux qui m’inculpent ne l’ignorent point), c’est à la poursuite du procureur du roi du lieu où l’objet à réunir est situé que s’instruit la procédure en réunion ; c’est devant le juge que cette procédure est portée ; son avis et les conclusions du procureur du roi sont envoyés au greffier du tribunal-terrier. Jusqu’au mois de juin 1787, ce tribunal a pris connaissance de toutes les affaires qu’avaient instruites, comme je viens de l’exposer, les tribunaux ordinaires; et il est notoire que les administrateurs ne prononcèrent de réunions, avant cette époque, qu’assistés de trois magistrats du conseil supérieur, membres comme eux du (a) tribunal-terrier. Ce tribunal fut supprimé par l’ordonnance du 21 janvier 1787, enregistrée au mois de juin suivant, et la même loi attribua aux administrateurs seuls la connaissance exclusive de toutes les réunions au domaine et des contestations relatives à la distribution et à l’usage des eaux. Je reconnus encore plus à cette époque, ainsi que l’intendant de la colonie, la nécessité d’établir les règles les plus précises sur la forme de procéder en cette matière. Nous y pourvûmes par un règlement que nous rendîmes conjointement le 10 novembre 1787, peu de jours avant mon départ de la colonie. L’état des réunions poursuivies et accueillies en 1788 est le plus sûr garant que je puisse donner de son utilité et de la faveur accordée aux propriétaires sur lesquels les demandes en réunion étaient formées (b). Il y eut cette année cent quatre demandes en réunion, et cinquante-trois réunions seulement furent accordées aux poursuivants ou à des étrangers. Jamais autant de poursuivants n’avaient succombé; l’omission de la moindre formalité suffisait pour les éconduire. Les registres des greffes des juridictions que j’ose invoquer, et qui sont ouverts à tout le monde, prouveront de plus que cinquante-trois demandes en réunion, qui ont été adoptées, ne trouvèrent pour ainsi dire point de contradicteurs. Il s’agissait de terres entièrement abandonnées; la réunion était la seule voie que la loi eût ouverte pour les faire rentrer dans le commerce et les rendre à la culture. La jurisprudence du tribunal-terrier, pendant que j’en ai été le chef, a toujours adouci ce que le texte des règlements avait de sévère. On ne s’y écartait de l’avis du juge et des conclusions du procureur du roi, que pour être plus favorable qu’ils ne l’avaient été eux-mêmes aux propriétaires attaqués ; et quoique la loi exige impérieusement qu’on mette en culture un tiers de terrain dans la première année, à peine de donner ouverture à la réunion, jamais cette loi n’a été appliquée d’une manière rigoureuse. Il a toujours suffi, pour faire succomber le poursuivant, que le propriétaire eût placé un petit nombre de nègres sur la concession et qu’il eût commencé à la cultiver. Il y a plus; j’ai maintenu avec exactitude l’exécution du règlement des administrateurs, rendu le 6 décembre 1785, qui, pour éviter les surprises et donner la plus grande publicité aux demandes en réunion, ordonnait que l’on désignerait dans trois (c) gazettes les abonnements (a) Le tribunal-terrier, et depuis qu’il a été aboli, celui des administrateurs, étaient véritablement des sièges inférieurs de justice ; l’appel de leurs décisions était de droit, et se portait au conseil des dépêches. Tout déni de justice eût été comme dans les autres tribunaux, une prévarication : il ne m’était point permis de rejeter de prime-abord une requête en poursuite de réunion ; j’étais tenu de la juger. (c) Pendant l’administration de M. de Marbois et pendant la mienne, plusieurs ordonnances enregistrées au conseil supérieur ont donné aux gazettes coloniales un genre d’utilité que n’ont point nos journaux ; elles donnent une publicité certaine à plusieurs actes judiciaires, et préviennent les inconvénients qui naissent souvent dans nos tribunaux du défaut de notification de ces mêmes actes. Il en résulte de grands avantages pour le public; tout poursuivant en réunion doit y faire imprimer sa demande, et ne peut la soustraire à la connaissance de tous les citoyens qu’elle intéresse. Le particulier qui veut s’éloigner de la colonie est obligé d’y notifier son départ à ses créanciers, etc. La loi punirait sévèrement les rédacteurs des feuilles américaines, s’ils osaient être infidèles ; aussi les gazettes de Saint-Domingue méritent-elles foi sur tout ce qui concerne la partie française de cette île. On peut même les regarder presque comme des pièces légales; c’est 321 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] du terrain dont la réunion était poursuivie, le quartier où il était situé et le nom du propriétaire. Ce règlement de MM. deCoustard et de Marbois ordonne que les mêmes poursuites seront inscrites sur un tableau placé en évidence dans la salle d’audience de chaque juridiction. Cette formalité a depuis été remplie avec exactitude; elle a été regardée comme la sauvegarde de la tranquillité publique; elle n’a trouvé d’improbateurs que dans ceux à qui auparavant le secret des poursuites était profitable. Sans doute, la concession, une fois accordée, doit être conservée au concessionnaire; mais elle ne lui a été faite que pour qu’il mît le terrain en valeur; il doit en être privé s’il le néglige. Sans les réunions, plusieurs quartiers, aujourd’hui d’un produit immense, seraient encore couverts de bois; au lieu de cinquante mille individus libres que l’on compte à Saint-Domingue, la colonie stérile et presque déserte serait divisée entre douze et quinze cents colons incapables d’en cultiver la vingtième partie. Le Bou-cassin et l’Arcaye, quartiers si florissants, ont été dans la main d’un seul particulier ; alors ils étaient incultes. Les réunions et les concessions ont fertilisé cette partie de l’île, en proportionnant l’étendue des propriétés aux facultés des concessionnaires. Mais quelque utiles que soient les réunions en général, quelque exactitude qu’on apporte à l’observation des formes qui doivent les précéder, il faut convenir cependant qu’elles couvriraient des abus vraiment répréhensibles, si elles laissaient aux administrateurs la faculté d’en gratifier leurs parents ou leurs amis aux dépens des propriétaires; si la même personne pouvait en réunir plusieurs, et en faire un trafic honteux ; si enfin ces réunions n'étaient qu’un moyen de mettre les anciens concessionnaires à contribution. Or, dit-on, tout cela est arrivé. « Le sieur « Wante, secrétaire particulier (a) de l’intendant, « est parvenu par une activité sans exemple, et « une avidité inextinguible à réunir dans ses « mains seize concessions à la fois, digne récom-« pense de plus de cent spoliations dont il avait « été l’infatigable agent. » On a imprimé, comme je l’ai dit, à Saint-Domingue un état des réunions poursuivies; cet état est certifié et signé par le sieur Sentout (1), greffier du tribunal. Il a été publié dans toute la colonie au mois d’avril 1789, et personne ne lui a reproché la moindre inexactitude. C’est cet état que j’invoque; on y lit à la page 4 : « Le 27 décembre 1786, il a été réuni un « terrain pour hatte et corail, c’est-à-dire pour « élever des bestiaux, au quartier Saint-Louis, à « la poursuite de M.de la Gautraye; le procureur « du roi avait conclu la réunion, et il a été « donné à M. Wante. » Cette concession qu’a obtenue le sieur Wante aurait pu être faite à tout autre , mais il méritait de l’obtenir par les services qu’il a rendus. par cette raison que je les cite souvent, et j’avertis ceux qui voudraient y vérifier ce que j’avance, qu’ils en trouveront le recueil à la bibliothèque du roi. (a) Jamais le sieur Wante n’a été secrétaire de l’intendant ; ce particulier était alors employé dans l’administration, et chef du bureau des anciens recouvrements, place qui ne lui donnait aucune influence sur ce qui concernait les concessions et réunions. (1) Voyez pièces justificatives, n° S. lre SÉRIE. T. XVf. Quel droit exclusif prétend-on que le sieur de la Gautraye ait eu sur ce terrain? Il avait appartenu à la dame Noguez ; le sieur de la Gautraye en poursuivait la réunion ail domaine, sous prétexte de non-culture, et il en demandait la concession à son profit. La loi laissait aux administrateurs la faculté de le concéder à qui bon leur semblait. Le tribunal-terrier a prononcé la réunion, parce que le terrain était effectivement inculte; les administrateurs ont concédé au sieur Wante, parce qu’il s’en était rendu digne par ses travaux. Toutes les propriétés des habitants de nos îles, sont fondées sur des titres semblables, et il n’v a pas eu beaucoup de faveurs de ce genre accordées à des services aussi réels. Quant aux quinze autres concessions prétendues accumulées sur la tête du sieur Wante, elles sont évidemment chimériques ; le tableau de toutes les réunions prononcées depuis 1785 jusqu’au 1er janvier 1789, est imprimé, il est certifié du greffier ; qu’on le parcoure, on n’y trouvera pas une seule de ces concessions imaginaires. Dira-t-on que le sieur Wante les a obtenues sous des noms supposés ? le contraire peut être aisément vérifié, puisque le greffier, qui a rédigé l’état des réunions a ordre de donner tous les éclaircissements quipourraient lui être demandés , et de ne refuser la communication d'aucun acte , d'aucune pièce , d'aucun registre à qui que ce puisse être . Ne trouve-t-on point ces preuves suffisantes ? Eh bien, que l’on consulte les greffes des juridictions où les réunions ont été poursuivies; les noms des poursuivants, des témoins, des parties y sont nécessairement inscrits. Enfin, les terrains qui sont l’objet de ces quinze concessions doivent être connus; qu’on les découvre, qu’on les indique. Cent carreaux ou trois cent cinquante arpents de terre, mesure de Paris, ne peuvent être ignorés dans la colonie ; et si la même personne possédait quinze fois cette étendue, serait-il possible que ce fut à l’insu de tous les habitants ? Qu’on dise où sont situées ces concessions : il est intolérable que sans avoir rien vérifié on m’accuse ; qu’on parle de quinze concessions sans les désigner, de quinze individus spoliés sans en nommer un seul. En vain la dénonciation est terminée par cette formule ordinaire à mes dénonciateurs : Tous ces faits sont la quintessence de nombreux mémoires qui ont été adressés à ce sujet. J’atteste qu’on ne m’en a communiqué aucun. Je ne relèverai point les inculpations qui sont personnelles au sieur Wante, telle que la demande de quarante mille livres qu’il a faite, dit-on, au sieur de la Gautraye, pour lui céder la concession dont il s’agit. La fausseté démontrée de beaucoup d’autres laits ne permet pas de croire celui-ci qui, d’ailleurs, est invraisemblable : on n’aurait pu espérer d’obtenir un prix aussi considérable d’un terrain absolument inculte; et si le sieur Wante y avait déjà formé des établissements (a), (a) Les lois coloniales défendent expressément de vendre avant d’avoir établi , c’est-à-dire d’aliéner une concession avant d’y avoir fait un établissement qui en assure la propriété et mette à l’abri des poursuites en réunion. 11 est possible quelquefois que cette règle, sage, politique et équitable, soit transgressée, et qu’on soustraie des abus de ce genre à la connaissance des administrateurs. Une vente secrète dans un quartier reculé peut échapper à leurs recherches ; mais ils seraient ré-21 322 [Assemblée natioftale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES [18 juin 1790-1 il avait acquis, comme tout concessionnaire, le droit d’en exiger le prix ; d’ailleurs, j’ignore ce qui s’est passé à cet égard, et je n’ai point à répondre à ce qui m’est absolument étranger. Qu’on juge maintenant si en matière de réunions et de concessions, comme en toutes autres, j’ai mérité les reproches graves, quoique vaguement énoncés, d'avoir toléré sous mes yeux un brigandage, objet de scandale et de corruption Mais voici un chef d’accusation d’un tout autre genre. A en croire mes adversaires, « un de mes « agents affidés, M. le procureur général, a pènsé « consommer la ruine de la colonie, en abrogeant « le règlement par lequel un concessionnaire « qui avait rempli les formalités d’usage et formé « un établissement sur son terrain, ne pouvait « plus être troublé par un concessionnaire même « plus ancien, qui aurait négligé de faire un usage « de son titre. » Dans la vérité, ce magistrat crut utile â la colonie, après que les deux conseils furent réunis, d’assujettir au même principe tout ce qui tenait à l’ordre public ; il pensa que le conseil de Saint-Domingue pouvait statuer sur les réformés qu’il croyait juste de faire à d’anciens règlements. L’opinion du procureur général semblait, en quelque sorte, être autorisée par des exemples antérieurs. Il s’agissait d’introduire dans la partie du nord, une jurisprudence généralement suivie dans celle de l’ouest et du sud. Le conseil supérieur de Saint-Domingue partagea l’erreur du procureur général, recueillit son réquisitoire, et rendit, le 19 novembre 1787, un arrêt de règlement dont on n’aperçut pas, au premier moment, l’irrégularité et les inconvénients ; mais quelque temps après, MM. de Vincent et de Marbois m'adressèrent des observations sur cet arrêt : des magistrats du conseil en reconnurent les vices ; la chambre d’agriculture du Gap réclama, et Sa Majesté cassa ce jugement par un arrêt de son conseil, rendu sur mon rapport, le 31 janvier 1789. Il a été enregistré au conseil supérieur de Saint-Domingue le 19 mai de la même année (1). Mes dénonciateurs ont omis de faire mention à l’Assemblée nationale de cette dernière circonstance. Il est évident que je n’ai pu ni prendre part à la décision du conseil supérieur de Saint-Domingue, ni provoquer le réquisitoire du procureur général qu’on appelle mon agent affidé ; j’avais quitté la colonie dès le 13 novembre 1787, et j’en étais déjà éloigné le 19 du même mois, date certaine de l’arrêt de règlement qu’on me reproche ; il y a plus : lorsqu’il m’a été connu, j’en ai proposé au roi la cassation; c’est moi qui ai envoyé dans la colonie l’arrêt qui l’a prononcée ; c’est moi qui ai ordonné, de la part de Sa Majesté, qu’on l’y fît enregistrer. A l’appui de cette assertion, je ne produirai qu’une pièce, mais elle ne souffre point de réplique ; c’est l’enregistrement de l’arrêt de cassation. Je pourrais, sans doute, me plaindre de la manière dont les faits les plus certains sont dénaturés dans la dénonciation présentée contre moi à l’Assemblée nationale ; mais il me suffit d’avoir préhensibles s’ils toléraient seieiùïnent ces stipulations illégales. Je ne crains point qu’il me soit fait de pareils reproches. (1) Voyez pièces justificatives, n° 6. démontré la fausseté des imputations qui me sont faites. ONZIEME CHEF DE DÉNONCIATION. Disette de farines. Insouciance criminelle du ministre. DOUZIÈME CHEF DE DÉNONCIATION. Rappel soudain d'un gouverneur cher à la colonie. Maintenue Opiniâtre d'un intendant proscrit. TREIZIÈME CHEF DE DÉNONCIATION. Lettre d'approbation dictée au roi en faveur de l’intendant coupable . RÉPONSE-je réunis ceS trois chefs dfaccUsation sous le même paragraphe, parce que mes dénonciateurs les ont fait dériver de la même cause. Suivant eux, la colonie éprouvait l'année dernière une disette effrayante, et je ne l’ai pas secourue. Suivant eux, M. le marquis du G..., gouverneur général de Saint-Domingue, y a admis les farines étrangères dans tous les ports d’amirauté, et son rappel a été la peine de l’ordonnance qu’il a rendue à cet effet. Suivant eux, M. de Marbois, intendant, s’était au contraire opposé à l’ouverture des ports d’amirauté ardemment demandée par les colons. J’ai approuvé ses refus, et c’est pour l’en récompenser que je lui ai procuré un témoignage signalé de la satisfaction que le roi ressentait de ses services. Ces assertions sont plus que hasardées : on a dénaturé les faits ; l’intention de confondre les époques s’y manifeste partout ; le désir de me nuire n’a pas permis qu’on respectât même la vraisemblance. Je vais rétablir la vérité outragé» sur mille faits. Je prouverai que Saint-Domingue n’a pas éprouvé de disette, tandis qu’en France nous étions menacés de la famine ; Que je n’ai pas cessé un seul instant de veiller à la subsistance de cette vaste colonie; Que l’ordonnance de M. le marquis du G..., qui y ouvrait aux farines étrangères tous les ports d’amirauté, ne pouvait pas même être connue eu France quand il a été rappelé *, Qu’on doit attribuer le parti que le roi avait pris de révoquer ce gouverneur général à une ordonnance antérieure, et évidemment nuisible à l’une des branches de commerce les plus utiles au royaume -, Que M. le marquis du G... avait devancé son rappel, en quittant de lui-même Saint-Domingue, sans permission du roi ; Qu’enfin les services que l’intendant avait rendus et l’intérêt même de la colonie ont déterminé Sa Majesté à honorer ée magistrat en laî donnant des pteuves directes de sa confiance et de son estimé. SECTION PREMIÈRE. Les autours de la dénonciation auraient-ils donc [Assemblée nationale.) ARCHIVES PÂR oublié que la question qu’ils renouvellent au-jourd’hüi à été discutée l’année dernière entre eùx et les députés des villes maritimes du royaume? qu’etlô se troüve parfaitement traitée dans le rapport que M. Gillet de La Jacqueminière, député à r Assemblée nationale, â publié an nom de la section dû comité d’agriculture et de commerce? Ce rapport a été imprimé chez Baudouin, et il peut être, consulté pàr totis le s membres de l’Assemblée nationale. Lè mauvais succès qu’ont eu les plaintes élevées alors par MM. les députés de Saint-Domingue les a contraints de s’en désister , il aurait dû m’épargner une dénonciation démentie par des pièces authentiques et qui n’a plus d’autre objet que de me nuire ; mais puisque ceux de MM. les députés de Saint-Domingue qui se sont rendus mes dénonciateurs veulent renouveler des assertions déjà détruites, je vais de nouveau prouver que cette colonie n’a pas ressenti la disette que nous éprouvions l’année dernière ; que î’ai fait, comme ministre, tout ce qui était en mon pouvoir pour lui assurer les subsistances qui lui sont nécessaires, et que je l’ai fait avec succès. Les rapports de commerce qui unissent Saint-Domingue à la France ont pour base un échange exclusif de nos denrées contre les productions de cette possession éloignée. C’est de la France qu’elle reçoit habituellement les farines destinées à la nourriture des blancs et de quelques nègres qui en consomment; c’est à la France qu’elle vend le sacre, le café, le coton, l’indigo et les autres productions de son sol fertile. On ne peut porter atteinte à ces lois sans affaiblir les liens qui attachent à nous les habitants de cette riche contrée. Le régime commercial dont je viens de parler impose des devoirs à la métropole ; elle est obligée de pourvoir à la subsistance des colons, et sa prévoyance pour eux a fait indiquer d’avance les moyens de remplacer ce qu’elle ne leur enverrait pas. Il existe dans Plie de Saint-Domingue trois ports connus sous le nom de ports d'entrepôts ; ce sont ceux de Port-au-Prince, du Cap-Français et des Gayes. Les navires étrangers peuvent y apporter diverses denrées, mais il est défendu aux colons de leur en payer le prix autrement qu’en argent, en marchandises importées de la métropole, ou en sirops et tafias. Jamais ces ports n’ont été ouverts infructueusement aux farines étrangères. Le continent de l’Amérique produit beaucoup plus de blé que n’en consomment les habitants; ils ont toujours üû grand intérêt de vendre la surabondance de cette denrée à ceux qui les payent en argent, en marchandises venues de 1’Europè, ou en sirops et tafias dont ils manquent. On né héut pas même blâmer les administrateurs de permettre que les substances soient achetées avec du sucre ou du café, pourvu que ce ne soit que quand les besoins sont extraordinaires, et en prenant les plus grandes précautions poür prévenir les abus. Lè gouverneur et l’intendant de Saint-Domingue n’étaient point astreints à recourir au roi pour obtenir la permission d’ouvrir aux farines étrangères ces ports d’entrepôt. Il importait aux habitants de la colonie que les administrateurs eussent le pouvoir d’appeler eux-mêmes ces secours aussitôt qu’ils lés jugeraient indispensables . Le gouvèrnèmêht et l’intendant ont donc toujours eu (mais conjointement et non séparément) lé droit de rendre des ordonnances provisoires et d’autoriser, en cas de disette, les bâti-ëMENTAIRES. [18 juin 1790.] 323 dients étrangers à verser dans les ports d’entrepôt les farines qu’appelait le besoin. M. du G. . ., de concert avec M. de Marbois, avait rendu une ordonnance, le 30 mars 1789, qui ouvrait ces trois ports. Examinons si les farines étrangères et celles qui ont été envoyées de France ont pu laisser la moindre inquiétude sur la subsistance des colons. Ce n’est pas sur le nombre d’individus qui existent à Saint-Domingue qu’il faut calculer l’approvisionnement en farines de cette colonie; les seuls Européens qui y sont établis, en font un usage journalier. La patate, l’igname, la banane, la racine de chou caraïbe, productions naturelles du pays, dont la récolte ne manque jamais dans tous les quartiers à la fois, suffisent à la subsistance de presque tous les nègres et gens de couleur, libres ou esclaves, c’est-à-dire aux neuf dixièmes des individus qui peuplent File. Si l’on joint à ces fruits le riz, le maïs et les légumes de toutes espèces, dont l’importation est toujours permise au commerce étranger, on concevra sans peine que l’approvisionnement de Saint-Domingue, en farines, n’excède pas 12,500 barils de 180 livres pesant par mois, ou 150,000 barils du même poids par année; car, sur le relevé fait des farines entrées à Saint-Domingue, depuis 1784 jusqu’en 1788 inclusivement, il est prouvé que l’importation n’a été que de 750,000 barils, ce qui donne 150,000 barils pour la consommation moyenne pendant chacune de ces cinq années. Recherchons maintenant combien de barils de farine sont entrés dans les ports de Saint-Domingue dans les neuf premiers mois de 1789. Je ne m’occuperai pas des trois derniers, non que la colonie ait manqué de farines pendaut .ee temps, mais parce que les états qui ont pu m’être adressés depuis cette époque ne me sont point parvenus; les gazettes prouvent, au reste, que le pain a continué à y être à bas prix. Les différents mouvements des ports de France, dont j’étais informé, et les rapports venus de la colonie même, m’assuraient que, jusqu’au mois d’avril 1789, elle trouverait, dans les envois qui lui seraient faits ou dans les magasins déjà approvisionnés, de quoi pourvoir à ses besoins; et, en effet, elle n’a pas manqué. Un relevé de divers états ou registres fidèles et authentiques constate que, dans les mois d’avril, mai, juin et juillet, il est entré dans les ports de Saint-Domingue 54,348 barils de farines, tant françaises qu’étrangères. Il n’en fallait que 50,000, à raison de 12,500 barils par mois , pour alimenter la colonie pendant ce temps. Il est donc impossible qu’elle ait , jusqu’à cette époque , éprouvé ou même pu craindre la famine. Des lettres postérieures, en date des 24 et 28 août, m’ont appris qu’il restait alors 10,000 barils de farine chez les divers négociants de la seule ville du Gap. Inutilement on tenterait de jeter du doute sur ces faits ; ils ont pour garant le rapport de M. de La Jacqueminière, imprimé vers la fin de l’année dernière. « On n’a point perdu de vue », disait ce membre de l’Assemblée nationale, « que la demande des « députés de l’île ne s’élève provisoirement qu’à « 150,000 barils par an, ce qui [fait 12,500 barils « par mois. Or, il résulte, de l’état joint à « la lettre des deux administrateurs de l’île, en « date du 28 août, qu’ii est entré dans les ports, « pendant les quatre mois d’avril, mai, juin et « juillet , 54,348 barils de farines tant françaises ZH [Assemblée nationale.] « qu’étrangères, ce qui donne un excédent de « 4,348 barils. Si, à cet excédent, on joint le « montant des expéditions qui ont été faites dans « nos ports seulement depuis cette époque, et « qui étaient de 7,400 barils au commencement « de septembre, on sera convaincu que si, dans « l’état constant des choses, le baril de farine « a valu, à Saint-Domingue, 120 à 140 livres, ce « qui n’est pas tout à fait le double de la valeur « ordinaire, du moins l’île a été suffisamment « approvisionnée jusques et au delà de l’époque « à laquelle les députés de Saint-Domingue an-« nonçaient la disette comme extrême. « A la vérité, cet état ne cadre point avec ce-« lui de M. du C ..... ; mais, pour se déterminer « en faveur de celui qu’ont envoyé conjointe-« ment les deux administrateurs de l’île, le co-« mité a pensé que les raisons par lesquelles le « commerce a combattu l’exactitude des états « fournis par M. de G ..... étaient sans réplique, « et il a été convaincu que celui qui se trouvait « joint à la lettre commune des deux adminis-« trateurs actuels, et d’une date postérieure, « comportait avec lui des probabilités bien plus * fortes que les premières, fournies par l’ancien « administrateur seul. « Une considération est encore venue à l’ap-« pui de ces motifs; elle a paru, au comité, dé-« terminante en faveur de l’exactitude de l’état « envoyé par MM. de Peynier et de Marbois: « c’est qu'il résulte de l’extrait des déclarations « des exportations pour Saint-Domingue, faites « dans les ports du royaume, que, pendant les « mêmes quatre mois, il en a été déclaré à cette « destination 24,446 barils, quantité bien appro-« chante de celle de 24,677 annoncée par l’état « des deux administrateurs. Ce rapport entre des « relevés faits à Saint-Domingue d’une part, et « dans nos ports de l’autre, non combinés entre « eux, a paru au comité porter jusqu’à l’évi-« dence la démonstration des faits attestés par le « commerce et le ministre. « Quant aux farines étrangères annoncées « dans l’état, et formant avec celles de France « la quantité de 54,348 barils, nous n’avons eu « aucun moyen d’en vérifier la quantité, mais « la vérité reconnue de la première partie, rela-« tivement aux farines françaises, nous a paru « une bien forte présomption de son exactitude « sur les farines étrangères. « Ainsi, il nous a semblé prouvé que M. du G... « avait été induit en erreur par les états qu’il a « fournis, que ceux de MM. de Peynier et de « Marbois étaient parfaitement exacts; d’où il « résulte que pendant les mois d’avril, mai, « juin et juillet, l’île a été suffisamment appro-« visionnée de farines, qu’il y en avait à cette « époque un excédent qui, avec les envois faits « depuis par la métropole seule, a dû suffire à « l’approvisionnement du mois suivant. » J’ai cru ne pouvoir présenter à l’Assemblée nationale des preuves plus dignes de sa confiance, que celles qui avaient été vérifiées une première fois par ses ordres. Mais le rapport de M. de LaJacquerainière, rédigé et imprimé en 1789, n’a pu constater que la quantité de farines entrées à Saint-Domingue jusqu’à la fin du mois de juillet de la même année. Je joindrai donc l’état que les administrateurs m’ont envoyé Je 24 oc-I tobre dernier des farines entrées dans les ports de la colonie. On y verra que, depuis le 1er août jusqu’au 20 octobre, la colonie avait reçu 48,871 barils, qu’il en existait en nature, au 24 oc tobre, 23,872 barils, quantité suffisante pour as-[18 juin 1790.] surer, pendant six semaines, la subsistance (1) de la colonie ; qu’on en attendait incessamment 41,850 barils qui, à raison de 12,500 par mois, tranquillisaient pleinement Saint-Domingue sur sa subsistance pendant cinq mois entiers. Enfin, il est aisé de prouver que Saint-Domingue a reçu en 1789, 20,000 barils de farines de plus qu’il n’en avait reçu en 1788, année où personne ne s’est plaint, où personne n’a craint de manquer. Je serais assurément dispensé de me justifier du reproche d’insouciance, après avoir prouvé que la colonie était pourvue. Ma correspondance avec les administrateurs, le compte exact qu’ils me rendaient de l’état des subsistances, les éclaircissements que je me suis procurés, les ordres que j’ai donnés, tout justifie d’ailleurs les soins que j’ai pris; mais puisqu’enfin on m’accuse d’insouciance, je dirai que sans cesse occupé de prévenir les besoins d’une colonie précieuse, je crus devoir proposer au roi de prendre une précaution surabondante et inusitée. Il fut donné ordre à un bàtimeut destiné en 1789 pour nos colonies occidentales, de toucher à l’Amérique septentrionale, et d’y remettre une lettre circulaire adressée à nos consuls, lettre dans laquelle Sa Majesté les chargeait d’exciter les négociants des Etats-Unis à faire passer des farines, soit aux Iles-du-Vent, soit à Saint-Domingue. U leur était enjoint de faire insérer cette invitation dans les papiers publics; tous l’ont fait, et j’offre de produire leurs réponses. Plusieurs de ces lettres constatent que les négociants se refusaient à cette spéculation, parce que les capitaines marchands , nouvellement arrivés de Saint-Domingue, y avaient laissé les farines abondantes et a un prix modéré. Saint-Domingue en effet n’a point éprouvé de di-ette pendant l’année 1789. Les farines françaises, et même les farines étrangères y ont été un peu plus chères (a) que les années précédentes. Eh! qui ne se fût estimé heureux en France, de pouvoir, à l’aide d’une légère augmentation de prix, assurer sa subsistance? Les farines étaient bonnes à Saint-Domingue, elles n’y ont jamais manqué; la mère-patrie a-t-elle eu les mêmes avantages? Mais comment se contenir dans les bornes d’une juste modération, quand on lit dans la dénonciation que je réfute, l’assertion suivante ; « Du 5 juillet au 20 septembre, il n’est pas en-« tré un seul navire de France dans les ports de « Saint-Domingue. » Je ne puis le dire en termes trop précis, le fait est notoirement faux. Je produis la liste de quarante-sept navires venant de France, entrés dans les ports de Saint-(1) Voyez pièces justificatives, N° 7. (al Qu’on ouvre les gazettes coloniales, qu’on les consulte sur la cherté de cette denrée à Saint-Domingue, on reconnaîtra que le prix moyen des farines est ordinairement de 100 livres; que pendant cinq ou six semaines elles ont été vendues de 140 à 160 livres; et que pendant le reste de l’année 1789, la plus belle farine de Moissac n’a coûté que de 110 livres à 120 livres tout au plus. Ainsi, dans cette année désastreuse peur l’Europe, et où les primes qu’elle fournissait faisaient renchérir la denrée en Amérique, Saint-Domingue ne l’a payée que pendant quelques instants, moitié en sus de la valeur ordinaire, et pendant le reste de l’année, n’a supporté qu’une augmentation d’un dixième à un cinquième sur le prix habituel. