[Assemblée nationale.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [If août 1Î90.J M. l’abbé d’Ejmar (l).La justice et la politique appuient fortement la résolution de nos frères d’Augsbourg. En plaidant leur cause, je ne puis pas paraître suspect. Je suis prêtre, représentant de la nation, et ce double caractère m’en fait une loi. Je distingue deux objets dans la réclamation des protestants d’Alsace : le premier est fondé sur le droit des gens et sur la foi des traités ; c’est la libre disposition de leurs biens ecclésiastiques. Le second est égalemen t fondé sur u ne loi positive, c’est l’alternat établi entre les protestants et les catholiques pour toutes les places. Le retour du calme dans l’Alsace dépend entièrement de cette disposition... Une parfaite tolérance peut seule étendre les conquêtes de la vraie religion, dont la voix ne se fait jamais mieux entendre et n’est jamais plus persuasive qu’au sein de la paix... Cette morale ne se trouve nulle part plus authentiquement consacrée que dans l’Evangile même... JNonseulement le culte public est assuré en Alsace, mais la jouissance des biens qui y sont attachés iui a été pleinement concédée. Sans cette disposition expresse, les Alsaciens ne se fussent jamais réunis à la France, et les catholiques et les pros-testants eurent un égal intérêt à exiger cette clause, pour maintenir la paix et la liberté dans leur pays. Cette clause fut observée, et l’Alsace fut libre et florissante. Les disciplesde la confession d’Augsbourg sont persuadés que ce qui est juste pour les uns est juste à l’égard des autres, et que dès lors ils doivent les uns et les autres veiller à ce que la ligne de démarcation, tracée par la prudenceet par la justice, ne reçoiveaucuue atteinte. Lorsque l’une des parties est blessée, toutes doivent donc élever la voix, et pour la garantie de leur culte particulier et des possessions qui y sont attachées. C’est par une étroite alliance qu’ils peuvent se la conserver. Quant à l’alternat, il a été jusqu’ici aussi favorable au bonheur de l’Alsace que l'union de ses habitants. La convenance et une saine politique en réclament l’exécution ;car si dans quelques villes les catholiques sont en plus grand nombre, dans d’autres ce sont les protestants. La fatale révocation de l’éditde Nantes, en déran-geantcette loi de l’alternat, a eu des suitesfunestes pour l’Alsace; et il est arrivé dans les dernières élections que les catholiques les ont toutes emportées dans les villes où ils étaient en plus grand nombre, comme ils n’en ont obtenu aucune dans celles où ils n’avaient pas cet avantage. On ne peut cependant que donner des éloges a la modération qu’ils ont montrée partout ; mais je ne puis cependant m’empècher de vous faire observer que partout où la majorité d’un culte dominera, la minorité d’un autre culte se verra à jamais exclue de toutesles places; que le découragement, je dirais presque l’avilissement qui suivra cette exclusion, forcera ceux qui en seront les objets à porter leur industrie et leurs richesses chez l’étranger, où ils espéreront plus de considéraiion. — Dans les endroits où l’on a consenti à l’alternat, tout s’est passé tranquillement : aux dernières élections, de violents troubles ont agité la ville où l’on s’y est refusé. Le Corps législatif ne com-templera pas froidement les effets de cette dangereuse rivalité; il se rappellera cette maxime confirmée par l’expérience : L’injustice à la fin produit l’indépendance. (1) Nous conservons ici la version mouvementée du Moniteur , mais nous annexons, en même temps, à la séance de ce jour, p. 128, le discours complet, prononcé par M. l’abbé d’Eymar, t . m M. l’abbé d’Eymar lit un projet de décret confi nant les dispositions qu’il vient de développer ; il demande ensuite que toutes les clauses de la réunion de l’Alsace soient exécutées à l’égard du culte publicet des possessions qui y sont attachées, et que toutes atteintes portées à ce traité soient regardées comme nulles. M. Rewbell. Vous avez entendu avee édification le préopinant, son zèle pour la cause des protestants surpasse celui du comité de Constitution lui-même; malheureusement le petit bout d’oreille a percé. ( Plusieurs membres du ' côté droit