120 [Assemblée nationale. [ ARCHIVES PARLEMENTAIRES. « dans la colonie, que sur la demande précise et « formelle des assemblées coloniales ». « Dans les premiers moments de la discussion sur les colonies, vous avez reconnu que leur existence était nécessaire à la prospérité de la métropole. « Dans votre décret du 8 mars 1790, vous avez déclaré que, « quoiqu’elles fussent une partie « de l’Empire français, cependant vous n’avez ja-« mais entendu les comprendre dans la Constitu-« tion décrétée pour le royaume, et les assujetir à « des lois qui pourraient être incompatibles avec « leurs convenances locales et particulières ». « Pénétrés de cette grande vérité, qu’une Assemblée législative, par l’ignorance des localités, rie peut faire des lois convenables pour des colonies distantes de 1,800 lieues de la métropole, vous avez, dans votre même décret du 8 mars, et par l’article 1er, autorisé chaque colonie à faire connaître son vœu sur la Constitution, la législation et l’administration qui conviennent à la prospérité et au bonheur de ses habitants. « Malgré que vous ayez décrété, alors qu’il devait y avoir une différence entre la Constitution du royaume et celle des colonies, et que vous aviez besoin des lumières et du vœu des assemblées coloniales pour leur donner une Constitution, vous avez rendu le décret du 15 mai dernier comme une conséquence nécessaire des bases constitutionnelles décrétées par le royaume; vous avez tranché la plus importante question dans les colonies, sans avoir connu le vœu d’aucune assemblée coloniale. « Vous avez prononcé sur l’état des personnes dans la colonie, malgré que, dans votre décret du 12 octobre dernier, vous ayez décrété que vous aviez annoncé, dès avant, la ferme volonté d’établir comme article constitutionnel, dans l’organisation des colonies, « qu’aucunes lois sur « l’état des personnes ne seraient décrétées pour « elles que sur la demande précise et formelle des « assemblées coloniales ». « Votre décret du 15 mai dernier viole donc l’engagement le plus solennel et le plus important qu’au nom d’une nation on ait pris envers une colonie; vous détruisez la confiance des colonies dans vos décrets. « Mais vous n’avez pu rendre, même régulièrement, ce décret, tant que vous n’avez pas révoqué ceux des 8 mars et 12 octobre 1790, qui lui sont contraires; n’étant point révoqués, ils subsistent ; puisqu’ils subsistent, ils doivent être exécutés. « Vous y avez posé les fondements de la prospérité des colonies ; nous avons prêté le serment o’y obéir. Nous trouvons dans le décret du 15 mai la ruine des colonies ; nos pressentiments sur ces objets sont les plus certains, parce que notre intérêt est le plus grand. « Placés entre vos deux décrets des 8 mars, 12 octobre 1790, et celui du 15 mai dernier, qui leur est contraire, nous renouvelons le serment d’exécuter les deux premiers, et d’en maintenir l’exécution. «Nous vous sollicitons, Messieurs, de révoquer votre décret du 15 mai, parce qu’il porte atteinte à la subordination des esclaves, et met la sûreté de la colonie daus le danger le plus imminent; parce qu’il n’est qu’une conséquence des bases constitutionnelles décrétées pour le royaume, tandis que vous avez reconnu la nécessité d’une différence entre sa Constitution et celle des colonies; parce qu’il prononce sur l’état des personnes dans la colonie, tandis que nous avons [31 août 1791.] votre garantie que vous ne prononcerez jamais sur l’état des personnes dans la colonie, que sur la demande précise et formelle des assemblées coloniales, et parce qu’il est contraire à vos précédents décrets non révoqués. « A tous ces motifs, nous en joignons un très prochain : la première exécution de ce décret, si elle avait lieu, serait désastreuse pour la colonie ; tous les cœurs sont ulcérés, les agitations dont nous sommes témoins peuvent amener une explosion générale, affreuse dans ses effets; alors nous n’avons à envisager qu’une résistance désespérée et un vaste tombeau dans la colonie. « Que tous ces motifs fassent impression sur vous, Messieurs ; alors, en même temps que vous serez les législateurs de l’Empire, vous serez les véritables pères de la patrie. « Grenier, président ; Petit-Deschampeaux, vice-président ; Bouyssou, Poulet, François de Chaumont, secrétaires. » Adresse de l’assemblée provinciale du nord de