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] 325 Domingue pendant cet intervalle de temps (1), et je ne conprends pas dans ce nombre les vaisseaux négriers. J’invoque à l’appui de ce que j’avance, les papiers publics delà colonie, où est annoncée l’arrivée de tous les bâtiments, avec l’indication du lieu de leur départ : les navires, les capitaines y sont nommés ; les dates du départ et de l’arrivée sont énoncées. Ces gazettes ont été imprimées en 1789 ; on ne m’y préparait pas des réponses à une dénonciation qu’il n’était pas alors possible de prévoir. Les registres de nos ports d’où les bâtiments sont partis, les journaux des capitaines qui les ont montés, offriront des preuves surabondantes à ceux qui pourraient encore en désirer. Je ne laisserai pas même à mes dénonciateurs la ressource de dire que pendant ces soixante-dix jours, il n’a mouillé dans les ports de la colonie aucun bâtiment français chargé de farines : car les états que je produis constatent que, dans le seul mois d’août, il y est entré sur nos navires 4,201 barils de farines françaises (a). La colonie n’a donc point manqué de subsistances, et elle n’a pas cessé un seul instant d’être l’objet de mes soins les plus assidus. Section IL J'ai été, jusqu’à présent, soutenu dans la carrière pénible que j’ai parcourue par le sentiment intime d’une vie honnête et d’une conduite pure; à chaque ligne que je traçais, il me semblait voir entre moi et la calomnie s’élever la vérité, étayée d’une foule de preuves qui me servaient d’égide. Mais enfin les dénonciateurs qui me poursuivent ont eu l'art de m’imposer le devoir le plus affligeant pour moi. Un militaire distingué, que je n’ai jamais cessé d’estimer, M. le marquis du C..., dont je fus dans ma jeunesse l’ami et le compagnon d’armes, a été, pendant mon ministère, nommé au gouvernement générai des îles Sous-le-Vent, et il a depuis été rappelé. On exige que je me justifie de cette révocation ; on me place dans la cruelle alternative ou de trahir, en me taisant, mon devoir envers la nation qui m'interroge, envers le roi qui m’honore de sa confiance, envers les ministres qui ont assisté au conseil dans lequel ce rappel a été déterminé, ou d’entrer dans des détails qui affligent ma sensibilité. On espère rendre accusateurs, l’un de l’autre, deux nommes qui se considèrent etquinepeuventsedonner réciproquement que des témoignages honorables, même sur les points où ils diffèrent d'opinions. Je me vois contraint à exposer les erreurs d’un brave et loyal militaire qui, comme administrateur, s’est écarté (1) Voyez pièces justificatives n° 3. (a) Je ne peux déterminer exactement ce qui en a été apporté pendant les vingt-cinq derniers jours de juillet, et pendant les vingt premiers de septembre, parce que les étais qu’on m’adresse comprennent des mois entiers. En juillet, la colonie a reçu 6743 barils de farine nationale, et 4,308 de farines étrangères. En septembre, 1487 barils de farine nationale, et 17,910 de farines étrangères. En août, outre les 4, 201 barils venant de France, comme je l’ai dit, il en est entré 17,691 apportés par l’étranger; en sorte qu’en ce seul mois, la colonie a reçu ce qui suffirait à son approvisionnement pour sept semaines. réellement de ses devoirs, mais par un zèle immodéré, je pourrais dire aveugle, pour ce qu’il croyait être le bieû public. Doit-on même lui imputer ces erreurs excusables par leur motif? n’est-il pas très probable que des conseils perfides ont égaré ce gouverneur, à qui la colonie de Saint-Domingue, où il u’a passé que six mois, ne pouvait être suffisamment connue lorsqu’on l’a porté à y introduire les plus grands changements? J’entre en matière, et me hâte de me délivrer d’une tâche, dirai-je importune ? Ce mot est faible et exprime peu ce qu’il m’en coûte pour discuter un tel sujet. De quel droit d’abord mes dénonciateurs me reprochent-ils le rappel de M. le marquis du G.... ? Pourquoi supposent-ils qu’il a été nommé malgré moi gouverneur de Saint-Domingue? Pourquoi soutiennent-ils que le rappel de cet officier général eut pour cause l’ordonnance qui ouvrait aux farines étrangères tous les ports d’amirauté de la colonie? Pourquoi, après avoir cherché sans cesse à induire en erreur sur les époques et sur les faits, couvrent-ils d’un air de mystère des conjectures qui blessent ouvertement la vérité? Ce n’est point malgré moi que M. le marquis du G.... a été nommé au gouvernement de Saint-Domingue; il avait douze concurrents; j’ai mis leurs demandes et la sienne (1) sous les yeux du roi : leurs services et leurs talents faisaient regretter à Sa Majesté de n’avoir point alors de récompenses à offrir à chacun d’eux; mais son choix ne pouvait tomber que sur un seul. J’eus l’honneur d’exposer au roi les motifs qui me semblaient devoir le fixer sur M. le marquis du G..., et ce fut d’après mon avis motivé, que Sa Majesté se détermina à le préférer. Ces faits sont constants ; M. le marquis du G.... lui-même ne peut les ignorer. G’est donc pour avoir occasion de m’imputer, avec quelque vraisemblance, son rappel, qu’on suppose mai à propos que je m’étais opposé à sa Domination. Ce n’est pas non plus sans des motifscachés qu’on a attribué ce rappel à l’ordonnance que rendit M. le marquis du G...., pour ouvrir aux étrangers tous les ports d’amirauté de la colonie, pour y attirer des farines dont il craignait de manquer. On a espéré, en alléguant cette cause de son retour eu France, exciter l’indignation publique; on s’est flatté qu’on donnerait, par un tel artifice, quelque poids à la dénonciation qui est faite contre moi: mais la fausseté de cette assertion va être pleinement démontrée, et l’on verra, non sans étonnement, que, dans une multitude de faits énoncés pour l’appuyer, il ne s’en trouve pas un seul qui ne soit contraire à la vérité. Ce fut le 28 juin 1789, que sur des nouvelles apporiées de Saint-Domingue par M. le chevalier de laTourette, lieutenant de vaisseau commandant la Levrette , qui en avait appareillé le 15 mai, que le roi rappela M. le marquis du G...., et me chargea de proposer à M. le comte de Peynier, le gouvernement des îles sous-le-Yent. 11 était à Paris, je lui fis part des intentions du roi; il accepta, et fut nommé le 30 juin. Pour qu’on pût attribuer le rappel de M. le marquis du G...., à l’ordonnance qui ouvrait tous les ports d’amirauté aux navires étrangers, il aurait fallu au moins qu’il eût été possible d’avoir connaissance de cette ordonnance à Versailles avant (1) Voyez pièces justificatives, n® 9. 326 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (18 inin 1790.1 le 27 juin; or, elle n’a été enregistrée (1) nue le 29 mai au Conseil supérieur du Port-au-Prince. Je la présente dans une forme authentique : ce n’était certainement pas M. Je chevalier de la Tou-rette qui l’avait apportée, puisqu’il avait mis à la voile le 15 mai du Port-au-Prince, où l’arrêt d’enregistrement n’a ét.é rendu que quatorze jours après. Dira-t-on qu’on a envoyé cette ordonnance par un autre navire ? quel est-ii ? qu’on le nomme : il n’en est point venu alors avec cette rapidité qui tiendrait du prodige ; les mouvements de nos ports, recueillis avec exactitude, peuvent être consultés, et déposeront contre ce fait chimérique. Supposons, contre toute vérité, qu’on eût fait passer l’ordonnance par un bâtiment expédié à l’instant même qu’elle a été enregistrée; il eût été impossible encore qu’elle fût parvenue le 27 juin à Versailles, car on n’expédie point un bâtiment chargé de dépêches pour les ports de la Manche, mer où l’on ne peut quelquefois pénétrer que très diffi cilement ; et dans quelque autre port de l’Europe qu’il eût mouillé, l’officier chargé des dépêches ne serait point venu de ce port en moins de quatre jours à Versailles. Il faudrait donc supposer que le nayire serait arrivé dans le port le 23 j uin ; mais aucun bâtiment ne passe en vingt-cinq jours du Port-au-Prince en France, à moins d’être poussé par une tempête continuelle, dont on tient note dans les journaux de mer; les traversées très courtes sont de trente jours; communément, elles sont de quarante jours, souvent de deux mois. On n’a cité dans le temps, et on ne saurait citer aujourd’hui aucun navire qui ait, à cette époque encore voisine de nous, fait une semblable diligence; on l’aurait d’autant plus remarquée qu’elle est absolument improbable, et il seraitaisé d’en administrer despreuves. Quelle influence ce fait n’a-t-il pas sur le chef de dénonciation auquel je réponds ? Il n’est pas possible que l’ordonnance enregistrée le 29 mai au Port-au-Prince, et qui ouvrait aux farines étrangères tous les ports d’amirauté, ait déterminé (a), le 28 juin, à Versailles, le rappel de M. le marquis du G ... ; il n’était pas plus possible que MM-les députés de Saiot-DomiPgue eussent reçu des lettres de leurs commettants par la Levrette que commandait M. le chevalier de la Tourette, ni par aucune voie, et qu’ils eussent été chargés par eux de me voir, soit pour me témoigner leur satisfaction de la conduite tenue par M. le marquis du G... qui avait rendu cette ordonnance, soit pour demander le rappel de l’intendant de la colonie, qui avait refusé de la signer ; et quoiqu’on ait déclaré dans la dénonciation que je ne nierais pas une seule phrase des deux conférences qu’eut avec moi à ce sujet la députation de Saint-Domingue tout entière, parce qu’ils étaient dix témoins, je dirai que (1) Voyez pièces justificatives, n° 10. (a) J’ai fait sentir ce qu’on devait croire d’un roman fabriqué pour me nuire. Je vais y substituer la vérité. L’ordonnance enregistrée le 29 mai au Port-au-Prince, n’a été connue en France que vers le 18 juillet ; c’est ce jour que je fus instruit qu’elle avait été rendue, et je le fus par une lettre de M. le marquis de C..., en date du 29 mai précédent mois, qui n’a pu partir du Port-au-Prince que le 30 mai au plus tôt; car il y avait joint quatre exemplaires imprimés, et faisant mention de l’enregistrement. Tput se fait lentement aux colonies; on n’y imprime point une pièce semblable en moins de vingt-quatre heures. Il m'est parvenu, d’ailleurs, le même jour, des lettres du Port-au-Prince, datées du 31 mai. MM. les députés ont erré certainement sur les dates, ce qui est très possible aujourd’hui, et qu’ils n’ont eu de conférence (a) avec moi ni le 29 juin, ni le 30, sur l’ordonnance rendue le 29 mai au Port-au-Prince, puisque la nouvelle ne leur en était pas arrivée, je dirai plus, puisqu’elle n’avait pas pu leur parvenir. J’ajouterai qu’il est physiquement impossible que M. le comte de Pevnier ait ét è porteur, comme le soutiennent mes dénonciateurs, de l’arrêt du conseil qui cassait et annulait l’ordonnance rendue par M. le marquis du G ...» le 29 mai, puisque M. le comte de Peynier était en rade à Brest, le 13 juillet, qu’il passa le Goulet le 18, et que l’arrêt du conseil qui a cassé l’ordonnance du 29 mai ne fut rendu que le 23 juillet, à Versailles. Je dirai que MM. les députés de Saint-Domingue, qui ont signé la dénonciation contre moi (1), étaient d’autant moins fondés à exagérer le préjudice que la cassation de cette ordonnance avait causé à la colonie, qu'il est de fait et notoire que l’arrêt de cessation n’y est arrivé qu’après le 1er octobre, terme marqué par (b) l’ordonnance même de M. du G. . . pour la clôture des ports d’amirauté. J’avais retardé J’envoi de cet arrêt de cassation, afin de ne pas enlever aux habitants de la colonie les avantages qu’ils avaient espérés et pour ne pas exposer les étrangers qui, sur la foi de l’ordonnance, auraient envoyé des farines dans les ports d’amirauté, à souffrir de leur erreur. Enfin je dirai que MM. les députés de Saint-Domingue savaient positivement et depuis longtemps, à l’époque où j’ai été dénoncé, que, l’ordonnance du 29 mai, qui ouvrait les ports d’amirauté aux farines étrangères, n’avait pas été la cause du rappel de M. le marquis dti G..., puisque non seulement je le leur avais exposé verbalement (1), mais que le 11 août 1789 je (a) Je donnerai bientôt la date certaine de la conférence où les intérêts de M. le marquis du C. . .. . , ont été soutenus, et le rappel de M. de Marbois sollicité. Une lettre de messieurs les députés, signée par eux-mêmes, et que je joins aux pièces justificatives, est la preuve que c’est le vendredi 24 juillet, et non le 29 juin qu’ils m’ont fait verbalement cette demande. (1) Voyez pièces justificatives n° 2. (b) Cet arrêt de cassation n’annullo qu’une partie des dispositions de l’ordonnance libellée au nom de deux administrateurs, quoique l’iutendant n’ÿ eût point participé, et signée par le gouverneur général, quoique le roi ne lui en donnât le pouvoir que conjointement avec son collègue. 11 serait trop long de discuter tous les faits, même publiquement connus et qui me sont étrangers, sur lesquels, à raison de la distance qui nous sépare de Saint-Domingue, on a espéré pouvoir induire l’Assemblée nationale en erreur. Voici, s’il faut en citer un, les propres termes de la dénonciation, relativement à l'opposition que forma, dit-on, l’intendant à l’ordonnance du 29 mai. « Le gouverneur général signa seul l’ordonnance ; f il la porLa au conseil souverain, et cette cour éclairée « par le dévouement patriotique du Décius français, « osa, en présence de l’intendant lui-înême, enregis-« trer, etc. » Il est notoire â Saint-Domingue, que l’intendant n’assista pas à la séance du conseil supérieur où cet enregistrement eut lieu, et l’on peut en donner en France la preuve la plus incontestable. L’arrêt d’enregistrement signé par le président et le rapporteur, prouve que M. de Fougerou, doyen du conseil supérieur, a présidé, et il ne préside cette cour de justice qu’en l’absence de l’intendant. L’intendant n’assista donc point à l’enregistrement pour s’y opposer, quoique les dénonciateurs l’assurent positivement. (1) Voyez pièces justificatives , n°‘ 12 et 13. {Assemblée natieaale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {18 juin 1790-1 327 leur avais mandé, de la manière la plus précise, les vrais motifs du mécontentement de Sa Majesté. Ma lettre fait partie des pièces justificatives jointes à ce mémoire. II est donc démontré jusqu’à l’évidence que la révocation de M. le marquis du G. . . n’a point été et n’a pas pu être occasionnée par l’ordonnance qu’il avait rendue le 29 mai : avec ce fait tombent et s’écroulent toutes les inductions de mes dénonciateurs et leurs vains efforts pour faire croire que j’ai voulu livrer Saint-Domingue au fléau de la famine, dont il à été préservé par mes soins et par ceux des administrateurs. Mais je me vois contraint à révéler la cause de ce rappel ; je le ferai, le roi me l’a permis : on ne verra dans la décision de Sa Majesté rien que de juste ; dans la conduite du gouverneur général, rien que d’honnête ; dans la mienne, rien que ne dût faire le ministre de Sa Majesté. La traite des nègres destinés pour Saint-Do* mingue est accordée aux Français exclusivement à toutes autres nations ; la vente qu’en font chaque année nos armateurs monte à 40,000,000 de livres tournois. Ce résultat suffit pour faire sentir toute l’importance de cette branche de commerce M. le marquis du G... rendit seul et fit enregistrer, le 11 mai 1789, une ordonnance (1) qui contenait diverses dispositions, mais qui entre autres associait les négociants étrangers aux nôtres, dans la traite des nègres destinés pour le sud de la colonie. G’est cette ordonnance que nos adversaires s’efforcent en vain de faire confondre avec celle du 29 mai ; c’est cette première ordonnance, dis-je, que m’apporta le chevalier de la Tourette, ayant fait voile le 15 mai du Port-au-Prince, arrivé à Brest le 21 juin, parti pour Versailles le 22, et rendu à la cour le 27. G’est cette ordonnance dont les suites me parurent d’une telle importance, que je montai chez le roi à l’instant même pour lui en faire part. Sa Majesté m’ordonna d’en conférer le soir avec les autres ministres, et de préparer mon rapport pour le Conseil d’Etat qui devait être tenu le lendemain. Le rappel de M. le marquis du C... y fut arrêté le 28 juin. Ce gouverneur général était contrevenu formellement à ses instructions ; il avait excédé les pouvoirs que Sa Majesté lui avait confiés ; il avait, dans une matière où il n’était autorisé à faire de règlement que conjointement avec l’intendant, aboli de sa seule autorité l’effet de nos lois commerciales pendant cinq ans entiers, imposé des taxes nouvelles, et modéré celles qui étaient établies sur diverses importations, exemple bien dangereux. Il avait, relativement à un objet qui n’était point urgent, refusé d’attendre l’approbation de Sa Majesté, comme le lui proposait le coadministrateur. Le seul motif qu’on pût alléguer en faveur de son ordonnance, portait sur une base fausse, et il serait facile de constater que dans les (a) quatre juridictions où l’ordonnance de M. du G... permettait aux étrangers d'importer des noirs, le nombre des esclaves s'était proportionnellement beaucoup plus augmenté depuis huit années que dans les six autres sénéchaussées, quoique ces dernières fussent proportionnellement plus considérables. Il était à (1) Voyez pièces justificatives, n°* 14 et 15. (a) Voici le relevé des recensements de 1781 et de Craindre que la faculté accordée ne s’étendît fort au delà de la partie du sud, qu’elle ne fournît au commerce interlope les moyens d’importer non seulement des noirs, mais beaucoup de denrées prohibées dans l’ouest et dans le nord de la colonie ; enfin, pouvait-on prévoir sans regret que les étrangers s’enrichiraient de nos pertes, qu’ils seraient autorisés à enlever les productions coloniales qui n’avaient dû jusqu’alors se verser que dans les ports de France ; qu’ils nous enlèveraient une partie de ces échanges doublement avantageuses, qui non seulement rendent la balance du commerce favorable pour nous, entretiennent notre marine marchande et multiplient nos navigateurs, mais vivifient pour ainsi dire l’intérieur même du royaume, en procurant de l’emploi et des débouchés à nos manufactures, en fournissant des objets de travail et des moyens de subsistance à plusieurs millions de Français ? Si la résolution que prit le roi dans cette circonstance pouvait avoir beéoin d’être justifiée, je citerais les réclamations qu’élevèrent bientôt les chambres de commerce de presque toutes nos villes maritimes, de Bordeaux, de Nantes, de Saint-Malo, de Rouen, du Havre, de Dunkerque, de la Rochelle, de Bayonne, de Marseille, qui, à la première nouvelle de l’ordonnance enregistrée le 11 mai, prévirent toute l’étendue des pertes dont elles étaient menacées. Si presque toutes les chambres de commerce de nos villes maritimes ont élevé des plaintes contre la conduite de M. le marquis du G..., si plusieurs d’entre elles ont demandé son rappel, s’il est évident qu’il a transgressé ses instructions et outrepassé ses pouvoirs, je m’en rapporte à tout homme impartial : aurait-on pu se dispenser de faire droit sur leur juste demande ? Peut-on reprocher au conseil du roi d’avoir prévenu leur réquisition dans une circonstance aussi intéressante pour l’Etat ? Est-il un seul habitant de nos provinces maritimes ou intérieures qui ne s’étonne de me voir cité devant l’Assemblée de la nation, pour avoir coopéré à ce qu’exigeaient le salut de nos manufactures, la conservation et l’accroissement de notre navigation, et la prospérité du commerce national ? Je n’ai à me disculper ni du silence que j’ai gardé, ni des moyens que j’ai employés pour faire exécuter, avec autant d’exactitude que de célérité, les ordres que le roi me donna le 28 juin ; ils étaient équitables, et il les avait méditas dans la sagesse de son conseil. Les circonstances exigeaient ce qu’il a fait : j’eusse été inexcusable de révéler à des particuliers ce que l’Assemblée nationale n’exigera probablement pas que je discute même aujourd’hui : il s’agit des faits qui con-1787, tel qu’il fut présenté le 28 juillet 1789, au conseij d’État. On n’avait point encore les recensements de 1788. Recensements des juridictions de Jacmel, Saint-Louis, des Cayes et de Jérémie. 1781 ...... 53,138 1787 ...... 77,790 Augmentation. . 24,652 Recensements des six autres juridictions. 216,710 286,206 69,496 Je dois, pour plus d’exactitude, faire observer que deux paroisses non comprises dans ces quatre juridictions, mais dans celle du petit Goave, participaient ausSl à l’introduction des nègres de traite étrangère. Voy*. l’art. 2 de l’ordonnance dont il s’agit. » ' 32$ [Assemblé* nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. cernent l’ancien gouverneur général, et non des motifs pour lesquels le roi a fait partir avec secret et promptitude un des militaires les plus distingués de la marine, M. le comte de Peynier, qui a si bien secondé M. le Bailli de Suffren dans l’Inde, et y a eu tant de part au succès de nos armées. Mais pourquoi m’occuper si longtemps du rappel de M. le marquis du G...? Saint-Domingue sait que ce n’est point à la décision du roi qu’il faut imputer le départ de ce procureur général ; on ne l’ignore pas en France, et cependant, à en croire la dénonciation, l’ordre de rappel aurait arraché du milieu de la colonie son consolateur et son appui. Il me serait aisé de prouver que, dès le 20 juin, huit jours avant la tenue du Conseil d’Etat où ce rappel fut décidé, M. le marquis du C... confiait à un bâtiment la lettre où il m’annonçait son retour. Il e9t parti, en effet, de la colonie le 10 juillet, dans un temps où il était impossible qu’il eût connaissance de la révocation de ses pouvoirs, et de ce qui avait été décidé douze jours auparavant à Versailles. M. le marquis du G... a donc quitté le commandement militaire qui lui était confié : il l’a abandonné sans congé, sans permission quelconque, et avant d’avoir été relevé. On exige la vérité ; j’ai rendu compte des faits ; Sa Majesté m’ordonne même d’ajouter qu’elle a été justement mécontente de ce que les lois coloniales ont été transgressées par l'ordonnance du 11 mai 1789, de ce que les lois militaires ont été violées par le départ d’un chef qui, dans des circonstances critiques, est revenu, sans son autorisation, d’une possession éloignée où il commandait. 11 est enfin accompli, il l’est dans toute son étendue, le devoir rigoureux que vous avez su m’imposer : vous m’avez contraint de rendre publiques les causes du rappel de M. le marquis du G...; mais je persiste à dire que si quelques-unes de ses actions publiques ont encouru la censure du roi et de son conseil, ces actions même avaient pour excuse un désir ardent du bien. Tout ce qu’il a fait porte l’empreinte de la franchise et de la loyauté de son caractère, qui lui permettaient rarement de croire qu'on voulût le tromper, et lui faisaient écouter avec avidité les conseils de ceux qui lui proposaient (peut-être insidieusement) des projets spécieux pour augmenter la prospérité de la colonie. Au milieu., des imputations hasardées, des dénonciations téméraires qu’on dirige contre moi, j’entrevois un reproche mal articulé. J’ai, dit-on, six jours après le 23 juin, et quatorze jours avant celui de la Révolution, disposé avec despotisme du sort entier des colonies. Moi, disposer avec despotisme du sort des colonies ! D’où peut-on tirer cette induction ? J’ai rapporté au conseil du 28 juin les lettres qui m'arrivaient de Saint-Domingue ; j’ai renducompte de l’ordonnance émanée de M. le marquis du C...; là s’est borné mon ministère : quel appareil dans la dénonciation d’un fait qui ne devait pas même être relevé! Mes adversaires veulent-ils faire entendre qu’il y a eu des relations entre le rappel de M. le marquis du C..., dont la date certaine est du 28 juin, et les événements arrivés en France le 14 juillet? Mais qui pouvait les prévoir dès le 28 juin; et oublie-t-on qu’au Conseil d’Etat de ce même jour, où le rappel de M. le marquis du G... fut arrêté, siégeaient seulement les quatre ministres dont l’Assemblée nationale approuva peu de temps après la conduite ? [18 juin 1790.J Enfin, puisqu’on me réduit à parler de celle que j’ai tenue dans ces circonstances délicates, je dirai que, chargé de porter à un ministre en qui la nation avait placé sa confiance, l’ordre de s’éloigner du royaume, je me permis de faire au roi les représentations les plus pressantes sur la mission qu’il me donnait. Sa Majesté les entendit avec intérêt, elle persista néanmoins. J’obéis; mais devenu libre, quand j’eus rempli mon devoir avec fidélité, je portai ma démission. Sa Majesté témoigna beaucoup de répugnance à l’accepter. Elle m’ordonna bientôt après de revenir près d’elle. Les expressions de sa bonté touchante resteront à jamais gravées dans mon cœur; c’était sur le témoignage de l’Assemblée nationale qu’elle me pressait de reprendre une place que j’avais volontairement abdiquée. Je suis entré dans tous les détails que la critique la plus sévère pourrait exiger de moi; mais enfin, si du rappel de M. le marquis de G... on veut induire que, comme homme public, je n’ai rien omis pour conserver dans leur intégrité les rapports essentiels de commerce et d’intérêt qui doivent unir à jamais la France à Saint-Domingue, je m’abandonne à la censure, et je ne chercherai point à écarter un reproche que je me fais honneur d’avoir mérité. SECTION III. Après avoir dénoncé le rappel soudain d’un gouverneur cher à la colonie, on m’impute la maintenue opiniâtre d'un intendant proscrit ; on m’attribue une lettre d’approbation, dictée , dit-on, au roi , en faveur de cet intendant coupable. L’ordre des dates, très nécessaire à rétablir, veut que j’explique d’abord dans quelles circonstances la lettre a été écrite. Lorsque l’ordonnance du 11 mai 1789 fut portée au conseil supérieur de Saint-Domingue, M. de Marbois,qui y était contraire, s’efforça d’en faire du moins différer l’enregistrement que le gouverneur requérait. Les mêmes motifs qui avaient porté Sa Majesté à improuver l’ordonnance et le gouverneur dont elle était l’ouvrage, devaient faire obtenir à l’intendant qui s’y était opposé, un témoignage de satisfaction. Je mis sons les yeux du roi, dès que l’eus reçu, le discours motivé que M. de Marbois avait tenu au conseil supérieur de Saint-Domingue, discours consigné dans les registres de cette cour de justice. Le roi m’ordonna d’en donner connaissance au Conseil d’Etat, et on le trouvera au nombre des pièces justificatives de ce mémoire (1). Sa Majesté y remarqua le respect religieux que doit avoir tout administrateur pour les lois dont il est spécialement chargé de maintenir l’exécution; elle fut encore plus convaincue du préjudice que porteraient au commerce du royaume, aux manufactures que ce commerce alimente, et à la colonie elle-même, l’admission des nègres de traite étrangère dans la partie du sud, l’ouverture des ports peu surveilles, qui avaient été jusqu’alors fermés à toutes les autres nations, et te versement des productions coloniales dans les pays jaloux de notre prospérité ; elle sentit qu’elle ne pouvait employer personne plus en état de prévenir les effets d’une ordonnance impolitique et illégale que l'intendant qui l’avait combattue avec autant de force, de raison, que de fermeté de caractère. (1) Voyez pièces justificatives, ii° 16. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18juin 1790.] 329 Je fus donc chargé d’écrire à M. de Marbois pour lui témoigner la satifaction que Sa Majesté ressentait de ses services, et pour l’engager à les lui continuer; car cet administrateur avait précédemment demandé et obtenu un congé pour revenir en France; il avait été impossible de résister aux motifs dont il avait appuyé ses instances. Depuis vingt ans, M. de Marbois servait sa patrie avec zèle; il en avait passé dix entiers loin d’elle et audelà des mers, soit dan s l’Amérique septentrionale, soit à Saint-Domingue; la mort de son père, des affaires relatives à ses intérêts privés, sa santé même, lui faisaient désir ardemment de revenir dans ses foyers. Il était à craindre qu’il ne hâtât son retour. Je m’empressai de lui écrire; et après l’avoir informé de la cassation de l’ordonnance du 11 mai, du rappel de M. le marquis du G...., du départ de M. le comte de Peynier, j’ajoutais dans ma lettre du 3 juillet 1789 : « L’intention de Sa Ma-« jesté est que, dans les circonstances présemes, « vous ne quittiez point une colonie que vous « avez si bien administrée, et où vous pouvez < lui rendre les services les plus importants. Je « suis persuadé que vous n’hésiterez point à lui « témoigner votre dévouement. L'exhortation « même que je vous fais de la part de Sa Majesté « doit être regardée comme une nouvelle marque « delà confiance qu'elle a en vous. » J’eus l’honneur de présenter au roi cette lettre qu’il m’avait ordonné de lui apporter. Il la ht lire dans son conseil, l’approuva; et la nécessité de conserver à Saint-Domingue un homme qui en connaissait parfaitement le régime, surtout au moment où l’on y faisait passer un gouverneur nouveau, détermina Sa Majesté à lui donner directement des preuves de la confiance dont elle l’honorait. Voici les propres mots que le roi daigna écrire de sa main : « C’est par mon ordre exprès que M. de La Luzerne vous écrit. Continuez à remplir vos fonctions et à m’être aussi utile que vous l’avez été jusqu’ici. Vous pouvez être sûr de mon approbation, de mon estime, et compter sur mes bontés. » Je ne suivrai point mes dénonciateurs dans la paraphrase peu respectueuse que renferme le treizième chef de leur étonnante dénonciation. Sa Majesté est seule juge de ce qu’elle a fait; et quand l’amour qu’elle porte à son peuple, quand le désir de conserver dans la colonie un serviteur fidèle et utile à la chose publique l’auraient engagé à s’écarter, dans la circonstance, de ce qu on appelait autrefois des formes d'usage ou de convenance , est-ce aujourd’hui qu’on doit s’en plaindre? un monarque en est-il moins grand pour se communiquer quelquefois à des sujets zélés pour le bien de leur patrie? Je passe au reproche de maintenue opiniâtre d'un intendant proscrit. Ce fut le vendredi 24 juillet 1789, et non le 29 juin précédent, que, pour la première fois, MM. les députés de Saint-Domingue me demandèrent verbalement le rappel de M. de Marbois. Us n’exhibèrent aucune pièce qui constatât que cet administrateur fût coupable, ou que la mission de l’accuser au conseil du roi leur eût été donnée par la colonie. J’ai donc eu de puissants motifs pour exiger qu’ils m’envoyassent leurs réclamations par écrit. Je reçus d’eux, le 29 juillet, une lettre commençant par ces termes : « Vous nous avez demandé de vous présenter par écrit les réclamations, objets de la conférence que nous avons eue avec vous, vendredi (a) soir ; elles se réduisent aux points suivants... « Le rappel immédiat de l’intendant de Marbois justement abhorré de Saint-Domingue qui, depuis trois ans, sollicite vivement et vainement son rappel. » Je rapporterai les différentes demandes de MM. les députés au conseil du roi le 9 août dernier, et je leur adressai ma réponse le 11 du même mois ; j’v disais sur l’article qui concernait M. de Marbois : « La justice du roi ne lui permet pas de donner des marques de mécontentement à M. de Marbois sur des inculpations qui jusqu’ici ne sont appuyées d’aucune preuve; le roi a néanmoins cherché les moyens d’accéder à votre vœu. Cet intendant a demandé depuis longtemps la faculté de s’éloigner delà colonie; non seulement la permission lui en a été accordée, mais je viens d’écrire de la part de Sa Majesté à M. le comte de Peynier et à lui, pour le déterminer à en faire usage aussitôt qu’il recevra ma lettre : le désir que vous avez de voir cesser son administration sera satisfait, sans que l’équité du roi se trouve compromise. » J’avais écrit, en effet, la veille, à M. de Marbois ; je l’avais engagé à profiter du congé qu’il avait antérieurement obtenu. Ma lettre lui est parvenue le 18 octobre; il a annoncé son départ pour le 28 du même mois, et le bâtiment qui l’a ramené en Europe se trouvant prêt, il a mis à la voile dès le 26. Peut-on montrer plus de ponctualité? Tous ces faits sont connus des dénonciateurs; comment ont-ils pu dire que j’avais maintenu opiniâtrement dans sa place un intendant coupable et proscrit, tandis que j’ai concouru à accélérer, autant qu’il était possible, le retour de M. de Marbois en Europe, sans m’écarter cependant des principes de justice qui seront toujours dans le (a) Il est doue enfin prouvé jusqu’à la démonstration, et par une lettre qu’ont signée MM. les députés eux-mêmes, que c’est le vendredi 24 juillet 1789, et non le 29 juin, qu’ils ont eu avec moi la conversation où ils ont demandé te rappel de M. de Marbois. Mais le genre de preuves qu’ils opposent mérite quelques remarques. Ils disent d’abord : Dix d'entre nous ont été témoins et déposeront du fait que nous avançons. Mais il est possibleque le temps ait effacé cette époque de votre mémoire. La pièce écrite peu après la conférence, et signée de vous, mérite une foi entière, et vous ne pouvez désapprouver que je m’y réfère, quand nous sommes divisés sur une date. Vous êtes mes dénonciateurs, plusieurs de vous sont mes parties ; vous serez mes juges : voudriez-vous être témoins ? Des dénonciations telles que les vôtres ne devaient pas être fondées sur de vaines allégations; c’étaient des pièces probantes qu’il fallait produire, et non une lettre écrite à vos commettants, lettre que je ne dois pas reconnaître. Le combat que vous me livrez est bien étrange. L’un de vous hasarde une première dénonciation le lor décembre; elle reste cinq mois dans l’oubli. On en voit paraître une seconde; vous y annoncez des preuves, vous les promettez ; vous certifiez qu’elles sont dans vos mains, et que vous les mettez sous les yeux de' l’Assemblée. Je les demande ; on n’en fournit aucune ; je n’en produis pas moins ma défense, et je me livre au hasard de voir arriver de la colonie les actes que des hommes mal intentionnés pourraient fabriquer après coup, dans le dessein de vous surprendre et de me nuire. Je demande des preuves, ai-je dit (Voir pièces justificatives n08 17 et 18), nulle pièce justificative cependant n’a accompagné ni suivi l’emploi des chefs de dénonciation. Je prends acte de ce silence, et je proteste contre toutes celles qui pourraient être envoyées ultérieurement, et qui n’auraient pas tous les caractères de l’authenticité la plus parfaite, et de la publicité la plus constante. 330 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.J cœur de Sa Majesté, et je puis l’ajouter, dans le mien. Qu’on ne croie pas cependant que les inculpations qu’on s’est permises contre M. de Marbois soient appuyées de la moindre preuve : mais je crois de mon devoir de le considérer sous ses rapports d’homme public, et de présenter les résultats de son administration . Faire rendre la justice et administrer les finances sont les principales fonctions de l’intendant d’une colonie. Avant que M. de Marbois les exerçât à Saint-Domingue, on s’y plaignait de la longueur des procès, et de Fart qu’on employait pour les éterniser. Et à l’ouverture des vacances du mois de juillet dernier, nulle affaire n’était arriérée. Le conseil du roi était jadis souvent occupé des demandes en cassation formées contre les arrêts des conseils de la colonie. Et elles sont moins nombreuses depuis que M. de Marbois a rempli la place de président du conseil de Saint-Domingue; très rarement on s’est pourvu contre les ordonnances qu’il a rendues pendant quatre années d’une administration où les réformes ont été nécessaires et multipliées. Saint-Domingue s’était endetté, avant son arrivée, de onze millions. Et sous son administration, cette colonie s’est entièrement libérée ; on ne réclamait, quand il est parti pour la France, qu’une seule créance litigieuse de 500, 000 livres. Tout se payait comptant, quelquefois d’avance; et il y avait plus d’un million en réserve dans les caisses publiques. Il n’avait cependant été exigé aucun nouvel impôt au profit du roi, aucun des anciens n’avait été augmenté, et le droit sur les boucheries avait même été supprimé. La colonie ne coûtait plus rien à la métropole, et se suffisait pour ainsi dire à elle-même ; elle vendait avantageusement ses denrées, et les retours qu’elle recevait ajoutaient annuellement à son opulence. Jamais on ne m’avait adressé aucune plainte étayée de preuves contre M. de Marbois; qu’on juge si le conseil du roi a dû accueillir des accusations qui en étaient absolument dénuées. Pouvais-je me dispenser de répondre, le 11 août 1789, à MM, les députés qui demandaient le rappel de cet intendant, que la justice du roi ne permettait pas ue Sa Majesté donnât à M. Marbois des marques e mécontentement sur des inculpations qui n’avaient été jusque-là appuyées d’aucunes preuves? Il D’y eût point eu d’opiniâtreté à le maintenir, il eût été injuste de le révoquer; j’ai pris le seul parti qui, dans la circonstance, pouvait concilier des intérêts contraires, sans blesser l’équité. M-de Marbois, qui ne désirait lui-même que de repasser en Europe, y est revenu, et je n’en suis pas moins dénoncé pour l'avoir opiniâtrement maintenu dans la colonie. QUATORZIÈME PIÈCE COMMUNIQUÉE, Délibération prise par les habitants de la partie du nord, le 22 janvier 1790. QUINZIÈME PIÈCE COMMUNIQUÉE. Lettre ordonnée par l'assemblée de la partie du nord, à MM. les députés de Saint-Dominque le 9 février 1790. RÉPONSE. Le comité des rapports, en me faisant remettre copie des treize chefs de dénonciation auxquels je viens de répondre, y a joint celle d’une délibération prise par les habitants de la partie du nord, le 24 janvier dernier, et celle d’une lettre adressée par cette même assemblée (a) â Messieurs les députés de Saint-Domingue le 9 février suivant. Les rédacteurs de la lettre s’y réfèrent à la délibération qui l’a précédée; c’est donc de cette délibération seulement que je dois m’occuper, c'est aux faits qui y sont allégués que je dois répondre. J’v remarque, à la simple lecture, que rassemblée de la partie du nord de la colonie, n’autorise la dénonciation qui a été faite contre moi d’une manière positivé que relativement à la réunion des deux conseils au Gap et du Port-au-Prince, et à celle des caisses municipales. Ellese plaint, sur ce second chef, de ce que les deux ressorts ont été soumis au même régime, quant aux droits curiaux et au traitement des ministres du culte; mais je ne trouve dans cette pièce rien qui ait trait à onze autres chefs qui ont cependant formé autant de chapitres particuliers dans la masse des treize dénonciations portées contre moi. Mais je remarque de plus, dans cette délibération des habitants de la partie du nord, six autres chefs de dénonciation très-articulés, et que les dénonciateurs de France ont néanmoins jugé à propos de ne point énoncer. Je leur demande si cette délibération du 24 janvier dernier est le seul pouvoir en vertu duquel ils agissent, ou s’ils en ont d’autres? Dans le dernier cas, pourquoi les dénonciateurs ne les ont-ils pas communiqués? Je me suis montré d’une manière assez franche pour avoir le droit de les faire expliquer sur ce point. Il paraîtra étranger sans doute que, quand on attend de moi des réponses, on m’ait caché jusqu’au titre qu’on a pour me les demander. Si la délibération du 24 juin 1790 est la véritable et la seule procuration dont soient munis mes adversaires, je les interpelle de déclarer pourquoi ils y ajoutent, et pourquoi ils en retranchent? Tout mandataire doit se renfermer dans les bornes de son mandat ; sans autorité par lui-même, il ne peut exercer que celle qui lui a été déléguée par autrui. Ges questions pourraient paraître pressantes à mes adversaires ; je veux encore prendre sur moi le soin d’y répondre. {a) Je dois faire observer que cette pièce n’est signée que de M. Larchevêque-Thibaud, comme président de l’assemblée provinciale; de M. Larchevêque-Thibaud, qui, après avoir été l’un des députés, a, depuis la dénonciation projetée contre moi, repasse de France à Saint-Domingue. JAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [18 juin 1790.] 331 Les onze faits dont on a imaginé en France de faire des chefs de dénonciation sont tels, qu’il n’est pas même venu à l’idée des habitants de la colonie qu’ils pussent être l’objet d’un reproche. Ma conduite y est connue; mon zèle pour le bien général y a été applaudi ; mes efforts y ont été encouragés par les suffrages de ceux mêmes qui me poursuivent aujourd’hui ; ils m’ont donné des assurances de leur estime : j’en conserve le témoignage dans la lettre qu’ils m’écrivirent le 31 août 1788, huit mois après mon entrée dans le ministère ; elle commence par ces mots : « Les colons de Saint-Domingue qui n’ont pu « se consoler de vous voir quitter le gouverne-« ment de leur île qu’en vous voyant siéger au « conseil, comme ministre de la marine, viennent « aujourd’hui avec cette confiance que vos bonnes « intentions leur ont inspirée , etc. » Je lis au bas de cette lettre les noms de M. le marquis de Gouy d’Arcy, de M. le comte de Rey-naud, de M. le marquis de Perrigpy, de six autres propriétaires d’habitations à Saint-Domingue, et ils m’écrivaient comme étant les commissaires de la colonie. Les onze chefs d’accusation ne sont donc point l’ouvrage de la colonie ; elle les ignore. L’adhésion de quelques-uns de ses habitants, qu’on tentera sans doute d’obtenir, sera tardive; j’en ai pour garant son silence actuel qui les dément. Je dois donc ne les attribuer qu’à l’animosité particulière d’une partie des dénonciateurs. Dans plusieurs de ces chefs, on ne traite que d’intérêts ou de griefs privés ; et ce qui ne paraîtra pas peu étonnant, plusieurs de ces griefs Sont uniquement relatifs à des députés qui n’ont pas hésité à les signer, et à en faire des dénonciations présentées au nom de la colonie (a). Ces onze chefs de création nouvelle, traitent de faits qu’on présumait ne pouvoir être que difficilement vérifiés en France. A-t-on cru par cette raison qu’il y aurait peu d’inconvénient de les hasarder ici; que les réponses se feraient attendre, et que la dénonciation y gagnerait d’autant ? Ces six faits relatés dans la délibération de l’assemblée du nord, en date du 24 janvier dernier, étaient au contraire de nature à pouvoi” être facilement éclaircis en France par des actes authentiques. La seule notoriété suffirait pour m’en disculper, et confondre aussitôt mes dénonciateurs. Est-ce par cette considération qu’ils se gardent bien de me les objecter en Europe, et de les revêtir de leurs treize signatures ? Il est évident que ces six reproches ont été conçus en France, qu’on avait trouvé moyen de les faire éclore en Amérique, et qu’on a soin de m’imputer dans chacune de ces deux parties du monde ce qui ne peut être vérifié que dans l’autre. Certes, il est temps qu’on me fasse connaître mes vrais dénonciateurs, et que je sache jusqu’où peuvent aller leurs inculpations. Ma justification ne restera pas incomplète : je ne veux aucune grâce, l'homme pur n’en a pas besoin. Je soumets à l’Assemblée nationale les six chefs qu’on s’est abstenu de signer, et je me dénonce moi-même. Je ne rappellerai point ici ce qu’en répondant aux treize premiers chefs de dénonciation, j’ai dit sur la réunion des conseils ou sur l’uniformité du régime de la colonie. Quant au traitement des ministres du culte et à l’administration d’une caisse soumise à la seule inspection du conseil supérieur de Saint-Domingue, je prie qu'on se reporte aux différents chapitres où j’ai dissipé ces reproches ; je ne m’occupe plus que de ceux qui sont énoncés dans la délibération de l’assemblée provinciale du nord, du 24 janvier dernier, qui n’ont pas été adoptés et signés par mes dénonciateurs qui se disent néanmoins ses mandataires. PREMIER REPROCHE. 1er fait. — Je n'ai point , dit-on , envoyé à Saint-Domingue le décret de l'Assemblée nationale , qui ordonne aux troupes de prêter le nouveau serment en présence des officiers municipaux. RÉPONSE. Il était dans l’intention de l’Assemblée nationale que tous ses décrets ne fussent pas indistinctement envoyés aux colonies. Le mémoire qui lui fut adressé par les ministres, le 27 octobre 1789, et qu’elle peut aisément se faire représenter, constate que je désirais avoir des éclaircissements sur ce point pour me conformer à ses principes. L’Assemblée a délibéré depuis sur les colonies, et, par son décret du 8 mars, elle a annoncé qu’elle n’avait jamais entendu les comprendre dans la Constitution qu’elle a décrétée pour le royaume. Qu’ai-je donc à me reprocher? Je me suis tenu dans une sage réserve. Je n’ai certainement envoyé aucun ordre qui pût, ni sur le serment des troupes, ni surtout autre point, arrêter l’exécu-cution des décrets de l’Assemblée. J’ai attendu, comme je le devais, qu’elle décidât elle-même ce qu’elle jugerait convenir à des possessions si différentes de la métropole. A quels reproches ne me serais-je pas exposé de la part descolonseux-mêmes, si j’eusse pris sur moi de faire passera Saint-Domingue plusieurs de ces décrets qu’ejle a jugés n’être pas applicables aux colonies? Le mémoire des ministres, le décret de l’Assemblée, tout me justifie auprès d’elle, et la colonie ne me croit répréhensible que parce qu’on a eu grand soin de lui cacher quels étaient les véritables devoirs du ministre. On soustrait à sa connaissance ce qui concerne ses plus grands intérêts ; les lettres des particuliers, celles même que j’écris de la part du roi aux administrateurs, y sont interceptées. Je me suis plaint de cet abusetde plusieurs autres, dans ma dépêche en date du 10 avril, adressée à M, le comte de Peynier. Je demande qu’on donne une grande attention à cette pièce importante (1) et qui est une sorte d’appel à la vérité. Le reproche qu’on m’a fait dans la partie du nord ne peut donc tomber sur moi, et il ne s’adresse véritablement qu’à ceux qui ont empêché la vérité de s’y faire connaître. DEUXIÈME REPROCHE. 2® fait. — fai fait les plus grands efforts pour arrêter l’admission des députés de Saint-Domingue à l'Assemblée nationale. RÉPONSE. On a pu inspirer cette idée a ceux qui habitent (a)Voyez les troisième et cinquième chefs. (1) Voyez pièces justificatives, n° 19. I ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [18 juin 1790.] 332 [Assemblée nationale. [ à dix-huit cents lieues de la métropole; mais ce chef de reproche est un de ceux que nos adversaires se sont prudemment abstenus d’adopter et de revêtir de leurs signatures, parce qu’il aurait difficilement été admis par l’Assemblée nationale. Qui mieux qu’elle peut savoir si j’ai fait près de ses membres aucune démarche pous empêcher l’admission des députés de Saint-Domingue? Je supplée au silence des représentants de la partie du nord; je présente à l’Assemblée nationale un chef de dénonciation, sur lequel, sans autre examen, elle peut à l’instant même prononcer. Les députés de Saint-Domingue se disaient fondes de pouvoirs et légitimement élus. Le roi et son conseil ont cru ne devoir pas préjuger une question douteuse, et sur laquelle il n’appartenait qu’à l’Assemblée nationale de statuer; ils n’ont jamais fait connaître leur opinion. Pourquoi veut-on interpréter leur silence? Pourquoi cher-che-t-on à faire suspecter les motifs les plus purs? La conduite du gouvernement a eu pour objet de donner une juste marque de déférence à l’Assemblée nationale, et de réserver tous ses droits ; elle prouve de plus la sollicitude scrupuleuse et paternelle de Sa Majesté, pour les intérêts de la colonie. IIIe REPROCHE 3e fait. — J'ai favorisé et je favorise encore les gens de couleur. RÉPONSE. La haine est ingénieuse et vient d’inventer un moyen nouveau pour me nuire au delà des mers. On a recours à l’artifice pour exciter l’indignation de la colonie, contre un ministre qui en aété le gouverneur. La mémoire de son administration l’y protégeait, et il n’était pas facile de l’inculper près d’elle avec succès. On a tenté, mais inutilement, de le rendre par un seul mot odieux à la contrée dont il avait bien mérité, et de faire ajouter foi à tout ce que la calomnie tâcherait désormais d’y répandre contre lui ..... Il protège, a-t-on dit, les gens de couleur (a). Quelle est cette prétendue faveur que je leur accorde? Est-ce en France qu’elle s’est manifestée, comme on veut le persuader aux colons qui résident à Saint-Domingue? En ce cas, je somme mes dénonciateurs d’en administrer des preuves à l’Assemblée nationale, et de remplir à cet égard le vœu de leurs commettants. , Dira-t-on réciproquement à Paris, que c’est en Amérique que je protège les hommes de couleur libres? J’invoque la colonie ; elle m’a vu juste tandis que je la gouvernais : j’ai acquis alors le droit de demander qu’elle le soit aujourd’hui envers moi. (fl) Plusieurs hommes de couleur libres, qui se trouvaient eu France, ont demandé à l’Assemblée nationale que leur état civil dans les colonies fût amélioré. On a voulu persuader à Saint-Domingue que je leur avais prêté quelque appui. Une telle imputation est d’autant plus absurde, que cette pétition même ne me concernait en aucune manière ; je n’avais droit de faire aucune démarche, et je déclare formellement que je n’eu ai fait aucune. QUATRIÈME REPROCHE . 4e fait. — J’ai refusé de m'opposer à l'embarquement d'écrits el d'estampes destinés à faire naître les plus grands désordres dans la colonie , courir des risques presque certains à la sûreté individuelle de tous ses habitants. RÉPONSE. Je connais les funestes effets d’écrits et d’estampes incendiaires; mais comment, dans les circonstances présentes, empêcher qu i! n’en soit envoyé dans les colonies? Mes dénonciateurs se sontdiscrètement abstenus d’appuyer en France ce reproche, car on y sait que je n’ai aucun moyen de police et de surveillance; je ne songe pas même à arrêter les écrits qu’on distribue contre moi (a); je n’ignore cependant pas qu’ils s’envoient et que les signes les plus respectables ont servi de passeports à la calomnie. Pourquoi ceux qui m’ont accusé auprès de la colonie, de ne point mettre d’opposition à l’envoi des écrits et estampes qui peuvent justement l’alarmer, lui ont-ils laissé ignorer ce que je viens d’exposer, et se sont-ils plu à me faire imputer par elle des abus que je ne puis empêcher? CINQUIÈME REPROCHE. 5e fait. — J'ai refusé de donner des ordres pour faire arrêter les sieurs M... et G... accusés de s'être embarqués avec des millions de fusils pour tenter une insurrection dans la colonie. RÉPONSE. Rendre compte de ce qui s’est passé, c’est écarter un reproche que je n’ai certainement pas mérité. MM. les députés de Saint-Domingue m’écrivirent le 4 août 1789, et m’envoyèrent un mémoire en forme de dénonciation, signé de M... l’un d’eux; ils demandaient que je prévinsse un envoi d’armes destinées pour Saint-Domingue. On me donnait le signalement de deux hommes; on m’indiquait leurs noms; ou accusait un club considérable de Paris de desseins coupables, el déjà, disait-on, mis en partie à exécution : on demandait enfin qu’aucun esclave ou homme de couleur, alors en France, ne pût repasser dans la colonie. Je ne publierai point la dénonciation, pour ne pas faire soupçonner injustement un grand nombre de citoyens qu’on accusait de projets dont il n’existait aucune trace. J’ajouterai seulement que les connaissances (fl) Des libelles calomnieux ont été adressés contre moi avec profusion, et à toutes les colonies et dans toutes les villes du royaume : je me borne à produire une lettre (1) du commandant de la marine à Toulon, qui prouve comment ils y ont été reçus. Pareil envoi a eu le même succès dans d’autres ports. On avait adressé ces brochures à MM. les lieutenants et à MM. les sous-lieutenants de vaisseau. Qu’il me soit permis de saisir cette occasion pour offrir l’hommage public de mon estime à des officiers dirigés par le sentiment de l’hon-Ineur, et qui n’en méconnaissent jamais la voix. (1) Voyez pièces justificatives , n° 20. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] qui étaient particulières à plus d’un membre du conseil, influèrent sur la résolution qu’on y prit. Les mêmes faits avaient été dénoncés, onze ou douze jours auparavant, à un autre ministre et à moi, par un particulier qui mettait un grand prix à la révélation d’un complot imaginaire et que tout a démenti depuis. Quelques recherches qu’on ait fait faire alors dans nos ports, où, disait-on, les armes qu’on devait embarquer étaient rassemblées, on n’a pu y en découvrir. L’existence des deux individus dont on donnait le signalement est restée même très douteuse ; les noms qu’on leur attribuait convenaient à tant de personnes, qu’ils n’en désignaient aucune; en un mot, nul indice n’a confirmé depuis un rapport que des vues d’intérêt personnel paraissaient dès lors avoir suggéré. On présuma que ce même particulier voyant que les ministres, au lieu d’ajouter foi à là fable qu’il leur avait racontée, prenaient des informations, espéra qu’on la croirait ailleurs sans examen, qu’il alla jeter à dessein des craintes, et donna lieu à la dénonciation qui me fut envoyée par MM. les députés de Saint-Domingue. . Quoi qu’il en soit, le conseil du roi assemblé le 5 août, pensa que sur des allégations aussi peu vraisemblables, on ne devait point autoriser des actes illégaux ; maisje nenégligeaiaucune des précautions que la prudence exige en pareil cas. Je fis part de la décision à MM. les députés de Saint-D iraingue, par une lettre datée du 7 août 1789. Le même jour j’écrivis à M. le comte de Peynier, et en iui envoyant la dénonciation, je lui marquais que l’objet était d’une si grande importance, qu’il méritait toute son attention, toute sa surveillance (1). Je l’engageais à prendre toutes les mesures possibles pour prévenir et déconcerter jusqu’à la moindre tentative de soulèvement. Peut-on blâmer cette conduite? n’était-il pas plus sage d’observer en silence et de prendre secrètement des précautions, que d’inspirer des alarmes mal fondées à tous les habitants de Saint-Domingue, et de causer un mal réel par le seul effroi d’une insurrection imaginaire? SIXIÈME REPROCHE. 6e fait. — Les colons qui s’assemblent à l’hôtel deMassiac, m'ont donné un mode de convocation d’assemblée générale de la colonie. RÉPONSE. On a tenté de persuader à l’assemblée de la partie du nord, que j’étais l’instigateur de celles que tiennent à Pans plusieurs de MM. les colons qui y résident. On a ajouté que je les avais excités à traverser les desseins de MM. les députés de ta colonie. Ce fait absurde est de la même nature que les cinq autres, facile à détruire à Paris, mais susceptible d’avoir été cru à Saint-Domingue. Je n’ai eu de correspondance avec MM. les colons réunis à Paris, que relativement à une seule affaire; mais comme ils ont été consultés alors par le conseil du roi, conjointement avec MM. les députés de Saint-Domingue, et qu’ils ont été du même avis qu’eux, il me paraît in-(1) Voyez pièces justificatives, n°s 21 et 22. 