358 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juin 1791.] unanimité qu’elle passe à l’ordre du jour sur la proposition d’impression du discours de M. de Talleyrand-Périgord.) M. Ic Président lève la séance à trois heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. ALEXANDRE DE BEAUHARNAIS. Séance du mardi 21 juin 1791, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Dauchy, ex-président , prend le fauteuil en l’absence du président. Un de MM. les secrétaires commence la lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Un membre, entrant dans la salle : 11 est bien question de lire le procès-verbal 1 M. Alexandre de Beauharnais, président , prend place au fauteuil et dit : Messieurs, j’ai une nouvelle affligeante à vous communiquer; je dois prévenir l’Assemblée qu’à 8 heures du matin, un momeni avant de me rendre ici, M. le maire s’est rendu chez moi et m’a annoncé la nouvelle, qui sans doute jettera la consternation dans l’Assemb ée, du départ du roi avec une pnrtie de la famille royale. J’imagme qu� l’A-semblée nationale, dans une conjoncture aussi imprévue et aussi importante, croira utile, pour la tranquillité du royaume, pour le maintien de la Constitution, de donner les ordre-s les plus prompts pour que dans toutes les parties du royaume on soit instruit au plus tôt de cette nouvelle alarmante. (Un profond silence règne dans l’Assemblée). M. Regnand (de Saint-Jean-d' Angêlÿ) . Je ne m’ét«-ndrai nas s r les suites de la circonsiance où nous nous trouvons; je ne rappellerai point à l’Assemblée le «murage, le sang-froid, la tranquillité qu’elle déployé, il y a deux ans, dans des conjonctures moin< importantes peui-être «t moins nifficiles. Les hommes qui ont su à cette époque cou iu rir la liberté, sauront aujour l’hui la conserver et la défendre; tous les amis de la Constitution vont s'unir et se presser pour la maintenir, et j’espère que chacun de nous trouvera dans son cœur le même sentiment que je trouve dans le mien. Vous aurez, Messieurs, lorsque vous serez instruits, des mesures essentielles à préparer et à prendre. Dans cet instant, il me paraît indispensable d’en adopter deux : La première, d’ordonner à l’instant que les ministres soient appelés à la barre de l’Assemblée pour y recevoir ses ordres; La seconde, qu’il soit donné ordre au ministre de l’intérieur d’expédier à l’instant des courriers dans tous les départements du royaume, avec ordre à tous les fonctionnaires publics, gardes nationales, ou troupes de ligne d’arrêter ou de faire arrêter toute personne sortant du royaume. M. Camus. J’appuie la motion de M. Regnaud : il faut arrêter toute personne sortant du royaume. Je sais à merveille que ce n’est pas la seule mesure à laquelle l’Assemblée nationale doit se borner; mais je crois que celle-ci est urgente et imnérieuse, car enfin il faut que le gouvernement, que le timon de l’Etat repose en quelques mains : c’est pour cela qu’il faut empêcher une émigration qui peut devenir aussi dangereuse pour la nation et que j’appuie la proposition d’envoyer des courriers. Ces deux mesures sont nécessaires et je crois qu’il est important de les prendre et de les arrêter à l’instant. (Applaudissements.) En ce qui concerne les ministres, je demande que M. le Président soit à l’instant autorisé à écrire à chacun un ordre au nom de la nation, pour qu’ils se rendent à la barre. M. le Président. Je dois prévenir l’Assemblée, afin qu’elle apporte dans cette importante question toute la sévérité, toute la maturité nécessaire, que M. le commandant général, que j’ai vu chez M. le maire, il y a 5 minutes, m’a dit avoir donné des ordres pour faire partir des courriers sur toutes les routes. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angèly). Ces courriers ne partent pas au nom d’une autorité légale; c’est au nom du souverain que vous devez les envoyer-, puisqu’en ce moment il n’y a pas d’autre autorité qui doivent donner des ordres. M. Re for mon. Mettez les propositions aux voix, Monsieur le président. M. Ce Chapelier. Quand le chef héréditaire du pouvoir exécutif est absent des lieux où il doit être, quant il fuit la patrie au moment où elle le réclame, certes il faut prendre une grande mesure. Eh bien, peur cela il fmt nommer un comité chargé de préparer un projet de décret, car nous serons très longtemps à délibérer. Quant à la venue du ministre, elle me paraît prématurée d’une demi-heure au moins. Je voudrais avoir quelque chose à leur dire lorsqu’ils viendront et certes vous n’aurez rien à leur dire si vous n’avez pas un projet de décret. (La motion de M. Le Chapelier est rejetée par la question préalable). M. le Président. Je mets aux voix la proposition de charger le ministre de l’intérieur d’expédier des courriers dans tous les départements. (Cette motion est décrétée.) M. Camus. Dam le décret, il faut mettre les ordres qu’on donnera aux courriers. Je demande qu’l soit enjoint, delà part de la nation, à tous gardesnationales fonctionnaires publicsou troupes de ligne, d’arrêter non seulement toute personne qui voudrait sortir du royaume, mais encore tous effets armes, munitions, espèces d’or et d’argent, chevaux et voilures; et je crois qu’on pourrait rendre les officiers municipaux et les commandants desgar les nationaux responsables en leur propre nom de tout ce qui pourrait sortir. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angély). Voici ma rédaction : « L’Assemblée nationale ordonne que le minis-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 359 (Assamblée nationale.1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il juin 1791.1 tre de l’intérieur expédiera à l’instant des courriers dans tous les départements avec ordre à tous les fonctionnaires publics, gardes nationales et troupes de ligne, d’arrêter ou faire arrêter toute personne quelconque sortant du royaume, comme aussi d’empêcher toute sortie d’effets, armes, munitions, espèces d’or ou d’argent, chevaux et voitures. » (Ce décret est mis aux voix et adopté.) M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angêly). Sur ma rédaction que je viens d’avoir l’honneur de vous lire, une réflexion se présente que je crois devoir vous communiquer, parce qu’elle est très importante. Nous disions : « arrêter ou faire arrêter toute personne sortant du royaume » ; or, ces courriers peuvent joindre sur leur route ceux que vous avez le plus grand intérêt à ne pas laisser sortir du royaume et alors la rédaction du décret paraîtrait peut-être présenter une équivoque, et nous n'en devons point laisser. Je crois qu’il faudrait ajouter une disposition particulière pour arrêter en quelques lieux qu’ils soient tous les individus attachés à la famille royale. M. Canins. Je suis de votre avis; il n’y a que le mot arrêter qui me fait peine. Je crois que dans la position où nous sommes, nous devons agir avec autant de sang-froid que de courage. (Murmures.) M. le Président. Nous ne devons pas regretter un instant donné à la rédaction, lorsqu’il peut ajouter une disposition nécessaire; mais nous devons regretter tout moment de tumulte qui nous fait perdre un temps précieux. Je supplie l’Assemblée de se tenir à l’ordre. M. Camus. Il n’y aura pas de tumulte dans l’Assemblée; nous nous rappellerons tout le sang-froid que nous avons eu le 23 juin 1789 : la patrie fut sauvée alors; elle le sera encore aujourd’hui. Toutes les craintes extérieures, tous les mouvements ne nous atteindront pas : tout cela est infiniment au-dessous de nous. Je reviens à mon observation et je désirerais que l’on employât un autre mot que celui d’arrêter. Il ne faut pas que des malveillants puissent dire que l’Assemblée nationale a donné ordre d’arrêter le roi. Je demande donc qu’il soit dit que les fonctionnaires publics, gardes nationales et troupes de ligne, soient tenus de prendre les mesures les plus promptes pour empêcher le roi et les membres de la famille royale de continuer leur route et pour les faire revenir dans leur séjour ordinaire. (Marques d'assentiment.) M. le Président. Voici la rédaction proposée : « L’Assemblée nationale décrète : « Que le ministre de l’intérieur expédiera à l’instant des courriers dans tous les départements, avec ordre à tous les fonctionnaires publics, gardes nationales et troupes de ligne, d’arrêter ou faire arrêter toutes personnes quelconques sortant du royaume, comme aussi d’empêcher toute sortie "d’effets, armes, munitions, espèces d’or ou d’argent, chevaux et voitures; et que dans le cas où lesdits courriers joindraient quelques individus de la famille royales, et ceux qui auraient pu concourir à leur enlèvement, lesdits fonctionnaires publics ou gardes nationales et troupes de ligne seront tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour arrêter les suites dudit enlèvement , en empê chant que la route soit continuée, et de rendre compte du tout à l’Assemblée nationale. » (Ce décret est mis aux voix et adopté à l’unanimité.) M. Vernier. La ressource de la nation repose actuellement dans le courage de l’Assemblée nationale, dans la fermeté et l’héroïsme de la nation ; mais il faut que cette nation, que ce peuple vraiment disposé à suivre vos décrets, puisse opposer une résistance formidable, pour que chaque pas doive coûter une victoire à nos ennemis. Pour cela, vous n’avez pas d’autres moyens à prendre que d’armer le peuple, et je ne vois pas que les précautions que vous prenez tendent encore à cet objet. Ces prétendues troupes de ligne, dont on effraye ceux qui ont une fausse idée des choses, ont tous les avantages de probabilité dans une longue guerre, dans une longue attaque ; mais quand il s’agit d’une défense prompte, quand il s’agit d’opposer l’héroïsme national, tout, citoyen devient soldat; alors il suffit de lui mettre entre les mains une arme quelconque, une arme qui, après le premier feu, rende ses forces égales à celles de toutes les troupes disciplinées. Or, Messieurs, il est un moyen très simple de mettre les citoyens en état de défense. Ainsi je demande que les mémos courriers qui vont porter vos ordres dans les départements en donnent aussi à toutes les manufactures pour travailler sans relâche à la fabrication de lances destinées à armer le peuple dans tout leur ressort. (Murmures. — Cela ne vaut rien!) Vous n’avez pas, Messieurs, un nombre suffisant d’armes à feu dans vos magasins; les provinces les mieux disposées, la Franche-Comté, par exemple, en réclament depuis longtemps. Après le premier choc, les forces deviendront égales; je deman le donc que vous preniez en considération cequejeviens de dire. M. Cottin. Il arrive des personnes du jPont-Royal qui veulent entrer ici. M. Camus. D’après ce que je viens d’apprendre, je crois, Messieurs, que l’on doit d’abord veiller à ce que la salle de l’Assemblée nationale soit exactement gar iée, pour que nous puissions délibérer avec tranquillité. C’est pourquoi je demande que l’Assemblée nationale ordonne aux chefs de l’administration et de la force publique d’employer une garde suffisante pour empêcher aucune autre personne que les députés de pénétrer dans la salle. (Applaudissements.) (L’Assemblée adopte cette proposition.) M. Babey. Je demande qu’on envoie des commissaires auprès des ministres, pour s’assurer que tous les ordres qui leur seront intimés par l’Assemblée soient littéralement exécutés. (Cette motion est rejetée par la question préalable.) M. Ce Chapelier. Je propose que l’Assemblée ordonne aux administrateurs du département de Paris et aux officiers municipaux, d’instruire les citoyens, par une proclamation publiée dans tous les carrefours, que l’Assemblée nationale s’est déjà occupée et va s’occuper avec la plus grande activité... Un membre : ... et sans interruption de séance.