Saint-Domingue , au roi des Français. « Sire, « Vos enfants d’outre-mer, vos fidèles de Saint-Domingue, portent au pied du trône leurs justes réclamations, et déposent dans votre sein paternel leurs craintes et leurs alarmes. La province du nord de Saint-Domingue a jusqu’ici montré la soumission la plus respectueuse aux décrets concernant les colonies, émanés du Corps législatif et sanctionnés par Votre Majesté; et cette soumission lui a mérité les éloges les plus flatteurs de la nation. Elle comptait sur les promesses réitérées consignées dans les décrets des 8 , 28 mars et 12 octobre 1790, « de ne rien statuer « sur l’état des personne-, que sur la demande « précise et formelle des colonies » ; mais un nouveau décret du 15 mai, qui ne peut être que le fruit de la surprise, delà cabale et de l’intrigue, fait évanouir toutes nos espérances et nous plonge dans la plus grande consternation. Ce décret, absolument contradictoire avec ceux qui l’ont précédé, porte : « L’Assemblée nationale décrète qu’elle ne dé-« libérera jamais sur l’état des gens de couleur « qui ne sont pas nés de pères et de mères libres, « sans le vœu préalable libre et spontané des « colonies ; que les Assemblées nationales ac-« tuellement existantes subsisteront; mais que « les gens de couleur « nés de pères et mères li-« bres » seront admis dans les assemblées pa-« roissiales et coloniales futures, s’ils ont d’ail-« leurs les qualités requises. » « Nous nous abstiendrons de peindre à Votre Majesté la sensation terrible qu’a produite, dans cette ville, l’annonce de ce décret impolitique sous tous les rapports, et les malheurs incalculables qui seraient la suite de sa promulgation ; ils seraient tels, qu’ils entraîneraient bientôt l’anéantissement total de cette florissante colonie, « La prospérité de votre royaume, Sire, tient essentiellement à celle des colonies qui en font partie; et celles-ci ne peuvent fleurir qu’en maintenant la subordination la plus exacte dans les ateliers employés aux différents genres de culture. Cette subordination cessera d’exister du moment que la ligne de démarcation qui sépare les blancs des geus de couleur sera rompue, et que les uns et les autres marcheront d’un pas égal. 121 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.] « L’ordre établi dans les colonies, qu’on qualifie de préjugés, n’est point enfanté par l'orgueil, comme peuvent le penser ces prétendus philosophes, se disant les apôtres de l’humanité ; il est dicté par la nécessité, qui ne permet pas que les gens de couleur, procréés des esclaves, puissent jouir des mêmes droits que les blancs, et être confondus avec eux; si cet ordre indispensable est anéanti, Ja ruine entière des colonies suivra de près. « Voilà, Sire, ce que le Corps législatif avait bien pesé dans sa sagesse lors de vos décrets des 8,28 mars et 12 octobre 1790; il avait laissé aux colonies le droit de faire leurs demandes précises et formelles sur l’état des personnes, parce qu’il avait senti que les convenances locales ne pouvaient être bien appréciées que sur les lieux : l’infraction et la violation de ces principes de justice et d’équité, qui résultent du nouveau décret du 15 mai, deviennent la source des maux les plus affreux. « C’est en nous calomniant, que les philanthropes ont propagé leur doctrine ; ils nous représentent, à ceux qui ne connaissent pas les colonies, comme les bourreaux de nos esclaves et les tyrans des gens de couleur libres. L’humanité et notre intérêt nous portent à la conservation des premiers ; et les seconds sont, comme tous les citoyens blancs, sous la protection immédiate des lois, qui veillent à leur sûreté individuelle et à leurs propriétés. « Jetez, Sire, un regard de bonté sur vos colonies, vous les verrez peuplées de Français qui vous chérissent, et qui ont de grands droits à votre tendresse. Daignez accueillir favorablement leurs justes réclamations. S’il en est encore temps, prévenez les malheurs dont ils sont menaces, en refusant votre acceptation à un acte qui les occasionnerait indubitablement; et s’il en est revêtu, daignez interposer votre autorité pour en arrêter la promulgation. « Nous sommes avec un profond respect, Sire, de Votre Majesté, les très humbles et fidèles serviteurs. « Les membres de l'assemblée provinciale du nord de Saint-Domingue, « Grenier, président ; Petit-Descham-peaux, vice-président; Bouyssou, Poulet , François de Chaumont , secrétaires. » Adresse de l'assemblée provinciale du Nord de Saint-Domingue aux 83 départements du royaume. « Messieurs et chers compatriotes, « Nous avons l’honneur de vous remettre ci-joint un exemplaire de nos adresses à l’Assemblée nationale et au roi, de notre circulaire aux places maritimes du royaume, et de notre réponse au directoire du département de la Gironde. « 11 serait inutile sans doute, Messieurs, de vous répéter ici les expressions et le motif de ces différentes dépêches : ils y sont suffisamment développés. Il nous importe seulement et à vous mêmes, puisque notre prospérité est nécessairement liée à celle de l’Etat, de vous communiquer quelques observations qui nous doivent être également communes. « Le directoire du département dp la Gironde, en nous annonçant l’enrôlement et Je départ prochain de ses gardes nationales pour la colonie, sous le prétexte de venir protéger notre repos, et pour appuyer l’exécution du décret du 15 mai dernier, nous apprend d’une manière positive, qu’il les destine à nous combattre, puisqu’il n’existe pas un citoyen blanc dans la colonie, qui ne soit résolu à ne pas accepter une loi entièrement destructive de ses propriétés. « Il est, Messieurs, en droit politique, une vérité bien constante ; que toute loi dont l’exécution est précédée de la force, est nécessairement vicieuse, et funeste au pays pour lequel la législature l’a créé. « Il est une autre vérité non moins indestructible ; c’est que lorsqu’une métropole ne veut régir ses colonies que par le seul sentiment de sa puissance, les coeurs des colons s'aliènent bientôt, et la chute de l’E r pire suit de près. « La colonie de Saint-Domingue ne doute pas, que, si l’intention de la France est de lui en imposer par les armes, elle n’y parvienne tôt ou tard ; mais qu’en résultera-t-il ? une circulation annuelle de 200 millions de moins dans le royaume, la perte de son commerce et de ses manufactures, l’anéantissement de sa marine, des débris et des ruines, là où l’activité de la culture la plus florissante du globe vous fait tenir le premier rang dans la balance politique de l’Europe, et est le premier aliment de votre opulence. « Le langage ferme et vrai que nous vous tenons ici est le cri d’une vérité déchirante, sans doute ; mais enfin elle est telle. Quand les propriétés d’une section libre de l’Empire, qui en fait la splendeur et la force par ses richesses et sa fidélité, sont ébranlées jusque dans leurs fondements, les larmes de l’amertume et les sanglots du désespoir doivent nécessairement s’exhaler. « Eh! que devons-nous attendre de la patrie, Messieurs, si nous ne pouvons pas compter sur la foi nationale? Lisez les décrets des 8, 28 mars et 12 octobre 1790; lisez les rapports et les instructions qui les ont précédés ; lisez les lettres officielles des présidents de l’Assemblée nationale à la colonie ; comparez-les avec le décret du 15 mai dernier, et jugez-nous... « Depuis l’époque de la Révolution française, révolution à laquelle nous avons concouru, par la représentation de nos députés auprès du Corps législatif, et dont nous devons conséquemment recueillir les fruits avec vous, nous n’avon3 cessé de dire à nos frères du continent : « Laissez-nous « les maîtres de régir l’état des personnes dans « la colonie ; c’est une loi domestique, dont l e-« mission exclusive et spontanée intéresse essen-« tiellement notre culture et notre existence. « Que vous importe l’emploi et l’usage de privi-« lège nécessité par nos localités ? Notre intérêt < ici, n’est-il pas celui de la France entière? « Pouvons-nous en avoir d’autres ? Et comment « à 1,800 lieues de distance pouvez-vous juger du « mérite et de l’effet d’une inovation qui désor-« ganise tous les principes politiques d’une cons-« titution locale, sous l’empire de laquelle la « culture est parvenue à son dernier période « d’accroissement et de prospérité ? » « Cependant, Messieurs, cette vérité impérieuse, ostensible pour tous ceux qui connaissent les colonies, vos ennemis ei les nôtres viennent de l’anéantir. Le décret du 15 mai dernier n’a pas été librement émis. Une galerie orageuse, sans connaissance même élémentaire de uotre régime intérieur, coalisée pour notre perte commune, a réduit, égaré, subjugué le vœu jus-