demandent que M. Rewbell soit rappelé à l’ordre.) M. l’abbé d’Eymar n’a plaidé dans te fait que la cause des anti-révolutionnaires d’Alsace ; il voudrait la soustraire à toutes vos lois constitutionnelles ; il voudrait que le régime féodal y subsistât dans toute sa vigueur. Il n’a insisté particulièrement sur l’alternat, que parce qu’il est contraire à la majorité des protestants : un seul député extraordinaire est venu le demander de la part de trois petites villes; encore serait-il bien embarrassé d’exhiber son mandat. Les municipalités sont presque entièrement composées de luthériens: ce serait la tache la plus honteuse pour les villes qui réclament, que d’obtenir un avantage au détriment de ia plus grande partie de leurs frères. Aussi, sans l’entremise de M. l’abbé d’Eymar, cette réclamation ne vous eût point été présentée. Soyez certains que l’alternat mettrait les Alsaciens en armes, et porterait le trouble dans cette province où l’on ne cherche qu’à le fomenter. (Un membre du côté droit reproche avec véhémence à M. Rewbell que cette observation est atroce.) M. l’abbé d’Eymar, en défendant la liberté du culte en Alsace et la propriété de tous les biens ecclésiastiques, décèle le but auquel il tend ; il fait mieux, il l’indique dans son projet de décret, en proposant une loi qui déclare comme nulles toutes les atteintes qui auraient été portées aux clauses de la réunion de l’Alsace. (La discussion est fermée.) (L’Assemblée décide que la priorité sera accordée à ia motion du comité.) M. deFolleville. Je propose, par amendement, que la capitulation de l’Alsace soit observée dans toutes les parties. M. l’abbé d’Fymar. Je demande que l’on ajoute : « conformément au traité. » (Les deux amendements sont écartés par la question préalable, et le décret dq comité est adopté.) M. Vieillard (de Coutances), au nom du comité des rapports, présente un projet de décret sur les maîtrises des eaux et forêts des départements du Calvados et de la Manche ; ce décret est adopté sans discussion ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, sur îa pétition des officiers des maîtrises des eaux et forêts des départements du Calvados et de la Manche ; « Déclare que la commission établie par l’arrêt du conseil du 13 août 1786, l’ayant été illégalement, les commissaires nommés n'ont pu recevoir, par cet arrêt, le pouvoir de juger que les actes qualifiés de jugements, sentences ou arrêts, qu’ils n’en ont pas le caractère, qu’ils ne sauraient obliger les parties condamnées, et qu’ils doivent être regardés comme non avenus; « N’entend, au surplus, l’Assemblée nationale (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (n août 1790.) m rien préjuger relativement aux malversations, délits ou dégradations qui peuvent avoir été commises dans l’administration des forêts et bois des départements dont il s’agit, pour raison desquels délits, la partie publique, ou autres parties intéressées, pourront se pourvoir devant les juges compétents. » M. de Barvllle, député d'Orléans , annonce que le dérangement de sa sauté l’oblige à donner sa démission, et qu’il a un suppléant dont les pouvoirs ont été vérifiés. L’Assemblée, sur le rapport de son comité de vérification, accepte cette démission, et admet M. de Gesargues, son suppléant, à la charge de prêter le serment ordonné. M. de Sillery, au nom du comité des recher - ches, fait lecture d’une lettre de la municipalité de Toulon, qui dénonce avec indignation une lettre pastorale envoyée par M. l’évêque de Toulon dans son diocèse. M. de Sillery lit ensuite une délibération de la commune de Toulon, qui, attendu la longue absence de cet évêque, son refus opiniâtre à prêter le serment civique, et ses intentions perverses, consignées dans sa lettre pastorale, déclare que ses revenus seront arrêtés. — M. de Sillery fait, de plus, leeture de la lettre pastorale de M. l’évêque de Toulon (Voyez ce document annexé à la séance de ce jour), propose un projet de décret conforme à la délibération de la commune de Toulon, et conclut à mander ce prélat à la barre. M. Duquesnoy propose un autre décret, dont la disposition est de renvoyer l’information de ce libelle par-devant les tribunaux ordinaires. M. Dufraisse. J’appuie