176 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE LEGENDRE (de Paris) : Je demande à répliquer. Je vous accuse tous, malheureux ! [en désignant Billaud, Barère et Collot.] (116) [BILLAUD-VARENNE : Prouvez....] (117) MONMAYOU : Le comité s’occupe de l’affaire dont il s’agit, j’en ai vu toutes les pièces, et j’assure qu’il n’y est pas question des trois hommes dont il s’agit. Je ne sais si Legendre a des pièces que nous ne connaissons pas, mais je n’ai pas trouvé, dans celles que j’ai examinées, une seule ligne qui pût inculper les trois hommes dont il s’agit. Nous avons toujours marché entre deux partis.... Plusieurs voix : L’ordre du jour ! BENTABOLE : Je demande la parole pour une motion d’ordre. ( Murmures .) DUQUESNOY : Monmayou à la parole pour une motion d’ordre ; elle doit lui être maintenue. CHATEAUNEUF-RANDON : Je demande que la voix de la vérité et de la vertu sans tache soit enfin entendue. MONMAYOU : Vous vous rappelez qu’on nous a dit ici que nous étions des oisons, des moutons {Murmures.) ; on a profité de notre inexpérience pour nous tromper. Depuis le 9 thermidor, la Convention a été digne du peuple; depuis ce temps elle a dû s’apercevoir que des partis ont voulu succéder à Robespierre : on vous a signalé le règne du lion ; moi je vous signale celui des vipères, celui des hommes qui distillent le venin de la calomnie sur des représentants du peuple qui travaillent dix-huit heures par jour ; qui, depuis cinq ans, luttent contre le royalisme, le fédéralisme et l’aristocratie. La calomnie est au moral ce que le poison est au physique. Je suppose que douze journalistes se distribuent la tâche de calomnier les représentants du peuple ; ils auront bientôt détruit la Convention. {Quelques applaudissements. -Murmures.) Les uns voudraient dominer par les Sociétés populaires, les autres par les journaux ; il faut que les chefs se taisent, car toutes les factions trouveront leur tombeau ici. Je demande que le comité de Législation présente sous trois jours, la loi contre les calomniateurs. BENTABOLE : On n’aurait pas dû s’opposer à la motion que je voulais faire pour terminer la discussion, car je ne voulais que demander l’exécution de la loi. La Convention a cru qu’elle ne devait pas s’occuper de dénonciations hasardées, mais qu’elle devait les approfondir lorsqu’elles étaient fondées. C’est pour cela que vous avez décrété que, lorsque quelqu’un de vos membres serait dénoncé, les comités examineraient la dénonciation, afin que ces membres ne fussent pas diffamés mal à propos. C’est la conduite qu’il faut tenir ici. (116) J. Perlet, n° 792. (117) Ann. Pair., n° 694 bis. C. Eg., n° 830 ; J. Fr., n° 791. LE CARPENTIER (de la Manche) : Il est affligeant de voir des représentants se déchirer entre eux. S’il y a des dénonciations fondées, qu’on suive la voie qu’indique la loi, et qu’on ne vienne pas à tout instant empêcher ici la marche du gouvernement révolutionnaire. La Convention ira au but, elle traversera les déchirements qu’occasionnent les passions en se heurtant réciproquement. Il s’agit ici de la question la plus importante que la Convention ait à traiter, de la liberté des opinions dans son sein ; mais il ne faut pas qu’on la porte au point de répandre un nuage sur la réputation des personnes, sans preuves précises. Lorsque Legendre a pris la parole, il ne s’agissait uniquement que de savoir si le rapport des détenus par suite de la révolution du 9 thermidor serait fait dans la décade prochaine. J’appuie cette proposition et celle de Monmayou, et je demande qu’on passe à l’ordre du jour sur le surplus. Cette proposition est adoptée (118). 46 Un membre de la commission des Vingt-Un [GUÉRIN] , créée pour examiner les chefs d’accusation portés contre Carrier, obtient la parole ; il donne lecture de l’acte d’accusation. Un membre [LOFFICIAL] observe que, dans cet acte, il n’est pas question de la lettre écrite par Carrier au général Haxo, dans laquelle il lui écrivoit d’enlever toutes les subsistances de la Vendée; qu’il falloit exterminer tous les habitans, détruire toutes les habitations; que telle étoit l’intention de la Convention, et qui lui en feroit passer incessamment l’ordre: lettre qui présente un corps de délit bien caractérisé, puisque la Convention avoit manifesté une intention contraire par ses décrets des 19 mars, 10 mai, 5 juillet et premier août 1793. En conséquence, il demande qu’il en soit mention dans l’acte d’accusation. Plusieurs membres appuient l’observation; après une légère discussion, l’amendement est adopté (119). LOFFICIAL: Je ne vois pas que, dans l’acte d’accusation qui nous est proposé par la commissions des Vingt et Un, il soit question de la lettre écrite par Carrier au général Haxo, par laquelle il lui disait « d’enlever toutes les subsistances de la Vendée; qu’il fallait en exterminer tous les habitants, détruire toutes les habitations; que telle était l’intention de la Convention nationale, et qu’il lui en ferait passer incessamment l’ordre». Cette lettre présentait irn corps de défit, (118) Moniteur, XXII, 602. Rép., n° 76 ; Débats, n° 793, 926 ; Ann. Patr., n° 694 bis ; C. Eg., n° 830 ; F. de la Républ., n° 66 ; J. Fr., n° 791 ; M.U., n° 1353 ; Ann. R.F., n° 65. (119) P.