[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 juillet 1791.] 247 succombé aux intrigues? Et cependant aucun de ces peup'es ne s’est trouvé ni dans ces circonstances aussi heureuses, ni avec les ressources immenses que les Français ont entre les mains. Ce serait faiblesse, ce serait lâcheté, ce serait déshonorer notre caractère que de nous en laisser imposer un instant par les puissances étrangères, que de paraître les redouter. ( Nouveaux murmures. — Interruption .) Mais voici maintenant des considérations d’un autre genre, et très opposées à celles que nous venons de parcourir. N’y a-t-il pas le plus grand danger à conserver le roi sans aucun jugement? N’est-ce pas un découragement scandaleux? N’est-ce pas s’exposer à une conspiration perpétuelle contre la Constitution et la liberté publique? N’est-ce pas faire triompher les ennemis de la Constitution, et leur donner un point d’appui? N’est-ce point enhardir les ennemis du dehors à nous attaquer? N’est-ce pas enfin donner lieu à des ligues secrètes entre eux et un chef conspirateur, qui se manifesteront ensuite quand il ne serait plus temps d’en arrêter les effets? Un nouveau motif, non moins puissant, c’est qu’on se demande quelle confiance le chef du pouvoir exécutif peut maintenant inspirer ! Si un peuple esclave peut être gouverné par la crainte et la terreur, un peuple libre ne se gouverne que par la raison et la confiance. Comment les ordres qu’il donnera seront-ils obéis? Quelle sera son influence et son action? Ne trouvera-t-il pas à chaque pas des oppositions que la défiance fera naître? De; uis longtemps, on nous dit de donner la force au pouvoir exécutif, de le mettre en état d’agir, et ce sont aujourd’hui les mêmes personnes qui veulent un chef qui a perdu la confiance! Quelle était la manière simple dont cette grave affaire nationale s’est présentée à tous les esprits, avant que les factions, les cabales, les intrigues aient travaillé à dénaturer l’opinion? On disait : il existe un délit dont les suites pouvaient être affreuses ; ou celui qui l’a commis est uu homme dissimulé et pervers, ou c’est un homme faible et égaré, ou bien l’on peut regarder qu’il a abdiqué la couronne : tous ces cas IVxposaient à un jugement, et jamais personne n’a cru qu’il ne serait pas jugé, quelle que fût d’ailleurs la décision. Non, Messieurs, vous ne direz pas à la nation : voici le chef qui a juré la Constitution; nous le plaçons à la tête de la Constitution : voici le chef qui par la force a voulu la détruire ; nous remettons entre ses mains la force publique... Vous n’offenserez pas à ce point votre propre dignité et i’opinion publique. Je demande donc que le roi soit mis en jugement, soit devant l’Assemblée nationale, soit devant une Convention ad hoc. ( Applaudissements à V extrême gauche et dans les tribunes.) (La suite de la discussion est renvoyée à la séance de demain.) M. le Président lève la séance à trois heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU MERCREDI 13 JUILLET 1791. Opinion de M. de Ferrières, député de Saumur à l’Assemblée nationale , sur la situation présente du roi et du royaume (1). Messieurs, le départ du roi, son arrestation, les différentes manières dont on envisage cette démarche dans ses motifs et dans ses effets, présentent plusieurs questions à résoudre. Le départ du roi est-il un délit? Change-t-il les rapports essentiels qu’a ia royauté avec la nouvelle Constitution? Autorise-t-il la suspension. déjà trop prolongée du pouvoir exécutif dans la personne de Louis XVI? Quelles sont les mesures à prendre? Sur ces différents objets, l’opinion publique erre vaguement et varie chaque jour; le choc des intérêts, des systèmes, l’art avec lequel ou complique ces questions simples en elles-mêmes, avec lequel on les lie à des espérances prochaines, à des craintes éloignées, tout concourt à entretenir dans les esprits une fermentation dangereuse, et qui peut avoir les suites les plus funestes. Il est donc nécessaire de fixer l’opinion; les ennemis du bien public profitent de cette ana;- chie des idées; ils sèment leurs systèmes pervers ; ils s’efforcent d’égarer le peuple, ils intriguent, ils cabalent; et déjà, dans leur coupab'e espoir, ils touchent au moment qui va réaliser leurs ambitieux projets. C’est donc moins pour éclairer l’Assemblée que pour répondre aux ennemis personnels du roi et de la monarchie, que je publie mon opinion. Le départ du roi est-il un délit? Pour résoudre cette question, j’examinerai les motifs qui cmt pu engager le roi à sortir de Paris ; je poserai des principes, j’établirai des faits, je les appliquerai aux circonstances dans lesquelles le roi s’est trouvé. Lorsque Louis XVI (2), au mois de décembre 1789, convoqua les états généraux, il existait en France un gouvernement. Ce gouvernement était monarchique; il existait donc dts rapports entre le monarque et la nation ; par conséquent, des droits respectifs. Quels étaient les droits de la nation? Ceux qu’elle a réclamés dans ses cahiers. Quels étaient les droits du monarque? Ceux que la nation a solennellement reconnus dans ces mêmes cahiers : c’est donc pour réintégrer la nation dans ses droits, et pour circonscrire le monarque dans les siens, que vo :s avez été envoyés. J’ouvre le résumé des cahiers lu par M. de Clermont-Tonnerre à l’Assemblée nationale ie 29 juillet 1789. J’y trouve sous le nom de principes avoués, les articles suivants : (1) La faiblesse naturelle de ma voix, encore aug-! montée par le mauvais état de ma santé, ne me per-j mettant pas de prononcer moi-même mon opinion à la i tribune de l’Assemblée nationale, j’ai pris le parti de | la faire imprimer. I (2) En posant les principes que je pose, je ne pré-j tends point contester personnellement à l’Assemblée 1 nationale ses pouvoirs; mais les raisonnements que je j fais peuvent avoir été suggérés au roi, et ils ont dû î produire la plus forte impression sur son esprit,