333 croyable qu’on ait persuadé à Saint-Domingue qu’ils les avaient traversés dans leurs projets. J’entrerai à cet égard dans quelques détails. Il avait été arrêté en 1788, au Conseil d’État, qu’il se tiendrait enoctobre 1789, à Saint-Douai n-gue, une assemblée coloniale. On se proposait de connaître le vœu de cette colonie, de savoir si elle désirait envoyer rdes représentants à une convocation future des États généraux. Cette assemblée aurait eu lieu ; on l’aurait chargée de proposer au roi et à l’Assemblée nationale, la nouvelle Constitution que la colonie aurait cru lui convenir, si les députés de Saint-Domingue eux-mêmes ne s’v étaient opposés par la lettre qu’ils m’écrivirent le 29 juillet 1789. Ils changèrent cependant d’avis à quelques égards, et ma réponse en date du 11 août, prouve qu’avant que leur demande fût portée au conseil, ils (a) m’avaient témoigné désirer que le roi ne décidât rien sans retour. MM. les députés extraordinaires des places maritimes, apprenant qu’on sollicitait la convocation d’une assemblée coloniale à Saint-Domingue, m’écrivirent les 18 et 26 août, et présentèrent diverses observations relatives aux intérêts du commerce national. Je leur mandai que cette assemblée coloniale devait être convoquée dans un mode purement électif, qu’elle ne serait que consultative, que le roi lui donnerait seulement le droit de proposer à Sa Majesté et à l’Assemblée nationale, ce qu’elle croirait convenable à l’intérêt de la colonie, soit relativement à son régime intérieur, soit relativement à ses rapports avec la métropole. J’ajoutai que les avantages ou les inconvénients qui pouvaient résulter d’une telle assemblée, paraissaient ne concerner en aucune manière les places de commerce. On fit cependant lecture des lettres qu’ils m’avaient écrites aux deux Conseils d’État du 25 et du 27 septembre, où la demande d’une assemblée coloniale, la nature des pouvoirs à lui donner et le mode de sa convocation furent fort discutés. Mais, dès le 30 août, presque tous les propriétaires d’habitations à Saint-Domingue, qui résidaient ou se trouvaient à Paris, se réunirent et adressèrent une lettre au roi. Elle était revêtue de beaucoup de signatures. Je fis mon rapport le même jour au conseil (a) Les termes de lalettre que je cite, et que je joins aux pièces justificatives, sont importants, et leur conformité avec ce que je mandai le 19 août à MM. les députés extraordinaires du commerce, doit être remarquée. « J’ai prévenu néanmoins le roi, que depuis votre « lettre écrite, vous m’aviez verbalement témoigné que « vous lui demanderiez peut-être une assemblée provi-« soire, composée d’une manière purement élective, qui, « ne statuant et n’innovant sur rien, lui proposerait, « ainsi qu'à l’Assemblée nationale, ce qui paraîtrait « être de l’intérêt de la colonie. J’ai ajouté que celte « requête, si vous insistiez, méritait, surtout dans les « circonstances actuelles, d’être accueillie. » Les députés de Saint-Domingue ont connu, dès le 11 août, la base invariable dont le roi, ses ministres, et moi-même n’avons jamais voulu nous départir ; ils ont su qu’on ne voulait rien innover sans le concours de l’Assemblée nationale, ni accorder, au préjudice de ses droits, à l’Assemblée coloniale des pouvoirs plus étendus. Je leur ai répété plus d’une fois verbalement ce que je leur avais écrit. Le mémoire des ministres adressé à l’Assemblée nationale le 27 octobre, fait encore foi que tels ont été les principes constants du Conseil d’Etat. 334 |AssembIée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.J d’Etat. Ou considéra que le roi ne désirant que donner à rassemblée demandée, le mode de convocation et d’organisation qui conviendrait le mieux et serait le plus agréable à la colonie, il était naturel et avantageux, pour le t connaître, d’entendre un grand nombre ae propriétaires, Sa Majesté Ordonna donc qu’il se tiendrait chez M. le garde des sceaux, le 1er septembre, un comité où tous les ministres assisteraient. Je fus chargé d’inviter messieurs les députés de Saint-Domingue à s’y trouver, et messieurs les colons réunis à y envoyer des commissaires. Plusieürs avis Sur le mode de convocation et d’Organisation furent ouverts et discutés dans cette conférence; aucun ne fut unanimement adopté, mais on convint que messieurs les colons et messieurs les députés traiteraient de nouveau ensemble les mêmes objets, et que lorsqu’ils seraient d’accord sur tous les points, ils m’enverraient leur vœu commun. Je reçus en effet, les 16 et 18 Septembre, de messieurs les colons et de messieurs les députés, deux projets de règlement parfaitement Semblables, J’en rendis compte, commeje l’ai annoncé, aux deux conseils d’Etat des 25 et 27 septembre où cette question fut fort agitée. Le roi décida que les administrateurs convoqueraient une assemblée coloniale; le projet d’ordonnance qu’ils devaient rendre à cet effet fut arrêté. On fixa les pouvoirs dé Cette assemblée, d’après ce qui avait été mandé à Messieurs les députés de Saint-Domingue, le 11 août, et à ceux des villes maritimes de commerce, le 19 du même mois. Quant au mode de convocation, d’élection, d’organisation, on se conforma scrupuleusement à ce qui avait été proposé les 16 et 18 septembre, tant par Messieurs les députés (a) de Saint-Domingue, que par Messieurs les colons réunis. Je n’ai point correspondu sur d’autres objets avec les propriétaires d'habitations qui se sont assemblés alors à Paris. Je ne conçois pas qu’on lésait accusés à Saint-Domingue d’avoir entretenu avec moi des liaisons nuisibles aux intérêts de leurs concitoyens. Ils m’ont paru au contraire, (dans la seule affaire que j’aie traitée avec eux, et dont je viens de parler), discuter avec la plus grande loyauté, et chercher en bons citoyens ce qui pourrait contribuer à la tranquillité et à la prospérité dé la colonie, J’ai parcouru tous les chefs de dénonciation portés contre moi ; je n’en ai éludé aucun ; j’ai fait ressortir ceux qu’on semblait vouloir taire : la vérité a présidé à ma défense ; je la remets au tribunal à qui je Pai promise. Ma confiance en sa justice me laisse dans la plus parfaite sécurité. Gouverneur de Saint-Domingue, j’ai désiré (fl) On peut dire que le mode de convocation, d’élection, d’organisation pour l’Assemblée Coloniale, inséré dans le projet d’ordonnance que devaient rendre les administrateurs ést l’ouvrage des députés ; il est conformé à leur vœu et au projet de règlement qu’ils m’avaient proposé. J’ignore comment et pourquoi on a persuadé le contraire à la colonie de Saint-Domingue, où l’on a répandu que je l’avais rédigé de concert avec MM. les colons de l’hôtel Massiac seulement. Je produis au nombre des pièces justificatives, la lettre des premiers et le projet de règlement qu’ils m’envoyèrent (i) La lettre est signée par huit de MM. les députés, au nom de tous, et le règlement par douze d’entre eux. J’offre de produire le règlement proposé par MM. les Colons; mais il est littéralement le même, et seulement revêtu de cent einquante-deüx signatures de propriétaires d’habitations de Saint-Domingue. (1) Voyez pièces justificatives, n00 23 et 24. faire prospérer la colonie. Ministre, je n’ai jamais abusé de l’dutorité qui m’était confiée. Je ne pouvais servir mon roi, qu’en méritant bien de ma patrie : je me livre à la Censure comme administrateur et comme citoyen. Lés dénonciations n’effrayent point l’homme qui tonte sa vie a marché d’un pas ferme dans lé sentier de l’honneur. Paris , ce 18 juin 1790. Signé : La Luzerne. PIÈGES JUSTIFICATIVES des faits énoncés dans le mémoire DE M. LE COMTE DR LA LUZERNE, ministre et secrétaire d’Etat de la marine . N° 1. ORDONNANCE de MeSsieurè les ADMINISTRATEURS. Du 26 décembre 1788. Extrait des registres du conseil supérieur de Saint-Domingue. Marie-Charles, marquis Du Ghilleau* maréchal des camps et armées du roi, commandeur de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, gouver-neur-lieutenant-général des îles françaises de l’Amérique sous-le-Vent, et inspecteur général de troupes, artillerie, milices et fortifications ; Et François Barbé, de Marbois, conseiller du roi en ses conseils et en son parlement de Metz, intendant de justice, police, finances.de la guerre et de la marine desdites îles. Divers imprimés ont été répandus avec profusion et publiés Comme l’ouvrage d’une commission chargée par la colonie de solliciter l’admission de ses députés aux Etats généraux ; l’assurance avec laquelle ces écrits ont exprimé, comme le vœu public, des opinions individuelles sur des questions du plus vaste intérêt, a d’abord donné lieu aux habitants eux-mêmes de douter si de pareils pouyoirs n’étaient pas émanés de quelques uns d’entre eux, et si l’on n’en avait pas fait usage pour induire en erreur des personnes recommandables par leur rang et leurs lumières; mais bientôt on a fait circuler clandestinement un mémoire, pour lequel on sollicite de toutes parts des signatures, comme pour couvrir, par cette opération tardive, l’irrégularité des actes émanés de la prétendue commission. Nous avons su que plusieurs habitants avaient donné leurs signatures librement et volontairement, que d’autres l’avaient accordée à des prières et des sollicitations, et enfin qu’un très gland' nombre avaient refusé de signer. Plusieurs de ces derniers sè sont eux-mêmes adressés à nous, pour nous exprime! la sùrpriSéqùe léuf causaient cés mouvements, êt nous inviter à leur faire côû-naître la volonté de Sa Majesté. Une requête reVêtüé d’un grand nombre de signatures, nous est parvenue : les habitants y forment des vœux pour que le calme dont la colonie jouit, né soit point troublé; ils témoignent leurs alarmes sur les maux auxquels elle Serait exposée, « s’il pouvait dépendre d’un nombre d’individus quelconque, d’adresser à deux mille lieues des représentations à Sa Majesté, au doiü dès colons ; de leur supposer des vues, des désirs qu’ils n’ont pas manifestés; de solliciter pour eux de prétendus avantages, auxquels leur éloignement et la différence de régime leur interdit d'aspirer, et qui pourraient même leur devenir funestes; de s’adresser ensuite [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790. | 335 à des avocats, pour en obtenir une consultation sur une question purement politique, et qui n’est pas de leur ressort ; d’influer, par une voie aussi irrégulière, sur l’opinion publique, et de mettre, pour ainsi dire, le sort d’une immense colonie à la discrétion de quatre jurisconsultes qui ne la connaissent pas, et qui n’ont pas même pris soin de s’informer si ceux qui leur demandaient une décision, avaient mission, caractère et pouvoir pour agir au nom des vingt-cinq mille citoyens libres qui composent cette colonie. » D’un autre côté, la chambre d’agriculture du Gap a arrêté des représentations au ministre pour demander que la colonie soit autorisée à envoyer des députés aux Etats généraux ; elle nous a depuis, et ensuite d’un autre arrêté en date du 5 de ce mois, fait une adresse, afin qu’il nous plût de donner sur-le-champ les ordres nécessaires dans toutes les paroisses de la colonie, pour qu’il fût incessamment et au même jour, tenu des assemblées, à l’effet, s’il était trouvé convenable, de nommer des commissaires-électeurs, lesquels seraient autorisés et tenus de se trouver à d’autres assemblées qui seraient pareillement indiquées à bref délai, pour y porter le vœu de leurs paroisses. Les expressions de ces arrêtés et requêtes, et de nombre de lettres qui nous ont été adressées, nous ont suffisamment prouvé combien les habitants de la colonie étaient partagés dans leurs sentiments sur la question importante de la représentation aux Etats généraux du royaume. Nous avons dû prévenir les suites de cette diversité d’avis ; mais nous avons pensé en même temps que cette question ne devait point être déterminée par notre opinion particulière, et que si, d’un côté, nous avions les plus puissants motifs de désirer que notre conduite, comme administrateurs, fût examinée par Sa Majesté environnée de ses Etats généraux ; si nous devions le lui demander, ainsi que nous le faisons, comme la récompense la plus honorable de nos travaux, comme une justice, et en même temps comme une grâce distinguée; d’un autre côté, une partie nombreuse de la colonie pensait que la représentation des colons aux Etat3 généraux devait faire la matière de l’examen le plus réfléchi, et pour nous servir des expressions d’une des requêtes qui nous ont été adressées, que eette question devait être jugée par Sa Majesté elle-même, tenant les grandes assises de son royaume, et que si elle était décidée pour l’affirmative, la durée de L’assemblée, ou les ajournements, pourraient présenter un moyen de faire jouir la colonie des avantages de l'admission. Dans ces circonstances, nous avons dû chercher un point d’appui que ne pouvaient nous offrir les opinions contradictoires et incertaines qui nous sont parvenues. Nous l’avons trouvé dans les instructions qui nous ont été données par Sa Majesté elle-même. C’est dans ce monument précieux de sa bonté, qu’à la suite des ordres les plus propres à manifester la sollicitude tendre et paternelle dont elle est animée pour ses sujets de Saint-Domingue,- elle a dicté et signé de sa main les paroles suivantes, qui deviendraient bientôt notre condamnation, si elles n’étaient pas la règle constante de notre conduite : Si la distance des lieux , si la nature des choses exigent que les pouvoirs des sieurs marquis Du Chilleau et de Marbois soient étendus, c'est un dépôt sacré, confié à leur prudence, et dont le plus léger abus serait un délit. Un principe qu’ils ne doivent jamais oublier, c’est que le gouvernement doit être modéré, sage et bienfaisant, mais sage avec fermeté; que l’autorité est établie pour le bonheur de tous et non pour la satisfaction de ceux qui en sont dépositaires, et que c’est surtout aux colonies qu'il est vrai de dire • qu'elle n'est jamais plus puissante que quand elle est chérie etrespectée . Signé : Louis; et plus bas: La Luzerne. Que ces expressions touchantes de la volonté du souverain ne cessent jamais d’être notre loi! A ces causes, eu conséquence des pouvoirs à nous confiés, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit : Art. 1er. Attendu que les intentions de Sa Majesté, relativement, soit à l’admission des députés des eolonies aux Etats généraux du royaume, soit à la forme dans laquelle il conviendrait de recueillir les vœux et sentiments des colons sur cet objet important, ne nous sont point encore connues, et qu’il peut néanmoins être utile qu’elle soit instruite des désirs et des espérances de la majorité desdits colons, nous les autorisons et nous les invitons même à nous exposer leurs demandes par lettres ou par requêtes qui nous seront adressées des différents lieux de la colonie, sans qu’elles puissent cependant être signées par plus de cinq personnes, faute de quoi elles seront rejetées comme nulles. Art. 2. Lesdites lettres ou requêtes contiendront en fin de chacune d’icelles, les demandes ou les sentiments de ceux qui les auront signées, soit pour l’admission, soit pour la non-admission, soit enfin pour s’en rapporter à Sa Majesté, et la supplier de faire connaître sa volonté. Chaque signature sera suivie de la mention dé la paroisse, du domicile, de l’habitation, du genre de culture, ou de ia profession de celui qui aura signé, à faute de quoi sa signature ne sera comptée ; il sera ensuite formé des états sommaires de toutes les signatures suivant les trois classes indiquées au commencement du présent article, et il sera loisible à tous les habitants de consulter lesdits états, ainsi que les pièces à l’appui, à l’effet de quoi, le tout, dans le mois de janvier, sera par nous envoyé aux secrétariats des chambres d’agriculture, pour y demeurer en dépôt : et il sera' dans ledit mois statué par nous ce qu’au cas appartiendra. Art. 3. Les lettres et requêtes qui vous ont été adressées jusqu’à ce jour, touchant l’admissiou des députés de 1a colonie aux Etats généraux, né seront point comprises dans lesdits états sommaires ; mais ceux qui les ont signées pourront nous en faire parvenir de nouvelles. Déclarons nuis et de nul effet toutes requêtes, mémoires ou écrits quelconques, qui auraient pu être ou seraient clandestinement présentés aux habitants, pour être par eux signés, et né seront comptées les signatures obtenues sur lesdits écrits, mais seront considérées comme surprises; et en conséquence tenues pour non-avenues. Art. 4. Défendons, conformément aux lois et règlements de Sa Majesté, toute assemblée illicite, sous peine d’être, ceux qui y assisteront, poursuivis suivant la rigueur des ordonnances. Prions MM. les officiers du conseil supérieur de Saint-Domingue, d’enregistrer la présente ordonnance, et mandons à ceux des juridictions de tenir ia main à son exécution. Sera la présente enregistrée au greffe de l’intendance. Donnée au Port-au-Prince, sous le sceau de nos armes, et le contreseing de nos secrétaires, le vingt-six du mois de décembre mil sept cent quatre-vingt-huit. Signé: Du Chilleau et de Mar- 336 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [18 juin 1790.] bois. Et plus bas, par M. le général, signé : Bonhomme; par M. l’intendant, signé: Marchant. � Enregistré au greffe de l’intendance des îles françaises de l’Amérique sous-le-Vent, le vingt-sept décembre mil sept cent quatre-vingt-huit. Signé: Sentout, greffier en chef. Enregistrée a été la présente ordonnance au greffe du conseil supérieur de Saint-Domingue. ouï et ce requérant Je procureur général du roi, pour être exécutée selon la forme et teneur, imprimée, lue, publiée et affichée partout où besoin sera, et copies collationnées d’icelle envoyées dans les sénéchaussées du ressort, pour y être pareillement lues, publiées et registrées, avec injonction aux substituts dudit procureur général du roi de tenir la main à son exécution et d’en certifier la cour au mois, au désir de l’arrêt de ce jour. Donné au Port-au-Prince, en conseil, le vingt-neuf décembre mil sept cent quatre-vingt-huit. Signé : Duvernon, greffier-commissaire; collationné, Signé : Dubeuf, greffier-commissaire. N° il. Copie d’une lettre imprimée des administrateurs à tous les officiers civils , militaires et d’ administration. Port-au-Prince, le 31 décembre 1788. Nous présumons, Monsieur, que vous avez eu connaissance de divers écrits relatifs à l’admission ou à la non-admission des représentants de la colonie aux Etals généraux. Ils ont donné lieu à plusieurs requêtes et mémoires, où les colons se sont exprimés diversement, suivant leurs dispositions et leurs opinions particulières. Les uns nous ont demandé d’assembler la colonie, et de donner à cette assemblée une Constitution dont ils nous ont eux-mêmes proposé le plan et les détails. Les autres ont observé que notre autorité ne s’étendait pas jusqu’à l’exercice de cet acte, le plus important de la puissance souveraine ; que d’ailleurs on ne pouvait, en vertu du vœu d’une partie des colons, dont la proportion au tout est inconnue, convoquer une assemblée, où les uns se rendraient parce qu’elle serait la suite de leur demande, et dont les autres s’abstiendraient, parce qu’ils la regarderaient comme illégale, et qu’ainsi elle ne pourrait offrir dans ses résultats que les vœux de ceux qui l’auraient demandée. Dans ces circonstances, nous avons jugé à propos de rendre l’ordonnance dont nous joignons ici un exemplaire. Nous n’avons pas voulu y exprimer notre sentiment particulier sur cette importante question. Nous avons pensé qu’en attendant les ordres de S. M. que nous avons déjà sollicités, nous devions nous borner à recevoir les demandes des habitants, et que notre autorité ne devait être mise en action que pour parvenir à connaître leur vœu libre et patriotique. C’est dans cette vue que nous vous prions de vouloir bien vous abstenir, comme officier de Sa Majesté, de tout ce qui paraîtrait tendre à influer sur les opinions. Nous désirons cependant que, comme habitant propriétaire, si vous l’êtes, vous vouliez bien nous faire connaître votre sentiment, dans la forme indiquée par votre ordonnance. Les adresses, requêtes et lettres qui nous sont parvenues concourent généralement à demander célérité. Nous pensons nous-mêmes qu’il convient d’user de toute celle que les conjonctures permettent. Nous vous prions de faire connaître aux habitants que nous désirons qu’ils nous fassent parvenir leurs lettres ou requêtes aussitôt qu’il leur sera possible. Nous avons aussi ordonné que tous ceux qui signeront feront mention des noms de leurs paroisses, domiciles, habitations, professions, etc. Cette précaution est indispensable pour prévenir l’abus des signatures qui pourraient être données par des personnes qui n’ont pas droit de voter dans cette circonstance. Nous avons l'honneur d’être avec un parfait attachement, Monsieur, vos très humbles et très obéissants serviteurs. Signé ; Du Chilieau et de Marbois. Cette lettre imprimée du gouvernement général et de l’intendant à tous les officiers civils, militaires et d’administration en leur envoyant l’ordonnance du 26 décembre 1788, m’a été adressée de Saint-Domingue. La Luzerne. N° III. ORDONNANCE concernant la communication ouverte pour les voitures par les quartiers des Gondives% de Plaisance et du Limbe et un établissement de voitures de poste pour les voyageurs. Du 28 mai 1789. Extrait des registres du conseil supérieur de Saint-Domingue. Marie-Charles, marquis Du Chilieau, maréchal des camps et armées du roi, commandeur de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, gouverneur-lieutenant-général des îles françaises de l’Amérique sous-le-Vent, et inspecteur général des troupes, artillerie, milices et fortifications ; Et François Barbé de Marbois, conseiller du roi en ses conseils et en son parlement de Metz, intendant de justice, police, finances, de la guerre et de la marine des dites îles. Depuis longtemps la colonie désirait une communication pour les voitures entre le Cap et toutes les parties qui sont au sud de cette grande ville. Des défilés souvent impraticables, des dangers multipliés rebutaient les voyageurs ; et plusieurs, forcés par la nécessité de leurs affaires, n’évitaient les périls d’un voyage par terre qu’en s’exposant à ceux de la mer. L’administration, longtemps arrêtée par des obstacles en apparence insurmontables, a enfin recueilli des notions plus certaines, et sur le rapport qui en a été fait à Sa Majesté, elle a ordonné que la communication serait ouverte à ses frais. Cette grande entreprise, après un an et demi de travaux, touche à sa fin . Des pentes égales et faciles ont pris la place, ou des précipices, ou des rochers ; elles parcourent les sinuosités des montagnes, et franchissent les abîmes des plus profondes ravines. Déjà plusieurs habitants ont vu, s’élever par ces travaux, la valeur de leurs propriétés ; ils profitent du chemin royal pour l’exportation de leurs denrées, et pour faire apporter dans leurs habitations tout ce dont elles ont besoin. Il reste encore à faciliter la correspondance de l’administration et des habitants à assurer aux voyageurs des moyens peu dispendieux de se transporter d’une extrémité de la colonie à l’autre quand leurs affaires l’exigent, et enfin à soulager les colons eux-mêmes, pour lesquels l’affluence des voyageurs souvent 337 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] inconnus, deviendrait une surchage et finirait par détruire l’hospitalité qui est une des vertus particulières aux habitants de Saint-Domingue. Les établissements à former pour cet effet doivent être régis par règles fixes dont ni le public, ni l’entrepreneur ne puissent s’écarter. Aces causes et en vertu des pouvoirs à nous donnés, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit: Art. 1er. Il sera établi à compter du 16 août prochain, des carrioles solidement faites, montées sur deux roues, et attelées de trois chevaux ou plus s’il est nécessaire pour transporter les lettres ou paquets ordinaires de la poste, aux jours et heures indiquées par le règlement du 8 juillet 1783. Lesdites carrioles pourront aussi transporter deux voyageurs et leurs valises ou portemanteaux, du poids de quinze livres, du Port-au-Prince an Gap et lieux qui sont sur la route du Port-au-Prince à Léogane, et en retour desdits lieux au Port-au-Prince. Art. 2. Le prix sera pour chaque voyageur et sa valise du poids de quinze livres : Savoir : Du Port-au-Prince au Gap ..... 396 1. Du Port-au-Prince à Saint-Marc . . 198 Du Port-au-Prince à Léogane ... 66 Et dans le cas où les voyageurs conviendraient de s’arrêter à des lieux intermédiaires, le prix de chaque place sera réglé à raison de huit livres cinq sous par lieue. Dans le cas où, par la suite, l’entrepreneur voudrait établir une carriole du Port-au-Prince au Petit-Goave, le prix de chaque place sera de 396 livres. Le prix des places desdits lieux au Port-au-Prince sera le même. Art. 3. Dans le cas oùil y aurait possibilité d’arranger une place derrière la carriole pour le transport d’un ou de deux valets, le prix sera pour chaque valet, pour le voyage, d’un sixième du prix qui sera payé par le maître. Art. 4. Le voyageur qui voudra se rendre directement du Port-au-Prince au Gap, et réciproquement, sera inscrit et préféré à celui qui ne voudra se rendre qu’à Saint-Marc, et la préférence sera de la même manière, toujours accordée à celui qui voudra se rendre au lieu le plus éloigné. Art. 5. Les voyageurs se feront inscrire sur le registre qui sera tenu à cet effet aux bureaux des postes du Port-au-Prince, de Saint-Marc, du Gap et de Léogane; ils s’assureront ainsi de leurs places; ils payeront en même temps moitié du prix, dont il leur sera donné reçu, contenant en outre le jour et l’heure du dé*part, et ils payeront l’autre moitié au moment du départ. Ceux qui, après avoir retenu une place, ne se présenteront point à l’heure fixée, perdront la somme qu’ils auront payée. Art. 6. Les voyageurs, de quelque qualité et condition qu’ils soient ne pourront, sous aucun prétexte, arrêter ni retarder la course, et dans le cas où ils prétendraient le faire, autorisons le postillon à faire route, et à se rendre à l’heure accoutumée à la direction prochaine, et le prix payé par le voyageur sera acquis à la ferme, sans qu’il puisse répéter aucune diminution : il sera néanmoins, sur la déclaration du postillon, dressé, par le plus prochain directeur, procès-verbal sommaire de l’absence du voyageur, et de l’endroit où il aura quitté la voiture. lr8 Série. T. XVI. Art 7. Les entrepreneurs de courses seront tenus d’avoir, à la distance au plus de cinq lieues, des relais en bon état, et toujours prêts à faire route aux heures indiquées pour le passage à faire des courriers. Art. 8. Tous les postillons attachés au service des postes et desdites voitures, porteront une veste uniforme de drap bleu, à parements et revers rouges, et auront une plaque aux armes du roi, attachée à l’avant-bras gauche. Art. 9. Les directeurs, commis, entrepreneurs de courses et leurs employés, continueront de jouir de tous les privilèges à eux accordés par les règlements concernant les postes de la colonie, et seront sous la protection immédiate de nous et denosreprésentantsdanschaque quartier, lesquels veilleront à ce que les postillons n’éprouvent aucun mauvais traitement de la part des voyageurs. Art. 10. Si quelque voyageur voulait, pour la sûreté de sa personne ou de ses effets, se faire escorter par la maréchaussée, il en fera la demande au commandant ou major pour le roi, dans le quartier, ou à l’officier qui le représentera. 11 sera loisible audit officier de l’accorder, bien entendu que ladite escorte ne retardera aucunement le départ du courrier, à l’heure indiquée; et sera le prix de ladite escorte payé d’avance au taux de l’ordonnance, et ainsi qu’il sera arrêté par l’officier qui l’aura commandée. Art. 11. Si les voyageurs voulaient porter avec eux, outre leur valise du poids de quinze livres, des paquets de papier, d’étoffes, de toile, ou des espèces d’or et d’argent, dont ils auraient chargé le registre de la poste, ils en payeront te port suivant la taxe du règlement, en outre du prix de leur place ci-dessus fixé, et lesdits paquets extraordinaires ne pourront, dans tous les cas, peser ensemble plus de quinze livres pour un seul des deux voyageurs. Art. 12. S’il arrivait que les mauvais temps, les débordements des rivières et autres accidents ne permissent pas à la carriole de passer, l’admi nistrateur des postes prendra ses mesures pour que les dépêches parviennent, comme ci-devant, par des animaux de charge, et fera en sorte que la correspondance n’éprouve jamais de retard. Dans le cas même où quelque force majeure ou accident empêcherait la carriole de faire route, il serait fait au voyageur une diminution sur le prix de sa place proportionnée au chemin qui resterait à faire pour arriver à sa destination. Art. 13. Seront, les entrepreneurs des courses dénoncés à nous et à nos représentants, dans les cas d’inexécution de leur traité avec l’administration des postes, lorsqu’ils exigeront une prompte décision, sauf à être renvoyés devant les juges, pour être poursuivis, suivant l’exigence des cas, pour les dommages causés par leurs employés, du fait desquels ils demeureront civilement garants et responsables. L’administrateur desdites postes sera également poursuivi, par les mêmes voies, dans le cas où il ne remplirait pas ses obligations envers lesdits entrepreneurs. Sera la présente enregistrée au greffe de l’intendance. Prions Messieurs les officiers du conseil supérieur de Saint-Domingue de la faire enregistrer en leur greffe , et mandons à ceux des juridictions de tenir la main à son exécution. Donnée au Port-au-Prince, sous le sceau de nos armes, et le contreseing de nos secrétaires, le 28 mai 1789. Signé : Du Ghilleau, de Marbois. 22 338 [Assemblée natiûDfila.