-V., L, 109-110. SÉANCE DU 5 FRIMAIRE AN III (25 NOVEMBRE 1794) - N° 46 177 puisque l’intention contraire de la Convention nationale était manifestée par les décrets des 19 mars, 10 mai, 5 juillet et 1er août 1793. En conséquence, je demande qu’il en soit fait mention dans l’acte d’accusation. Plusieurs autres membres parlent dans le sens de cette proposition. *** : Je trouve, en effet, dans cette lettre deux délits graves: le premier, d’avoir présenté ces horreurs comme ordonnées par les lois de la Convention; le second, d’avoir ainsi fait périr beaucoup de patriotes ; car le quart de la Vendée, peut-être le tiers, n’était pas en rébellion. Et qu’ont fait les généraux ensuite des ordres de Carrier? Ils faisaient assembler une commune entière; les officiers municipaux avec leurs écharpes étaient en tête: eh bien, quand ils étaient assemblés, on fusillait tout, femmes et enfants ; on pillait la commune, et on la brûlait. Treilhard pense que cette lettre qui explique les pouvoirs donnés par Carrier à Lamberty, doit bien faire preuve au procès ; mais non pas motiver un article de l’accusation. Un membre observe que le Tribunal ne pouvant instruire que sur les articles portés en acte d’accusation, il est nécessaire d’en faire un de cette lettre. LOFFICIAL : Je demande à répondre à mon collègue Treilhard. Il est d’autant plus intéressant que l’acte d’accusation qui vous est présenté établisse un chef d’accusation sur cette lettre, que, d’après la loi sur la garantie de la représentation nationale, la procédure contre Carrier ne peut s’instruire, et le jugement ne doit se prononcer que sur les chefs d’accusation portés contre lui. D’ailleurs, citoyens, je vois deux corps de délit dans cette lettre : le premier est d’avoir calomnié la Convention nationale en disant que l’intention de la Convention nationale était d’exterminer tous les habitants de la Vendée et d’en incendier tous les bâtiments, tandis qu’elle avait manifesté une intention contraire par ses décrets que j’a précédemment cités, et notamment par celui du 1er août 1793. Le second corps de délit naît de ce qu’il est présumable que cette lettre a paru, aux généraux perfides qui commandaient les troupes de la République dans les départements insurgés, une autorisation suffisante pour détruire ce fertile pays, et en égorger tous les habitants sans distinction d’âge ni de sexe, de patriotes ou de rebelles ; car ce n’est que depuis cette lettre que les actes de barbarie les plus atroces, et que la postérité ne pourra pas croire, ont été commis dans ces départements. Il faut que vous sachiez, citoyens, que les généraux, pour détruire plus sûrement et plus promptement les habitants de ce malheureux pays, avaient imaginé d’envoyer à chaque commune l’ordre de se réunir à telle heure, et dans tel champ qu’ils désignaient. Les habitants, qui étaient bien éloignés de soupçonner la perfidie des généraux, pensant obéir aux ordres de la Convention nationale, se rendaient au lieu indiqué, hommes, femmes et enfants, leurs officiers municipaux, décorés de leurs écharpes, en tête; la troupe arrivait; les trop confiants habitants s’attendaient à voir des frères qui venaient recevoir leurs serments de fidélité à la République; mais ils ne trouvaient que des assassins qui les fusillaient lâchement et sans miséricorde, allaient ensuite piller les maisons de la commune et les brûlaient ; les malades et les infirmes étaient inhumainement massacrés dans leurs lits. H est évident que si ces communes avaient été du parti des rebelles, elles n’auraient pas obéi aux ordres des généraux. C’est cette conduite plus qu’atroce, ce sont les expéditions sanglantes faites à Nantes, sous les yeux ou par ordre de Carrier, qui ont allumé de nouveau cette guerre presque éteinte, en forçant la presque totalité des habitants, qui ne voyaient que la mort, à se réunir à Charette pour se conserver la vie. Tous les rapports s’accordent à dire qu’avant ces cruautés Charette n’avait pas sous ses drapeaux plus de quatre ou cinq cents hommes ; une vérité est qu’à cette époque un grand nombre de communes étaient restées fidèles à la République, avaient combattu les rebelles et n’avaient pris aucune part à la révolte ; certainement elles n’ont pas été plus respectées que les autres ; en conséquence, je propose l’article additionnel qui suit : «La Convention nationale accuse Carrier d’avoir écrit au général Haxo le... (120), que l’intention de la Convention nationale était d’exterminer tous les habitants de la Vendée, et d’en incendier toutes les habitations ; que c’est depuis cette lettre que les généraux ont incendié un grand nombre de communes, ainsi que les fermes, et égorgé les habitants, sans distinction d’âge ni de sexe, de patriotes ou de rebelles ». Cet article est adopté (121). La Convention nationale accuse Carrier d’avoir écrit au général Haxo, le 23 frimaire, que l’intention de la Convention nationale étoit d'exterminer tous les habi-tans de la Vendée, et d’en incendier toutes les habitations ; que c’est depuis cette lettre que quelques généraux ont incendié un grand nombre de communes, ainsi que les fermes, et égorgé les habitans, sans distinction d’âge, de sexe, de patriotes ni de rebelles. Un membre [LEFIOT] demande qu’on renvoie au comité, pour examiner si on peut admettre des preuves testimoniales contre un représentant du peuple. Cette proposition est combattue par plusieurs orateurs : on passe à l’ordre du jour (122). (120) Moniteur, XXII, 603. La date est laissée en blanc dans le texte. (121) Moniteur, XXII, 602-603. Rép., n° 67 ; Débats, n° 793, 926-927 ; J. Fr., n° 791 ; J. Perlet, n° 793. (122) P.-V., L, 110.