[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1789.] 513 que l’appelé à recueillir l’effet de la substitution r qui soit le véritable propriétaire. On nous dit que les biens sont consacrés à Dieu. Défaite puérile ! Si les biens sont consacrés à * Dieu, le clergé n’en est donc point propriétaire; car le clergé n’est point l’Etre suprême. Se prétendra-t-il mandataire fondé de procuration ? Il faut qu’il justifie de ses pouvoirs. >. Au fond l’Etre suprême, souverain maître, souverain seigneur de tout, donne et ne reçoit pas. 11 ne peut même recevoir, si tout lui appar-► tient. Il ne peut donc avoir de propriété particulière. Cet Etre exige un culte, des autels ...... oui. Quel culte exige-t-il? l’hommage des cœurs. Quels autels ? la pureté de ces mêmes cœurs. Ce sont là ; ses temples, ses sanctuaires. C’est où il se plaît le mieux. Cessons donc de substituer des mots à la chose. Les biens ecclésiastiques appartiennent viscéra-* lement aux pauvres. Ce sont les véritables propriétaires. Ces biens doivent fournir à l’entretien des bâtiments et des ministres. En se chargeant, par l’Etat, des pauvres, de � l’entretien des bâtiments, et de celui des ministres, les vœux des fondateurs seront remplis. 1 Mais ces ministres ne peuvent exiger qu’on leur conserve l’administration de ces biens, dès qu’ils * conviennent qu’ils ont été mal administrés. C’est donc dans la main de l’Etat que doit rentrer cette administration. C’est la moindre peine que mérite le déposi-w taire infidèle. M. de Viefville des Essarts (t). Messieurs, frappé de l’importance de la question que vous k agitez, effrayé de ses conséquences, je me fais un devoir de vous soumettre mes réflexions : elles sont courtes ; mais je les crois dignes de votre attention. Je n’examinerai point si le clergé est, ou non, propriétaire des biens qu’il possède : cette question a été traitée avec toute la solennité qu’elle mérite. 11 m’a paru démontré jusqu’à l’évidence, ' que chaque église est propriétaire de ses biens et que les titulaires en sont les usufruitiers graduels et perpétuels. Cette vérité est consacrée depuis - mille siècles, dans tous les monuments de notre histoire et de notre législation. L’Eglise a reçu en propriété, elle a reçu comme propriétaire ; elle réunit en sa faveur tous les actes qui constituent et caractérisent une véritable propriété. Les lois et les coutumes lui ont tellement reconnu la capacité déposséder, qu’elles lui ont conféré celle d’acquérir et de perdre par la possession. Il est � sans doute impossible de concevoir des propriétés ' mieux affermies et plus assurées ; elles ont le sceau des lois, du temps et de la religion. Si de pareils titres ne forment pas une barrière indestructible contre l’invasion, il n’y a plus rien de Vsacré. Quelles sont donc les raisons que la nation oppose contre une réunion de forces et d’autorités si puissantes et si respectables ? un esprit de système et de novation ; des idées abstraites et mé-> taphysiques; l’abus du raisonnement. Que la nation ait prétendu avoir le droit de surveiller l’administration des biens ecclésiastiques, d’en ramener l’emploi à sa première destination et de le déterminer, chacun y aurait applaudi) Cette opinion n’a pas été insérée au Moniteur. lre Série, T. IX. dit, le clergé lui-même; mais que la nation prétende être le propriétaire de ces biens, pouvoir en disposerà volonté, cette prétention choque la raison, elle blesse tous les principes. Je n’entreprendrai point de la combattre directement, parce que d’après tout ce qui a été dit et écrit, la discussion sur le fond me paraît épuisée; je me bornerai seulement à examiner s’il est dei’intérêt de la nation de s’emparer de ces biens; car s’il est démontré qu’il est plus avantageux pour elle de les laisser dans les mains du clergé, la question de propriété devient inutile; il faut alors, abstraction faite du droit que la nation peut y avoir, les laisser au clergé et se hâter de les lui assurer ; l’intérêt de l’ordre social doit faire la loi suprême ; or dans l’état actuel des choses, et dans la balance des avantages avec les inconvénients, la question ne peut jamais être douteuse. Quels sont les avantages présentés à la nation ? l’acquittement de sa dette ; une plus forte mise de biens-fonds dans le commerce, et dans la distribution générale une plus grande source de produits et de richesses ; mais tous ces biens existeront-ils ailleurs que dans l’imagination ? n’est-il pas à craindre que des maux réels et effrayants, qu’il est facile