SÉANCE DU 26 FRUCTIDOR AN II (12 SEPTEMBRE 1794) - N08 22-23 105 Représentais Comment se fait-il que les ennemis étemels du peuple et de la révolution, s’arrogent insolemment le bienfait et la gloire du dernier triomphe de la République sur ses oppresseurs. Représentons connoissez la cause des justes alarmes de la patrie, ou de deuil de la liberté. Saine et vigoureuse comme elle fut dans tous les tems, la voix de la Montagne, dans votre séance du 23 thermidor, avoit proclamé au milieu de vous un décret salutaire : vous aviez chargé votre comité de Sûreté générale, de faire imprimer un tableau qui renfermeroit, à côté du nom des détenus qui auroient obtenu leur élargissement, celui des réclamans qui auroient plaidé leur cause au tribunal des lois et de l’humanité. Cette mesure étoit sage, elle assuroit infailliblement le moyen de concilier sans danger pour la patrie, la justice révolutionnaire, avec les règles de la justice naturelle. La République entière alloit élever vers vous une acclamation de gratitude et de re-connoissance, et ajouter une page glorieuse à l’histoire de vos travaux. Mais tout à coup vous révoquez vous mêmes votre propre ouvrage; vous rapportez une mesure que vous avoit dicté l’intérêt de la patrie : et le cri d’allégresse de la liberté, se change en un morne silence, à l’instant même où elle applaudissoit de pouvoir sourire sans effroi à la voix de l’humanité, réclamant au tribunal suprême de la justice, une infinité de victimes dévouées aux complots sanglans du triumvirat Représentans du peuple français, hâtez-vous de rapporter votre décret du 26 thermidor, par lequel vous aviez déjà rapporté celui du 23 : le salut de la révolution le commande; la foi de vos sermens vous le prescrit, puisque l’intérêt de la patrie l’exige, et nous vous rappelions cette obligation sacrée, parce que nous avons juré sur l’autel de la liberté, d’être ses organes fidèles auprès du peuple, de vous et de l’univers entier. Loin de nous, l’affreux projet de fermer les portes du temple de la justice, et de réjouir les mânes féroces du chef des triumvirs, par des sacrifices odieux à l’humanité, et proscrits par les décrets de la justice sociale. Les cœurs républicains sont à la fois sensibles et généreux, ils doivent tout à l’innocence injustement poursuivie, ils ne cherchent jamais leur vengeance parce qu’ils n’en ont pas le besoin, mais celle des lois et de la patrie, parce que le bonheur de tous en dépend. Représentans, n’oubliez jamais, que fournir au crime l’espoir de l’impunité, c’est assassiner l’innocence, et que substituer une fausse clémence à l’étemelle justice, c’est couvrir la liberté d’un voile funèbre. Nous vous répétons le vœu que nous venons de vous manifester, c’est vous fournir une occasion de bien mériter de la patrie; et c’est ce que vous avez déjà fait pour elle, nous est garant de ce qui vous reste à faire encore. Suivent les signatures. 22 La société populaire de la commune de Bletterans, département du Jura, exprime à la Convention nationale son indignation contre les derniers conspirateurs, et sur-tout contre l’infâme Dumas, qui pendant son séjour dans ce département, a porté le trouble dans les familles et la douleur dans l’ame de ses concitoyens, témoins de ses forfaits. Cette société demande le rapport du décret qui fut lancé contre le département du Jura, dans le temps de son insurrection, qu’elle dit avoir été l’ouvrage de six représentans perfides. Alors s’écrie-t-elle, combien ne sera pas beau pour les citoyens de ce département le jour où ils pourront se répéter à l'envie : Enfin la Convention toujours juste vient de nous réintégrer dans la masse des républicains français; ressérons-en les liens par nos vertus, et travaillons de concert à les rendre à jamais indissolubles. Elle termine son adresse en félicitant la Convention nationale du courage qu’elle a déployé dans la nuit du 9 au 10 thermidor. Insertion au bulletin et renvoi au comité de Salut public (32). 23 Les administrateurs du département de police font passer l’état des détenus dans les maisons de justice, d'arrêt et de détention du département de Paris, à l’époque du 25 du présent mois; le total s’élève à 5 234 (33). [Etat des détenus certifié conforme aux feuilles journalières remises par les concierges des maisons d’arrêt du département de Paris, le 25 fructidor an If] (34) Maison de justice du Département 554 Petite-Force 243 Pélagie 142 Magdelonnettes 131 Abbaye 41 Bicêtre 788 La Salpêtrière 425 Chambre d’arrêt, à la Mairie 35 Luxembourg 403 Maison de suspicion, rue de la Bourbe 356 Picpus, faubourg Antoine 87 Les Carmes, rue de Vaugirard 186 Les Angloises, rue Victor 131 Les Angloises, rue de l’Oursine 103 (32) P.-V., XLV, 217. (33) P.-V., XLV, 217-218. (34) C 319, pl. 1307, p. 21. 