[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1789.] dont les émoluments sont une charge très-oné-reuse. 2° Il concentre dans un seul point tout le débit du sel, au lieu qu’en en laissant le commerce libre, il fera le sort de six mille familles. 3° Enfin le commerce exclusif autorise mille fraudes dans la qualité de la marchandise, au lieu que s’il est libre, le consommateur pouvant aller ou bon lui semble, l’intérêt du marchand est d’être fidèle. Qu’oppose-t-on à ce projet? 1° La crainte de V accaparement? Réponse. Mais remarquez que la consommation de tous les sels du royaume étant de près de 4 millions de quintaux (1), et les sels ne pouvant sortir des marais salants qu’en payant le droit de 20 livres par quintal, un accaparement total exigerait plus de 80 millions de fonds, et dès lors serait impossible. 2° On peut faire du sel tout le long des côtes de la mer ; on pourra en charger dans les marais salants mêmes, sous prétexte de commerce extérieur , et le conduire par mer à une autre ville ; or, ces versements de contrebande diminueront d’autant V impôt. Réponse. Ceux qui connaissent la manière dont se fait le sel, savent bien que tous les lieux n’y sont pas propres ; il faut d’ailleurs un emplacement convenable ; il faut fabriquer beaucoup à cause de la modicité du prix de cette denrée ; un tel établissement sera donc bientôt connu, et dès lors sujet à la garde; quant aux fabrications furtives, si jamais il y en a, elles se réduiront à des quantités si petites, qu’on ne doit pas même s’y arrêter, outre que les fabricants y renonceraient bientôt faute d’un bénéfice suffisant. A l’égard des chargements sous prétexte d’un commerce extérieur et versement dans un port étranger, j’observe que les barrières existeront aux frontières du royaume, et que les gardes, destinés pour empêcher l’entrée en contrebande de toutes marchandises étrangères, peuvent également servir pour le sel, sans qu’il en coûte un sou de plus. 3° Les salines, dit-on, n’appartiennent pas toutes au Roi. Réponse. Cela est indifférent. Les propriétaires vendront leur sel à qui bon leur semblera : mais l’enlèvement n’aura lieu qu’en payant les droits. 4° A 25 livres le quintal, il serait encore trop cher pour l’usage des bestiaux, pour la salaison des fromages, etc., etc. Réponse. Voyez le Rouergue; le sel y vaut 33 livres 10 sous, et cependant on y sale des fromages; et cependant les bestiaux en mangent autant qu’il est nécessaire (2). 5° Le droit sur l’extraction des sels deviendrait une surcharge pour les pays rédimés, ceux de Quart-Bouillon, et surtout les provinces franches. Réponse. Voilà la seule objection plausible, et voici ma réponse : Diminuez leurs impositions directes jusqu’à concurrence de cette surcharge: elles seront hors d’intérêt. Pour couvrir dans les revenus publics le vide de cette diminution, j’observe : 1° qu’au (1) Au commencement de ce plan, j’ai porté la consommation à 5 millions de quintaux parce que j’y parle des provinces franches où la modicité du prix du sel en élève la consommation à 20 livres par tète ; ici je la porte à 4 millions, parce que le droit imposé en diminue la consommation. Voilà la raison de la différence, (2) Je liens ce fait d’un député de Rodez. 9 lieu de 56 millions qui est le produit actuel, le nouveau régime offre un résultat de 75 millions, c’est-à-dire 19 millions en sus; 2° que si cela ne suffit pas, on peut rejeter l’excédant sur les provinces de grande et petite gabelle, chacune dans la proportion convenable. Elles y gagneront encore beaucoup. 6° On insiste et on dit : jamais les provinces franches ne voudraient s’y assujettir. Réponse. L’intérêt est la mesure des actions, et le leur est à couvert. Tous les privilèges sont_ supprimés, et nul n’a droit d’en réclamer. Enfin l’intérêt général est d’établir l’uniformité du régime, et une répartition égale des charges ; ainsi ce refus serait affaire d’humeur plus que de raison. Mais supposons qu’il existe, et qu’il n’y ait pas moyen de le vaincre. En ce cas, faites délivrer à ces provinces au seul prix de la marchandise la quantité de sel nécessaire à leur consommation calculée sur le pied de 20 livres par tête ; pour le coup elles ne diront rien. Observez maintenant que ces provinces n’offrent qu’une population de 4,700,000 âmes ; que le reste du royaume assujetti au droit contient 20 millions d’habitants; et qu’à raison de 15 livret de sel que chacun consommerait au moins, vous trouverez encore plus de 60 millions, c’est-à-dire, tout le produit actuel, et de quoi payer les légers frais du nouveau régime. Opposera-t-on que ces calculs sur la population et sur la consommation sont hypothétiques? Ma