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [i$ jHiR 179p. I Par M. le gouverneur général, signé : Bonhomme. Par M. l'intendant, signé. ; Simon. Enregistrée au greffe de l’intendance des îles françaises de l’Amérique sousde-Vent, au Port-au-Prince, le premier juin 1789. Signé : Sentout. Registrée s été la présente ordonnance pu greffe du conseil supérieur de 'Saint-Domingue, ouï et ce requérant le procureur général du roi, pour être exécutée selon sa forme et teneur; imprimée, publiée et affichée partout Qü besoin sera, et copies collationnées d’icelle envoyées dans les sénéchaussées du ressort, pour y être areillemeut lues, publiées, pegistrpes et affichées. ujoint aux substituts dudit procureur général d’y tenir la main, et d’en oertiher la cour au mois. Donné au Popt-au-Prince» en pouspil, le premier juin 1789. Signé : de Marhois et Fougeron* Collationné, Bonvallet. AVIS D'ADMINISTRATION. 344 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790-1 te Nous, soussigné, greffier du tribunal d’administration, certifions que l’état ci-dessus est exact et conforme aux registres du greffe, et qu’il contient le détail de toutes les réunions poursuivies pendant l’année 1788. Au Port-au-Prince, le 14 avril 1789 . Signé : Sentout. No V. Règlement de MM . les administrateurs, concernant la manière de procéder sur les affaires dont la connaissance leur est réservée par l'article II de l'ordonnance du roi, du 21 janvier 1787, portant suppression du tribunal terrier. César-Henri, comte de La Luzerne, lieutenant général des armées du roi, son gouverneur-lieutenant général des îles françaises de l’Amérique sous-Ie-Vent, et inspecteur général des troupes, artillerie, milices et fortifications desdites îles; Et François Barbé deMarbois, conseiller du roi en ses conseils et en son parlement de Metz, intendant de justice, police, finances de la guerre et de la maison des dites îles. Sa Majesté ayant, par son ordonnance du 21 du mois de janvier dernier, supprimé le tribunal terrier, elle nous a, en même temps, attribué la connaissance de toutes les demandes nées et à naître en réunion de terrain à son domaine, ainsi que de toutes les contestations relatives à la distribution et à l’usage des eaux ; elle a auss i ordonné qu’il serait procédé sur lesdites matières, conformément à ce qui est prescrit par sa déclaration du 17 juillet 1743. Mais comme indépendamment des formes de procéder établies par ladite déclaration, le tribunal qui vient d’être supprimé en observait plusieurs, qui, sans être dispendieuses ou longues, avaient l’avantage d’offrir une plus grande sûreté pour les parties; nous avons jugé convenable d’en prescrire l’observation, ainsique celles de quelques autres formalités essentielles dans les procédures en réunion. A ces causes, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné par Sa Majesté, nous avons provi-soirement statué et ordonné, statuonsetordonnons ce qui suit: Art. 1er. Toutes les demandes qui seront de nature à êtres portées devant nous, seront formées par requêtes; et s’il s’agit d'obtenir la permission de poursuivre un terrain en réunion, le demandeur sera tenu de joindre à sa requête une expédition en forme du titre de concession, dont il voudra poursuivre la réunion. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] 345 SECTION PREMIÈRE. Réunions. Art. 2. Surles requêtes des demandes en réunion, il sera par nous donné acte de�la demande, et ordonné qu’elle sera poursuivie à la requête du procureur du roi ; les procureurs du roi, sur la simple remise qu’il leur sera faite d’une requête ainsi répondue, et sans qu’il soit besoin d’autre ordonnance de nous, poursuivront la réunion par devant les juges des lieux, que nous commettons par le présent règlement, à l’effet de faire faire par devant eux tous actes d’instruction quelconques. Ne pourront néanmoins les procureurs du roi, commencer aucune procédure que dans le délai prescrit par l’article 3 du règlement du tribunal terrier, du 6 décembre 1785, concernant les réunions. Art. 3. Cet appointement sera censé contenir permission tant au procureur du roi qu’au défendeur à la réunion, d’informer respectivement de l’établissement ou du non établissement du terrain dont il sera question ; et l’ancien concessionnaire ou ses ayants cause, ne seront assignés pour voir ordonner l’enquête. Art. 4. Ne pourront les procureurs du roi, sous quelque prétexte que ce soit, se dispenser de faire faire enquête ou visite des lieux selon l’exigence des cas ; et ce quand même l’ancien concessionnaire ou ses ayants-cause avoueraient le défaut d’établissement sur le terrain poursuivi en réunion. Art. 5. Enjoignons aux procureurs du roi de faire faire l’enquête ou la visite des lieux dans le délai de quinzaine, après l’expiration de celui d’un mois prescrit par l’article 3 du règlement du tribunal terrier, du 6 décembre 1785, concernant les réunions: et si le défendeur à la réunion veut faire faire enquête, il sera tenu de la faire dans la quinzaine, à compter du jour où il aura été assigné, pour être présent à la prestation du serment des témoins, que le procureur du roi voudra faire entendre; passé lequel délai, il ne sera plus reçu à faire faire enquête. Pourra néanmoins ledit délai de quinzaine être prorogé par nous, en connaissance de cause, sur la demande qui nous en sera faite par le défendeur à la réunion. Art. 6. Les procureurs du roi se conformeront entièrement pour les enquêtes, dans les affaires en réunion, aux formalités prescrites par le titre 22 de l’ordonnance de 1667; et notamment aux dispositions de l’article 27 du même titre; et dans le cas ou par l’omission de quelque formalise prescrite par l’ordonnance, l’enquête sera déclarée nuiie, elle sera recommencée aux frais des dits procureurs du roi, si la nullité est de leur fait, ou aux frais du juge qui aura fait l’enquête, si la nullité est du fait au juge. Art. 7. Si, après l’expiration des délais donnés par l’ordonnance de 1667, pour fournir reproches contre les témoins entendus, le défendeur à la réunionne demande pas copie de l’enquête, alors le procureur du roi prendra ses conclusions par écrit, elles fera signifier au défendeur à la réunion, lequel aura, pour y fournir réponse et prendre aussi ses conclusions, le délai de huitaine accordé dans les appointements à écrire et produire par l’article 12 du titre II de l’ordonnance de 1667. Art. 8. Si le défenseur à la réunion, dans la huitaine après l’expiration des délais pour fournir reproches, demande copie de l’enquête, le procureur du roi la lui fera signifier, et en même temps ses conclusions; et le défendeur aura en ce cas, comme dans celui qui est énoncé en l’article précédent, un dé1 ai de huitaine pour répondre et prendre aussi ses conclusions. Art. 9. Ledit délai de huitaine pour répondre aux conclusions du procureur du roi étant expiré, soit que le défendeur à la réunion ait répondu ou non, le procureur du roi remettra au greffe de la juridiction la procédure, et le greffier en fera alors un état sommaire, duquel il sera donné copie au défendeur à la réunion, avec sommation de produire sous trois jours. Art. 10. Après l’expiration du dit délai de trois jours, le greffier de la juridiction, soit que le défendeur à la réunion ait produit ou non, enverra toutes les pièces produites en son greffe à celui de l’intendance, et il joindra à la procédure en réunion les trois affiches qui auront dû être déposées en son greffe par le demandeur en réunion. Art. 11. Toute permission par nous accordée, de poursuivre un terrain en réunion, sera censée périmée dans trois mois, à compter de la date, s’il n’a été fait aucune poursuite par celui à qui elle aura été accordée ; et toute autre personne pourra nous demander une nouvelle permission de poursuivre le même terrain en réunion, en rapportant préalablement un certificat du greffier de la juridiction, qu’il n’a été fait aucune poursuite dans le délai de trois mois, par celui à qui la première permission aura été accordée. SECTION SECONDE-Contestations relatives à la distribution ou à l’usage des eaux. Art. 12. Dans toutes les demandes concernant la distribution ou l’usage des eaux, la requête du demandeur sera répondue par ces mots : Aete de la demande , ce qui aura le même effet que peut avoir une sentence d’appointement dans les tribunaux ordinaires ; et sur ce simple acte de demande ■, la contestation sera censée renvoyée par devant les juges des lieux, que nous commettons par le présent règlement, à l’effet de faire tous actes d’instruction quelconques, de recevoir les demandes incidentes des parties, de rendre tous les jugements préparatoires, et de les faire exécuter nonobstant oppositions quelconques, sans néanmoins que l’exécution de leursdils jugements préparatoires puisse être opposée aux parties comme fin de non-recevoir, lorsqu’elles auront protesté ou fait leurs réserves en les exécutant. Art. 13. Défendons aux parties de nous adresser leurs écrits de conclusions, de répliques et autres, qui doivent faire partie de leur production, sous la forme de requête, comme plusieurs particuliers faisaient ci-devant, pour obtenir de nous la permission de les faire signifier. Leur ordonnons de se faire signifier respectivement tous les écrits dont elles voudront faire usage daus chaque instance, et les juges des lieux n’auront aucun égard dans leurs avis aux écrits qui n’auraient pas été signifiés. Art. 14. Les parties se conformeront pour les délais de produire aux dispositions de l’ordonnance de 1667 ; elles produiront toutes leurs pièces au greffe de la juridiction des lieux : et dans le mois après l’expiration des délais pour produire, le procureur du roi donnera ses conclusions, et le juge des lieux, son avis sur les 346 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] pièces et procédures qui se trouverout produites ; lesdites conclusions et lesdiis avis seront remis cacheiés aü greffe, et le greffier les enverra avec les procédures au greffe de l’iùtendarice. Art. 15. Ordonnons âii surplus qüe les édits, déclarations et règlements du roi, concernant tant les rëütiioris que là distribution et i’usage des eaux, et notamment le règlement du tribunal terrier dû 6 décembre 1785, concernant les réu-ûions, seront exécutés sëlon leur forme et teneur dans toiit ce à quoi il n’est point dérogé par les dispositions du présent. Sera le présent règlement enregistré au greffe de l’intendauce, imprimé et copies, dûment collationnées d’icellii, envoyées dans toutes les juridictions aé la colonie pour icelui y être enregistré et affiché à la diligence des procureurs du roi, qui seront tenus dë veiller à son exécution. Donné au Port-au-Prince, sous le sceau de nos armes, et le contreseing de nos secrétaires, le 10 novembre 1787. Signé : La Luzerne; ët plus bas, par M. le général Gappeau. Pareillement signé : de Marbois; et plus bas, M. l’intendant Macé; et scellé de deux cachets en cire roüge. Enregistrée au greffe de Piii tendance des îles françaises de l’Amérique sous-le-Vent, au Port-au-Prince, le 4 décembre 1787. Signé : SENTOUT. N° VI. ARRÊT DU CONSEIL d’êta! dû roi concernant LES CONCESSIONS. Extrait des registres du Conseil supérieur de Saint-Domingue. (Extrait des registres du conseil d’Ëtat.) Le roi s’étant fait représenter en son conseil deux arrêts en forme de règlement, l’un du conseil supérieur du Gap, du 20 juin 1776, l’autre du conseil supérieur de Saint-Domingue, du 19 novembre 1787, concernant les concessions qui auraient été faites d’un même terrain à différentes personnes ; vu aussi la déclaration du roi, du 17 juillet 4743, sur le fait desdites concessions, ensemble le formulaire ordinaire d’icelles, et les diverses lois qui peuvent y être relatives, ainsi ue la lettre aes administrateurs en chef de aint-Domingue, au secrétaire d’État, ayant le département de la marine et des colonies, en date du 21 août dernier, pièces et réclamations jointes, Sa Majesté a reconnu qu’un zèle louable avait porté les officiers desdits conseils supérieurs à statuer, chacun en droit soi et par forme de règlement, quoique d’une manière entièrement contradictoire, sur la validité des titres d’une concession faite à différentes personnes d’un même terrain ; mais elle n’a pu se dissimuler en même temps que ces deux tribunaux avaient également outrepassé leurs pouvoirs, en prononçont sur des objets de législation et d’ordre public, sur lesquels il leur est interdit de faire des règlements ; que le conseil supérieur de Saint-Domingue n’avait pas le droit de revenir sur un arrêt du conseil supérieur du Gap, auquel il est substitué, pour ce qui composait l’ancien ressort de ce dernier, sous prétexte d’opposition de la part du ministère public, à l’exécution dudit arrêt ; tandis que le procureur général avait été entendu hors d’icelui : considérant cependant qu’il importe à la tranquillité des cultivateurs de Saint-Domingue, de fixer le véritable sens de la déclaration du toi, du 17 juillet 1743, elle a jugé â propos d’expliquer ses intentions relativement aux concessions d’un même terrain, qui, par inadvertance, auraient été ci-devant faites, ou le seraient à l’avenir, à différentes personnes ; à quoi voulant pourvoir ; ouï le rapport et tout considéré : le roi étant en son conseil, a cassé et annulé, casse et annuelle, comme incompétemment rendus, lesdits arrêts, en forme de règlement, des conseils supérieurs du Gap et de Saint-Domingue, des 20 juin 1787 ; fait défense audit conseil supérieur de Saint-Domingue d’en rendre de semblables, et lui enjoint de se conformer à la disposition tant des articles 45, 46 de l'ordonnance du roi, du premier février 1766, que de l’article 25 de l’ordonnance du %2 mai 1775, concernant le gouvernement civil de la colonie ; à peine, en cas de contravention, de nullité et cassation : ordonne Sa Majesté que la déclaration du roi, dû 17 juillet 1743, et toutes autres, auxquelles il n’aurait pas été dérogé, touchant les concessions de terrains, ensemble les conditions êt pièces énoncées dans les titres mêmes desdites concessions, seront exécutées selon leur forme et teneur ; interprétant, en tant que beqoin serait , là disposition de l’article 3 de ladite déclaration du roi, du 17 juillet 1743, dit et déclare qu’il n’y a lieu à la réunion au domaine en cas de non culture, dans les termes prescrits par les règlements, qu’autant que la concession aurait été consommée, et la propriété transférée par un arpentage fait sans opposition, lequel vaut prise de possession, conformément aux titres de concession même ; et que dans le concours de deux concessionnaires d’un même terrain, celui qui aura fait arpenter le premier, ou provoqué légalement l’arpentage, sera maintenu, quand même son litre serait d’une date postérieure , au préjudice du concessionnaire plus ancien qui sera déclaré déchu, faute de possession prise, ou reprise, dans les formes de droit ; déroge à tous règlements ou arrêts à ce contraire, et ordonne que le présent arrêt sera enregistré aü greffe du conseil supérieur de Saint-Domingue, lu, publié, imprimé et affiché partout où besoin sera dans ladite colonie. Enjoint aux gouverneur général et intendant d’y tenir la main. Fait au conseil d’Etat du roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles, le 31 janvier 1789. Signé : La Luzerne. Registré a été le présent arrêt du conseil d’État au greffe du conseil supérieur de Saint-Domingue, ouï et ce réquérant, lé proctireür général du roi, pour être exécuté selon sa forme et teneur, imprimé, lu, publié et affiché partout où besoin sera, et copies collationnées d’icelui, envoyées dans les sénéchaussées du ressort, pour y être pareillement luës, publiées, registrées ët affichées; enjoint aux substituts dudit procureur général du roi d’y tenir là inâih, et d’ën certifier la cour au mdis. Donné aü Pott-àu-PrinCe, en conseil, le 19 mai 1789. Signé ; ËON VALLET, [Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. ]18 jüifi 1790.] 347 nà vii. Aperçu dés subsistances èxistdni dans là colonie â V époque âù Ier ôctôBfê 1789. On tances est fondé à croire, d’après les aperçus fournis à l’administration, qu’à l’époque du 31 juillet, il restait des subsis-. i en farine, pour plus d’un mois, ce qui est égal à uhë quantité de .......... ; ..................... 15.000 Bstrils Les importations , pendant les mois suivants , sont comme ci-après Savoir : Août Septembre. Farines françaises. . ...... . ........ 4.201 barils. d° étrangères ................ 17.691 Fdrineé françaises 1.487 d® étrangères. ........ 17.910 Octobre, 29 premiers joürs. Farines étrangères... .......... 20.900 !9.9gi 7.574 48.871 Les consommations évaluées à 15.000 iiariis par mois, pendant deux mois et vingt jours s’élèvent à ..... ........ ; ............ • ......... ................ « ............ 63.871 barils 4Ô.000 Reste à consommer une quantité de qui assurent la consommation pendant plus de six semUinés. Les permissions délivrées én septembre pour l’importation des farines étratigères, portent l’introduction à espérer en octobre à ...... ; ...... ............ : : ............. ...... .................... i ; . . . Celles délivrées pendant les vingt prëdiiërs jours d’octbbré, la portent à.;...,... 23.871 barils 17.950 23.900 65.721 barils. Vu et certifié par nous, intendant à Saint-Domingue, Port-au-Prince, le 22 octobré 1789. signé : DE MarboiS. N° VIII. ÉTAT des navires partis des ports de France pour Saint-Domingue , et arrivés dans cette colonie depuis le 5 juillet jusqu’ au 20 septembre 1789. Extrait des mouvements des ports, insérés dans les qazettes de la colonie: N. B; — On h’a point fait mention des bâtiments négriers. MOUVEMENTS DES PORTS DE L’OUEST ET DU SUD. NUMEROS dés GAZETTES. N® 58; N® 60. N® 62. N® 64. N® 66; N® 68. N® 70. N® 72. N» 74. NOMS DÉS BATlMkNTS. Lâ dâtnfe Heliegohdé... La Jeûné RoSë. La Sophie ....... . ..... La Bonne-Réncontïe. . . . L’A�àtlië ..... Le Robuste ............ L’Ami....,..,....;.... Le Maréchal dë Duras.. L’Arbonite ............. Lë. Vigilant ........... ; L’Américain ............ La, Jeune Amazone ..... L’Éole ................. La Suzette...�;. La Plaine du Fond ..... Le Saint-Marc ........... i Le Jeune Louis .. ...... L’OptimiSiiiè L’Âiihablfe Lilly La Jeuüë Désirée.;;;.. La Saintonge .......... Le Nékër ...... Le Jeune Lion .......... Àglaiis ............... La MinërVfe ... ......... Le Solide.. I IjB l Le J L’J ( La Total : Vingt six navires arrivés dans les ports de l’Ouest et du Sud, du 6 juillet au 20 septembre. 348 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] MOUVEMENTS DES PORTS DU NORD. Vu et trouvé conforme aux mouvements des ports de Saint-Domingue , insérés dans les gazettes de la colonie. A Paris , le 15 juin 1790. La Luzerne. N° IX. Copie du mémoire présenté au roi par M. le comte de La Luzerne et approuvé par Sa Majesté le 7 mars 1788. Plusieurs officiers généraux, soit de vos armées navales, soit de vos armées de terre, et même quelques brigadiers demandent à Votre Majesté la place de gouverneur générai de l’île de Saint-Domingue. J’ai l’honneur d’en mettre la liste sous ses yeux. M ................. . ....... ................ M ................. ..... .................... M ................................... . ..... M ..................................... ..... M. le marquis DuChilleau, maréchal de camp. M ........................ ........... ...... M ................ ........................ M .......... . ......... ...................... M .................. ...... ................. M ........................................ M .................................. ........ Deux brigadiers se sont aussi présentés. M ........... .............. ................ M ......................................... Parmi ces nombreux concurrents, je regarde M. le marquis Du Ghilteau comme le plus digne que Votre Majesté lui confie un emploi aussi important. Il a servi avec distinction aux îles du Vent pendant la dernière guerre, soit comme brigadier, soit comme maréchal de camp. Il y a été pendant quatre ans chargé du commandement de la Dominique, et on n’a pu qu’applaudir soit à son administration civile, soit aux mesures prises pour la défense de cette île nouvellement conquise. C’est par ces motifs que je propose à Votre Majesté de lui donner le gouvernement général de Saint-Domingue. Au bas est écrit de la main du roi : Bon. Pour copie, La Luzerne. N° X. ORDONNANCE concernant l'introduction des farines étrangères dans les ports d'entrepôts de la partie française de l'ile Saint-Domingue. Du 27 mai 1789. (Extrait des registres du conseil supérieur de Saint-Domingue). L’ordonnance que nous avons rendue le 31 mars 1789, enregistrée au conseil supérieur de Saint- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] 349 Domingue le premier avril suivant, portant permission d’introduire des farines étrangères, introduction que nous avions ordonnée d’après les nouvelles alarmantes que nous avions reçues sur l’impossibilité qu’il fut fait de France les envois accoutumés de subsistances, d’après la destruction presque totale des productions du royaume, occasionnée par un hiver des plus rigoureux, et d’après les primes par lesquelles Sa Majesté encourageait l’importation des farines dans le royaume, qui ne permettaient point de douter qu’elle n’eût voulu prévenir les calamités de la disette dont il était menacé, et qu’il ne fût impossible au commerce national de faire pour la colonie des chargements suffisants à ses besoins. Cette ordonnance rendue sur les maux que la situation de la métropole devait nous faire craindre, n’a pas entièrement rempli les vues dout nous nous étions flattés. Il ne s’est introduit qu’une très petite quantité de farines, et le prix du pain n’a éprouvé qu’une diminution peu sensible, encore même ne s’est-elle fait sentir que dans les trois villes principales; leurs points intermédiaires ayant été privés de ces secours, sont réduits à une détresse fâcheuse. Ce défaut d'importation, d’après les différents rapports des armateurs des bâtiments étrangers, provient de ce que ces mêmes bâtiments ne peuvent se remplir par des denrées coloniales de la valeur des farines qu’ils peuvent importer, et de ce régime prohibitif résultent deux effets absolument contraires à la colonie; le premier, de la laisser dépourvue du principal objet qui peut la faire subsister, et le second, de la priver du peu de numéraire qu’elle peut posséder; les étrangers, ne pouvant pas former leur chargement en toute espèce de denrées, emportent en argent une grande partie des farines importées. Ces maux exigeant un remède prompt et efficace, une prorogation de délai à notre ordonnance du 31 mars et un échange en denrées nous paraissant les mesures les plus propres pour réparer les inconvénients reconnus; à ces causes, et en vertu des pouvoirs à nous donnés, nous, général et intendant, avons ordonné et ordonnons ce qui suit: Art. 1er. A compter du jour de l’enregistrement delà présente ordonnance, la permission d’importer des farines et du biscuit, accordée par l’ordonnance du 31 mars 1789, et dont le terme doit expirer le 30 inclus de juin prochain, continuera d’avoir lieu jusqu’au 1er octobre suivant exclusivement. Art. 2. Permettons aux armateurs, propriétaires et capitaines de navires étrangers de se charger en denrées de la colonie pour le montant seulement des farines qu’ils y importeront. Art. 3. Cette disposition de l’article 2, n’avant pas lieu par notre ordonnance du 31 mars 1789, commencera à avoir son effet, relativement à cette même ordonnance, de l’époque de l’enregistrement de la présente. Art. 4. Les bâtiments étrangers seront assujettis au paiement des droits locaux, et ils payeront en outre le droit d’occident pour les denrées qu’ils exporteront, et tel que les bâtiments français le payent en France pour les denrées coloniales qu’ils y importent. Art. 5. Les droits qui seront perçus en vertu de l’article 4 je seront provisoirement, et jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné par nous, par les receveurs des octrois, qui seront tenus de verser tous les mois les sommes qui en résulteront entre les mains du receveur municipal de la colonie. Art. 6. Les capitaines des bâtiments étrangers, aussitôt qu’ils seront mouillés dans un des ports d’amirautés, feront leur déclaration des farines dont ils seront chargés, premièrement aux greffes des amirautés, et ensuite chez nos représentants; et lors de leur départ desdits ports, iis feront pareillement une nouvelle déclaration des marchandises coloniales qu’ils exporteront, d’après lesquelles il sera ordonné des visites à bord desdits bâtiments, soit par les sièges d’amirauté, soit par nos représentants, afin de s’assurer de la fidélité de ces déclarations, et, dans le cas de contravention ou de fraude de la part desdits capitaines, les bâtiments seront dénoncés aux amirautés pour y être condamnés à la confiscation, ainsi que leurs cargaisons au profit de Sa Majesté. Art. 7. Dans les lieux où il y a des bureaux d’entrepôt établis, les capitaines seront assujettis à une troisième déclaration, et les commis de ces bureaux pourront faire à bord desdits bâtiments des visites et des dénonciations, s’il y a lieu, ainsi qu’il est prescrit à l’article 6. Art. 8. Seront, au surplus, exécutées les dispositions de notre ordonnance, en date du 31 mars 1789, en ce qui n’y est point dérogé par la présente; n’entendons pareillement contrevenir à aucune des dispositions de celle en date du 9 mai 1789, enregistrée au conseil supérieur de Saint-Domingue le 11 du même mois, qui sortiront leur plein et entier effet, à l’exception seulement de ce qui est prescrit par l’article 3 de la présente. Sera la présente ordonnance enregistrée au greffe de l’intendance. Prions messieurs les officiers du conseil supérieur de Saint-Domingue de la faire enregistrer en leur greffe, imprimer et afficher partout où besoin sera, et mandons à ceux des juridictions de leur ressort de tenir la main à son exécution. Donné au Port-au-Prince, sous le sceau de nos armes et le contreseing de notre secrétaire, le 27 mai 1789. Signé : Du Chilleau. Par M. le général, signé : Bonhomme. Enregistrée au greffe de l’intendance des îles françaises de l’Amérique-sous-le-Yent, le 27 mai 1789. Signé : SENTOUT. Registrée a été la présente ordonnance au greffe du conseil supérieur de Saint-Domingue, ce requérant le procureur général du roi, pour être exécutée suivant sa forme et teneur, imprimée, publiée et affichée partout où besoin sera, et copies collationnées d’icelle envoyées dans les sénéchaussées et amirautés de la colonie, pour y être pareillement registrées, lues, publiées et affichées. Enjoint aux substituts dudit procureur général d’y tenir la main et d’en certifier la cour au mois. Donné au Port-au-Prince, en conseil, le 29 mai 1789. Signé: Fougeron et de Lamardëlle de Grandmaison. Collationné : Bonvallel. N° XL Arrêt du conseil du roi, portant cassation d'une ordonnance de M. le marquis Du Chilleau , gouverneur, lieutenant général de Saint-Domingue, 350 [Assemblée nat\pn$le.[ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.J 4w 27 dernier., çoftçetftftftt l’jntro4uct:ip,n des farines étrangères. Du 23 juillet 1789. (B?|r�it des yegisjres du conseil d’Etat.) Ce roi s’étant fait représenter, en sofLçpnseil, une ordonnance rendue le 27 niai dernier, gous le nom des administrateurs ftp Sâjot-Domingne, signée seulement par ie marquis Du ChiUeau, gouverneur général, registrée an cpnseil sqpé-rieur de la colonie, le ?9 du même mois, Rortant prorogation jusqu’au prpmiér octpbre prqclfaip, de Ja permission d’importer du biscuit èt f|eg farinés étrangères, accordée par une ordonnance antérieure du 31 mars, enregistrée apdit conseil supérieur le premier avril ; Sa Majesté aprait reconnu, qu’indépendamment de la prorogation du terme que les circonstances pouvaient rendre nécessaires, ladite ordonnance du 27 ipa) dernier contient la permission d’importer lés farines et biscuits étrangers, dans tous les ports d’âmirauté, et d’en exporter les denréeg coloniales pour la valeur desdites farines et biscuits, au préjudice des lois prohibitives et des dispositions, tant de l’arrêt du conseil du 3Q août 1784, que 4e la dépêche du 13 novembre suivant? par laquelle, de l’ordre de Sa Majesté, le secrétaire d’Etat de la marine avait adressé cirpulairem en t ledit àrrpt aux administrateufs des colonies. A quoi voulant pourvoir : ouï ie rapport ; le roi étant en so# conseil, a cassé et annulé ladite ordonnance du 27 mai dernier, en ce qu’elle autorise l’Importation du biscuit et des farinés étrangères pans tous les ports d’amirauté de Saint-Dpmingije, et qu’elle permet l’exportation à l'étranger des denrées coloniales, qui pourront être données en paiement. Ordonne Sa Majesté que les dits comestibles ne pourront être introduits jusqu’au premier octobre prochain, par tous bâtiments français ou étrangers, que par trois ports d’entrepôt, et qu’il né pourra, à'cette occasion, être exporté à l’étranger d’autres denrées et marchandises que celles mentionnées en l’article 3 de l’arrêt du conseil du 3Q août 1784, lequel sera au surplus exécuté selon ga fqrme et teneur. Sera le présent arrêt enregistré au greffp dp conseil supérieur de Saint-Domingue, lu, publié, imprimé et affiché partout où besoin sera. Fait au conseil d’Etat ,du roi,, Sa Majesté y étant, tenu à yprsaillès, le 23 juillet jy89. Signé : La Lüzerne. H° 3£I1. Copie de la lettre de MM, les dentés de Sqint-Domingue à M-le comte de jLfUerue. Monsieur le comte, Vous nous avez demandé de ypus présenter par écrit les réclamations? objets de fa conférence que nous avons eu l’honneur d’avoir avec vous vendredi soir ; elles se réduisent aux points suivants : 1° Le rétablissement de M. le marquis Du Cbil-leau dans sa place de gouverneur de Saint-Domingue, suivant le voeu de ses habitants ; 2° Le rappel immédiat de l’intendant de Marbois, justement abhorré dè Saint-Domingue, qui depuis trois ans sollicite vivement et yaipement son retour; 3° Lé rptopr de M. de jPeynier? par la frégate !pi portera, sans defqi, les ordres dp rétabjjgse-ienî de M-Ûu Qhillep ef du rappel 4q sour de [prbpis; 4° L’intreduption pendant deux ans des fripes par l’étrange� dans tous les ports d'apprauté, attendu la disette 4é? mps dans l’intéfieqr dn royapme et la 4£féh?e fTen porter dans lés colonies; 5° Suspension absolue dp toute asseinblép coloniale, parce que, quelle qu’en Rulgge être fnr-gaqisationj la colpnie ne yeut set ne doit la tenir que des décrets dp J’Asfeinplêe natignale ; b* L’assurapce 'positive qu’àucupe innovation relative à j admjniglraftpn Ou a tout autre' objet? ne sera faite, nçièmp provisoirement, à Saint-Domingue, sans le concours de ses représentants ; ..... 