106 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Les Angloises, faubourg Antoine 64 Ecossois, rue des fossés Victor 83 Lazare, faubourg Lazare 273 Belhomme, rue Charonne, n° 70 20 Bénédictins Anglois, rue de l’Observatoire 83 Maison du Plessis 369 Maison de répression, rue Victor 48 Maison de Coignard, à Picpus 33 Montprin 47 Fermes - Casernes des Petits Pères 123 Caserne, rue de Sève 119 Caserne des Carmes, rue de Vaugirard 75 Vincennes 272 Total général 5 234 24 La société populaire réépurée de Castres, département du Tarn, se plaint de ce que l’aristocratie et le fanatisme relèvent une tête audacieuse dans les villes et les campagnes de ce département; elle invite la Convention nationale à maintenir dans toute sa force le gouvernement révolutionnaire. Mention honorable, insertion de l’adresse au bulletin (35). [Copie de l’adresse envoyée par la société populaire régénérée et réépuréé de Castres à la Convention nationale le 16 fructidor an II] (36) Représentans, Nous avons applaudi avec transport à la punition éclatante du Catilina moderne et de ses infâmes suppôts; l’énergie que vous avez déployée dans les journées des 9 et 10 thermidor, étoit pour nous le présage assuré de la destruction totale des ennemis de la patrie, lorsque tout-à-coup nous avons vu l’aristocratie renaître de ses cendres, les modérés, les api-toyeurs, les partisans, les solliciteurs en titre des gens suspects lever une tête insolente et proclamer hautement l’amnistie des traîtres à la patrie. De toutes parts nous apprenons les progrès alarmans du modérantisme ; de toutes parts la trompette aristocratique publie avec emphase la marche rétrograde de l’esprit public. Ces hommes constamment énergiques qui ont tout sacrifié à la cause de la liberté; qui, dès l’aurore de la révolution, ont bravé les poignards du royalisme et de la superstition : qui même, par leur fermeté à faire exécuter les (35) P.-V, XLV, 218. (36) J. Mont. n° 136; J. Univ., n° 1757. Mentionné J. Per-let, n° 720. lois révolutionnaires contre les ennemis du peuple, ont préservé ceux-ci des dangers d’une nouvelle crise : hé bien ! ces patriotes prononcés sont aujourd’hui signalés sous les plus noires couleurs; et les implacables ennemis de l’égalité, tous ceux qui ont voulu, qui veulent encore rétablir la guerre civile, perpétuer les déchiremens intérieurs, travaillent avec autant d’impudeur que de scélératesse à briser les liens qui unissent au peuple ses plus ar-dens amis... Des émissaires se répandent dans les campagnes, ils tentent d’avilir la représentation nationale en dénaturant le sens de ses décrets, ils osent même annoncer les suppressions solennelles des décades et le rétablissement des idoles de la superstition sur les débris du temple de la Raison. Dans nos murs même on ne craint pas de persuader au peuple que les patriotes vont bientôt remplacer dans les maisons de réclusions, les ci-devant nobles, parens d’émigrés et toute la horde des conspirateurs. Nous avons vu des détenus rompre tout à coup leurs arrêts, se déclarer libres par l’effet de leur seule volonté qu’ils disoient effrontément être celle de la Convention nationale; se promener insolemment par les rues; se transporter devant la porte d’une maison de réclusion; faire un rappel aux réélus et les enhardir à prendre les mêmes moyens pour recouvrer leur liberté. D’autres, moins téméraires mais non moins audacieux, font imprimer et répandre avec profusion des écrits virulens et calomnieux, dans lesquels l’énergie du patriotisme est toujours assimilée aux attentats des triumvirs justiciés. Représentans vous avez entendu naguère les accens de notre reconnoissance; écoutez aujourd’hui ceux du patriotisme alarmé : comme nos frères de Marseille nous venons vous dire des vérités indispensables et vous demander des mesures que le salut de la chose publique commande. Maintenez dans toute sa force l’activité, l’énergie du gouvernement révolutionnaire; qu’il soit la terreur des ambitieux, des oppresseurs, des hommes corrompus, des continuateurs de Robespierre, qu’il rende à la liberté, l’innocence persécutée et les tristes victimes d’une erreur involontaire, mais qu’il comprime, qu’il terrasse tous les restes impurs de l’aristocratie et du modérantisme! que la proscription soit lancée sans pitié contre les ennemis du peuple, que la justice à exercer sur eux soit constamment à l’ordre du jour, et que celui qui s’ap-pitoiera sur leur sort, soit regardé comme leur complice!... Le tems est passé de combattre avec ménagement; le peuple français est engagé dans un combat à mort contre les tyrans; il faut donc que les tyrans expirent, de même que tous les sectateurs de la tyrannie. Montagne, te découvrir l’abyme que l’aristocratie tente encore d’entr’ouvrir sous tes pas c’est être assuré que tu le refermeras sous les siens. Collationné conforme à l’original. Suivent les signatures.