de prévoir n’en prennent la place? Les biens du clergé dans les mains delà nation seraient administrés ou vendus : l’administration présenle trop de dangers et d’inconvénients, on ne peut pas y penser : la vente n’en n’offre pas moins. Elle se ferait au même temps, par masse, ou en différents temps par partie ; par masse, on sent la perte qu’on éprouverait ; par partie, l’inefficacité. Les biens se dissiperaient et la dette resterait. En supposant qu’elle disparaisse, la nation se trouverait grevée au même instant d’une autre plus onéreuse puisqu’elle serait perpétuelle ; car enfin il faut doter le clergé, il faut assurer à tous ses membres une honnête subsistance. Elle ne ferait donc que substituer des créanciers perpétuel s à des créanciers passagers, à des créanciers dont les créances s’éteignent, ou peuvent s’éteindre d’un moment à l’autre. Et quels seraient les acquéreurs de ces biens, d’après le projet présenté ? les créanciers de l’Etat et les capitalistes? mais ces créanciers sont pour la plupart des étrangers. Ce serait donc des étrangers qui viendraient envahir ces belles et immenses propriétés, qui en consommeraient les produits chez eux, ou qui, les mettant en revente, profiteraientsurl’Etat, et exporteraient un numéraire considérable. Une pareille spéculation n’est sûrement pas politiquement bonne. L’intérêt de la nation est d’attirer le numéraire, et de conserver celui qu’elle a ; les Etats les plus florissants, sont ceux où il y en a le plus. Les portions de biens qui échapperaient aux étrangers passeraient aux capitalistes, qui, accoutumés à tirer de gros profits de leur argent, pressureraient les cultivateurs, jetteraient la désolation et le désespoir dans des familles, jusque-là heureuses et paisibles ; ainsi, les accroissements de produits et de richesses dans l’invasion des biens du clergé ne seraient bien évidemment que pour les usuriers de l’Etat, pour ces infâmes agioteurs qui viendraient vous donner pour comptant des contrats et des effets qu’ils se seraient procurés à 50 0/0 de bénéfice. Quant à l’avantage résultant d’une plus grande division dans les biens, l’exemple est plus fort que tous les raisonnements. Dans les endroits, ou il y a de grosses fermes, les terres sont mieux cultivées, et les ressources plus abondantes ; on en trouve la preuve dans les provinces belges et 33 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] dans celles où il y a le plus de maisons religieuses -, la culture y est portée à sa dernière perfection ; l’aisance se montre partout ; les secours y préviennent la mendicité. L’on ne voit donc pas encore sous ce point de vue le bénéfice que la nation pourrait faire en s’adjugeant la propriété des biens du clergé ; on ne prévoit au contraire que des maux. Le décret d’expropriation du clergé serait un véritable anathème, un arrêt de proscription contre les ministres des autels. Les dépouiller, c’est les vouer au mépris ; c’est porter le coup le plus funeste à la religion ; c’est la détruire. 11 n’y en a plus lorsque les ministres cessent d’être respectés ; et ils cesseraient de l’être. Ce décret comblerait les désordres, qui ne se sont déjà que trop fait sentir dans toutes les parties du royaume. On n’aura pas sitôt prononcé que les biens du clergé appartiennent à la nation , qu’une nouvelle insurrection va naître. Dans la plupart des provinces, une grande fermentation agite toutes les têtes ; elle est prête à éclater ; le peuple qui ne voit que la lettre, qui lira que les biens du clergé appartiennent à la nation, croira que ces biens sont à lui et pour lui, ou on l’excitera à le croire : chaque individu s’emparera de ce qui sera à sa convenance ; les abbayes, couvents et monastères seront assiégés; leurs titres envahis, leurs droits perdus ; et leurs grandes et superbes forêts, qui forment une richesse précieuse dans l’Etat, détruites et dévastées. Puisse l’exemple que vous avez encore sous les yeux vous inspirer plus de prévoyance, et les désastres publics qui ont suivi le décret du 4 août nous préserver de ceux-ci ! En d’autres lieux, au contraire, tout sera protégé; la force s’armera contre l’injustice; votre décret sera repoussé et votre autorité compromise ; déjà cette résistance vous est annoncée par les réclamations qui se sont fait entendre de plusieurs provinces. Vous n’aurez donc fait qu’accroître les malheurs de l’anarchie. Eh ! qui pourra les arrêter ; il ne reste plus ni force ni autorité publique, tout est anéanti ; on a eu l’art malheureux de détruire sans recréer ; tous les pouvoirs semblent paralysés ; la force militaire est nulle ; les tribunaux sont sans activité, et les municipalités sans confiance. 