7° L’prdre aux chefs des fiureaii� du département et à tous antreg, ’d pjiVTilr aux députe�, 'sans difficnlté ni réservé? tops les dépdis de là mariné et des .coloriés, pour'qu,'il� Rqissept y puiser tous les renseignements dont jls auront besoin sur l,es or|ginaux, dont copies Jeur seront délivrées, à la prèmïère' réquisition'; ’ ' " 8° Notre opposition à l’introduction de toute monnaie nouvelle� et notamment d’une petite iponnaie de cuivré frappée pour Saint-Domingue ep ce que cette dernière seyait üü impôt réel pour ld colonie, qiii. ep püyé perte pour elle, ne profiterait en f ieu S; la métropole. " Nous ajouterons potrë adhésion formelle ap décret de l’Assemblée nationale, du 17 juin dernier, par lequel toute imposition est abolie de ce jpurl Comme illégale et sëutement provisoirement continuée pendant la session actuelle dès États généraux. Voilà, Monsieur le çomte, les réclamations et déclarations sur lesquelles nous attendons lq réponse satisfaisante que vous nous avez promise. Nous avons l’honneur d’être, avec un sincère et parfait attachement, Monsieur le comte, vos très humblès et très obéissants' serviteurs, Les députés de Saint-Domingue. Signe : Reynaud, le marquis de Reprigny, Urche-vêque-Thibaud, Fitz-Lerald, le marquis de Gouy d’Arsy, de Thébaudiôre, secrétaire général de la députation. Versailles, pu bureau delà députation de Saint-Domingue, rue' d’Anjou, 45, r le 29 juillet 1789. N° XIII. Copie fie la répqyise ç(e M-1& copite dg�Q. I�u*ernc à MUf. les députés ' éfi date qu f \ août 1789? Les affaires nombreuses dont le conseil d’Etat est occupé, n’ont pas permis, Messieurs, que j’y fisse, avant le 9 de m mois, le rapport des demandes contenues, soit dans la lettre que yous avez adressée au roj le 29 juillet dernier, et dans les réflexions très respectueuses faites par les habitants de la partie du sud de Saint-Domingue qui y étaient jointes, soit daps l’extrai] des registres de la chambre d’agriculture du Gap, en date du 5 juin 1789, soit enfip dans la 4épêche que yous m’avez écrite A moi-même. 1° Sa Majesté n’a pas cru qu’il fut de sa justice [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 jnin 1790.] 35,1 de révoquer la nomiDation qu’elle a faite de M. le comte de Peynier, officier général de ses armées nqyales, qrnverseilement estimé et qui a servi avec la plus grande distinction, surtout dans la dernière guerre. Elle s’ëtait décidée à rappeler M. le marquis Du Ghilleau après une mûre délibération prise dans son conseil d’Etat, le 28 jpin dernier, relativement à une ordonnance qu’il avait rendue seul, pour l’introduction des nègres de traité étrangère dans la partie du sud, en quoi il avait non seulement outrepassé ses pouvoirs, mais il avait interverti essentiellement les lois commerciales et les rapports qui existent depuis plus d’un demi-siècle entre la métropole et lés colonies. M. le marquis Du Ghilleau, d’ailleurs, revient en France; ii m’a mandé le 20' juin qu’il s’embarquerait vers le 10 ou 15 de juillet. Sa Majesté ne peut approuver qu’il ait quitté, surtout dans des circonstances aussi critiques, la colonie dont le gouvernement lui avait été confié, saps congé, sans permission, et ayant d’être relevé. 2° La justice du roi ne lui permet pas davantage de donner des marques de mécontentement 3 M-de Marbois, sur des inculpations qui ne sont jusqu’ici appuyées d’aucune preuve* Le r°i a néanmoins cherché lps moyens d’accéder 3 votre vœu; cet intendant a demandé depuis longtemps la faculté de s’éloigner de la colonie. Non seulement la permission lui a été accordée, mais je viens d’écrire, de la part de Sa Majesté, àM. le comte de Peynier et à lui, pour le déterminer à en faire usage aussitôt qu’il recevra ma lettre; et le désir que vous avez de voir cesser son administration sera satisfait, sans que l’équité du roi se trouve compromise. 3® Sa Majesté a consenti à la suspension que vous avez demandée de tqute assemblée coloniale, parce que, quelle qu’en puisse être l’organisation, la colonie ne peut et ne doit la tenir que des décrets de l’Assemblée nationale. J’ai prévenu néanmoins le roi et son conseil que, depuis votre lettre écrite, vous m’aviez verbalement témoigné que vous lui demanderiez peut-être une assemblée extrordinaire, provisoire, composée d’une manière purement élective, qui, ne statuant et n’innovant sur rien, lui proposerait, ainsi qu’à l’Assemblée nationale, ce qui paraîtrait être de l’intérêt de la colonie. J’ai ajouté que cette requête, si vous y insistiez, méritait, surtout dans les circonstances actuelles, d’être accueillie. s 4° Vous avez demandé l’assurance positive qu’aucune innovation relative à l’administration, ou à tout autre objet, ne sera faite, même provisoirement, à Saint-Domingue, sans le concours de ses représentants. Le roi a décidé que cette assurance devait vous être donnée. Il a pensé que c’était à l’Assemblée nationale, qui a admis les députés de Saint-Domingue, à déterminer quelles innovations doivent avoir lieu dans le régime de cette colonie, et que jusqu’à ce qu’elle ait examiné cette question si importante le régime doit rester et être maintenu tel qu’il a été de tout temps, ou du moins depuis la paix dernière. 5° Vous avez sollicité l’introduction, pendant deux ans, des farines de traite étrangère dans tous les ports d’amirauté, attendu la disette des blés dans l’intérieur du royaume, et la défense d’en faire passer de nos ports dans les colonies. Cette question a été décidée absolument par les mêmes principes que la précédente. Une permission aussi longue, l’ouverture aux étrangers d’une aussi grande quantité de ports, changeraient absolument les rapports de la métropole avec la colonie. G’est à l’Assemblée nationale qu’il convient que vous adressiez une telle demande. Quant aux facilités provisoires à accorder pour un espace de temps plus ou moins long, en cas de guerre, de disette ou d’autres fléaux, les administrateurs ont pouvoir et sont dans l’usage de promulguer les règlements nécessaires. Il serait contre l’intérêt de la colonie même qu’elle fut, dans les cas urgents, obligée de recourir au roi. Elle aurait éprouvé de grands malheurs avantqu’ileût été possible d’y apporter remède ; et la faculté de lui procurer des secours urgents et indispensables, doit résider dans des administrateurs qui n’en soient pas séparés par une aussi grande distance. 6° Le roi avait été instruit que la colonie de Saint-Domingue éprouvait la plus grande disette de menue monnaie, que les escalins valant quinze sous argent des colonies, ou dix sous argent de France, y étaient devenus très rares. On avait pensé qu’il serait commode à tous les habitants et spécialement utile à la classe la plus indigente du peuple, qu’il circulât des pièces de moindre valeur pour solder les appoints; car le manque absolu de ce moyen gêne le commerce, et provoque l’augmentation des denrées de première nécessité. Telles étaient les considérations par lesquelles Sa Majesté s’était proposé de répandre dans toute la colonie de Saint-Domingue cent mille écus en espèce de billion, valant deux sous six deniers argent des colonies. Mais d’après votre réclamation et celle de la chambre d’agriculture du Gap. Sa Majesté a consenti qu’il n’en fût pas envoyé. 7° L’intention de Sa Majesté est qu’il soit remis à la disposition de l’Assemblée nationale, de ses bureaux ou comités, tous les papiers qui pourront leur fournir des renseignements. Si quelqu’un de Messieurs les députés en désire de particuliers, il pourra écrire au ministre, qui lui procurera tous les éclaircissements par lui souhaités, lui fera délivrer les copies collationnées qu’il demandera, et fera exhiber les titres originaux, dans le cas où l’on voudrait vérifier l’exactitude desdites copies. 8° L’adhésion formelle que vous déclarez au décret national du 17 juin dernier par lequel toute imposition est abolie de ce jour, comme illégale, et seulement provisoirement continuée pendant la session actuelle des Etats généraux; cette adhésion, dis-je, est de droit. G’est à l’Assemblée nationale qu’il appartient de fixer elle-même les impositions qui seront dorénavant payées par la colonie de Saint-Domingue, dont elle a admis les représentants. M.ais comme les taxes publiques ont toujours été octroyées à Saint-Domingue par une assemblée coloniale, si l’Assemblée nationale jugeait à propos que la quotité et la nature des impôts y fussent encore fixées de même (et il serait possible que la disparité des revenus coloniaux à ceux de la métropole lui fît adopter ce parti), il deviendrait nécessaire, pour subvenir aux besoins du service, que ladite Assemblée nationale décrétât la continuation des mêmes impositions pendant le temps nécessaire pour convoquer à une aussi grande distance une assemblée coloniale, d’après l’organisation nouvelle qu’il paraîtra convenable de lui donner. Je désire, Messieurs, que ces décisions du roi et le consentement qufil a donné à plusieurs de vos demandes, puisse vous être agréable. Je me fais un plaisir de vous les annoncer, et vous prie 382 [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] d’être persuadés de l’attachement sincère avec lequel, etc. N° XIV. ORDONNANCE concernant la liberté du commerce pour la partie du Sud de Saint-Domingue. Du 9 mai 1789. (Extrait des registres du conseil supérieur de Saint-Domingue.) La tournée que M. le gouverneur général vient de faire dans la partie du Sud, l’ayant mis à portée de connaître par lui même l’état dans lequel elle se trouve réduite, ainsi que le seul moyen efficace pour la porter au degré de splendeur dont elle est susceptible ; il a reconnu que la prime de deux cents livres accordée par l’arrêt du conseil d’Etat du roi, en date du 25 septembre 1786, dont l’expiration aura lieu le premier août prochain, par chaque tête de noirs introduits, loin de devenir un motif d’encouragement, a à peine suffi au remplacement de ceux que les maladies et ia désertion enlèvent annuellement, qu’elle n’a pu engager le commerce de France à donner à ses spéculations l’activité que l’on espérait : que ce commerce exige que ses cargaisons soient rigoureusement payées en argent, ou les y vendre à vingt-cinq ou trente pour cent plus cher, s’il est payé en denrées, et qu’en continuant à lui livrer exclusivement la partie du sud, elle sera toujours languissante, sans numéraire et ne pourra jamais tirer de son sein les richesses qu’elle possède. Que, d’un autre côté, cette partie aussi belle que celle du Nord et de l’Ouest, n’a besoin pour se développer et devenir aussi fertile qu’elle, que d’une force qui lui manque ; qu’en augmentant ses ateliers par une introduction de noirs, cette terre deviendra productive comme toutes celles des autres quartiers ; qu’il rentrera une somme considérable au roi, par les droits qui seront perçus pour les denrées importées et exportées; que* les habitants augmenteront leur fortune, qu’ils sortiront de leur malheureux état, se libéreront et acquèreont |en même temps de l’aisance, et leur tranquillité; que le commerce national truuvera les moyens de s’étendre par la suitedans cette partie et de se remplir des sommes qu’elle peut lui redevoir. Toutes ces considérations mûrement réfléchies, le vœu unanime des habitants sur une introduction libre de noirs, l’intime confiance où nous sommes qu’elle opérera le meilleur effet, que le commerce de France ne fera pour un temps, que cesser ses opérations, pour leur donner ensuite plus d’activité et de consistance, et qu’enfin la partie du Sud va faire sortir de son sein des richesses immenses, dont le roi, les habitants et le commerce tireront les plus grands avantages ; nous générai et intendant, en vertu des pouvoirs à nous confiés, et sous le bon plaisir de Sa Majesté, avons provisoirement statué, ordonné, statuons et ordonnons ce qui suit ; savoir : Art. l«r. A compter du premier août 1789, jusqu’au 1er août 1794, les bâtiments étrangers, du port de soixante tonneaux et au-dessus, seront admis dans les ports de Jérémie, les Gayes et Jacmel, avec les noirs, farines, bois de toute espèce, de charbon de terre, les animaux et bestiaux vivants de toute nature, les salaisons de bœufs, de porcs, de morues et de poissons, riz, maïs, légumes, cuirs verts en poil ou tannés, pelleteries, résines et goudron, et pourront y décharger et commercer lesdites marchandises. Toute la partie du Sud profitera de l’introduction des nègres, et autres objets détaillés dans l’article ci-dessus, jusques et y compris les paroisses de Saint-Michel du Fond-des-Nègres, d’Aquin, de Baynet, de Jacmel et des Gayes de Jacmel. Les habitants des susdistes paroisses pourront, ainsi que ceux des paroisses de l’Anse-à-Veau du petit trou des Baradaires, de Jérémie, du Gap-Dame-Marie, de Tiburon, des Cotteaux, Torbek, des Caves, Cavaillon et Saint-Louis, se pourvoir de nègres et autres objets mentionnés dans l’article premier, qui arriveront dans les trois ports d’entrepôts de Jérémie, des Cayes et de Jacmel, à la charge de se conformer aux dispositions de la présente ordonnance, sur le transport des nègres dans les autres quartiers et sous les peines y portées, dont sera fait mention ci-après. Art. 3. Les armateurs français, soit du royaume, soit des îles et colonies françaises, qui voudront concourir à l’introduction des objets indiqués dans l’article premier, y seront pareillement admis. Art. 4. Le paiement des nègres et autres objets qui seront vendus par les étrangers aux habitants de la partie du Sud, compris dans la ligne de démarcation, pourra se faire en sucre, ou autres denrées de la colonie. Art. 5. Toutes les marchandises, dont l’importation et l’exportation sont permises à l’étranger, par les articles premier et quatre dans les susdits trois ports d’entrepôt, seront soumises aux droits locaux établis, et payeront en outre 1 0/0 de leur valeur, à l’exception des noirs qui ne payeront point ce dernier droit de 1 0/0, et aussi à l’exception du droit d’entrée sur la morue et le poisson salé, qui sera réduit à trois livres par quintal. Art. 6. Les bâtiments étrangers payeront pour tout droit d’entrée dans lesdits ports, quarante-cinq livres pour chaque tête de noirs qu’ils y apporteront. Art. 7. Les bâtiments étrangers seront assujettis au payement du droit d’occident pour les marchandises qu’ils exporteront de la partie indiquée par l’article 2, et tel que les bâtiments français le payent en France pour les denrées coloniales qu’ils y importent. Art. 8. Tout bâtiment étranger sortant des trois ports d’entrepôt, sans avoir payé les droits ci-dessus mentionnés dans les trois précédents articles, et qui sera pris par les bâtiments de Sa Majesté, ou autres commis à cet effet, sera conduit dans un des ports d’amirauté, pour y être dénoncé, et condamné à la confiscation, et à une amende de trois mille livres tournois. Art. 9. Les bâtiments français, soit du royaume, soit des îles et colonies françaises, payeront pour l’importation des marchandises désignées dans l’article 1er lesdroits locaux établis. Ils ne payeront aucun droit d’entrée pour les nègres, ni le droit d’occident qu’ils sont dans le cas de payer en Europe. Art. 10- Tout bâtiment étranger, pris, débarquant des nègres et autres objets, dans d’autres lieux de la colonie, que ceux désignés dans l’article 1er sera confisqué et condamné à une amende de 10,000 livres, argent de la colonie. 383 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] Art. 11. Pour assurer l’effet des amendes mentionnées dans les articles 8 et 10, tout capitaine de bâtiment étranger sera tenu d’avoir un correspondant français, à son arrivée dans un des ports d’entrepôt désignés dans l’article 1er, qui soit dans le cas de le cautionner pour cet objet, lequel cautionnement s’éteindra de plein droit après le départ du bâtiment du port où il aura fourni ladite caution. Art. 12. Tout nègre provenant de l’introduction appartenant aux navires étrangers, et qui sera pris hors des limites établies par l’article 2, sera confisqué au profit du roi. Pour cet effet, les capitaines des bâtiments étrangers seront obligés, dans le délai de dix jours, à compter du jour de leur arrivée dans un des ports d’entrepôt, de faire étamper tous les nègres de leurs cargaisons des trois lettres lisibles J. P. S. et si, dans le susdit délai, lesdits nègres ne sont point étampés, ils seront pareillement confisqués au profit du roi. Art. 13. Tout nègre provenant de l’introduction, qui sera trouvé hors des limites établies par l’article 2, chez des habitants, autres que ceux dénommés audit article, et à eux appartenant, sera confisqué au profit du roi, et le propriétaire condamné, par corps, à une amende de 1,500 livres applicable aux hôpitaux de la Providence, du Port-au-Prince et du Gap. Art. 14. Tout bâtiment étranger, arrivé dans un des trois ports d’entrepôt, pourra en repartir avant l’expiration de huit jours, avec des nouvelles expéditions pour un autre des susdits ports d’entrepôt désignés dans la présente ordonnance. Art. 15. Il sera établi dans chacun desdits ports d’entrepôt, un nombre suffisant de commis, pour recevoir les déclarations des cargaisons, qui seront faites par les capitaines, lesquelles déclarations ils enregistreront sur un registre qui sera tenu à cet effet. Ils veilleront encore à l’exécution des dispositions des articles 5, 6, 7 et 12, et ne délivreront de permis de sortir du port, qu’après qu’ils se seront assurés qu’elles ont été remplies. Art. 16. Les capitaines des navires étrangers, outre les déclarations qu’ils feront aux commis des bureaux d’entrepôt, les feront pareillement au greffe de l’amirauté; ils rempliront d’ailleurs toutes les formalités d’ordonnance, représenteront leurs connaissements et chartes parties. Art. 17. Le produit des amendes et confiscations prononcées par les articles 8 et 10, sera attribué, moitié au roi, moitié aux commis qui auront provoqué la saisie, si le délit a lieu dans les ports d’entrepôt. Au contraire, si les navires pris en fraude, l’ont été par les vaisseaux et bâtiments de Sa Majesté, la totalité dudit produit appartiendra au commandant, état-major et équipages preneurs, sauf la réduction, dans tous les cas, des frais de justice, des droits de l’amiral et des invalides. Lorsqu’il y aura des dénonciateurs, un tiers du même produit sera prélevé à leur profit. Art. 18. Faisons très expresses inhibitions et défenses à tous Français des îles sous-le-Vent, de prêter leur nom à des francisations simulées de bâtiments étrangers, sous peine de 3,000 livres d’amende, applicables aux hôpitaux de la Providence, du Port-au-Prince et du Gap, sans préjudice de la confiscation dudit bâtiment ordonnée par les divers règlements intervenus sur le fait de la navigation. Enjoignons aux procureurs de Sa Majesté ès sièges des amirautés, de faire à ce sujet toutes poursuites et diligences contre les contrevenants, à peine d’en répondre. Art. 19. Seront, au surplus, exécutées les dispositions des lettres patentes du mois d’octobre 1827, 1" Série. T. XYI. et des ordonnances et règlements subséquents, concernant le commerce étranger dans les îles et colonies françaises, en ce qui n’y est pas dérogé par la présente ordonnance, qui sera enregistrée au greffe de l’intendance, imprimée, publiée et affichée partout où besoin sera. Prions MM. les officiers du conseil supérieur de Saint-Domingue de la faire pareillement enregistrer en leur greffe, imprimer et afficher partout où besoin sera, et mandons à ceux des juridictions de leur ressort de tenir la main à son exécution. Donné au Port-au-Prince, sous le sceau de nos armes et le contreseing de notre secrétaire, le 9 mai 1789. Signé : Üü CHILLEAU. Par M. le général : Signé : BONHOMME. Enregistré au greffe de l’intendance des îles françaises de l’Amérique sous-le-Yent. Au Port-au-Prince, le 9 mai 1789. Signé : SENTOUT. Registrée a été la présente ordonnance au greffe du conseil supérieur de Saint-Domingue, ouï et ce requérant le procureur général du roi, pour être exécutée selon la forme et teneur, imprimée, publiée et affichée partout où besoin sera, et copies collationnées d’icelle envoyées dans les sénéchaussées et amirautés du ressort, pour y être pareillement lues, publiées, registrées et affichées; enjoint aux substituts du procureur du roi d'y tenir la main et d’en certifier la cour au mois, suivant l’arrêt de ce jour. Fait au Port-au-Prince, en conseil, le 11 mai 1789. Signé ; BONVALLET. N° XV. ARRÊT DU CONSEIL D’ÉTAT DU ROI, qui casse et annule une ordonnance du gouverneur général de Saint-Domingue, du 9 mai dernier, laquelle accordait aux étrangers la liberté du commerce pour la partie sud de Saint-Domingue . Du 2 juillet 1789. (Extrait des registres du conseil d’État.) Le roi s’étant fait représenter une ordonnance du gouverneur général de Saint-Domingue, en date du 9 mai dernier, portant permission aux navires étrangers d’introduire dans les ports des Gayes, Jérémie et Jacmel, à compter du 1er août prochain, pendant cinq années consécutives, des noirs, farines et autres objets dont profitera toute la partie du sud, et dont le payement pourra se faire en sucre ou autres denrées de la colonie; Sa Majesté a reconnu que celte ordonnance est tout à la fois incompétente, irrégulière et préjudiciable au commerce de France. Elle est incompétente, non seulement par le défaut de pouvoir de la part de l’administrateur qui l’a rendue, mais encore par la défense que lui en faisaient ses pouvoirs même, consignés et dans ses instructions, et dans les ordonnances concernant le gouvernement civil, et dans les règlements intervenus sur le fait du commerce étranger. Elle est irrégu-23 354 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] iière comme émanée de l’autorité du gouvernement général seul, tandis qu’elle a pour objet un des points les plus importants de l’administration commune entre lui et l’intendant coadministrateur de la colonie. Enfin elle est préjudiciable aux intérêts du commerce national, puisqu’elle le repousse réellement de la partie du sud, quoiqu’elle paraisse l’y admettre en concurrence avec l’étranger, contre les prix duquel il lui serait impossible de lutter. Indépendamment de ces vices frappants, ladite ordonnance renferme encore des dispositions dont le contre-coup serait funeste à la métropole, soit par la liberté qu’elle ouvre d’une exportation illimitée de denrées coloniales au dehors, soit par l’impuissance des moyens qu’elle emploie, pour empêcher que les deux autres parties de la colonie ne participent en fraude à l’introduction ou à l’exportation étrangère. Les tableaux d’accroissement qui ont été mis sous les yeux de Sa Majesté, constatent d’ailleurs qu’il n’v avait pas de prétexte pour ouvrir aussi subitement de nouveaux ports aux nègres et aux denrées de traite étrangère. Le nombre des esclaves a considérablement augmenté dans la partie du sud, et pendant la guerre, et depuis l’époque de la paix. Il s’y est accru plus sensiblement encore par l’effet de la prime de deux cents livres par tête de noirs d’introduction française, établie par l’arrêt du conseil de Sa Majesté, du 25 septembre 1786. Quant aux farines, si la disette qui s’est fait ressentir en France, depuis quelques mois, était un motif légitime, pour admettre, momentanément à Saint-Domingue, les farines américaines, déjà les administrateurs y avaient pourvu, et Sa Majesté avait approuvé la plus grande partie des dispositions provisoires qu’ils avaient faites à cet égard ; mais aucune considération ne devait porter le gouverneur général des îles sous-le-Vent, à étendre cette faculté jusqu’au terme de cinq années. Il ne pourrait donc résulter d’un règlement si contraire aux principes constitutifs des colonies, que des pertes inappréciables pour les places du commerce du royaume. Sa Majesté leurdoitprotectionetencouragement, ainsi qu’aux cultivateurs des établissements coloniaux, et c’est en maintenant entre eux un juste équilibre de faveurs et d’appui, qu’elle cherchera toujours à assurer leurs intérêts respectifs. A quoi voulant pourvoir : ouï le rapport et tout considéré, le roi, étant en son conseil, a cassé et annulé l’ordonnance du gouverneur général de Saint-Domingue, du 9 mai dernier; fait défenses à tous administrateurs en chef d’en rendre de semblables à l’avenir: ordonne que les lettres patentes de 1727, l’arrêt du 30 août 1784 et tous autres règlements de Sa Majesté, concernant le commerce national ou étranger, continueront d’être exécutés suivant leur forme et teneur, et aux peines y portées, jusqu’à ce qu’autrement il en ait été ordonné par Sa Majesté, si le cas y échet. Autorise cependant les gouverneur général et intendant de Saint-Domingue à fixer undélai, lequel ne pourra excéder trois mois au plus, à compter de la date de l’enregistrement du présent arrêt, pour l’admission des bâtiments étrangers dans les ports désignés en ladite ordonnance du 9 mai dernier, afin de ne pas constituer en perte ceux d’entre les armateurs étrangers qui se seraient livrés aux spéculations permises par ladite ordonnance; enjoignant, au surplus, tant auxdits administrateurs en chef, qu’à tous leurs subordonnés militaires et civils, de veiller, avec le plus de soins, précautions et sévérité possibles, à ce qu’il ne soit pas abusé de ta tolérance de Sa Majesté à ce sujet. Sera le présent arrêt enregistré au greffe du conseil supérieur de Saint-Domingue, lu, publié, imprimé et affiché partout où besoin sera. Fait au conseil d’État du roi, Sa Majesté y étant, tenu à Versailles le 2 juillet mil sept cent quatre-vingt-neuf. Signé : La Luzerne. N° XVI. Avis motivé de M. Barbe de Marbols, intendant, à la séance du 11 mai 1789 du conseil supérieur de Saint-Domingue , enregistré sur sa demande. Aujourd’hui, onze mai mil sept cent quatre-vingt neuf, la cour étant en séance, et délibérant sur le nouveau régime proposé par M. le gouverneur général, pour l’admission des étrangers dans la partie du sud de la colonie, M. de Marbois, intendant, premier président, a dit : Messieurs, Le maintien, l’exécution des lois de Sa Majesté, relatives à la colonie de Saint-Domingue, est spécialement confié aux administrateurs. Les lettres patentes du mois d’octobre 1727 leur font un devoir de les garder et conserver, et attribuent même une juridiction encore plus particulière à l’intendant en matière de commerce étranger. Mes instructions, et nombre de lettres ministérielles, contiennent les mêmes dispositions. C’est donc par une suite de l’obéissance que je dois à la loi et au roi, que j’ai déclaré qu’il m’est impossible de concourir à l’acte qui vous est présenté; il est contraire à une multitude de lois positives, émanées de Sa Majesté, auxquelles il m’est interdit, de la manière la plus expresse, de déroger. Nous pouvons faire des règlements ; mais je ne pense pas que nous puissions faire des lois: il est constant que nous ne pouvons changer celles du souverain, et tout ce que nous ferions à cet égard serait radicalement nul. Les constitutions coloniales sont sous vos yeux, et j’en cite les dispositions. « Les gouverneur, lieutenant général et inten-« dant, veilleront à ce qu’il ne soit fait aucun commerce étranger, soit par l’entremise des sujets « de Sa Majesté ou de ceux des autres nations; leur « enjoint au surplus, Sa Majesté, de veiller à ,1’ob-« servation des règlements sur le fait du com-« merce, et à tout ce qui pourra l’augmenter, et de « leur donner avis sur-le-champ de tout ce qu’ils « jugeront devoir y être réformé ou fait pour le « bien et Davantage de la colonie, à l’effet d’y « être par elle pourvu ainsi qu’il appartiendra ». (Ordonnance du 1er février 1766.) « Ne pourront « néanmoins lesdits gouverneur, lieutenant « général et intendant, faire aucun réglementée « police contraire aux dispositions des édits, « déclarations, règlements émanés de Sa Majesté, « et enregistrés aux conseils supérieurs, sauf à « proposer à Sa Majesté les changements qui leur « paraîtront nécessaires, pour y être par elle « pourvu ainsi qu’elle avisera bon être » (Ordonnance du 22 mai 1775). Cet acte est, d’ailleurs, incomplet, puisqu’il est l’ouvrage d’un seul administrateur, et que, par son objet, il appartient éminemment aux pouvoirs communs. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] 33g Je pourrais, je devrais peut-être m’arrêter ici, Messieurs, et me borner à avoir prouvé que nous n’avons pas le pouvoir de détruire ainsi, et dans un instant l’ouvrage de trois rois, de leurs sages conseils, et les travaux de plus d’un siècle. Mais, puisque les considérations politiques ont paru influer sur l’opinion de quelques-uns de vous, l’espoir de répandre un nouveau jour sur cette question me détermine à vous faire connaître mes principes concernant le régime prohibitif, et sur cette matière en général. Vous m’avez vu, pendant trois ans et demi, actif à la poursuite des contraventions du commerce étranger, et les déférer, sans aucun ménagement, à la justice dont vous êtes les ministres. Eh bien, Messieurs, j’abhorre du fond de mon cœur ces principes exclusifs, ces jalousies, ces rivalités nationales; et je suis fermement persuadé que la liberté du commerce et la communication universelle de tous les peuples du monde sont les moyens les plus assurés de procurer le bien général, et de faire atteindre toutes les nations de l’univers au plus haut point de prospérité auquel leur génie, le climat et le sol qu’elles habitent leur permettent d’aspirer. Mais les nations se surpassent réciproquement les unes les autres dans quelques branches de commerce ou d’industrie; et si nos colonies peuvent recevoir chaque article des peuples qui peuvent le donner au plus bas prix, sans que, de leur côté, ils soient tenus, ou sans même qu’ils aient la liberté de venir prendre chez nous ceux que nous sommes en état de leur livrer à meilleur compte, il est manifeste que le poid3 que la France mettra dans la balance du commerce des colonies se réduira à ce qu’elle peut leur fournir exclusivement, parce qu’il n’y aura que son sol qui le produise. Il y a surtout des nations qui s’isolent, par leurs maximes, de toutes celles de l’univers; des nations en possession de toutes les jouissances qui peuvent résulter de ce système. Elles sont encore bien éloignées de reconnaître que l’introduction de la liberté donnerait un nouveau développement à tous les avantages dont elles ne jouissent aujourd’hui que par un état violent, et qui ne peuvent leur être ôtés, parce que les fruits de leur usurpation les mettent en état de protéger leur usurpation même. Je les vois, attentives à nos erreurs, à nos moindres fautes, prêtes à en profiter aussitôt, et je ne puis envisager qu’avec la plus vive inquiétude, les suites funestes qu’aurait la mesure qui vous est proposée, si jamais elle était adoptée. Un régime prohibitif sévère leur assure exclusivement tous les bénéfices du sol de leurs colonies, et elles viendraient encore recueillir ceux de nos possessions. On verrait s’élever chez elles de nouvelles raffineries, des manufactures de toutes espèces, avec tous les avantages assurés à ceux qui, ayant porté au plus haut point l’industrie, et tous les instruments des arts mécaniques, y réuniront abondamment les matières premières que ces manufactures emploient. Celles du royaume, au contraire, tomberont successivement; et nos artisans passeront en foule dans les pays qui leur offriront des salaires. La navigation de ces nations rivales s’étendra aux dépens de la nôtre; nos matelots, sans emploi, iront peut-être leur en demander ; et, puisqu’il s’agit de livrer, pendant cinq années, cette colonie à l’étranger, que vous tous, quiètes bons Français, que celui qui a soutenu ce caractère avec tant d’éclat et de gloire pendant la dernière guerre, songent à ce qui peut arriver pendant cinq ans. La justice et la modération assises sur le trône, semblent nous présager une longue paix. Mais, si elle éprouvait quelque interruption, comment la colonie, comment les provinces maritimes, comment celles même de l’intérieur, seraient-elles protégées contre une invasion, si nous sommes sans marine? J’ai dit qu’il s’agissait de livrer, pendant cinq ans, la colonie aux étrangers. En effet, jamais on ne me persuadera que l’acte proposé ne doive finir par embrasser la colonie entière, et que l’on puisse empêcher efficacement les ports non libres de porter les denrées coloniales dans les ports de la partie ouverte à l’étranger, qui les exportera sans difficulté. Je ne dis rien des embarras que pourra éprouver la perception du revenu colonial, et de l’impossibilité d’empêcher les fraudes du commerce étranger. Il exportera impunément le double ou le triple des denrées qu’il aura déclarées, et il ne payera que moitié ou le tiers des droits; il n’y aurait aucun moyen de constater la fraude, puisque les vérificatious, au déchargement, ne pourront avoir lieu chez les étrangers comme elles ont lieu dans le royaume. Mais cet objet, quelque grand qu’il soit, me parait exigu quand il s’agit d’une crise nationale. Restreignons-nous dans les termes mêmes de l’acte proposé. Dix juridictions composent la colonie ; et le ressort de quatre doit être, avec les deux tiers d’un cinquième, livré aux étrangers. Heureuses les nations de l’univers, si, par une révolution imprévue, les barrières qui les séparent tombent toutes au même instant 1 et si chacune d’elles, entrant dans la carrière, pouvaient, dégagées d’entraves, y combattre avec toutes leurs forces, et y déployer toutes leurs ressources! La France n’aurait rien à redouter de cette lutte nationale. Mais, en attendant cette époque fortunée, que de maux menacent le peuple, qui, le premier, renversera tes obstacles que la jalousie et l’égoïsme national ont autrefois posés! Seul généreux, seul libéral, il donnera continuellement, sans jamais recevoir, et sera bientôt réduit à l’impuissance de défendre même les débris de son ancienne prospérité. Que dirait-on de l’habitant d’une grande ville, qui, seul, animé de sentiments d’hospitalité et de confiance, admettrait dans sa maison tous les étrangers indistinctement, ordonnerait que toutes les portes fussent ouvertes nuit et jour aux premiers venus? Croyez-vous, Messieurs, qu’à la longue il ne réduisit pas sa famille à la misère? Vainement dira-t-on que ces étrangers feront valoir son sol et ses possessions; rien n’est aussi douteux. Et qu’importe, d’ailleurs, à sa famille si, pendant cinq années, ces étrangers doivent en consommer tous les produits, et la précipiter dans un état de misère dont elle ne se relèvera plus? Poussons plus loin l’examen d'un sujet aussi grave, et lié par tant de rapports aux plus vastes intérêts de la nation. Le régime actuel subsiste depuis un grand nombre d’années, en vertu de lois solennellement promulguées; elles sont la parole sacrée du souverain; il a dit à ses sujets: la colonie de Saint-Domingue sera unie au royaume par toutes sortes de liens, et spécialement par ceux du commerce, et le marché où s’approvisionnera cette colonie, celui où elle pourra faire ses ventes, sera toute la France même. Nos rois ont depuis adopté des maximes plus libérales, et tandis que les Anglais refusent l’entrée de leurs colonies à tous ceux dont ils redoutent la concurrence, trois ports d’entrepôt ont été ouverts aux étrangers à Saint-Domingue, et sept à huit cents de leurs vaisseaux 356 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (18 juin 1790.] y arrivent annuellement : mais cette activité étonnante laisse encore aux nationaux les moissons les plus abondantes ; ceux-ci, sur la foi des lois coloniales auxquelles le législateur seul peut porter la main, forment leurs spéculations, et si elles sont infructueuses, fussent-elles même ruineuses, ils ne peuvent s’en prendre qu’à leur impéritie, ou à des événements supérieurs qui ont déconcerté les combinaisons de leur prudence. Mais rappelons-nous que quatre-vingt-dix-mille esclaves ont été introduits depuis trois ans par le commerce de France dans cette colonie, et il est vraisemblable que le nombre importé cette année ne sera pas moindre que les précédentes ; qu’un armateur de Nantes, plein de confiance dans la constitution donnée aux, colonies, certain qu’elle ne peut être changée sans qu’il ait été averti d’avance par le souverain lui-même qui en a posé les fondements, que cet armateur, dis-je, rempli d’une confiance trompeuse, expédie en ce moment un vaisseau pour traiter à la côte d’Afrique, d’où il se rendra, ou aux Gaves, ou àJacmel ou à Jérémie. lia été instruit par ses correspondants des prix auxquels il pourra vendre sa cargaison, et du prix probable des denrées coloniales qu’il chargera en retour ; mais il arrive en août ou septembre prochain, et une révolution inattendue le frappe soudainement. Il trouve la marchandise diminuée de vingt à vingt-cinq pour cent par l'affluence detoutes les nations admises à la concurrence ; et, d’un autre côté, les denrées coloniales ont éprouvé, par la même cause, une augmentation proportionnée; il perdra donc vingt à vingt-cinq pour cent sur les envois, et autant sur les retards ; il est ruiné et sa famille, ses associés, ceux qui lui ont prêté des fonds pour des entreprises sagement conçues, partagent son infortune. Celui-ci avait préparé des expéditions de la même nature : ses magasins sont remplis, et les marchandises sont sur le point d’être portées sur le vaisseau qui les attend. La nouvelle fatale arrive, et il s’arrête tout à coup, également sûr de sa ruine, soit qu’il expédie, soit qu’il n’expédie point. Un autre, lié par une suite d’affaires anciennes, s’ attend à parcourir avec ses débiteurs dans la colonie, ce cercle qui consiste à recevoir le payement d’une dette, tandis que les mêmes habitants en contractent de nouvelles avec lui ; mais la chaîne va être rompue, si des étrangers prennent sa place. Et non seulement il ne pourra, sans de grandes difficultés, faire acquitter les anciennes dettes, mais il sera encore embarrassé de sa cargaison, et il ne pourra la vendre qu’à très grande perte. Qui indemnisera ces malheureux de ce désastre imprévu? Sera-ce la nation ? Ah ! ne troublons point par l’opération qui nous est proposée, celle des hommes sages qui s’occupent en ce moment à guérir les maux de l’Etat. Gardons-nous d’un changement qui tend à faire passer chez l’étranger les capitaux du royaume, et à diminuer les moyens que la nation pourra avoir de supporter les charges que peut-être elle s’impose présentement. Les rapports de Saint-Domingue avec l’agriculture, les manufactures, la navigation et le commerce du royaume, sont si multipliés, qu’il n’est pas une seule de ses provinces qui ne sentît le contre-coup de l’admission des étrangers ; elles le sentiront, par la cessation d’une partie de leur commerce d’exportation ; elles le sentiront, par l’augmentation du prix de toutes les denréesqui secousommentdans l’intérieur du royaume ; elles le sentiront encore longtemps après l’expiration des cinq années, parceque les étrangers, créanciers de la colonie à cette époque, pour de grandes sommes, ne quitteront pas aisément prise, et prolongeront de fait leur privilège, par l’impuissance où ils tiendront les habitants de reprendre leurs liaisons avec leurs compatriotes. Mais, tandis que mes inquiétudes paraissent se porter vers la métropole, la partie même de la colonie qu’il s’agit de favoriser ne doit-elle pas plutôt en être l’objet ? Qui m’assurera que le commerce national ne suspendra pas tout à coup ses expéditions, et que, d’un autre côté, les étrangers, ne voyant point dans l’acte proposé les caractères d’une loi solennelle et permanente, craignant une révocation immédiate d’un régime passager, n’oseront hasarder des expéditions dont l’issue pourrait leur être funeste? 11 arriverait de la sorte que cette partie, subitement fréquentée, aussi subitement abandonnée, éprouverait des révolutions convulsives qui ne cesseraient que longtemps après que la règle aurait repris son empire. Ah! ne touchons qu’avec précaution et respect à ce que le temps a consacré ; et si le temps mêmea rendu les changements nécessaires, apportons-y une circonspection qui surpasse, s’il se peut, les règles de la prudence ordinaire ; que ces changements s’opèrent sans secousses, sans bouleverser-les lois établies, sans contrarier ce qui se fait, peut-être, en ce moment dans le royaume. Eh, Messieurs 1 où en serions-nous, et dans quelle confusion la colonie ne serait-elle pas plongée, si l’acte présenté, une fois enregistré, il arrivait de France une loi émanée du souverain, revêtue de toutes les formes que la constitution exige, et qui contînt des dispositions contraires à celles de l'établissement proposé! Les Français et les étrangers d’Europe se régleraient d’après le régime proscrit par cette nouvelle loi, par laquelle le seul véritable législateur aurait fait connaître sa volonté; ils s’expédieraient en conséquence, et ils trouveraient une autre loi, un autre régime en arrivant dans la colonie. Quelle sera alors votre règle dans les procès en contravention ? Dans ceux entre les parties? Sera-ce la loi du souverain? Sera-ce l’acte qui vous est proposé? L’une permet, l’autre continuera de défendre ; ce qui est un délit dans l’une, sera approuvé par l’autre: les peines prononcées seront également différentes. A quelle mesure vous arrêterez-vous! Peut-être suis-je coupable en paraissant douter. Et si, en septembre ou octobre, il survient un arrêt du conseil de Sa Majesté, qui casse tout ce qui aurait été fait, comment rétablir l’ancien état des choses, sans préjudice d’une multitude d’individus compromis par les changements? Les navigateurs seront longtemps incertains du parti à prendre, et ne sauront où se porter. L’entreprise de l’administration leur causera un effroi, que le temps seul pourra faire cesser. Je ne parle pas de la chute des villes du Gap et de Port-au-Prince aux dépens desquelles Jérémie, Jacmel, vont devenir des entrepôts importants. Je ne parle pas de la perte qui suivra nécessairement le déplacement des individus et des capitaux, lorsque la volonté du souverain aura été manifestée. Enfin, je ne puis, à la suite d’aussi grands intérêts, parler du sort des commis et employés de toute espèce, qu’exigerait le nouveau régime, et que la réforme laissera sans état. Avant de terminer, j’ouvre l’acte qui vous est en ce moment présenté. Arrêtons-nous aux expressions qui le terminent : Maintient l'exécution des lettres patentes d’ octobre 1727 , en ce qui n'y est pas dérogé par cette ordonnance. Croyez-vous, Messieurs, qu’il puisse dépendre [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] 357 de nous de déroger ainsi à une loi aussi solennelle? Sans doute, mon opinion en cette matière n'est que le résultat isolé de mes connaissances individuelles ; mais elles sont appuyées sur tant de lois, que je ne puis les abandonner sans violer mon devoir. J’en suis tellement persuadé, que je ne pourrais considérer l’acte dont il s’agit comme valide, même après l’enregistrement, et je ne cesserais pas, pour cela, de prendre pour régie les lois de Sa Majesté. Je propose donc de nouveau à M. le gouverneur général, s’il persiste à demander qu’on enregistre, je lui propose de renvoyer l’exécution de cet acte au premier octobre prochain : nous aurons de la sorte le temps de recevoir des instructions, et les maux que je crains pourront encore être prévenus. Signé : DE Marbois, et porté sur les registres du conseil supérieur de Saint-Domingue, à la suite de l'arrêt d'enregistrement de l'acte intitulé: Ordonnance de M. le gouverneur général, concernant la liberté du commerce pour la partie du sud de Saint-Domingue. XVII. Copie de la lettre de M. le comte DE LA LUZERNE à M. le Président du comité des rapports. Du 5 mai 1790. J’ai reçu, Monsieur, les copies des dénonciations que Messieurs les députés des colonies ont faites contre moi. J’ai vu les treize chefs d’accusation qu’elles renferment. Aucun n’est appuyé de preuves, et l’on s’est contenté d’annoncer vaguement sur presque tous, qu’on produirait des pièces justificatives, sans même fixer le terme où cette production serait entière. Les faits allégués sont pour la plupart d’une fausseté si frappante, que je puis prendre dès ce moment l’engagement formel de confondre la calomnie. Mais, plus je désire présenter à la nation ma justification complète, plus il m’importe de connaître qu’elles sont les prétendues preuves qu’ont promis mes accusateurs. Les principes établis par l’Assemblée nationale prouvent assurément qu’il n’est pas dans ses intentions qu’il m’en soit refusé copie. Je Vous prie donc, Monsieur, d’ordonner qu’il me soit envoyé des expéditions authentiques de tout ce qui est et sera produit contre moi. Permettez même que j’insiste pour que cette remise n’éprouve aucun retard. La conscience de soi-même qui fait la force de l’homme honnête, ne le dispense pas, quand il est accusé, d’instruire le public des motifs de sa sécurité. Il me tarde de paraître à son tribunal, et je ne le puis d’une manière satisfaisante pour lui et pour moi, si je ne connais les preuves que l’on m'oppose. On a pu depuis cinq mois entiers les rassembler à loisir. Quant à moi, je n’aurai que peu d’instants à donner à ma défense, et ce qui la retardera le plus est le vague des inculpations auxquelles je suis forcé de répondre. J’ai l’honneur d’être avec un attachement sincère, Monsieur, votre, etc. N° XVIII. Copie de la réponse du président du comité desrapports, à M. le comte de La Luzerne, ministre et secrétaire d’Etat delà marine. Paris, le 8 mai 1790. Le comité des rapports, Monsieur le comte, sous les yeux duquel j’ai mis la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le cinq de ce mois, m’a autorisé à vous faire remettre, conformément à votre demande, des expéditions authentiques de tout ce qui sera produit relativement aux dénonciations faites contre vous, par MM. les députés des colonies: j’ai en conséquence donné les ordres nécessaires, et je tiendrai la main à ce qu’ils soient exécutés. Je suis avec un parfait attachement, Monsieur le comte, votre très humble et très obéissant serviteur. Signé : de La Cour d’Ambésieux, président. N° XIX. Lettre de M. le comte de La Luzerne, ministre de la marine à M. le comte de Peynier, gouverneur général des îles sous-le-Vent. Paris, le 10 avril 1790. Chargé, Monsieur le comte, de vous transmettre la proclamation qui contient le décret concernant les colonies, et l’instruction qui y est jointe, je vous fais passer aussi la lettre du roi à ses sujets des îles sous-le-Vent. Je vous recommande de donner sur-le-champ la plus grande publicité à ces pièces, de prendre soin qu’elles soient imprimées sans délai, et répandues aussitôt dans chaque partie de votre gouvernement, de les faire insérer dans les papiers publics, en exprimant qu’elles y paraissent en vertu d’ordres du gouvernement, et quelles sont authentiques. Je regarde, en effet, comme de la plus haute importance pour le bonheur de la colonie et pour celui de la métropole, que les vues paternelles de Sa Majesté, que les dispositions équitables et bienfaisantes de l’Assemblée nationale, soient connues de tous les citoyens, et le soient promptement. Puissent, dans cette île florissante que vous gouvernez, des députés, éclairés et zélés pour le bien public, se rassembler d’ici à peu de temps, et seconder des intentions qui ne tendent qu’à la rendre heureuse. Tel a été toujours mon vœu. Vous le trouverez exprimé à chaque ligne dans la série entière de ma correspondance avec vous. J’ai pensé, je pense encore que le calme ne sera rendu d’une manière permanente à la colonie, que sa prospérité et sa tranquillité ne peuvent être assurées que par la réuuion de ses représentants, et par l’effet de leurs délibérations. Personne ne sait mieux que moi qu’on doit tout attendre du grand nombre de citoyens honnêtes, vertueux et bien intentionnés qui peuplent l’île de Saint-Domingue; mais il est impossible qu’il ne se trouve dans cette contrée, comme dans tous les pays de l’univers, quelques sujets trop justement suspects, impatients du frein des lois, ardents à susciter des troubles, 358 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] avides d’en profiter, intéressés à les perpétuer, et fort indifférents sur le choix des moyens, parce que tous leurs projets tendent à dissoudre les liens de l’ordre social, et qu’ils n’ont l’espoir de prospérer eux-mêmes que par le malheur public. Quoiqu’en petit nombre, ils peuvent, à raison de leur activité, et soit par l’effroi qu’ils inspirent aux hommes de bien, soit par l’erreur où ils les introduisent, et par la défiance qu’ils savent insidieusement exciter en disséminant de fausses rumeurs; ils peuvent, dis-je, empêcher que la tranquillité publique ne renaisse, qu’un régime salutaire ne s’établisse, et que la concorde, l’amour du bien général ne rallient tous les citoyens vertueux. A ces intrigues coupables il ne faut opposer d’égide que la vérité. Que la plus grande publicité soit promptement donnée aux intentions du roi, aux principes de son conseil, aux vues de l’Assemblée nationale; que tous les colons lisent et jugent eux-mêmes en connaissance de cause. Il restera prouvé, jusqu’à l’évidence, qu’on ne désire dans la métropole que leur bonheur, et que le gouvernement n’a omis aucun moyen pour l’effectuer. Cette publicité est d’autant plus essentielle, qu’il paraît qu’on s’est permis à Saint-Domingue, pour égarer les esprits, de falsifier des pièces importantes, et qu’on est parvenu même à empêcher que ce qui était notoire dans le royaume entier, ne fût connu dans cette île. Votre lettre du 24 octobre dernier, m’a appris qu’on vous a fait passer comme de moi une dépêche que je ne vous ai jamais écrite, et qui pouvait entraîner les plus funestes conséquences. On doit assurément applaudir à la prudence que vous avez eue de n’y ajouter aucune loi, et je vous invite à être encore en garde contre de semblables embûches. Il est plus délicat que je m’explique sur l’interception des lettres, parce que je puis aujourd’hui paraître personnellement intéressé à m’élever contre cette mesure immorale, contraire aux principes de l’Assemblée nationale, et funeste à la colonie même. Quoiqu’on ait cherché à colorer un tel usage de prétextes spécieux, on ne fia réellement introduit que dans l’espoir de surprendre des dépêches dont la publication pourrait rendre le gouvernement odieux, ou du moins le compromettre. Il en a résulté, au contraire, des témoignages nombreux de la sollicitude de Sa Majesté, pour le bonheur de ses sujets, et du zèle de son ministre à remplir ses vues bienfaisantes. Ceux qui se sont permis les violations que je cite, et que je m’abstiens de caractériser, se sont donc trouvés réduits, pour s’en disculper eux-mêmes, à supprimer une partie des lettres interceptées, à en défigurer d’autres, à interpréter le reste. Ils ont à la vérité du droit abusif qu’ils s’étaient attribué, un autre genre de succès dont ils s’applaudissent peut-être, mais qui n’a pas été moins préjudiciable à leurs concitoyens, il est aisé de discerner que quelque hommes ont soustrait à la colonie entière la connaissance de ce qui se passait en Europe, de ce qui y concernait ses plus grands intérêts; que la facilité de l’abuser leur a été assurée, et qu’il a dépendu d’eux d’y fermer tout accès à la vérité, en opposant une barrière impénétrable aux avis et aux détails multipliés qui y seraient parvenus sans cesse de la mère-patrie. Voici, au reste, ce que j’ai répondu sur cet objet à MM. les colons résidant à Paris, qui m’en avaient écrit : « Sans doute, Messieurs, il a résulté des malheurs publics et privés; il peut en résulter de plus grands encore, du genre de recherches qui existe à Saint-Domingue, de la saisie, de l’ouverture et de la publication non seulement du commerce épistolaire des particuliers, mais des dépêches même les plus secrètes, adressées par le ministre, en vertu des ordres du roi, aux administrateurs et autres agents du pouvoir exécutif. « Je m’en afflige pour le bien de l’Etat; mais il s’en faut beaucoup que j’en sois affligé pour moi-même. Certes, je suis loin de craindre que la plus intime de mes pensées soit surprise et divulguée. Il naîtra de cette interception même (qui paraît continuer) une accumulation des preuves les plus fortes que je puisse désirer ; il se trouvera révélé que toutes mes intentions, même secrètes, n’ont été dirigées que vers l’avantage de ma patrie, et surtout vers le bonheur de la colonie que j’ai précédemment administrée. « Je ne m’occuperai pas même à réfuter le commentaire qu’on a apposé à ma correspondance en l’imprimant. Le texte seul de mes dépêches s’élève assez contre les inductions fausses qu’on a voulu tirer contre les interprétations évidemment forcées qu’on a cherché en vain à y donner. Je m’eu rapporte à un arbitre qui, depuis cinquante-trois ans, ne m’a jamais trompé, une conscience pure; je me repose sur le temps, qui ramène enfin irrésistiblement tous les humains à des jugements équitables; j’en appelle à cette colonie même, que j’ai gouvernée, qui m’est si chère, etc. » Oui, Messieurs, je l’ai toujours pensé, et je le dirai aujourd’hui plus hautement encore, qu’on cesse de ravir à la colonie qui va s’assembler les moyens d’être instruite de ce qui tient à ses propres intérêts, et je ne suis assurément pas inquiet de son opinion sur ce qui me concerne personnellement. J’en ai été gouverneur général pendant un peu plus de dix-huit mois : la suppression de l’impôt sur les boucheries, accordée par le roi d’après la demande des administrateurs; des grands chemins, des ponts, des fontaines, des palais de justice, d’autres ouvrages d’utilité publique, construits ou commencés, un tarif pour modérer les frais de procédure : voilà à peu près les seules innovations qui soient émanées de moi. Toutes les pièces nécessaires pour constater ce qui s’est passé pendant ce laps de temps à Saint-Domingue s’y trouvent encore rassemblées. Je demande qu’on y recherche jusqu’aux moindres traces des faits qui peuvent constater mes principes; il n’en sortira que des preuves multipliées de mon zèle pour le maintien de l’ordre et des lois, de mon exactitude scrupuleuse à les respecter moi-même et à ne m’en écarter jamais. Qu’on examine avec plus de soin encore, s’il est possible, mon administration comme secrétaire d’Etat depuis les derniers jours de 1787; qu’on vérifie si, pendant l’année suivante, époque singulièrement remarquable à cet égard, ou même postérieurement, il a été envoyé un ordre illégal dans les colonies; si un seul acte d’autorité y a été prescrit par moi : que tous les registres soient compulsés. J’invite tout citoyen qui croira pouvoir se plaindre à élever la voix et, à produire des preuves. Le résultat de cette perquisition frappera, j’ose le prédire, tout homme impartial; il s’étonnera qu’on ait précisément cité comme l’époque du despotisme ministériel le temps où [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] 359 la colonie entière en a été le plus préservée et où elle n’a obéi qu’aux lois; qu’on ait indiqué comme le théâtre du pouvoir arbitraire celle des parties de la monarchie où, depuis plusieurs années, il a été exercé le moins d’actes qui portent ce caractère. Je désirerais, de plus, que tous les habitants de Saint-Domingue eussent été témoins du premier usage que j’ai fait de la brochure imprimée au Gap, et où mes lettres sur la convocation d’une assemblée coloniale ont été publiées avec des notes d’improbation. J’ai présenté au roi cette espèce d’inculpation; je l’ai envoyée à l’Assemblée nationale : je me conduirai de même envers les colons; je me bornerai à leur dire, sans y joindre une réflexion : Lisez, pesez et jugez. Mais comment est-il possible qu’on ait réussi à leur soustraire la connaissance de plusieurs faits importants pour eux-mêmes et notoires depuis très longtemps dans tout le royaume? que dis-je?.*, de pièces même imprimées et auten-thiques, qui ont circulé en France et qui paraissent évidemment n’avoir pu trouver accès dans la colonie qu’elles intéressent le plus. Il vous avait été annoncé, vous le savez, dès l’année 1788, qu’une assemblée coloniale serait convoquée en 1789, au mois d’octobre. MM. les députés de Saint-Domingue en furent instruits et en demandèrent la suspension par leur lettre du 29 juillet dernier. Je vous envoie copi e(voyez pièces jointes, n° 1.) de l’article de leur dépêche, relatif à cet objet, et de la réponse que je leur adressai d’après la délibération du conseil d’Etat, et les décisions qui y furent rendues le 9 août. Les termes de cette réponse ne sont point équivoques. 11 y a été très positivement énoncé que le roi était disposé à autoriser dansl’île de Saint-Domingue (si les député insistaient pour l’obtenir) la convocation d’une autre assemblée composée d’une manière purement élective, mais extraordinaire, provisoire, qui ne statuant et n'innovant sur rien , proposerait à Sa Majesté, ainsi qu’à V Assemblée nationale, tout ce qui paraîtrait être avantageux à la colonie . Telle a été la base invariable des résolutions du roi et du conseil d’Etat, où la nouvelle demande dont il s’agit a été plus d’une fois portée et discutée. Sa Majesté permit d’ailleurs, soit à Messieurs les députés, soit à Messieurs les colons résidant à Paris, de proposer à son conseil le mode d’organisation et de composition de cette assemblée qu'ils jugeraient le plus convenable, le gouvernement n’ayant sur ce point d’autre désir que pouvoir conjecturer le vœu de la colonie même, et d’y accéder. Comment Saint-Domingue ignore-t-ii que Messieurs les députés et Messieurs les colons résidant à Paris, assistèrent le premier septembre à un comité solennel de tous les ministres, où ce mode fut longtemps et contradictoirement agité? A-t-on pu dissimuler que sur tout qui concerné ce mode, le projet d’ordonnance pour la convocation d’une assemblée coloniale que Sa Majesté a bien voulu autoriser, projet que je vous ai fait passer dès le mois de septembre dernier, est, je ne dis pas fidèlement, mais littéralement même conforme aux dernières propositions qui furent adressées au conseil d’Etat, et par les députés et par les colons qui s’étaient enfin concertés et n’avaient plus qu’un vœu 1 On doit, sans doute, s’étonner que des faits de ce genre et aussi constatés, soient restés jusqu’à ce jour ignorés de la colonie ; qu’on ne lui ait point transmis la connaissance des demandes faites par ses propres députés, des réponses qu’ils ont reçues d’après les décisions du roi et de son conseil. Mais il parait plus incroyable encore que le mémoire ( voyez pièces jointes, n° II) adressé par les ministres à l’Assemblée nationale, le 27 octobre (mémoire qui établit les mêmes principes, mais qui d’ailleurs a été imprimé et répandu avec profusion dans le royaume entier), n’ait pu pénétrer dans l’ile de Saint-Domingue. Des hommes dignes de foi me l’ont néanmoins assuré, et je ne trouve pas en effet dans les gazettes coloniales, qu'il en ait été fait même une simple mention. Il importe que les pièces que je viens de citer soient connues dans la colonie que vous administrez; il importe qu’elle soit instruite, que le roi, dès le mois de septembre, avait consenti à tout ce qu’il pouvait réellement lui accorder sans le concours de l’Assemblée nationale; il importe qu’on y apprenne que l’Assemblée nationale elle-même avait été consultée sur l’envoi de ses décrets dans nos possessions éloignées, et qu’on lui avait peint l’inconvénient d’y promulguer plusieurs de ses décisions, qui, tendant à assurer le bonheur et la liberté des Français, produiraient peut-être néanmoins une révolution funeste dans les pays où l’esclavage est établi. Qu’on connaisse donc enfin, Monsieur, qu’elle a été la sollicitude touchante du roi pour ses colonies; que celle de Saint-Domingue surtout n’ignore plus les soins qui avaient été pris pour lui fournir les moyens de proposer à l’Assemblée nationale, ainsi qu’au monarque, les changements de régime qu’elle croirait désirables. Si elle eût profité de ce bienfait, elle en recueillerait déjà les fruits; les demandes adressées à la métropole y seraient parvenues, y auraient été accueillies et peut-être depuis longtemps le calme lui serait rendu, un ordre nouveau y régnerait. On doit, sans doute, regretter que les mesures inspirées à Sa Majesté par sa prévoyance paternelle, ne servent, pour ainsi dire, qu’à l’attester, et soient d’ailleurs restées sans effet. Il est difficile de concevoir par quel art on est parvenu à inspirer aux citoyens de Saint-Domingue, une défiance peu raisonnable contre le gouvernement, qui n’avait évidemment d’autre vue que de favoriser la convocation de représentants librement élus par la colonie, et de lui procurer l’avantage de discuter elle-même ses intérêts. On peut donc avoir quelques motifs de craindre aujourd’hui que ceux qui ont déjà réussi à rendre suspecte la convocation autorisée par le roi, n’usent des mêmes suggestions : qu’ils ne cherchent encore à séduire, pour ainsi dire, l’opinion publique, pour prévenir pareillement les effets salutaires que doivent produire les décrets de l’Assemblée nationale, et pour empêcher une seconde fois la réunion si désirable des représentants de toutes les parties de la colonie. Cette considération, je vous l’avoue, m’avait fait vivement désirer que la proclamation du roi vous fût beaucoup plus tôt envoyée. Je regardais comme très utile que les résolutions de l’Assemblée pussent vous parvenir avant qu’elles fussent même présumées au delà des mers, avant que des esprits mal intentionnés pussent en avoir acquis connaissance, et s’être efforcés de leur donner d’avance une fausse interprétation. Deux bâtiments, destinés à les porter, sont armés depuis un mois dans le port de Brest. J’ai écrit plusieurs fois, soit au président de l’Assemblée nationale, soit au comité chargé de rédiger et de lui présenter l'instruction ; 860 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] mais les lenteurs indispensablement attachées aux délibérations des corps nombreux, les occupations importantes et multipliées qui prennent tous les momentsdes représentants de lanation, ont trompé mon espoir. Il faut y remédier, Monsieur le comte, autant qu’il dépend de nous. Ne perdez pas un instant, dès la réception de mes dépêches, pour faire imprimer, pour répandre, comme je vous l’ai déjà indiqué, tout ce qui émane du roi et de l’Assemblée nationale, et pour en constater l’authenticité. Je vous demande personnellement et avec la plus vive instance, de donner la même publicité à cette lettre et aux deux pièces qui y sont jointes. Cette publicité est l’arme la plus victorieuse que l’honneur puisse opposer aux armes viles qu’emploient la malveillance et la délation. Communiquez d’ailleurs à quiconque le désirera ma correspondance entière, soit avec vous, soit avec nos prédécesseurs. Les pièces existent. Que les faits parlent eux-mêmes, mais qu’ils soient connus, mon vœu sera rempli. Les scrutateurs les plus sévères, et même les moins impartiaux, se trouveront forcés de reconnaître, et que les intentions du roi ont toujours été paternelles, et que celles de son ministre n’ont jamais cessé d’avoir pour objet le bien de la colonie. Les bornes d’une lettre m’empêchent d’entrer avec vous dans d’autres détails du même genre, mais qui ne m’ont pas été pareillement confirmés. • On dit que l’artifice a été poussé jusqu’à vouloir faire soupçonner aux colons que le gouvernement avait cherché à favoriser une commotion sur laquelle je sens même qu’il serait dangereux de m’expliquer, puisque je vous prie de rendre ma dépêche publique. Ces tables absurdes, et mille autres débitées peut-être au delà de l’Océan, par quelques hommes intéressés à la confusion générale et à la dissolution de l’ordre social, méritent-elles qu’on s’occupe sérieusement à les réfuter? Je vous le répète, pour dissiper ces nuages, faites luire l’éclat de la vérité. Qu’on s’indigne enfin du voilequil’a trop longtempscou verte; que la colonie le déchire elle-même ; qu’elle sonde les fondements des allégations improbables qui y ont été répandues. Il lui sera démontré, par ses propres recherches, que l’unique vue du gouvernement, en attendant qu’un autre ordre de choses s’établisse, a été de contenir les humains, quels qu’ils fussent, sous l’empire des lois et des usages qui les avaient antérieurement régis. Elle sentira qu’il n’a pu être assez insensé pour désirer le désordre universel et la subversion des règles. Que dis-je ? il n’a pas dissimulé qu’il eût voulu au contraire, pour le bonheur et pour la tranquillité des colonies,. que l’ancien régime y pût subsister jusqu’à ce que, de concert avec la métropole, elles eussent elles-mêmes posé les bases de la nouvelle constitution qu’elles jugeront devoir leur être la plus avantageuse. flans les circonstances présentes, il m’a paru utile, Monsieur le comte, que je m’expliquasse aussi franchement avec vous sur les principes qui ont dirigé Sa Majesté et sur ceux de son conseil. On y a constamment applaudi à la circonspection, a la sagesse et au patriotisme qui ont caractérisé votre conduite. Le roi en a senti le prix et m’ordonne de vous en témoigner sa satisfaction. Permettez qu’aux éloges qui vous sont dus, je joigne personnellement les assurances de l’estime et de l’attachement sincère avec lesquels j’ai l’honneur d'être, Monsieur le comte, votre très humble et très obéissant serviteur. Pour copie : La Luzerne. Extrait de la lettre de MM. les députés de Saint - Domingue au ministre de la marine, en date du 29 juillet 1789. N° I. Ils demandent suspension absolue de toute assemblée coloniale , parce que , quelle qu'en puisse être l'organisation , la colonie ne veut et ne doit la tenir que des décrets de V Assemblée nationale. L’assurance positive qu’aucune innovation relative à l’administration ou à tout autre objet ne sera faite , même provisoirement à Saint-Domingue , sans le concours de ses représentants. Pour copie : La Luzerne. Extrait de la réponse du ministre , en date du 11 août 1789, d'après les décisions du conseil d’Etat du 9 du même mois. Sa Majesté a consenti à la suspension que vous avez demandée de toute assemblée coloniale, parce que, quelle qu’en puisse être l’organisation, la colonie ne veut et ne doit la tenir que des décrets de l’Assemblée nationale. J’ai prévenu, néanmoins, le roi et son conseil, que, depuis votre lettre écrite, vous m’aviez verbalement témoigné que vous lui demanderiez peut-être une assemblée extraordinaire provisoire composée d’une manière purement élective, qui, ne statuant et n’innovant sur rien , lui proposerait , ainsi qu’à l’Assemblée nationale, ce qui paraîtrait être de l’intérêt de la colonie. J’ai ajouté que cette requête, si vous y insistiez, méritait, surtout dans les circonstances actuelles, d’être accueillie. Vous avez demandé l’assurance positive qu’aucune innovation relative à l’administration ou à tout autre objet ne sera faite, même provisoirement, à Saint-Domingue, sans le concours de ses représentants. Le roi a décidé que cette assurance devait vous être donnée ; il a pensé que c’était à l’Assemblée nationale, qui a admis les députés de Saint-Domingue , à déterminer quelles innovations doivent avoir lieu dans le régime de cette colonie et que, jusqu’à ce qu’elle ait examiné cette question si importante , le régime doit rester et être maintenu tel qu’il a été de tout temps, ou du moins depuis la paix dernière. Pour copie : La Luzerne [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] 364 Ne II. Mémoire adressé par les ministres du roi à l'Assemblée nationale, le 27 octobre 1789. Les ministres du roi ont exposé à l’Assemblée nationale, le 14 octobre, leurs doutes sur quelques articles qu’elle a décrétés; le même motif, leur attachement à ses principes, leur impose de nouveau la nécessité de recourir à elle et de lui demander des éclaircissements sur ce qui concerne les colonies. Plusieurs îles florissantes et de vastes possessions continentales appartiennent à la France dans les trois autres parties de l’univers. Leur climat, leurs productions, l’état civil, et jusqu’à l’espèce physique du plus grand nombre des hommes qui peuplent et cultivent nos colonies, les rendent absolument dissemblables de la métropole. Leur organisation intérieure, les lois qui les régissent, le genre de leurs besoins, leurs rapports commerciaux, soit avec les nations étrangères, soit avec les négociants du royaume, l’administration de leur police, celle de leurs finances, le mode et la nature des impositions qu’elles supportent établissent encore des disparités frappantes entre elles et les provinces européennes de la France. La plupart de ces différences tiennent à la nature même et à l’essence des choses; rien ne peut les changer : toutes les nations de l’Europe l’ont senti; toutes regardent leurs possessions éloignées comme des Etats distincts et dépendants de Ja métropole; toutes ont été contraintes à leur donner d’autres lois que celles de la mère-patrie, en cherchant à les y assimiler, autant qu’il serait possible, par les formes du gouvernement et par l’analogie de la législation. Ces considérations ont fait présumer au roi que l’Assemblée nationale s’occuperait séparément d’une portion de la monarchie, aussi importante et aussi dissemblable de ses autres parties; il avait résolu qu’il n’y serait fait ni toléré d’innovation en aucune manière, jusqu’à ce que l’Assemblée nationale eût spécialement décrété le régime et les lois qui seront jugés convenir à ces contrées. Telle a été la réponse que le ministre de la marine a rendue par ses ordres, le 11 août dernier, à plusieurs des demandes qu’avaient présentées MM. les députés de Saint-Domingue. Depuis cette époque, l’Assemblée nationale a rendu beaucoup de décrets, et ils ont été envoyés, ou vont l’être, dans toutes les provinces du royaume : doivent-ils être transmis et exécutés de même dans les colonies, quoique l’Assemblée nationale ne l’ait point exprimé, et que leurs députés ne l’aient point requis? On croit nécessaire de faire observer à l’Assemblée nationale, que plusieurs de ses décisions qui tendent à assurer le bonheur et la liberté des Français, ne seraient pas sans danger, qu’elles produiraient peut-être une révolution subite et funeste dans des pays où les dix onzièmes des humains, en cessant d’être esclaves, resteraient dénués de toute propriété et de tout moyen de subsistance, que l’exécution de divers autres décrets serait, dans l’état présent des choses, absolument impraticable, parce qu’il n’existe aux colonies aucune municipalité ou corporation; les citoyens qui s’y trouvent disséminés sur des habitations non seulement séparées, mais assez éloignées les unes des autres, ne pourraient même qu’en fort peu de lieux se réunir pour tenir des assemblées permanentes, et vaquer aux détails journaliers d’une administration municipale. Il est une foule d’autres réflexions qui tiennent, pour ainsi dire, à la localité, et qu’on pourrait également soumettre à l’Assemblée nationale. Elle est priée de peser dans sa sagesse cette question de la plus haute importance, et de faire connaître quelles ont été ses intentions. 2° Ces contrées séparées de la métropole par de grandes distances, exigent encore plus que les provinces du royaume, qu’il soit pourvu aux objets d’utilité publique et urgents, par des règlements provisoires. Le roi a reconnu depuis longtemps qu’il ne pouvait exercer par lui-même ce pouvoir; des lois anciennes et revêtues de toutes les formes judiciaires, l’ont conféré aux deux administrateurs. Dans quelque main qu’on crût devoir le placer désormais, il importe qu’il réside au sein de la colonie même; et il serait du plus grand danger que l’exercice en restât un seul instant entièrement suspendu. Entre beaucoup de raisons qui pourraient être allégués à l’appui de cette assertion, on se bornera à exposer quelques-unes de celles qui sont les plus puissantes, et qui dérivent de la disparité même des colonies aux provinces du royaume. Des fléaux imprévus, et dont en France on se forme à peine une idée, des tremblements de terre, des ouragans, ravagent trop fréquemment, et en peu d’instants, ces" riches contrées; elles ont été plus d’une fois menacées de la guerre, et même attaquées par l’ennemi, avant qu’on fût instruit en Europe de leur danger, If paraît indispensable que des remèdes prompts puissent toujours être apportés à des maux urgents, qu’il existe des moyens d’établir l’ordre en ces moments critiques, d'appeler les secours nécessaires, de subvenir aux besoins, ou de pourvoir à la sûreté des citoyens et des esclaves. Il serait funeste aux colonies et à la métropole elle-même, que qui que ce soit ne fût autorisé à rendre sur-le-champ les règlements provisoires que nécessitent de telles circonstances. 3° Quant à l’ordre judiciaire, les appels des jugements du tribunal terrier supprimé en 1787, et ceux des ordonnances rendues par les administrateurs, devaient être portés au conseil du roi; beaucoup de causes de ce genre y sont pendantes en ce moment, mais on pense que les décrets de l’Assemblée nationale autorisent provisoirement le conseil de Sa Majesté à connaître de ces affaires contentieuses. Pour copie : La Luzerne. N° XX. Extrait d'une lettre de M. le commandeur de Glandèves, commandant de la marine à Toulon, à M. le comte de La Luzerne, en date du 10 mai 1790. Monseigneur, Messieurs les lieutenants et sous-lieutenants de vaisseau ont reçu de très gros paquets timbrés Assemblée nationale, contenant plusieurs exemplaires : 1° du n° 116 du Journal de Paris ; 2° d’une feuille intitulée : la Raison finit toujours par avoir raison; 3° d’une autre feuille intitulée: Opinion de M. le marquis de Gouy d'Arsy,- député 362 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juin 1790.] de Saint-Domingue, prononcée à l'Assemblée nationale le 28 mars 1790- Tous ces écrits vous sont sans doute connus; ilsn’ont point étérépandus, quoique messieurs les officiers soient invités à les rendre publics par un billet anonyme renfermé dans chaque paquet. Je puis vous assurer, Monseigneur, que rien ne pourra jamais porter aucun membre à changer ses dispositions à votre égard, ni diminuer le zèle pour le service du roi. Pour copie : La Luzerne. N° XXI. Copie d'une lettre de M. le comte de La Luzerne à MM. les députés de Saint-Domingue , en date du 7 août 1789. J’ai rendu compte au roi, en son conseil d’Etat, Messieurs, de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser le 4 du courant, tendant à ce qu’il soit pris des précautions de surveillance et de sûreté relativement à l’avis que vous a transmis M.de ..... , l’un d’entre vous, des trames ourdies contre la tranquillité et la fidélité de la colonie de Saint-Domingue. Il a été décidé qu’on ne pouvait, dans les circonstances présentes, enjoindre d’arrêter les deux personnes désignées, ni défendre l’introduction aes livres et brochures qui circulent depuis quelque temps, ni même s’opposer au retour des noirs libres ou esclaves de la colonie, attendu que ces voies d’autorité pourraient encourir la censure générale, quelle que fût l’importance des motifs qui y auraient donné lieu, dans un temps surtout où la nation a les yeux ouverts sur tout ce qui ne porterait pas le caractère de la légalité. Mais en même temps, Sa Majesté m’a chargé d’envoyer à M. le comte de Peynier, gouverneur général de Saint-Domingue, les dénonciations de M. de. ..... afin qu’il veille de très près les deux particuliers suspects et signalés dans cette dénonciation, et qu’il ne néglige aucun des moyens justes et légaux qu’il sera possible d’employer, pour prévenir les troubles que l’on voudrait exciter dans son gouvernement. Je lui fais passer les ordres les plus précis à ce sujet, et je connais trop son zèle pour ne pas être assuré d’avan cede l’efficacité ainsi que de la sagesse de ses mesures. Je joins copie de ma dépêche à ce gouverneur général. J’ai l’honneur d’être avec un sincère attachement, Messieurs, votre, etc. Pour copie: La Luzerne N° XXII. Copie de la lettre écrite par M. le comte de La Luzerne à M. le comte de Peynier, en date du 7 août 1789. Le roi, Monsieur, et le conseil d’Etat de Sa Majesté, me chargent de vous faire passer la dénonciation ci-jointe de l’un de Messieurs les députés à l’Assemblée nationale, sur des projets dangereux contre la colonie, dont sont violemment soupçonnés les deux particuliers désignés et signalés dans la dénonciation dont il s’agit. S’il y avait eu quelque commencement de preuve positive à l’appui de cette suspicion, le gouvernement aurait donné ou vous donnerait des ordres pour faire arrêter les agents d’un complot aussi punissable. Mais du moins l'objet est d’une si grave importance, qu’il mérite toute votre attention, toute votre surveillance, et les précautions les plus assurées, pour prévenir et déconcerter jusqu’à lamoindre tentative de soulèvement. Je connais votre zèle, et en même temps votre sagesse. Je me repose également sur l’une et sur l’autre, et je vous annonce d’avance que le roi approuvera tout ce que vous aurez cru devoir faire en agissant d’après ce double mobile. Je vous prie de m’instruire promptement, et à mesure de vos recherches, de ce que vous aurez appris, en un mot de tout ce qui pourra concourir à éclairer et tranquilliser sur l’objet des alarmes de Messieurs les députés. J’ai l’honneur d’être, etc. Pour copie : La Luzerne N° XXIIi . Copie de la lettre de MM. les députés de Saint-Domingue à M. le comte de La Luzerne, en date du 18 septembre 1789. Monsieur le comte, Les députés de Saint-Domingue ont l’honneur de vous envoyer le règlement provisoire sur la convocation d’une assemblée coloniale à Saint-Domingue, avec les faibles changements qui sont convenus entre MM. les colons de Paris et la députation ; nous vous prions, Monsieur le comte, de vouloir bien nous en procurer la prompte exécution ; la sûreté de la colonie exigeant qu’elle prenne toutes les mesures nécessaires pour le maintien de l’ordre, que les circonstances actuelles pourraient altérer. Nous sommes avec respect, Monsieur le comte, vos très humbles et très obéissants serviteurs. Signé : Les députés de Saint-Domingue ; Le Gar-deur de Tilly ; le marquis de Perrigny ; Duval-Monville ; Bodkin Fitz-Gérald ; Magallon ; de Villeblanche ; le comte O’Gorman, président; le chevalier de Mariné, secrétaire. Pour copie : La Luzerne. N° XXIV. règlement provisoire sur la convocation d'une assemblée coloniale à Saint-Domingue. Sa Majesté, écoutant le vœu des habitants de Saint-Domingue, pour obtenir la convocation d’assemblées complètes et régulières, pour délibérer librement dans toute l’étendue de la colonie, à l’effet de pourvoir au maintien de l’ordre, de prévenir les troubles, d’assurer à tous les habitants une tranquillité justement désirable, et de les mettre, par ce moyen, à portée de veiller eux-mêmes à leurs propres intérêts, a ordonné et ordonne ce qui suit : Art. 1°\ Aussitôt après la réception de la présente ordonnance, les général et intendant la feront enregistrer au conseil, et l’enverront incessamment aux marguilliers de toutes les paroisses de la colonie. Art. 2. La présente ordonnance sera, sür-le-champ, insérée dans la feuille périodique de la colonie. 363 (Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juin 1790.J Art. 3. Le premier dimanche qui suivra la réception de ladite ordonnance par le marguillier, il sera tenu de la faire publier au prône, à son de trompe ou de tambour, afficher partout où besoin sera, en la manière accoutumée, pour lui donner la plus grande publicité dans toute l’étendue de la paroisse, afin qu’aucun de ceux qu’elle concerne n’en prétende cause d’ignorance. Art. 4. L’assemblée de chaque paroisse se formera à la huitaine du jour où elle aura été annoncée au prône, publiée et affichée : elle se tiendra au presbytère ou à l’église. Art. 5. Les dernières assemblées se formeront en la manière accoutumée, et ceux qui, jusqu’ici, ont eu le droit d'y assister, s’y rendront. Art. 6. L’assemblée se nommera par la voie du scrutin, et non autrement, un président et un secrétaire à la pluralité des voix, Art. 7. L’assemblée paroissiale, ainsi organisée, fera le choix, aussi par la voie du scrutin et non autrement, de six électeurs. Il sera nécessaire ue chaque électeur réunisse plus de la moitié es suffrages de l’assemblée. Art. 8. Nul ne pourra être élu en qualité d’électeur, s’il n’est propriétaire planteur, ayant un bien en culture, avec vingt nègres recensés, ou une propriété foncière équivalente à cent mille livres. Art. 9. Toutes personnes absentes ou non de la colonie, ayant droit de voter dans lesdites assemblées, pourra s’y faire représenter par un fondé de pouvoir ad hoc, et néanmoins, si elle n’a pas envoyé son fondé de pouvoir ad hoc, son fondé de procuration ordinaire pourra le représenter. Art. 10. Tout propriétaire, porteur de procurations, n’aura qu’une voix, outre la sienne, quel que soit le nombre de procurations dont il sera porteur, et tout procureur fondé qui n’aura pas de propriété n’aura qu’une voix, quel que soit le nombre de procurations dont il sera chargé. Art. 11. Le propriétaire de plusieurs habitations situées dans la même paroisse, ne pourra néanmoins y prétendre à plus d’une voix. Art. 12. Les électeurs nommés seront tenus d’accepter on de refuser : au cas d’acceptation, ils prêteront serment de bien et fidèlement remplir leur mission ; au cas de refus, il sera procédé à une nouvelle nomination. (Jn extraitdu procès-verbal sera délivré à chaque électeur. Art. 13. Chaque assemblée se prorogera, pour former les cahiers d’instructions qu’elle voudra remettre à ses électeurs, et elle sera tenue de les clore dans la quinzaine ; les électeurs se transporteront, munis de leurs cahiers, au chef-lieu de leurs sénéchaussées. Art. 14. Les instructions auront pour objet tout ce qui concerne l’intérêt public en général, celui de chaque sénéchaussée, et chaque paroisse en particulier, sous quelque rapport que ce soit. Art. 15. Les électeurs se rendront dans la huitaine du jour de leur nomination, au chef-lieu de leur sénéchaussée, et ils nommeront un président et un secrétaire par la voie du scrutin, après quoi ils feront, dans la quinzaine, la réduction de leurs cahiers en un seul, et nommeront entre eux, par scrutin, des députés dans le nombre prescrit dans l’article ci-après. Art. 16. Afin de donner une égale représentation aux trois parties, du nord, de l’ouest et du sud, la sénéchaussée du Gap nommera huit députés, celle du Fort-Dauphin huit, celle du Port-de-Paix huit, celle du Port-au-Prince huit, celle de Saint-Marc huit, celle de Jacmel huit, celle des Gaves six, celle du Petit-Goave six, celle de Saint-Louis six, celle de Jérémie six. Art. 17. Les députés nommés se rendront au Port-au-Prince, capitale de la colonie ; là ils formeront une assemblée générale, et s’occuperont des intérêts de la colonie. Art. 18. L’assemblée ouverte, elle s’occupera de la nomination d’un président, d’un vice-président, et de tel nombre de secrétaires qu’elle jugera convenable, au scrutin et non autrement. Art. 19. L’assemblée vérifiera les pouvoirs des députés et jugera de leur validité. Signé : le marquis de Perrigny, Duval-Monville, Gocherel, Laborie, Bodkin Fitz-Gérald, Courre-jolles, Le Gardeur de Tillv, Gérard, le chevalier de Marmé, secrétaire, et président en l’absence de M. le comte O’Gorman, Magallon, de Ville-blanche. Pour copie : La Luzerne. ASSEMBLÉE NATIONALE. Présidence de m. l’abbé Sieyès. Séance du samedi 19 juin 1790, au matin (1). La séance est ouverte à 9 heures du matin. M. l’abbé DumoHchel, secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la séance du 16 juin. Il est adopté. M. Prieur, autre secrétaire , lit le procès-verbal de la séance du 17 juin au matin. M. Gourdan, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du même jour, au soir. Ges deux procès-verbaux n’éprouvent pas de contradiction. M. l’abbé Royer, secrétaire , lit ensuite Le procès-verbal de la séance d’hier, 18juin. M. le comte de Mirabeau l’interrompt à l’endroit où est rapporté le décret rendu hier au sujet de M. le vicomte de Mirabeau. M. le comte de Mirabeau. Je demande la permission d’établir, soit parla tradition de cette Assemblée, soit par le vice de cette rédaction, que le décret relatif à M. de Mirabeau le jeune n’a pas été rendu tel qu’il vient d’être lu. Il n’est pas possible que l’Assemblée ait oublié que l’un de ses plus célèbres décrets, dans les circonstances qui ont ouvert l’Assemblée nationale, est celui qui établit l’inviolabilité de ses membres. Il n’est, pas possible que l'Assemblée ait oublié qu’indépendamment de la sauvegarde de la loi, les députés de l’Assemblée nationale ont encore la sauvegarde de leur caractère. L’Assemblée n'a pas pu charger le pouvoir exécutif de la sûreté d’un de ses membres; elle n’a pas pu placer M. de Mirabeau le jeune entre le double danger d’une escorte et de son délaissement: elle n’a pu (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.