la motion, mais je demande que l’information soit renvoyée au Châtelet. M. Gros, curé de Saint-Nicolas-du-Chardonnet de Paris . Qui mieux que moi est à portée de plaider la cause des persécutés, moi, qui, pour avoir signé la déclaration d’une partie de l’Assemblée, ai été en butte aux persécutions de plus d’un genre?... J’ai été si touché de la lecture de cette lettre pastorale, que je supplie l’Assemblée de me remettre parmi les signataires de cette déclaration, que j’ai eu la faiblesse de désavouer... Ne précipitez point votre jugement; je demande que cette affaire soit ajournée. Qui sait s'il ne se trouvera personne pour prendre la défense de M. l’évêque de Toulon ? M. Prieur. Qui osera prendre sa défense? (La majorité des membres du côté droit s’écrie : Moi ! moi !) (La priorité est accordée à la motion de M. Duquesnoy.) M. Dufraisse. Je demande que l’Evangile soit j oint à la lettre pastorale, pour servir de pièce de comparaison. M. Prieur. Je demande que le préopinant soit rappelé à l’ordre, pour avoir profané la majesté de l’Evangile. L’Assemblée, consultée, décrète la motion de M. Duquesnoy en ces termes : « L’Assemblée nationale, considérant que le premier devoir des ministres de la religion est d’éclairer les peuples sur l’obéissance qu’ils doivent aux lois; que ceux qui cherchent à les égarer, sous le prétexte de la religion, doivent être sévèrement réprimés, après avoir entendu le rapport de son comité des recherches, et la lecture de la lettre prétendue pastorale, attribuée à M. l’évêque de Toulon, a décrété que ladite lettre serait renvoyée aux juges ordinaires de Toulon, pour informer contre les auteurs, et suivre la procédure jusqu’à jugement définitif inclusivement; et attendu que M. l’évêque de Toulon est absent du royaume, le traitement attaché à l’exercice de ses fonctions demeurera séquestré, conformément au décret du 4 janvier dernier. » M. le Président annonce qu’il a reçu de M. Lambert, contrôleur général des finances, une lettre qui se rapporte à la perception de l'impôt du tabac. (Voyez cette lettre annexée à la séance de ce jour.) Cette lettre est renvoyée au comité des finances. La séance est levée à 10 heures du soir, PREMIÈRE ANNEXE A LÀ SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 17 AOUT 1790. Opinion de M. l’abbé d’Eymar, sur l'adresse des protestants d’Alsace. — Avertissement. Un seul membre de l’Assemblée est monté à la tribune après moi, lorsque j’ai prononcé l’opinion que je rends publique aujourd’hui : ce membre est le sieur Rewbell, député de la haute Alsace et chargé par conséquent comme moi des intérêts de cette province; j’ai cru les soutenir et les défendre en demandant, comme je l’ai fait, l’exécution et le maintien des traités qui servem de base à la constitution particulière de l’Alsace et sur lesquels reposent l’exeicice et la possession sollicitée par nos frères de la confession d’Augsbourg : ces considérations, comme on va le voir, et mon sentiment personnel m’ont dicté et les raisonnements que j’ai présentés et les conclusions que j’ai prises. M. Rewbell n’a pas craint, étant du même avis que moi sur le fond du premier article, de me prêter cependant des intentions perverses et d’exprimer avec autant de grossièreté que d’indécence, au milieu de l’Assemblée la plus auguste, des soupçons auxquels il n’est dû d’autre réponse par l’homme de bonne foi que l’indignation et le mépris. Relativement au second article de mes conclusions sur la parité et l’alternative dans les emplois civiis, M. Rewbell est d’une opinion différente de la mienne, et pour combattre la pétition de MM. les Luthériens des villes mixtes à ce sujet, ainsi que les motifs sur lesquels je l’ai moi-même appuyée, il m’a nié d’abord que MM. les députés extraordinaires des villes mixtes fussent munis des pouvoirs nécessaires pour solliciter cette loi : il a dit en termes formels que celui de Colmar serait fort embarrassé de produire le cahier qui les renferme. Il semble, après une telle assertion que M. Rewbell était fondé au moins à avoir des doutes sur l’existence de ces pouvoirs. Eh bien ! non seulement le sieur Rew-beil connaissait la délibération prise à Colmar par la commune de MM. les Luthériens de la con-