réponse est que j’ai puisé dans les meilleures sources, et qu’en portant la consommation à 15 livres par tête, je l’ai mise au-dessous de la vraisemblance: car, non-seulement les hommes, mais encore les bestiaux consommeront du sel quand il sera à un prix modique. Mais quand il existerait quelques erreurs, elles seraient si peu importantes que le Trésor royal serait toujours certainement à couvert. Maintenant, si vous considérez que dans ce plan les revenus de l’Etat sont conservés; que le sel, cette denrée si nécessaire, serait à un prix modique ; que tous les frais et l’oppression du système actuel disparaîtront; que vingt mille citoyens seront rendus aux professions utiles; que six mille familles subsisteraient du produit de ce commerce intérieur; qu’on ne doit craindre ni accaparement, ni contrebande; que la pêche et le commerce extérieur du sel seront protégés; que l’agriculture même y gagnera puisque les bestiaux seront mieux soignés ; qu’en fin il en résulterait dans tout le royaume un régime uniforme, il semble que ce projet est le seul qui réunisse des avantages réels à une exécution facile et peu coûteuse. M. Jouye-des-Roches, député du Maine (1). Messieurs, au nombre des provinces de cet empire, qui gémissent depuis tant de siècles sous le régime oppresseur et fatal de la gabelle, celle du Maine peut réclamer le premier rang. Cette triste priorité ne lui est que trop acquise par la longue suite des malheurs dont ce fléau désastreux l’a frappée : c’est à ce titre, Messieurs, qu’elle en poursuivra devant vous l’entière destruction avec un zèle infatigable; c’est au nom de l’humanité, de la morale et de la patrie, qu’elle vous pressera (1) Le discours de M. Jouye-des-Roches n’a pas été inséré au Moniteur. fl 6 septembre 1789*] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. d’arracher pour jamais de sou seiu ce vautour impitoyable et fiscal qui l’a trop longtemps dévorée. Souffrez qu’un de ses représentants s’acquitte près de vous du devoir le plus sacré que ses concitoyens lui aient imposé; souffrez qu’il vous présente, avec quelque détail, le vœu le plus ardent qu’ait formé sa province; et permettez qu’il vous fasse connaître avec quelle énergie elle l’a prononcé* Voici les expressions de l’article 9 du titre 17 de son cahier: « A l’impôt personnel et au marc la livre,, par forme de capitation saline, pourrait être joint l’impôt de remplacement de la gabelle. « A ce nom s’élève un cri général. Ce régime désastreux est jugé, mais il reste enfin à l’anéantir pour jamais. Les maux de tous les genres dont il a couvert la partie du Maine, voisine de la Bretagne, les avantages naturels qu’il enlève à toute la province, appellent sa. proscription ; il est urgent qu’elle soit effectuée; nulle Loi,, nul frein ne peuvent arrêter le brigandage, les. rapines des employés et des contrebandiers i religion, moralité, tout est détruit. Au milieu d’une armée composée du rebut de la société..... à sa suite, plus qu’à celle d’une horde de sauvages, on voit la dévastation des campagnes, la violation de l’asile des citoyens, les vols, les emprisonnements, les meurtres; hommes et bestiaux, tout devient victime de cette affreuse invention : avec l’abolition totale et du nom. et de la loi, les hommes recouvreront une denrée de première nécessité, les bestiaux un remède salutaire, les terres un engrais abondant; le Roi, image, snr la terre, de la Divinité, rendra enfin aux hommes l’agent le plus puissant delà nature, qu’elle lui a prodigué pour son bien, et non pour son malheur. » D’après un tel mandat, Messieurs, mon opinion ne peut être douteuse sur la question qui vous est proposée, et je n’aurai point à me reprocher d’avoir négligé de travailler à la destruction de cet impôt funeste à la tranquillité publique. Je ne me bornerai point à en solliciter la proscription: j’oserai porter plus loin mes réflexions; et en vous proposant d’en éteindre jusqu’au souvenir, faurai l’honneur de vous soumettre les moyens qui m’ont paru les plus simples, les plus certains et les plus prompts pour en opérer lie remplacement. J’entre en matière. Il n’est point d’impôt plus contraire à la liberté-, à l’humanité, à la politique, à l’intérêt général',. que celui des gabelles. A la liberté, puisqu’il autorise des inquisitions domiciliaires, qui ruinent annuellement près de 4,000 citoyens de la classe la plus indigente. Ces infortunés, séduits par l’appât du bas prix, achètent du sel de contrebande, et sont punis par des confiscations et des amendes rigoureuses. A l'humanité., puisqu’il entretient, au sein de la paix la plus profonde, une guerre vive et cruelle, qui conduit annuellement dans les prisons environ 3„50Q citoyens de tout sexe et de tout âge. Une partie de-ces malheureux périt par la, détention, une autre est expatriée par le fouet et le bannissement, le dixième est communément envoyé aux galères, quelques-uns enfin périssent par la main du bourreau, et un grand nombre par la violence et les meurtres dont les commis se rendent coupables. A la politique, puisque la milice-stipendiée, répandue sur la surface des pays de gabelle pour les perquisitions domiciliaires," sur les frontières locales des provinces franches, de celles assujetties, même sur les limites des provinces de gabelle, où le sel est à différent prix, enlève une infinité de sujets â la culture, aux arts, à l’industrie, et coûte des frais énormes, qui nécessitent, dans la môme proportion, la surcharge des impôts. A l'intérêt général , puisque le haut prix du sel restreint les consommations, et conséquemment le débouché des marais salants ; puisqu’il s’oppose à l’emploi de cette denrée précieuse pour les engrais, le nourrissage des bestiaux et principalement pour l’éducation des moutons qui, souvent, ne peuvent être autrement préservés des maladies dont ils sont attaqués ; puisqu’il ne permet, dans les pays de gabelle, aucunes salaisons de' chairs, beurres et fromages, à litre de spéculation, pour les armements, l’exportation et la destination des provinces où cet impôt n’est point connu {en Normandie, par exemple-, où. l'impôt du, sel est au plus-haut-prix, et où on engraisse bemimup de bestiaux, on ne peut y faire des salaisons pour les armements de la .pêche-et des colonies ; ainsi ce commerce est abandonné à l'étranger l'Irlande fournit toutes ces salaisons) ; puisqu’enlin il contrarie le débit de la pêche, qui doublerait peuL-être, sans l’existence de cet impôt. Ces maux, Messieurs, sont connus ; ils ont fixé. les sollicitudes du Roi lors de Rassemblée des notables en 1787. Tous les plans de conversion, de modification de la gabelle, ont été discutés avec soin, et de cette recherche il est résulté qu’ils ne présentaient que des palliatifs dangereux que cet impôt était irréformable. Sa suppression, dès ce moment, a été décidée; la gabelle a été jugée; mais la prudence a demandé que les moyens de remplacement fussent recherchés avec soin. Ce travail est achevé; c’est à votre sagesse, Messieurs, à peser si le plan de conversion est conforme aux principes de l’équité. Vous vous livrerez avec zèle à l’examen de ce plan: son rapport déterminera votre décret sur le sort de la gabelle, sur la suppression ou la modification de cet impôt. Ainsi, Messieurs, après avoir exposé sommairement les résultats propres à déterminer l’impôt de remplacement, je vous présenterai mes réflexions sur les effets du plan de modification/, qui réduirait le plus haut prix du sel à 6 sous la livre, sans l’augmenter au préjudice des provinces qui jouissent d’un plus bas prix. Si vous adoptez, Messieurs, le remplacement à® la gabelle par une prestation pécuniaire, la somme de ce remplacement doit être déterminée, non par la masse des perceptions, mais par le produit net de l’impôt pour le Trésor public. Ce produit, déduction faite de la valeur du sel en achats, frais de transport et bénéfices naturels de commerce, est de 56 millions de livres, et ce serait à cette somme qu’il conviendrait d’arbitrer le remplacement, si cet impôt ne devait subir une réduction légitime à. l’époque du premier janvier 1791. C’est à cette époque, Messieurs, que doit cesser Ja perception des 4 derniers sous pour livre, établis en 1771 et 1781: ils augmentent considérablement l’impôt des pays de gabelle, ils l’augmentent dans une proportion inégale, suivant la différence de l’impôt originaire; eu sorte que la grandeur du fardeau déjà supporté vaut une plus grande part aux contributions nouvelles. Cette considération ne permettrait pas la prorogation des 4 derniers sous pour-livre' sur ce genre �imposition, s’il continuait de subsister: l’équité ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 17894 Ü [Assemblée. natioaale.J s’opposerait à ce que les grandes gabelles, qui ne forment en population que le tiers du royaume,. c’est-à-dire environ 8 millions d’habitants, fussent grevées, par l’effet de cette prorogation, d’un accroissement d’impôt de 6,400,000 livres, tandis que les provinces franches ou rédimées de la gabelle, qui forment plus du tiers de la France en population, c’est-à-dire environ 10 millions d’individus, on la consommation excitée par le bas prix est double-de celle des pays d,e gabelle, ne supporteraient pas un accroissement de plus de 400,000 livres sur le produit des droits auxquels sont assujettis les sels destinés à leur consommation. Ainsi, Messieurs, en déterminant la conversion de la gabelle en prestations pécuniaires, vous penserez, sans doute, que le remplacement doit être proportionné, non pas au produit actuel de 56 millions de livres, mais au produit naturel de cet impôt, à la déduction des 4 derniers sous pour livre, dont la perception doit cesser au Ier janvier 1791. Ce principe: posé (et je crois, Messieurs, que personne n’en contestera la justice), je vous observe que, l’objet de ces 4 sous pour livre étant de 9,556,000 livres, l’impôt de remplacement sera réduit à 46,444,000 livres. Dès lors, en déterminant le remplacement à la somme de 56 millions de livres jusqu’à la suppression des 4 derniers sous pour livre, déduction faite la valeur en achats , transports et bénéfices naturels de commerce, vous affranchissez les pays de gabelle d’une perception effective de 69,615,000 livres. Conséquemment vous leur procurerez un soulagement actuel de 13,615,000 livres ; mais à l’époque du 1er janvier 1791, le remplacement étant réduit à 46,500,000 livres, les pays de gabelle trouveront, dans la conversion de l’impôt, une modération de 23,115,000 livres par comparaison aux perceptions actuelles, et de 14,240,000 livres sur la somme d’impôt qu’ils acquitteraient, à compter de cette époque, si la gabelle était maintenue. Ces réflexions, Messieurs, ne laissent aucun doute sur les avantages que les pays de gabelles retireront de la conversion de ces impôts en prestations pécuniaires ; mais avant de vous présenter les moyens d’ojrérer cette conversion, je dois examiner quels seraient les effets de la modification de l’impôt, en limitant le plus haut prix du sel à 6 sous la livre. Dans ce système, les perceptions de la ferme, en évaluant le profit d’une consommation plus étendue dans les ressorts des grandes gabelles, seraient inférieures au produit actuel de la. vente du sel de 25,098,000 livres. Ainsi la compensation de l’impôt, jusqu’à la cessation des 4 derniers sous pour livre, exigerait sur les impositions territoriales un accroissement de pareille somme ; et je dois observer que-cet accroissement, qui porterait presque entier sur les provinces de-, grande gabelle, serait d’autant plus pénible, que la modération du prix du sel à 30 livres le-quintal, laisserait subsister un prix trop élevé pour q.ue ces provinces pussent étendre leurs salaisons, délivrer du sel aux bestiaux et négliger l’économie dans l’emploi de cette denrée de première nécessité. 11: est vrai qu’en 1791, époque de la cessation des 4 derniers sous pour livre, la compensation de l’impôt modéré serait réduite à 16,600,000 livres; mais elle-exigerait un accroissement égal sur les-impositions foncières , e t cet accroissement , presque entier à la charge. des gabelles,, serait d’autant plus fatigant, qu’il : ne procurerait aucun avantage en faveur d’une. consommation plus étendue, et que les frais, de régie seraient, les mêmes que. dans L’état présent. En effet, Messieurs, en réduisant le plus haut prix du sel à 30 livres le quintal, vous supprimerez les barrières locales qui séparent, les grandes gabelles du Lyonnais , Forez et Beaujolais ,, et celles qui séparent le Velay, le Vivarais et le ; Dauphiné du Lyonnais, Forez, Bresse et Bugey ; mais vous ne pourriez anéantir les barrières qui séparent les grandes gabelles du Boulonnais, de l'Artois, du Gambrésis, du Réthelois, de la Franche-Comté, de l’Auvergne, de la Marche, du Poitou, de la Bretagne-et du pays de Quart-Bouillon., Il faudrait conserver les lignes de séparation. établies entre les provinces rédimées et les petites gabelles ; entre le Roussillon el le Languedoc, sur les frontières du ComtaL; sur celles de, la Provence et du Dauphiné, et dans la communication de la Lorraine et des Trois-Évê-chés (1). Alors, Messieurs , les frais de perception restant; les mêmes, les frais de garde ne pouvant être que très-peu diminués (et cette diminution ne. serait pas de 200,000 livres ), il serait nécessaire, pour conserver l’égalité des produits, d’imposer sur les pays de gabelle, et principalement sur les provinces de grande gabelle, une prestation pécuniaire de 25 millions jusqu’en 1791, et de 16,600,000 livres, à compter de 1791,. époque de la suppression des 4 sous pour livre, dont je vous ai démontré que la prorogation ne pourrait être ordonnée sans une injustice évidente. Ainsi, la réduction du plus haut prix du sel à 6 sous la livre ne devant contribuer que faiblement à l’accroissement des consommations,, par les motifs que je vous ai précédemment exposés, le bienfait de la modération serait presque nul ; il serait même illusoire, puisqu’il exigerait uni remplacement dans la proportion du moindre produit. Cette considération, Messieurs, est trop puis-sautej pour que vous puissiez balancer entre les deux partis qui vous sont proposés : le premier consiste dans la conversion de la gabelle en prestations pécuniaires de 56 millions de livres jusqu’en 1791, et de 46,500,000 livres, ’à compter de 1791, époque de la suppression des 4 derniers sous pour livre ; le second a pour objet le maintien de la gabelle, en modérant l’impôt au taux de 6 sous la. livre, en faveur des provinces où il est à plus haut prix ; mais sous la condition de prestations proportionnelles au moindre produit de cet impôt. Dans Le premier système, toutes les barrières locales de la gabelle tombent avec la suppression de l’impôt; les consommations doublent an profit de la culture et de la multiplication des bestiaux; les marais salants acquièrent un nouveau, débouché, proportionnel à cette consommation plus; étendue; le roulage profite d’une extension de voi-tureset transports; laguerre actuelle desfaux saul-niersetdes employés cesse, par un traité de paix éternelle; les inquisitions domestiques n'ont plus-(l) La carte qui fait partie des pièces justificatives de l'ouvrage de M. de Cormeré, intitulé, Recherches et considérations nouvelles sur les finances, indique toutes* les barrières locales de la fiscalité. 42 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1789.] de prétexte ; le Code pénal des gabelles rentre dans le néant ; les peuples cessent d'être foulés par des surcharges inutiles, exorbitantes, et pour me servir des expressions éclairées de l’auteur éclairé, dans l’ouvrage duquel j’ai puisé une grande partie des réflexions que j’ai l’honneur de vous présenter, je ne vois de perte que pour les fermiers, les galères et les geôliers ; vous conviendrez, Messieurs, que cette considération ne mérite pas de grands égards. Dans le second système, au contraire , la majeure partie des barrières locales est conservée ; les consommations ne prennent qu’une très-faible accroissance; les profits de la contrebande sont diminués; mais ils sont encore assez grands pour exciter la cupidité: la guerre intérieure subsiste dans toute sa force; les perquisitions domiciliaires sont maintenues , le Code pénal des gabelles, s'il est mitigé, doit toujours être rigoureux; rien ne tranquillise les peuples sur l’accroissement successif de l’impôt ; les frais de perception sont les mêmes; entin la nation reste soumise à une surcharge pour l’Etat, et qui n’autorise aucune réduction sur la masse générale des contributions. Votre choix, Messieurs, entre ces deux partis , ne me paraît pas douteux , et puisque le second système , je veux dire celui de la modération du sel à 6 sous la livre dans les provinces où le taux est plus élevé, ne dispenserait pas de la nécessité du remplacement, dans la proportion du moindre produit , je pense qu’il est préférable de pourvoir au remplacement total, en affranchissant à jamais la nation de l’impôt le plus accablant, le plus contraire à l’intérêt social, à la prospérité publique. Jedois ici vous observer, Messieurs, que, si la situation actuelle permet auministre de borner le produit net de l'impôt du sel à 30 millions, en conservant la gabelle, il serait juste et naturel de réduire le remplacement à cette même somme de 30 millions ; dès lors les pays de gabelle profiteraient d’une remise de 26 millions sur le remplacement qu’on pourrait exiger jusqu’en 1791, et de celle de 16,500,000 francs sur la prestation légitime, à compter de 1791. Une considération puissante doit, au surplus, Messieurs, vous faire accepter ce parti. L’insurrection générale a détruit les barrières fiscales sur la majeure partie des frontières de la gabelle ; le sel existant sur les marais salants et dans les provinces franches est introduit dans les pays de gabelle (1). La récolte de cette année y sera transportée certainement avant que l’ordre puisse être rétabli ; il est donc évident que, si vous rendiez un décret conservateur de la gabelle modifiée, le produit de cet impôt serait nul jusqu’à l’épuisement des approvisionnements qui sont et qui seront effectués, ou serait à peine suffisant pour compenser les frais de gare et de régie ; en sorte que des non-valeurs très-importantes forceraient de recourir à des ressources extraordinaires : ces ressources ne pourraient être opérées que par des emprunts, et vous ne pouvez, Messieurs, vous faire illusion sur la dureté des conditions que vous imposent les capitalistes : vous serez forcés de les souscrire jusqu’au moment où le crédit public, assuré sur des bases incontestables, sur un excé-(1) Les enlèvements de sel, en Bretagne, ont été si excessifs, que le prix de cette denrée est, dit-on, porté à un taux auquel il ne s’est jamais élevé. dant de recettes destiné pour l’amortissement , vous mettra dans le cas de vous rédimer des engagements les plus onéreux. Il n’est donc question, Messieurs, que de pourvoir à la répartition de l’impôt de remplacement : il est facile entre les pays de gabelle, les perceptions actuelles donnent une base de proportion. Les provinces, pour la division entre leurs districts, peuvent adopter une base qui soit exempte de l’arbitraire, dont le recouvrement soit à l’abri des non-valeurs. Je dois justifier cette assertion. L’impôt du sel est une véritable capitation, jusqu’à concurrence de la consommation de première nécessité. Les faits prouvent incontestablement que ce genre de consommation est collectivement supérieur à la proportion de 7 livres de sel par tête au-dessus de 8 ans, ou d’un minot pour quatorze personnes, proportion indiquée par l’ordonnance de 1680: ainsi la gabelle doit être considérée comme une capitation équivalente au prix de 7 livres de sel par tête au-dessus de 8 ans, à la déduction de la valeur intrinsèque en frais d’achat, de transport et bénéfices naturels du commerce. Les faits prouvent également que la consommation, au delà de celle de première nécessité, varie, suivant les facultés que, dans les pays riches, où l’aisance permet plus de salaisons, cet excédant est dans la proportion de 8 à 10 livres par tête au-dessus de 8 ans, tandis que dans les pays pauvres, où le défaut de facultés restreint la consommation à l’absolu nécessaire, ce même excédant n’est que dans la proportion de 2 à 3 livres par tête au-dessus de 8 ans ; conséquemment, cette seconde espèce de consommation est un véritable impôt sur le plus ou moins d’étendue des consommations déterminées par les facultés, et au delà de 7 livres de sel par tête, à quoi peut être évaluée la consommation de première nécessité. Ainsi, dans la répartition de la prestation qui remplacerait la gabelle, on rendrait une justice complète en réglant la somme de l’impôt, correspondante à la consommation d’absolue nécessité, clans la proportion de la population, et fixant le surplus au marc la livre des importations foncières et territoriales. Celte division, Messieurs, fondée sur les faits actuels, est aussi naturelle que facile. En adoptant ces bases, les Assemblées provinciales, celles de districts, et les municipalités, peuvent faire bénéficier les classes les plus indigentes de l’économie des frais de perception, objet de 8,636,000 livres, puisque la perception, dont le produit brut est de 64,636,000 livres, déduction faite de la valeur du sel en achats, transports et frais de vente, ne donne qu’un produit net de 56 millions de livres, et que, par conséquent, la conversion de la gabelle en prestations pécuniaires donnera une réduction de 8,636,000 livres, qui tourneront nécessairement au soulagement des pauvres : les citoyens aisés ne seront point surchargés et conséquemment les recouvrements seront à l’abri des retards et des non-valeurs. La bonté, la justice de cette répartition, sont au surplus démontrées dans un travail exécuté par les ordres de l’administration, intitulé : Recherches el considérations nouvelles sur les finances ; et comme cet ouvrage, Messieurs, comprend tous les plans de modification des autres impôts indirects, qu’il mérite toute confiance, puisqu’il s’appuie sur les pièces originales de la perception, et qu’il est dans le cas de donner les plus grandes [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 septembre 1789.] 43 lumières, je crois qu’il serait très-utile, je dirai même indispensable, que l’Assemblée en fît distribuer un exemplaire à chacun de ses membres. Pourquoi attendre les inconvénients qu’il y aurait à n’admettre, même provisoirement, que des palliatifs qui laisseraient subsister réellement tous les maux de la gabelle, dont les ressources seraient incertaines pour les produits, et qui ne garantiraient aucunement de la crainte de voir successivement augmenter cet impôt? Or, vu la nécessité d’assurer l’impôt de remplacement, je demande : 1° Que l’Assemblée se livre, sans aucun délai, à l’examen du plan de la conversion de la gabelle et des droits sur le sel en prestations pécuniaires; 2° Que cette conversion ait lieu à compter du 1er octobre prochain ; 3° Que les prestations pécuniaires qui remplaceront la gabelle soient lixées, pour les trois derniers mois de cette année, et pour l’année 1790, à la somme de 56 millions de livres par année, et à compter de 1791, à celle de 46,500,000 livres (l) ou, s’il y a lieu, à la somme de 33 millions de livres, d’après la proposition du ministre des finances, concernant la modération de l’impôt au plus haut prix du sel, à 6 sous la livre, dans les provinces où il est plus élevé, puisque si cette proposition était admise, le produit de la gabelle serait réduit à la somme de 30 millions de livres; 4° Que ces prestations soient réparties entre les provinces sujettes à la gabelle, proportionnellement à la somme d’impôt que chacune paye dans l’état présent, eu égard à la valeur du sel qu’elle consomme; 5° Que la somme des prestations qui seront à la charge de chaque province, soit divisée en deux parties, l’une des deux tiers de l’impôt, représentative de la consommation de première nécessité, évaluée à 7 livres de sel par tête, l’autre du tiers de l’impôt, à titre de compensation de l’excédant de consommation, au delà de celle de première nécessité ; 6» Que la première prestation soit divisée entre les districts et paroisses des pays de gabelle proportionnellement à leur population, et répartie par les communautés sur tous les chefs de famille assez équitablement pour que le citoyen riche ou aisé ne supporte pas l’impôt dans une proportion supérieure à sa contribution actuelle, pour que le pauvre bénéficie de la modération de l’impôt ; 7° Que la seconde prestation soit répartie par addition sur les impositions territoriales de toute nature, au marc la livre de ces impositions ; 8° Que les droits de brouage, de convoi, traite de Charente, 25 sous par rasière, et autres perçus sur les sels enlevés des marais salants pour la consommation des provinces franches et rédi-mées des gabelles, soient également supprimés, à compter du 1er octobre prochain, et convertis dans un impôt de remplacement de 3 millions, lequel sera supporté par chacune desdites provinces, proportionnellement à leur contribution au produit des droits qui seront compensés par cet impôt de remplacement; (l) Indépendamment de ces prestations, le pays de Quart-Bouillon devra personnellement une seconde prestation d’environ 4 à 500,000 livres, applicable à l’indemnité des propriétaires des saulneries de basse Normandie. 9° Que pour éviter les effets de tout monopole sur le commerce du sel, il soit établi, dans les principaux lieux des provinces de gabelle des magasins de sel où le prix sera fixé par les assemblées provinciales, suivant les frais d’achat et de transport, qui seront convenus avec les entrepreneurs des voitures de sel, et avec addition de 25 sous par quintal au profit des magasiniers, pour les indemniser de l’intérêt de leurs avances, loyer de leurs magasins, frais de vente et bénéfices, avec clause expresse que lesdits magasiniers ne jouiront néanmoins d’aucun commerce exclusif ; 10° Que pour subvenir au remboursement, tant de la finance des juridictions de gabelle, dont l’objet n’est pas de 10 millions, qu’à celui des cautionnements des receveurs de gabelle, il soit procédé, sans délai, à la vente et adjudication des bâtiments appartenant au Roi, et des ustensiles servant à l’exploitation de la ferme des gabelles, et que le prix en soit versé dans la caisse que vous désignerez à cet effet; 11° Qu’une commission de douze membres choisis, soit dans l’Assemblée, soit par égal nombre dans le comité des finances et dans celui d’agriculture et de commerce, s’occupe, de ces opérations et de l’examen des moyens les plus prompts et les moins coûteux de pourvoir, s’il y a lieu, à l’indemnité des employés supérieurs des gabelles, autres que les receveurs, qui seront dédommagés de la perte de leurs emplois par la tenue des magasins publics ; et que, pour accélérer ces opérations, le comité se fasse fournir tous les renseignements qui lui seront nécessaires par M. de Gormeré, chargé de l’exécution de ce travail depuis nombre d’années, et principalement par l’Assemblée des Notables en 1787 ; 12° Enfin, que cette commission s’occupe en même temps du décret portant conversion de la gabelle et de tous droits sur le sel en prestations pécuniaires, d’après les bases ci-dessus déterminées ou celles qui lui paraîtraient préférables, afin que le projet qui sera rédigé puisse être discuté, et déterminer la prompte exécution de votre décret. Je demande en outre que l’Assemblée décrète la distribution à chacun de ses membres d’un exemplaire de l’ouvrage intitulé, Recherches et considérations nouvelles sur les finances. Je terminerai, Messieurs, ces réflexions, en vous priant de considérer que le mal est instant; qu’il est impossible de compter sur le produit de l’impôt à raison des approvisionnements excessifs introduits, et qui s’introduiront encore dans les pays de gabelle; et qu’enfin le seul moyen d’y remédier est de pourvoir à la conversion de cet impôt. MOYENS DE RÉPARTITION ENTRE LES CONTRIBUABLES dans la proportion de leurs facultés. La plus forte objection contre la conversion de la gabelle en prestations pécuniaires, se tire de la difficulté d’asseoir l’impôt de remplacement. On objecte, avec raison, que le pauvre et même l’indigent trouvent le moyen d’économiser, sur leurs faibles gains, l’argent dont ils ont besoin pour acheter le sel, objet d’absolue nécessité; qu’ils payent 10, 12 et 15 livres par an pour leur contribution à l’impôt delà gabelle, ét qu’in utilement on se flatterait d’obtenir d’euxlamême somme de contri- [Assemblée -nationale.! ARCHIVES PARÏÆWENTAIRES. [16 septembre 1789.] bution, lorsqu'ils ne seront plus commandes par le besoin de se procurer le sel nécessaire à leur existence. Le recouvrement de la prestation sera donc sujet à des non-valeurs effrayantes, et qui nécessiteront dans la meme proportion la surcharge des contribuables qui auront fourni leur taxe. Cette objection est spécieuse, elle est la seule qui puisse être raisonnablement proposée; il ■convient d’y donner une solution : 1° La taille et accessoires, ainsi que les vingtièmes, doivent être réunis en une seule imposition qui portera sur toutes les propriétés, sans aucune exception et eu égard à leur valeur : or, la seconde prestation du tiers de l’impôt, étant additionnelle à l’imposition sur les propriétés, me sera point susceptible de non-valeurs, puisqu’elle ne concernera que le propriétaire, et ne portera pas sur les classes indigentes, et dénuées de propriété ; 2° La première prestation représentative de la consommation de première nécessité, devrait correspondre à la consommation d’nn minotpour quatorze personnes, ou de ? livres par tête, mais en affectant le tiers de l’impôt de remplacement sur le produit des propriétés, la première prestation des deux tiers de l’impôt ne représente qu’une consommation collective d’un minot pour vingt personnes, c’est-à-dire de 5 livres par tête. Au moyen de cette réduction des deux septièmes de l’impôtreprésentatiF de la consommation obligée, il est facile de soulager le pauvre, sans injustice pour le riche ou le citoyen aisé. Cette modération d’impôt en faveur du pauvre est fondée en principe d’équité : la suppression de la gabelle autorise la réduction actuelle d’un huitième sur lamasse des perceptions. La justice veut que cette réduction tourne en entier au soulagement du pauvre; il doit en effet participer au bienfait. Le défaut de facultés ne lui permettra pas une consommation beaucoup plus étendue, tandis que le propriétaire et le cultivateur doubleront la leur, en délivrant du sel aux bestiaux, en multipliant leurs salaisons ; 3° La consommation pour pot et salière, c’est-à-dire pour l’usage habituel et journalier, excède, collectivement, la proportion de 7 livres par tète ; le riche et le citoyen aisé consomment au moins 12 livres par tête; tandis que le pauvre, restreint au strict nécessaire, ne consomme peut-être pas au delà de 4 livres. On rendra donc justice à tous les contribuables, en déterminant la capitation pour Tadhat de gabelles dans 'la proportion des consommations déterminées par les facultés. D’après ces bases, on peut diviser les contribuables en quatorze classes, qui seront imposées à la capitation pour rachat de gabelles, dans les proportions conformes au 'tableau ci-après. Nota. Ces proportions sont celles qui auront lieu dans les grandes gabelles ; il est évident qu’elles diminueront dans les autres provinces •de gabelles proportionnellement à la différence qui subsiste actuellement dans le prix du sel. • Au moyen de cette division, les six premières classes et la quatorzième ne payeront sur la capitation de gabelles, qu’une imposition proportionnelle à leur consommation pour pot et salière ; mais les sept dernières classes profiteront de la remise entière de l’impôt, et seront taxées trop modérément pour que l’on puisse craindre des non-valeurs effectives. Au surplus, le travail exécuté par M. de Cor-meré, sur douze greniers de la généralité de Paris, pris dans différents genres de culture, prouve incontestablement que ces bases de proportion sont suffisantes pour assurer le recouvrement de la première prestation ou capitation degabelles f 1) . Au moyen de ces répartitions, il est sensible que l’objection des non-valeurs dans le recouvrement est de beaucoup atténuée, si elle n’est pas totalement anéantie. .OBSERVATIONS IMPORTANTES. PREMIÈRE OBSERVATION. En admettant la possibilité d’assurer le remplacement de l’impôt de la gabelle par les deux 'prestations indiquées, il faut nécessairement donner le temps nécessaire pour la confection ; 1<> du (1) "Voyez le second "volume des Ilecherches