11 devient donc aussi impossible de prévoir le terme de toutes ces calamités, que de déterminer les avantages que retirera la nation de l'appropriation des biens du clergé. Gar comme nous l’avons déjà observé, soit qu’on vende ces biens, soit qu’on les mette en administration, on ne peut en espérer aucun secours présentement efficace pour l’Etat. Si on les vend, ce ne peut-être qu’à vil prix, parce que le numéraire est rare, et que, dans ce moment, il se trouve quatre à cinq mille terres à vendre, ou parce qu’on les achètera sans confiance. Une telle masse de biens, d’ailleurs, mise tout à coup dans le commerce, ne pourrait qu’opérer une révolution très-nuisible dans les propriétés. Si on les administre, on connaît l’esprit de fiscalité, qui se glisse et s’insinue partout, et qui, malgré la plus sévère surveillance, en dévorera la plus forte partie. Que vont devenir les grands biens des jésuites ? Quel profit en a tiré l’Etat ? 11 est encore grevé de pensions, et il ne reste de la destruction de ce corps fameux, qu’une perte sensible pour la religion et l’éducation publique. Les mêmes regrets ne tarderont pas à suivre la confiscation des biens du clergé. La religion, le plus puissant lieu de l’ordre social, et le plus sûr fondement des empires, persécutée dans ses ministres, s’affaiblira et s’éteindra bientôt ; les aumônes cesseront; les ressources journalières et inépuisables que les pauvres trouvaient dans les charités toujours abondantes des maisons reli-� gieuses, seront perdues. Il est de fait, quoi qu’en disent leurs calomniateurs, qu’elles nourrissaient plus d’un million de malheureux : l’Etat se trou-. vera donc encore grevée de cette nouvelle charge. Par conséquent et sous tous les rapports possibles, moraux et politiques, la proposition de déclarer la nation propriétaire des biens du clergé, ne doit pas être accueillie par le Corps législatif ; elle est + subversive de tout principe de morale, d’ordre public, de justice et d’équité ; elle est surtout dangereuse dans la circonstance actuelle ; elle ferme toutes les ressources dans un moment où * tous les besoins se font sentir, aux approches d’une saison rigoureuse. 11 faut, Messieurs, laisser au clergé ses biens, mais en surveiller l’administration, eri régler et déterminer l’emploi; il faut taxer sa contribution présente et future aux charges de l’Etat. Ce droit appartient à la nation ; et cette contribution doit être forte et prompte, parce que les besoins de l’Etat sont grands et * pressants. On ne doute point d’après les offres généreuses du clerjgé et les sacrifices qu’il a déclaré être prêt à faire, de son empressement à l’acquitter, il remplira un devoir ; la nation n’aura usé que de son droit ; sa dette sera assurée ; la M religion garantie ; la confiance renaîtra ; les dé-( sastres publics cesseront; les ressources de l’Etat et des pauvres seront conservés. ASSEMBLÉE NATIONALE. * PRÉSIDENCE DE M. FRÉTÈAÜ. Séance du samedi 24 octobre 1789 (1). a La séance a commencé par la lecture du procès-verbal de la veille, et des adresses des différentes villes et communautés ci-après : D’une délibération des habitants de la ville d’Albert, contenant félicitations, remercîments et adhésion à tous les arrêtés de l’Assemblée, et en 1 outre la formation d’un comité permanent, pour ; maintenir l’ordre et la tranquillité publique ; D’une adresse de la ville de Rochefort, conte-„ nant une délibération de l’assemblée générale de la commune, par laquelle elle adhère, de (a manière la plus formelle, aux décrets de l’Assemblée nationale, notamment à celui où elle accepte de confiance le plan du premier ministre!- des finances ; et ladite commune s’engage eu conséquence à payer aux termes prescrits le 4 quart de ses revenus ; D’une adresse de félicitations et reconnaissance - des officiers municipaux de la ville d’Abbeville ; D’une adresse du comité des différents corps de la garnison de Strasbourg, où ils protestent qu’ils ne connaissent point d’autre devoir que* d’être soumis aux décrets de l’Assemblée nationale, d’obéir au Roi pour faire exécuter les -< lois et de déployer toutes leurs forces contre les ennemis de la nation ; < D’une adresse du comité permanent de la ville de Montôlimar en Dauphiné, contenant une délibération par laquelle il proscrit les écrits sédi-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur.