[Assemblée nationale;} ARCHIVES PAftLÈMENTÀIRES. [lS juillet 1790.] @1 ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. C.-F. DE BONNAY. Séance du jeudi i5 juillet 1790, au soir (1). Là séance est ouverte à six heures et demie du soir. M. Diijponi (de Nemours ), secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du mardi 13 juillet ati soir*. La rédaction en est adoptée. M. Robespierre, secrétaire , se dispose à donner lëctlire des adresses; M. Delley-d’Agier. Je réclame l’exécutioti du décret par lequel vous avez décidé que, dans cette séance, vous ne vous occuperiez due du commerce de l’Inde. M. Ràul Nairac, député de Bordeaux, remet à MM. les trésoriers des dons patriotiques quatre lettre� de change sur Paris, montant à la somme de 2,899 liv. 10 sols, qui ont été envoyées par la municipalité de Bordeaux pour l’acquittement d’un don patriotique fait par le régiment de la garde nationale de Saint-Remi. M. le Président. L’Assemblée passe à son ordre dü jour qui est la suite de la discussion sur là liberté du commerce de l'Inde. M. Malortet (2). Messieurs, trois séances consacrées à la discussion 4e la question que vous allez décider, en ont presque épuisé les détails ; et je me serais abstenu de Vous soumettre mon opinion, si elle ne différait de toutes celles qui vous ont été proposées. On vous a dit tout ce qui pouvait justifier et combattre l’avis de votre comité, sur la détermination exclusive du port de Lorient pour les retours de l’Inde. Les graîids principes du commerce, ses vrais intérêts, vousontété développés contraditoirement aux intérêts des armateurs ; et c’est un armateur, un négociant distingué, qui a rendu cet hommage à l’intérêt général. Cependant, Messieurs, eh adoptant les principes de M. Bégouen, je combattrai quelques-unes de ses observations. Convaincu comme lui de la nécessité de restreindre dans l’intérieur du royaume la consommation des marchandises de l’mde, celle d’en favoriser la réexportation ne m’est pas moins démontrée. Avant d’arriver au dernier terme de mon opinion, j’abrégerai peut-être la discussion, en résumant succinctement les raisons qui vous ont été présentées pour et contre l’établissement d’un seul entrepôt. Celui du retour libre dans tous les ports a été principalement appuyé sur les principes de la liberté indéfinie qu’on fait résulter de votre premier décret. Ainsi, les principes généraux nous égarent quelquefois dans l’application qu’on en fait, et leurs conséquences les plus naturelles en (1) Cette séance est incomplète au Moniteur ; (t) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Maîouet. apparence peuvent nous conduire à dés résultats dangereux, parce qu’il ri’y a qu’un petit nombre de vérités absolues et immuables, parce que la multitude de faits, d’incidents, de circonstances, qui composent les relations de la société, de la politique et du commerce, commandent la modification des principes. Ainsi, l’homme doit être libre, c’est le vœu de la nature ; mais la loi vient ensuite déterminer l’usage de sa liberté, et la souveraineté des droits naturels fléchit sous le joug des lois. La liberté du commerce ne peut donc s’étendre d’une manière absolue, non seulement pour le commerce de l’Inde, mais même pour aucun autre; et lorsqu’on vous cite la grande et sage maxime: Laissez faire , laissez passer , comme la base de la prospérité commerciale, il faut l’entendre de tout ce qui augmente le travail, l’activité et l’industrie nationales, et elle se concilie alors avec l’autre maxime, non moins raisonnable : Empêchez, fermez la porte à tout ce qui peut diminuer la subsistance et le salaire de vos ouvriers nationaux, en diminuant leur travail ; car dix millions de Français n’ont pas d’autres ressources, et une journée perdue pour eux coûte 10 millions à l’Etat. Quelque séduisantes que puissent être les théories contraires à celle-là, gardons-nous de les adopter, tantqueles contributions publiquesenlèveront aux citoyens plus d’une portion de leur superflu; la nécessité d’une forte imposition dans les grands Etats de l’Europe a créé celle des lois prohibitives, et c’est de la sagesse de leurs combinaisons que dépendent les moyens de payer l’impôt, et les succès de l’industrie nationale. Qu’avez-vous donc enlendu, Messieurs, en établissant la liberté du commerce de l’Inde? Vous avez dit: « Il existe un genre de trafic préjudiciable à nos manufactures, mais que nous ne pouvons entièrement proscrire; ce commerce procure des bénéfices de revente, de frêt et de commission à ceux qui s’y livrent. Une compagnie en a le monopole ; détruisons le monopole, et que tous les armateurs puissent participer à ces profits. » Voilà l’esprit de votre décret. — Mais vous avez dû vous réserver toutes les dispositions nécessaires pour limiter la consomation des marchandises de l'Inde, qui sont en concurrence avec celles de vos fabriques. Ici l’on affecte de confondre les intérêts du fisc avec ceux dont iis représentent la garde, les intérêts des manufactures ; et l’on vous dit, avec une sorte de reproche : « Pourriez-vous bien sacrifier à la crainte de perdre une portion misérable de la recette du fisc, les avantages incalculables d’une libre industrie, qui forment seuls le Trésor national ? » J’ai répondu à cette objection, et je ne la reproduis sous une nouvelle forme que pour montrer qu’elle n’aurait pas même besoin de réponse. Mais il n’est pas inutile de vous rappeler qu’une des plus savantes opérations de Colbert, celle qui contribua le plus à la restauration du commerce, fut son tarif des droits de traite, et que, sous cette apparence fiscale qu’après lui l’avidité et l’ignorance du gouvernement ont quelquefois réalisée, on y retrouve des précautions importantes en faveur de toutes nos fabriques, et même pour la sauté publique, dans la combinaison des droits sur l’entrée des drogues médicinales. On vous a dit aussi, Messieurs, en revenant sur votre premier décret, et en le mettant en contradiction avec celui que vous propose le comité : 92 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.] Fallait-il donc remplacer un monopole par un autre? Vous avez détruit celui de la compagnie, et vous voulez le transporter au port de Lorient, tant il est facile d’abuser des mots, et même des principes. Supposons, Messieurs, qu’une compagnie de commerce eût eu le privilège de l’approvisionnement de Paris, vous auriez sûrement détruit cet odieux monopole, mais non pas les barrières; et les marchands forains, libres de nous porter ici leurs marchandises, ne pourraient cependant les. faire entrer que par les bureaux établis pour en percevoir les droits. Telle est, en dernier résultat, la question des retours de l'Inde. Vous devez incontestablement en fixer les bureaux d’entrée, les multiplier le moins possible, et choisir ceux qui sont les plus favorables aux précautions dont vous avez reconnu la nécessité. On vous a dit, enfin, et cette objection a paru faire quelque sensation : Pourquoi obliger les navires de l’Inde à ne désarmer que dans un seul port? Ne recevez-vous pas dans tous vos ports des navires de toutes les nations, qui portent des marchandises sujettes aux droits , même des marchandises de l’Inde ? et cette dernière a été justement contestée. Mais on aurait pu ajouter : Nous recevons dans tous nos ports les navires étrangers, parce qu’ils n’y viennent pas seulement pour vendre, mais aussi pour acheter; et que s’ils nous portent les productions de leur pays, ils se chargent aussi des nôtres. Il n’y a pas plus de justesse dans la comparaison qu’on a voulu faire des denrées des colonies qui arrivent librement dans tous les ports, aux marchandises de l’Inde ; comme si nos terres produisaient aussi le sucre, le café, l’indigo ; tandis que nos manufactures produisent des toiles peintes, des étoffes de soie, des toiles de coton, des porcelaines. C’est relativement au commerce des colonies, si fructueux pour le royaume, que la fraude du droit n’est qu’un vol fait au fisc. Mais la contrebande des marchandises de l’Inde est un double délit, dont le moindre est envers le fisc, et le plus grave envers le fabricant, envers nos ouvriers qu’elle réduit à la charité publique. Messieurs, on ne peut trop vous le dire, toute contrebande, et même tout commerce qui, dans la position où nous sommes, attaque le travail et la subsistance des pauvres, est un crime public, et je pense qu’au moment où nous réunissons dans cette enceinte les députés de toutes les parties du royaume, ils appuient par leurs vœux la cause que je plaide, qui est celle de l’industrie et des besoins au pauvre, contre les spéculations ou les fantaisies des riches. Je dis plus, Messieurs, peut-être touchons-nous au moment où un grand exemple de patriotisme deviendra nécessaire, où le sentiment seul, plus puissant que la loi, doit nous créer des ressources qu’il serait dangereux de prescrire en ordonnant à tous les citoyens de n’employer à leur usage que les étoffes de fabrique nationale. Je ne compterai pas au nombre des raisons décisives, pour limiter la liberté des retours, ce qu’on vous a dit en faveur de Lorient, qu’il était utile aux vendeurs et aux acheteurs d’avoir un rendez-vous commun, indiqué dans un seul entrepôt. Outre que cette considération a été employée dans un sens inverse pour appuyer le système contraire, je suis bien convaincu qu'il n’appartient point aux législateurs de se mêler des convenances particulières du vendeur ou de l’acheteur; mais il appartient à la loi de prononcer ce qui est plus utile à la chose publique ; et c’est sous ce rapport qu’il est sage d’ordonner des ventes publiques des marchandises de l’Inde à époque fixe, parce qu’il n’existe pas d’autre moyen d’en faire percevoir exactement les droits, et que de cette exactitude dépend le salut de nos manufactures. Mais aux considérations qui nous ont été présentées en faveur de Lorient, on pouvait en ajouter deux d’une haute importance. Ce n’est pas seulement le port le plus sûr, le plus facile à garder dans l’Océan, comme entrepôt des marchandises de l’Inde et le plus commodément distribué pour les recevoir ; c’est aussi le seul port, la seule ville située sur les côtes de l’Océan, dont les habitants, les ouvriers, les propriétaires n’ont d’autre industrie que celle relative au commerce de l’Inde; et tandis que nos autres ports ont une existence indépendante de ce trafic, etqu’ils ne perdent rien de leur activité ordinaire en n’y prenant aucune part, Lorient perdrait tout en cessant d’en être l’entrepôt. Si le devoir spécial du gouvernement est de conserver à chaque individu, à chaque partie de l’Empire, une mesure proportionnelle de moyens et de ressources, de balancer les forces et la protection qui les conserve, de fixer enfin une partie des profits d’un commerce, désavantageux dans ses rapports, là ou ils peuvent être le plus utile; et si vous faites attention que Lorient est devenu un arsenal de marine, un de nos chantiers principaux, que le service de la Hotte y fixe nécessairement beaucoup d’ouvriers qu’on ne peut occuper au service public dans tous les temps de l’année, vous concevrez que, si le commerce de l’Inde cessait de leur fournir un aliment, ils retomberaient à la charge du Trésor public, comme dans les autres arsenaux où il est indispensable d’entretenir, pendant une partie de l’année, un quart et un tiers d’ouvriers de plus qu’il ne serait nécessaire aux travaux ordonnés. Cette première considération se présente donc en faveur de Lorient, sous les rapports de la justice et de l’économie. Il en est une seconde plus relative à la politique et aux intérêts commerciaux. Ceux qui ont quelque connaissance des affaires de l’Inde, de la situation de la compagnie anglaise et de ses employés, savent que letrausport en Europe de leurs capitaux est ce qui les occupe le plus, et que, pour les soustraire à l’inspection de commettants, ainsi qu’à la perception des droits, et aussi par la difficulté d’obtenir du frêt sur les vaisseaux de la compagnie, ils préfèrent les nôtres. Mais ce qui détermine cette préférence est la certitude et la faculté de faire surveiller ieurs intérêts dans un entrepôt fixe où ils ont des corres pondants habituels. Ce genre de négociation est d’un grand avantage pour nos armateurs, en ce qu’il facilite leurs achats, complète leurs chargements et leur assure même du crédit dans les comptoirs anglais ; mais toutes ces combinaisons cessent du moment où les désarmements pourraient avoir lieu indifféremment dans tous les . ports, parce que les habitudes et la sûreté des correspondants ne seraient plus les mêmes. Je pense, Messieurs, avoir établi la nécessité d’un entrepôt fixe et invariable sur les côtes de l’Océan, pour l’importation des marchandises de l’Inde. Mais est-il juste, est-il indispensable d’en établir un autre sur les côtes de la Méditerranée, et après avoir insisté sur le danger d’ouvrir un libre accès dans le royaume aux marchandises de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.] 93 l’Inde, les partisans d’un entrepôt exclusif ne seraient-ils pas fondés à m’opposer mes propres observations ? Je ne le crois pas, car nous sommes parfaitement d’accord sur les principes ; je les adopte tous, et comme celui de favoriser la réexportation à l’étranger ne m’est point contesté, il ne s’agit que de rétablir les faits et de les constater pour démontrer l’utilité évidente d’un entrepôt pour la Méditerranée. M. Begouen est, de tous les préopinants, celui qui a le plus positivement assuré que les armateurs de Marseille qui s’étaient livrés au commerce de l’Inde, sous des pavillons étrangers, ne produisaient aucune trace de spéculations et d’expéditions pour l’Italie et pour le Levant; que leurs cargaisons avaient passé presque en entier en Ostende, et M. Begouen a raison ; mais je vais détruire tout à l’heure les inductions qu’il en tire. Il ajoute que les Turcs ne consomment que des mousselines communes que les Anglais leur fournissent; qu’ainsi, les spéculations à faire par-nos armateurs, sur les réexportations dans le Levant, ne méritent aucune considération; et qu’en dernière analyse, les marchandises de l’Inde importées par là Méditerranée comme par l’Océan, sont, dans la presque totalité, consommées dans le royaume. Sur le premier point, M. Begouen se trompe dans les conséquences qu’il en tire, et, sur le second, il y a erreur dans les faits; car de grandes connaissances et les vues les plus pures ne mettent pas à l’abri d’une erreur. Revenons au principe convenu de la nécessité d’encourager la réexportation des marchandises de l’Inde, et de rendre ainsi profitable à l’Etat un commerce qui, sans cette condition, ne peut être que préjudiciable. Je dis que le seul débouché extérieur que nous puissions nous approprier, est par la Méditerranée, dans le Levant et en Italie ; car les compagnies anglaises, hollandaises et danoises suffisent à l’approvisionnement du nord, et nous ne pourrions y trouver place. L’Espagne et le Portugal ont un commerce direct dans l’Inde; ainsi, les seuls marchés où nous pouvons pénétrer se trouvent nécessairement circonscrits dans l’Italie et le Levant. Nous en avons été exclus jusqu’à présent ; pourquoi cela? parce que nous n’avions qu’un seul entrepôt, et qu’il était à. Lorient, parce que la compagnie de Trieste et les armateurs d’Ostende ont profité de nos fautes; parce que l’expédition d’une cargaison de l’Inde ne peut se faire à la fois pour un seul port, un seul marché d’Italie, mais se distribue nécessairement dans plusieurs; ainsi donc, nos navires expédiés de Marseille pour l’Italie, pour les échelles du Levant, n’ayant jamais pu prendre, dans le port de leur armement, une partie de chargement en marchandises de l’Inde, auraient consommé au delà des bénéfices de cette spéculation, par les frais d’une relâche à Livourne ou à Nice, ou par les assurances et le fret à payer aux caboteurs italiens, qui les leur auraient portées. Cette espèce de fourniture a donc été abandonnée forcément aux Anglais, aux Danois, aux Hollandais, ou à la compagnie de Trieste. Mais aussitôt que les armateurs provençaux pourront faire entrer des marchandises de l’Inde dans l’assortiment de leurs cargaisons pour J’Italie et le Levant, ils auront, sur les étrangers, l’avantage de la proximité, celui d’une navigation directe, et ils auront enfin cet objet d’échange de plus à offrir aux bâtiments italiens qui trafiquent dans leurs ports. Quant aux consommations que font les Turcs des marchandises du Levant, il s’en faut bien qu’elles se bornent aux mousselines communes, les mousselines fines, les mazulipatan, les cir-caca, les nankins, les toiles de coton, les étoffes de soie, les épiceries, le salpêtre, les perles, les porcelaines peuvent être importés avec succès dans le Levant comme en Italie, et l’on est loin de calculer l’extension dont serait susceptible le commerce, soit par les caravanes, si nous avions une navigation protégée du golfe Persique à Suez ; car la régence d’Egypte peut facilement assurer le transport de Suez au grand Caire. Un dernier motif de fixer sur les côtes de la Méditerranée une partie de nos relations dans l’Inde, a été développé par M. de Mirabeau ; c’est l’avantage d’y ouvrir un nouveau débouché à nos manufactures de drap de Languedoc; et comme il serait déraisonnable de forcer au retour de la Méditerranée, les bâtiments armés pour l’Inde dans l’Océan, il serait tout aussi injuste et dispendieux d’obliger ceux de la Méditerranée à aller désarmer dans un port de l’Océan. Ainsi, l’intérêt général qui limite la liberté des retours, détermine deux entrepôts, et je dirais avec M. de Mirabeau, que les temps indiquent Marseille , si l’on n’avait insisté aussi fortement sur l’inconvénient des ports francs pour le commerce. La seule observation qui m’ait frappé, c’est la facilité de faire entrer dans le royaume, comme marchandises du Levant, celles de l’Inde, et d’éluder ainsi l’augmentation des droits imposés sur celles-ci, qui est de 30 0/0. Je m’arrête alors aux mêmes considérations qui m’ont décidé en faveur de Lorient. Je cherche quel est le port, depuis Vendres jusqu’à Antibes, qui se trouve en état de recevoir les plus gros vaisseaux, et le plus facilement isolé de toutes les ruses de la contrebande. Quel est celui où il est le plus intéressant de fixer et d’entretenir un grand nombre d’ouvriers pour le service public, de manière à ce qu’ils ne lui soient pas à charge quand ils ne lui sont pas nécessaires : Toulon, Messieurs, remplit seul toutes ces conditions. Ses fortifications sont un obstacle de plus que dans tous les autres ports aux entreprises de contrebande. La beauté et la sûreté de sa rade, les postes qui la défendent, les chantiers qui la terminent, semblent avoir placé le plus magnifique asile des navigateurs à côté de toutes les ressources qui leur sont nécessaires, et la multitude d’ouvriers que l’Etat entretient, mais qu’il ne peut toujours occuper utilement, attend un accroissement d’aisance de l’activité du commerce, que d’autres avantages concentrent à Marseille. D’après ces considérations, je conclus que les retours et désarmements des bâtiments expédiés pour l’Inde, ne pourront avoir lieu qu’à Lorient et à Toulon. Plusieurs membres : Aux voix! Aux voix! M. de Mirabeau ainé. Puisque le bienheureux cri aux voix se fait déjà entendre, je dois demander la parole pour relever des faits d’une telle inexactitude, que je suis tombé dans un grand étonnement, en entendant, à une des précédentes séances, un grand négociant les exposer. M. Dupré, député de Carcassonne. Dans les diverses questions relatives au commerce, vous avez écouté favorablement le vœu des manufactures du royaume : celles du Languedoc, importantes par la nature de leur fabrication, particulièrement consacrées au commerce extérieur et ai [Assemblée pa,tipR9,lQ,] ARCHIVES PAHLB1HENTAII\LS [!§ juillet 1790,] à la consommation de l’Inde et du Levant, m’ont chargé do solliciter de l’Assemblée nationale la liberté du retour de l’Inde dans les ports de la Méditerrannée, et leur demande doit contrebalancer avec avantage les réclamations partielles et isolées de quelques marchands, accapareurs de toiles des Indes, qui sollicitent un dépôt unique. G’est au nom de soixante manufactures et de cent mille ouvriers que je prends la parole pour appuyer les considérations importantes qui vous ont été présentées par MM. de Mirabeau, Sinetty et d’André, et je vous répéterai qu’en prononçant, en faveur du port de Lorient, l’entrepôt exclusif des marchandises des Indes, vous consacreriez de nouveau, et contre vos principes, un privilège exclusif de ce commerce en faveur d’une compagnie ou de quelques individus; c’est là que vous amène le projet très inconstitutionnel de votre comité, qui, au lieu de vous offrir une loi provisoire en faveur de la liberté, vous la demande en faveur d’une exclusion, La liberté que vous avez pu l’ip tention d accorder à ce commerce important' serait illusoire pour les ports méridionaux, puisque vous rompriez l’équilibre des intérêts respectifs des armateurs, puisque les avantages de la localité et de l’exclusion favoriseraient sans cesse un nombre de négociants, au préjudice de ceux qui, à une trop grande distance de l’entrepôt unique, seraient constamment contrariés, découragés; qui, froissés entre la multiplication des frais et des inconvénients, ne pouvant plus lutter avec succès contre des concurrents favorisés de tous les avantages locaux, renonceraient nécessairement à un commerce que vous avez eu cependant l’intention et la volonté de rendre libre, et auquel vous avez voulu que tous les Français pussent participer sans obstacle comme sans préférence. Le comité d’agriculture et de commerce vous a présenté, comme une considération très importante, la faculté des assortiments des marchandises de l’Inde, cumulées dans un seul port. Cette considération, je la combats par une autre bien plus intéressante au comuqerce, Quels sont les consommateurs des marchandises des Indes? Les plus intéressants à la postérité du commerce sont sans (Joute les fabricants imprimeurs, les négociants chargés d’achats pour l’Italie, l’Espagne, la Suisse et le Levant, et les consommateurs détaillants qui offrent les mousselines des Indes aux besoins dp luxe intérieur, Tous les divers consommateurs oucommissionnaires n’achètent qu’aufur et à mesure des demandes qui leur sont faîtes, ou au moment de leur consommation. Faudra-t-il que de tous les points du royaume ils aillent se pour* voir à Lorient, à grands frais, dévorer leur commission ou leur bénéfice, à chaque instant qu’ils recevront des ordres de l’étranger, ou qu’ils seront nécessités à renouveler leur assortiment? Non, ils serqpt forcés de ge pourvoir chez les puissants spéculateurs, chez les ambitieux accapareurs qui achètent en masse des cargaisons entières ; eL c’est là que je vois se reproduire cette fatale aristocratie des rjcnes négociants qui, attirant à eux tous les avantages du commerce, ne laissent à l’industrie générale des négociants ou marchands du royaume les moins opulents, que les épis épars dans un champ que les plus riches ont déjà moissonné. Alors le pacotilleur, le commissionnaire achetant de la seconde main, à un prix plus élevé, ne pourront plus soutenir dans les marchés étrangers la concurrence de nos voisins. Et c’est un des plus grandg reproches faits à |a compagnie des Indes, qne e£clu,siye des marchandises et des prix, elle a entraîné la chute de notre commerce en tpiles peintes, parce que le surhaussement; des prix a éloigné les consommateurs étrangers. Ce grand inconvénient disparaîtra lorsque plusieurs ports du royaume offriront aux spéculateurs, aux commissionnaires, aux fabricants imprimeurs plusieurs entrepôts. Ne craignez-vous pas que ce commerce, devenu exclusif pour les armateurs de Lorient, par les avantages de leur entrepôt, ne fasse revivre, sous le règne de la liberté, une compagnie exclusive, qui, abusant, comme celle que vous ayez détruite, du privilège de l’entrepôt, fasse du commerce de l’Inde un commerce interlope et frauduleux, eu n’offraptà votre consommation que des toiles et mousselines achetées dans les ports d’Angleterre? Qet inconvénient, vous n’avez pas à le craindre, lorsque vous mettrez deux ou trois entrepôts en concurrence. Une considération bien plus importante se présente en faveur de notre agriculture et de nos manufactures, et c’est celle qui, en rendant intéressant Je commerce de l’Inde par les ports de la Méditerranée, leur doit mériter tous les encouragements et surtout celui des entrepôts. Lorsque la compagnie des Indes, dans les six années de son existence, a fait son commerce avec des piastres qu des écus de France, et n’a exporté que 700 pièces de draperies sous pavillon neutre, les négociants de la Méditerranée ont expédié 13,000 pièces achetées dans les fabriques du Languedoc, indépendamment dep huiles, savons, eaux-de-vie, vins et coraux qui ont formé le tiers de la valeur de leur cargaison. Le négociant de la Méditerranée, au centre de toutes les productions territoriales ou manufacturières qu’il fait arriver dans son bord sans frais de transport, leur donnera toujours la préférence à en faire la base de se§ cargaisons, lorsque l’armateur de Lorient, trop éloigné des mêmes productions, suivra l’habitude routinière de la compagnie, et n’exportera que des piastres ou des écus, J’aJ entendu invoquer, en faveur de l’entrepôt unique,) l’intérêt du fisp, Indépendamment de ce que les grands intérêts d’une nation pommerçante ne doivent pas être gouvernés par des alarmes et des craintes frivqles sur la production de droits aussi minutieux, a-t-on démontré que la surveillance des préposés sera plus rigoureuse à Lorient que les autres ports du royaume? Navops-nous pas la preuve des infidélités commises dans les ports, surFeya-! iuation arbitraire des marchandises anglaises, dont le droit fixé par le traité, à 12 Q/Q, n'en produisait que 4 au Trésor royal? Ce ne sepa pas sous le règne de la liberté, soug l’heureuse influence de l’esprit public, que nous aurons à, craindre que les négociants de nos ports se livrent à la basse et sordide cupidité qui, dans les temps d’oppression, provoquai t. u ne criminelle contre-r bande. Des Français liés désormais à J4 chqgo publique par un même intérêt, l’hooorepont dq leurs vertus morales et politiques; et si voua avez encore à praindre et à prévenir la contrgr bande, arrêtez-la par Ja loi sacrée du serjnphj. Vous l’exigez du magistrat, du soldat, des off� ciers civils et militaires, de tqps ieg çitpyeng. pourquoi ne l’exigeriez-yous pas du négoptant? Pourquoi qe condamneriez-vous pas le négociant infidèle à l’humiliante privation du d*qit de citoyen actif? Tous les citoyens jurent fidélité à la loi; et quelle loi plus sacrée que celle de l’impôt, puisque c’egî §ur elle que féflpge ia prqr priété du la uatieu ? Je eoflclys à fie fl»§ les îe- [Assemblée nationale,) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 juillet 1790.) tours de l’Inde puissent être faits dans les ports de l’Océan et de la Méditerranée. M. Roussillon. Il est nécessaire de vous présenter une observation préliminaire. Le préopinant vous a annoncé qu’il parlait au nom de 60 manufactures. Ce sont des manufactures de drap; dès lors leurs réclamations sont de peu d’influence dans la question, puisque les marchandises fabriquées par elles n’entrent point en concurrence avec celles qui viennent de l’Inde. Quoique la discussion soit ouverte sur l’entier rapport qui vous a été présenté par le comité d’agriculture et de commerce, tous les honorables membres qui ont déjà parlé sur cette importante question, ayant fixé votre attention sur l’article 4, c’est sur ce même article que je me permets de vous présenter quelques réflexions. Quoique négociant, je vous déclare que je n’ai aucun intérêt particulier à ce que les retours de l’Inde se fassent plutôt dans tel port que dans tel autre. Ainsi, aucune impression étrangère ne peut me faire oublier l’intérêt général. Un des préopinants (M. de Mirabeau) vous a dit que le commerce de l’Inde ayant été déclaré libre pour tous les Français, restreindre les retours de l’Inde à un seul port, ce serait révoquer votre décret, et que par conséquent il n'y avait pas lieu à délibérer. Je lui répondrai qu’en déclarant le commerce de l’Inde libre, vous avez prononcé sur la demande de toutes les chambres du commerce du royaume; que cette demande n’a jamais eu pour objet que d’obtenir anciennement du gouvernement, et à présent de l’Assemblée nationale, la suppression du privilège exclusif, accordé à une compagnie en 1785, et la faculté au commerce de jouir dé la même liberté dont il jouissait avant cette époque. Le commerce de l’Inde a été libre pour tous les Français depuis 1769 jusqu’en 1785. Les retours et les armements se sont faits au seul port de Lorient, et jamais les chambres de commerce n’ont réclamé contre cette disposition; elles sont trop éclairées sur les intérêts du commerce et sur ceux de l’Etat pour avoir gardé le silence, s’il eût été nécessaire d’avoir plusieurs ports aux retours de l’Inde, Le même préopinant a dit: Liberté et égalité, voilà ms principes. Je sens, comme lui, cette vérité, mais je ne pense pas, comme lui, qu’établir un régime pour le commerce de l’Inde, ce soit s’écarter de ces principes. La liberté et l’égalité consistent, suivant moi, à ce que nul particulier, nulle corporation, ne puissent jouir d’aucune faculté sociale qui ne serait pas commune à tous. fin déclarant le commerce de l’Inde libre, vous avez donné à tous les Français la faculté d’armer pour l’Inde dans tous les* ports du royaume; ainsi chaque armateur peut jouir du précieux avantage de composer sa cargaison des produc-tiqns du sol qu’il habite, de celles de son industrie, et de diminuer, par là, l’exportation du numéraire. fin l’obligeant, par de sages règlements, à faire ses retours dans le port qu’il vous plaira de fixer, vous lui conserverez l’égalité, et nulle concurrence que celle de mieux opérer, ne peut lui être opposée. Le même préopinant vous a dit aussi : Laissez faire, laissez passer; voilà le seul code raisonnable du commerce. S’il a entendu ne parler que du régime intérieur du royaume, je suis fort de son avis, et je vous dirai avec lui : Laissez à l’agriculture, à l’industrie et au commerce, la liberté d’opérer sans gêne, et donnez aux productions du sol et à celui de l’industrie 95 une circulation franche et libre dans l’intérieur ? facilitez-en l’exportation au dehors, et vous eqri" richirez l’Etat. Mais s’il a voulu appliquer la maxime : laissez faire , laissez passer, à l’importation libre de l’étranger, des draperies, des soieries, des toiles, des vins et eaux-de-vie, je lui déclare que mon opinion est entièrement opposée à la sienne. Je ne crois pas même nécessaire d’en développer les motifs; ils seront suffisamment sentis par tous ceux qui voudront bien ne pas oublier ce que nous devons à l’agriculture et à ces milliers d’ouvriers, de tout âge, de tout sexe, que nos manufactures nourrissent, et que leur misère doit nqps rendre encore plus chers. Plusieurs préopinants ont témoigné leur surprise de ce que le comité n’accorde pas aux retours de l’Inde les mêmes ports qui sont ouverts au commerce des colonies. A cette objection, qui m’a semblé faire une certaine impression sur l’Assemblée, je réponds que le commerce avec nos colonies est aussi avantageux que celui de l’Inde est nuisible, à l’Etat. Avec nos colonies, nous né faisons qu’un Gommerqe d’échange; nous n’importons de nos colonies que des matières premières, nécessaires à nos manufactures, à nos teintures ; nous n’en importons que des denrées que notre sol ne produit point; denrées nécessaires à notre consommation, dont l’habitude nous a fait un besoin, et sans lesquelles votre balance de commerce avec l’étranger serait ruineuse. Le commerce des colonies est un commerce entre frères, un commerce de la nation avec une partie de la nation ; peut-il être, sous aucun rapport, comparé à celui de l’Inde? Cependant, si nos retours de l’Inde n’étaient composés que d’épiceries, de drogueries, de thé, de coton et de soie en rame, je conviendrais que les armements des navires venant de l’Inde pourraient être faits dans tous les ports ouverts au commerce des colonies : mais comme la plus grande valeur de ces cargaisons consiste en objets de luxe manufacturés ; que l’achat ne s’en fait qu’avec du numéraire, et jamais en échange des marchandises de France, je pense que ce commerce est très onéreux à l’État. Comment pourriez-vous vous refuser à prendre toutes les précautions possibles pour diminuer un mal que vous nepouvez éviter en entier? fin attendant que nos manufactures encouragées se perfectionnent et remplacent celles de l’Inde, veillez à ce que les marchandises manufacturières de l’Inde n’entrent point dans le royaume sans avoir acquitté les droits auxquels vous croirez devoir les assujettir; autrement elles apporteront à vos manufactures une concurrence décourageante, et vous demeurerez toujours tributaires des Indiens ou des Anglais. Pour maintenir en faveur de nos manufactures de Lyon, du Languedoc, de Tours la prohibition des étoffes de soie de l’Inde et de Chine; pour conserver à nos manufactures de toiles la préférence sur celle de l’Inde; pour assurer à l’Etat la perception des droits conservateurs de notre industrie, vous devez restreindre les retours de l’Inde à un ou deux seuls ports du royaume, les plus propres à cette perception et à cette surveillance. C’est à des lois prohibitives, c’est à des droits sagement combinés que les Anglais doivent l’accroissement et la perfection de leurs manufactures... Je finis par une réflexion que les propriétaires-cultivateurs ne doivent pas ptrdre de vue. La perception de l’impôt sur les objets de luxe dort être d’autant plus surveillée, que cet impôt n’est supporté que par l'homme aisé ; tout ce que l’impôt indirect 96 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790.] De fournit pas aux besoins de l’Etat, doit être suppléé par l’impôt direct : celui-ci pèse beaucoup sur cette classe de citoyens la plus précieuse, les cultivateurs. Vous l'avez si bien senti, que cette seule considération vous a arrêtés, lorsque vous dédiriez améliorer le sort du clergé titulaire. Je conclus à ce qu’il ne soit ouvert que deux ports aux retours et aux armements des navires venant de l’Inde ; savoir, sur l’Océan, celui de Lorient, comme le plus commode ; sur la Méditerranée, celui de Cette, comme le plus central, et parce qu’il ne jouit pas des mêmes privilèges que celui de Marseille. Je pense aussi qu’il convient d’accorder à la ville de Marseille les retours qui se feront par les caravanes, par l’isthme de Suez et la mer Rouge. Si, contre mou attente, vous pouviez vous décider pour la liberté entière qui vous est sollicitée par quelques intéressés, je demanderais que l’Assemblée voulût bien s’occuper de l’établissement des ateliers de charité pour les malheureux ouvriers. (On demande avec instance que la discussion soit fermée.) (M. de Mirabeau aîné demande la parole.). M. Iiucas. M. de Mirabeau a déjà parlé dans la question : j’invoque le règlement, qui défend de parler deux fois sur le même objet, et je demande que la discussion soit fermée. M. de Mirabeau aîné. Il y a à peu près onze cents personnes qui n’ont pas encore parlé. En effet, il y a onze cents personnes qui ne sont pas prêtes ou qui ne connaissent pas assez la matière... (Il s'élève beaucoup de murmures). J’entends dire par là qu’il y a une grande différence entre plaider et juger : sans doute, tous les membres de cette Assemblée sont appelés à juger. (Il s'élève de nouveaux murmures). Je dis également appelés à juger et également capables de prononcer; mais je pense que tous ne prétendent sûrement pas être également capables d’exprimer les raisons de part et d’autre, sur une matière qui n’a point été l’objet de leur méditation habituelle. La chaleur qui se répand dans l’Assemblée pourrait faire croire que j’ai manqué de respect à quelques-uns de ses membres; je n’en ai pas l’intention. Je voulais en venir seulement à observer que le règlement porte que, dans la même séance, un membre ne prendra pas deux fois la parole sur le même objet, mais non qu’après avoir parlé sur cet objet dans une séance, il ne pourra pas parler encore dans une autre. Si l’intention de l’Assemblée est de déterminer aujouru hui cette affaire, je pense qu’il doit m’être permis de relever les faits faux qui ont été allégués et qui pourraient influer sur la décision. Je pense donc que la parole ne peut m’être refusée, et je penserai ainsi jusqu’à ce que l’Assemblée en ait décidé autrement. (M. Rœderer demande la parole. — ■ On s’oppose à ce qu’elle lui soit accordée.) M. de Hoailles, député de Nemours. Quoique je sois des onze cents que M. de Mirabeau a indiqués, je pense qu’il doit avoir la parole. A la dernière séance, après avoir entendu M. Begouen, il a élevé des doutes sur des faits importants; il est naturel qu’il réponde à ces faits. C’est sur la demande, appuyée par M. Rœderer, que l’ajournement a été prononcé : il devrait être entendu, même contre le règlement. M. le Président. On a demandé que ceux qui ont déjà parlé sur la question, ne fussent entendus que quand la liste serait épuisée; c’est sur cette demande que je dois consulter l’Assemblée. M. Rœderer. J’ai parlé au nom du comité des impositions; j’ai demandé à parler encore en son nom. Le règlement porte que la même personne ne sera pas entendue deux fois sur le même objet dans la même séance, mais non dans plusieurs; j’observe d’ailleurs que la discussion de cette affaire sort des règles ordinaires, puisqu’elle a été interrompue, et, pour ainsi dire, éparse sur plusieurs séances : il faut s’attacher à l’esprit plutôt qu’à la lettre du règlement; et sans doute cet esprit n’est pas qu’on De puisse reprendre la discussion sur une affaire dont on a pu oublier les principaux points. J’ajouterai encore que l’Assemblée est dans l’usage d’entendre le rapporteur à la fin des discussions; si l’Assemblée décrétait que la discussion doit être fermée, je réclamerais du moins une exception en faveur du comité de commerce et d’agriculture et de celui des impositions. (L’incident n’a pas de suite.) M. d’André. On a prétendu que le sort des manufactures devait décider la question qui se trouve dès lors réduite à celle-ci ; l’intérêt des manufactures exige-t-il que les retours se fassent à Lorient? Je ferai une �observation préalable. Rappelez-vous ce qu’on vous a dit, lorsque vous avez discuté la suppression de la compagnie des Indes. On demandait la liberté du commerce. Les mêmes personnes demandent aujourd’hui que les retours se fassent à Lorient Si elles demandaient la suppression du comfherce de l’Inde, je me joindrais à elles; elles sollicitent la liberté, pour qui ? Pour elles seules. On a voulu diviser les représentants de la Dation en deux partis dans cette affaire. Moi, je ne suis d’aucun parti, parce que je n’ai aucun intérêt à tout cela. Mes parents, mes amis ne sont pas commerçants; je ne le suis pas non plus : je n’habite pas une ville maritime. Tâchons de raisonner entre nous paisiblement et sans passion. On vous a dit que c’était ici la cause des armateurs contre les manufactures, et l’on a présenté ce mot comme le mot de l’énigme. On s’est trompé; c’est la cause des anciens actionnaires de la compagnie des Indes, contre tous les commerçants du royaume... (Il s'élève quelques applaudissements et beaucoup de murmures ); je vais le prouver : assurément, je ne l’ai pas deviné. On a publié, et l’on nous a distribué une feuille in-4°, dans laquelle il est dit que si nous adoptons l’opinion contraire aux retours à Lorient, nous ruinerons les actionnaires de la compagnie des Indes. En effet, cette compagnie ne pourra pas ruiner en quelques années tout le commerce de France, si l’avis du comité est décrété. Elle a en magasin, à Lorient, une grande quantité de marchandises qui n’ont pas payé de droits : elle pourra vendre ces marchandises moins cher que celles qui seront assujetties au nouveau tarif; et je demande si celui qui vendra moins cher les mêmes marchandises, tandis qu’un autre ne pourra pas les donner sans perte au même prix, ne ruinera pas celui-ci. Si le commerce de l’Inde est si nuisible aux manufactures, comment se fait-il qu’on ait placé ce lieu des retours et des marchés si prés de la Normandie et de la Bretagne où se trouvent les manufactures les plus nombreuses et les plus importantes duroyaume?Lesavanlages des manufactures doivent être considérés sous plusieurs rap- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1S juillet 1790.J 97 ports : celui du numéraire et celui des ouvriers. Les départs de la Méditerranée se font en draps, en savons, en eaux-de-vie; ceux de Lorient en piastres : ceux-ci dissipent donc le numéraire? Les autres favorisent donc les ouvriers par l’exportation des marchandises fabriquées? Ainsi on perdra doublement; les ouvriers souffriront; le numéraire s’écoulera, et pour favoriser certaines manufactures, on en ruinera d’autres. Pourquoi, si les marchandises arrivent dans plusieurs ports, les manufactures souffriraient-elles? Pourquoi celles qui débarqueront à Lorient feraient-elles moins de tort aux manufactures que celles qui débarqueront à Bordeaux ?... (. Plusieurs voix disent : Il y aura plus de fraudes.) Je vous réponds qu’il n’y en aura pas davantage. Jenevois pas qu’il soit plus difficile de garder deux ports qu’un. S’il faut un peu plus de soin, s’ensuit-il qu’il faille ruiner plusieurs provinces pour en favoriser exclusivement une, pour favoriser les restes de l’ancienne compagnie des Indes, pour favoriser le monopole? Je résume mon opinion: si les retours ne peuvent se faire que dans le port de Lorient, le résultat évident de vos efforts aura été de favoriser Lorient et de détruire dans tous les autres ports le commerce de l’Inde. Vous n’avez pas anéanti la fraude, on la fera toujours. Vous savez que si les retours sont défendus en France, les étrangers peuvent y introduire les marchandises de l’Inde avec avantage. S’ils sont permis, cet avantage est conservé aux Français. Ainsi, par un décret inconstitutionnel, la fraude serait manifestement forcée pour l’avantage unique des étrangers. Si l’on voulait favoriser les manufactures, il faudrait demander la prohibition du commerce de l’Inde : alors j’applaudirais à la bonne foi de ceux qui tiendraient un pareil langage ; je ne verrais plus l’intérêt particulier ; mais quand on demande la liberté pour les uns et la prohibition pour les autres, je ne vois plus qu’un parti, et je m’oppose à ses efforts la Constitution à la main. M. Le Chapelier. En voyant un député de l’ancienne province de Bretagne monter à la tribune, on va dire que, Breton, il vient réclamer des privilèges pour une ville de Bretagne. Si je croyais qu’il s’agît ici d’un privilège, j’en présenterais avec assurance le sacrifice, certain, après l’acte de patriotisme qu’a fait la ville de Lorient en abandonnant la franchise de son port, qu’elle ne me désavouerait pas. Mais c’est un service public que les retours de l’Inde dans le port de Lorient, et non un privilège. On a démontré, d’un côté, que le commerce de l’Inde est véritablement funeste aux manufactures; de l’autre, qu’il est absolument impossible de le proscrire, parce que le luxe et les habitudes sont difficiles à éteindre. Défendre ce commerce, ce serait vouloir faire porter notre argent aux Anglais pour avoir des marchandises que nos armateurs peuvent nous procurer. Mettons à l’écart les produits du fisc : celte considération est d’une faible importance pour des législateurs, surtout quaud on parle de privilèges. Examinons l’intérêt des manufactures : cet intérêt exige un impôt sur les marchandises de l’Inde; cet impôt, s’il existe, doit être rigoureusement perçu : on fraude plus aisément en laissant passer par plusieurs portes, que par une seule... Le port de Lorient offre une surveillance plus facile; ses magasins sont plus étendus; sa rade est sûre; les vaisseaux sont aperçus de très loin. Ne voyez pas la ville de Lorient; cherchez lre Série. T. XVII. seulement le lieu le plus favorable pour diminuer le plus possible l’importation des marchandises de l'Inde. Si l’on ne met point d’obstacles à cette im portation ,ces marchandises seront moins chères que les nôtres, nos manufactures seront dès lors anéanties, et vous aurez privé un peuple immense du travail qui le fait vivre. Forcer les retours dans un seul port, c’est le seul moyen d’arrêter l’importation trop considérable. Ce moyen a déjà été pris avec avantage, il sera plus avantageux encore avec le tarif que propose le comité. Quels seraient les ports, autres que Lorient, où pourraient se faire les retours? Serait-ce Marseille, Bordeaux? Mais je demande si, malgré 450 employés, les marchandises des colonies n’y passent pas en fraudant les droits? je demande si la fraude n’augmenterait pas à proportion de l’avantage plus considérable que l’on trouverait à l’introduction frauduleuse des marchandises de l’Inde; je demande si la fraude de ces marchandises ne serait pas plus facile? J’atteste l’opinion des députés extraordinaires du commerce, qui demandent que dans le cas où les retours ne se feraient pas seulement à Lorient, ils ne se fassent pas dans les ports francs : j’atteste même un mémoire de M. Sinetti, dans lequel il indique assez qu’il est difficile d’empêcher la fraude à Marseille. Si l’on exclut deux choses, la question sera bientôt décidée. Les uns sont touchés de ce que Lorient est en Bretagne, on espère que la privation des retours des Indes affaiblira son patriotisme... (Il s’élève des murmures.) Les autres soutiennent uniquement la cause de Marseille, et voudraient lui procurer les retours de l’Inde, parce qu’ils obtiendraient la facilité de faire des fortunes très considérables par la fraude. Oublions Marseille et Lorient. Le préopinant a de mandé pourquoi les retours de l’Inde ruineraient davaniage les manufactures, s’ils étaient faits plutôt dans tel port que dans tel autre? C’est un cercle vicieux. Si vous multipliez les ports pour les retours, vous favoriserez davantage les fraudeurs. Ou ruinera, dit-on, certaines manufactures, pour en enrichir d'autres : mais celles dont on nous parle resteront dans l’état où elles sont, tandis que les autres seront absolument ruinées; il n’y a nulle parité. Je ne conçois pas comment les manufactures qui fournissent pour les armements seraient ruinées; tous les ports pourront toujours armer. Mais les autres mauu-tactures périraient si la fraude n’était pas arrêtée, si l’importation n’était pas modérée. Le vœu presque général du commerce est sans doute une considération puissante. Un grand nombre de négociants, les députés extraordinaires du commerce, la plupart des places commerçantes, celle même de Bordeaux ont manifesté ce vœu; on a trouvé une lettre de la chambre du commerce de cette ville. M. Hatrac. Je nie le fait. M. lie Chapelier. J’observe à M. Nairac qu’on ne peut pas nier un fait sans attendre la connaissance des preuves sur lesquelles il doit être appuyé, et que d’ailleurs M. Nairac ne peut manifester le vœu de la ville de Bordeaux, puisqu’il n’est député que de la sénéchaussée. M. Long. M. Nairac est très certainement député de la ville de Bordeaux. M. Le Chapelier. La lettre revêtue de ces signatures est entre les mains du comité d’agriculture, c’est une lettre de correspondance des 7 98 [Assemblée nationale.) ARCHIVES P. députés extraordinaires du commerce. D’ailleurs, Bordeaux ne fait pas la loi. M. de Fontenay, rapporteur du comité de commerce et d’agriculture. Voici cette lettre, on m’a assuré que les signatures soat celles de la chambre du commerce de Bordeaux. M. Hairac. Je nie le fait encore. M, Le Chapelier. Laissez-moi-achever, vous lirez ensuite la lettre. J’ajoute que le comité ne propose qu’une décision provisoire ; depuis longtemps les retours s’y font dans un seul port : il serait imprudent de ne pas se donner le temps nécessaire pour prendre toutes les précautions qui paraîtront indispensables, après un long examen. Le commerce le désire, l’intérêt des manufactures le sollicite, un décret provisoire, contraire à l’état actuel, ruinerait à l’instant les manufactures ; il est encore une considération faible, mais qui ne paraît pas absolument sans valeur. L’année dernière, des vaisseaux sont partis pour l’Inde, ils ne sauraient pas, la faculté donnée, s’armer dans tous les ports, il y aurait donc de l’inégalité entre les vaisseaux déjà partis et ceux qui partiraient. Je finis par des observations sur la proposition de concéder un port pour les retours dans la Méditerranée ; je ne vois, à cette concession, que l’avantage de quelques personnes qui habitent les provinces méridionales. Mais si ces provinces et celles de l’Océan veulent être considérées comme deux royaumes auxquels il faut accorder des avantages égaux, M. Begouen a Indiqué un port qui n’est pas franc comme Marseille, et qui paraîtrait plus convenable que Toulon. Ce port est celui de Cette. On dit qu’il ne présenterait pas assez de commodités pour les vaisseaux, mais on m’a assuré que ce reproche n'était pas fondé. Les Etats du Lan-uedoc avaient déjà demandé que les retours e l’Inde pussent s’y faire. (On observe que ce sont les retours du Levant). Eh bien, il y aurait toujours assez d’eau pour les gros bâtiments. (On remarque encore que les bâtiments du Levant sont très petits, que ce sont des tartanes, et que des tartanes tirent peu d’eau.) Pour conserver des manufactures et maintenir la main-d’œuvre nationale, il faut assurer la perception des droits sur les marchandises de l’Inde; le seul moyen qu’on puisse employer pour y parvenir, c’est de concentrer les retours dans 'un port. On nous effraye avec les mots, liberté, privilège exclusif, on nous met en présence de la Constitution , on nous dit que la liberté consiste à ne pas nuire à autrui, je m’appuie de cette définition. Il est nuisible au royaume de favoriser l’introduction des marchandises qui doivent payer des droits pour ne pas anéantir nos manufactures : vous qui prétendez que si les retours se font dans un lieu déterminé, la liberté est anéantie ; que si l’on établit des droits sur les marchandises, c’est gêner la liberté ; examinez la conséquence de vos principes. Assujettir les marchandises qui viennent du Levant à une quarantaine, c’est gêner la liberté; eh bien ! nous aurons la peste. Assujettir les marchandises qui viennent de l’Inde à des droits, c’est gêner la liberté : et bien ! nous n’aurons plus de manufactures. Détruire les manufactures, c’est porter un coup funeste à l’agriculture et au commerce; c’est détruire la main-d’œuvre de l’industrie, et cependant l’industrie est une des sources précieuses de la richesse nationale. Je demande que les retours de l’Inde se fassent dans un seul port. LEMENTAIRES, [15 juillet 4790.) M. de Fontenay commence la lecture de la lettre adressée, de bordeaux, aux députés extraordinaires du commerce. M. Hairac. Elle n’est pas revêtue des signatures que portent ordinairement celles dé la chambre du commerce de cette ville, et a peut-être été écrite par quelques comités de commerce, qui se sont formés dans les circonstances présentes comme beaucoup d’autres sociétés particulières. M. Prugnon. On dit que l’obligation des retours de l’Inde à Lorient est une injustice publique, que l’on ne saurait ouvrir trop de chemins à l’industrie, et que le commerce abandonné à lui-même prendra toujours la route qui lui conviendra davantage. On a eu raison de Je dire. Gomment Lorient prétendrait-il conserver des droits abusifs, dans un moment où tous les Français ont renoncé à toute espèce de privilèges? Pourquoi les retours de l’Inde ne se feraient-ils pas dans tous les ports, quand le premier de nos principes est que le commerce et l’industrie ne peuvent s’accroître que par la liberté? Sous l’ancien régime, plusieurs raisons se présentèrent pour qu’il n’y eût qu’un seul port. Il n’y avait qu’une compjagnie : le privilège avait été accordé à Lorient, parce que cette compagnie était là chez elle ; parce qu’il fallait tout sacrifier à cette compagnie. Vous désirez qu’une liberté générale s’établisse, que toutes les nations n’en fassent qu’une pour le commerce : indiquer un seul port pour les retours, ne serait-ce pas le moyen de prohiber le commerce des Indes, qu’il faut conserver, comme je le prouverai ? Les retours doivent être libres dans tous les pays. Je l’établis par un raisonnement sans réplique. Ou les armateurs trouveront de l’avantage à désarmer fréquemment à Lorient, et il faut s’en rapporter à eux; ou leur intérêt exigera qu’ils n’y désarment que rarement, et alors l’intérêt général est violé. Si le droit exclusif de Lorient peut être avantageux au commerce, il est inutile de rendre un décret. Le droit qui se concilie avec l’avantage général est le plus respectable des droits. La plus grande protection que des législateurs doivent au commerce, c’est de le laisser faire et de ne se mêler de rien de ce qui le concerne. Tout se rapporte à cette manœuvre, non pas des économistes, mais d’un grand commerçant, de Colbert : Laissez faire et laissez passer. Si les retours à Lorient sont forcés, le négociant de la Méditerranée sera obligé de quitter ses foyers, ou de se confier dans des facteurs qui seront peut-être infidèles, inhabiles ou insouciants; à des facteurs qui seront peut-être eux-mêmes négociants à Lorfent, et s’occuperont plus de leur intérêt particulier que de celui de leur commettant. Après une longuelra versée, au lieu de rentrer dans leurs ports, il faudra qu’ils s’exposent à tous les hasards d'une autre navigation, pour venir à Lorient prendre des acquits à caution, qui ne peuvent rien contre l’intempérie des saisons, la fureur des flots, ou le feu du ciel. La compagnie des Indes, dans le temps où elle florissait davantage, ne fournissait qu’un quart de la consommation du royaume; il fallait acheter le reste chez l’étranger : il est constant que les marchandises des Indes sont un objet d’émulation pour nos manufactures. Avant que le commerce des Indes fût établi, nous n’avions que de misérables indiennes, bien éloignées de la per- 99 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juillet 1790 | fection des toiles de Jouy, et même des fabriques d’Alsace. La manufacture de Jouy n’imprime guère que sur des toiles blanches venues des Iodes. Je n’examinerai pas si, dans un état de prospérité, les marchandises étrangères sont nécessaires : tant que l’inégalité des fortunes amènera l’inégalité des jouissances, l’abus du luxe sera un besoin; jamais nos manufactures ne feront aussi bien que les Indiens. L’Angleterre fait dans l’Inde un commerce de 80 millions; cependant elle est toute vivante de fabriques, ou plutôt elle n’est qu’une grande manufacture. Gomment donc... Plusieurs membres demandent l’ajournement à samedi. 11 est prononcé. La séance est levée à 10 heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DÜ 15 JUILLET 1790. SECOND RAPPORT DU COMITÉ DE MENDICITÉ. État actuel de la législation du royaume, relativement aux hôpitaux et à la mendicité (1). C’est dans l'hospitalité des anciens temps que l’on doit rechercher les premières traces des éta-blissemenls connus parmi nous sous le nom d'hôpitaux. Dans ces siècles reculés, où l’exercice de cette vertu était en grand honneur, il y avait dans toutes les contrées civilisées des asiles ouverts pour les étrangers. Tel était surtout l’usage généralement établi en Orient; divers monuments historiques ne laissent aucun lieu de douter que les premiers hôpitaux n’aient été une imitation de ces antiques établissements. Lorsque la religion chrétienne se fut répandue, ces asiles prirent une autre forme. Les pèlerinages furent alors en grande pratique, et le premier fruit de cette religion fut d’apporter parmi ses prosélytes une charité que les persécutions tendaient encore à rendre plus ardente. Touchés des maux auxquels étaient exposés des milliers de fidèles, à peine échappés aux supplices, aux prisons affreuses, aux travaux publics, auxquels ils avaient été condamnés, les empereurs s’empressèrent de leur assurer, dans de spacieux hospices, les secours et les consolations de la religion qu’ils avaient embrassée et défendue. Tel fut l’objet des premiers édits publiés par Constantin, à la piété duquel on dut les premiers asiles de ce genre; cet usage religieux se perpétua dans le Bas-Empire. Les hôpitaux se multiplièrent prodigieusement en Italie, en Espagne, surtout du temps des croisades. Ce fut à ces pieuses expéditions que dut principalement son origine l’hôpital de Saint-Jean-de-Jérusalem. A Malle, il y avait un riche hôpital pour les malades indigents, servi par des chevaliers, en mémoire de l’institution des chevaliers hospitaliers. Enfin, on ne peut douter que les premières com-manderies de Malte n’aient été des hospices ou auberges de pèlerins, allant et revenant des Croisades. (I) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. En France, comme dans toute la chrétienté, les premiers hôpitaux ne furent aussi que des asiles pour les pèlerins. On les trouve existants dès les premiers temps de la monarchie; mais on n’a nulle trace certaine de leur première institution. L’origine des plus anciens hôpitaux du royaume se perd dans l’obscurité des temps; on sait seulement que leurs revenus étaient assignés sur les revenus faits au clergé, car, dans les temps de la primitive Eglise, on n’accordait de biens à ses ministres qu’à la condition d’en consacrer une partie aux hôpitaux. Ce n’est guère que vers le vme siècle que l’on commence parmi nous à suivre leur histoire. On les voit, depuis cette époque, prendre, surtout, différentes formes. Dans les temps antérieurs, on semblait avoir laissé confondre les divers genres de malheureux et de misères : alors on parut sentir la nécessité de soigner plus particulièrement, ou à part, les pauvres malades; on en fit une classe séparée, et ce fut d’abord dans les cloîtres, et même quelquefois dans les églises, qu’on crut à propos de les placer : de là le nom et l’origine de ceux de nos hôpitaux, connus sous la dénomination d 'Hôtels-Dieu, et leur situation près des métropoles. Bientôt après, deux maladies cruelles donnèrent lieu à des fondations, d’où résultèrent deux genres particuliers de ces hôpitaux ou hospices : tel fut le feu Saint-Antoine, le feu sacré ou mal des ardents, qui, vers le Xe siècle, fit de si grands ravages en France. Presque tout le royaume, le Dauphiné surtout, se ressentit de la maladie, ce qui détermina le pape Urbain II à fonder un ordre hospitalier sous le nom de Saint Antoine, dans la vue de secourir ceux qui en étaient atteints, et de choisir, pour le chef-lieu de cet ordre, Vienne en Dauphiné, où, vingt-trois ans auparavant, le corps de ce saint avait été transporté de Constantinople. On sait que c’était le temps de la plus grande ferveur des Croisades. Sur la fin du XIe siècle, elles introduisirent en Europe une nouvelle caJi-lamité; la lèpre se répandit de toutes parts, et le caractère de malignité contagieuse qu’avait cette espèce de maladie, faisant abandonner les malheureux qui en étaient atteints, on fut obligé d’élever des hospices pour les soigner; ces hospices furent connus sous le nom de Léproseries ou Maladre - ries. Le nombre en fut bientôt très considérable. Suivant Mathieu Paris, il passait dix-neuf mille, au xiii0 siècle, dans la chrétienté. Un legs de Louis VIII , en 1225, annonce que, dans ce royaume de France seul, il y en avait plus de deux mille. Ainsi, dès ces premiers siècles, la France fut couverte d’établissements ou asiles pour les pauvres, qui furent de vrais hôpitaux. Ces établissements étaient des hospices pour les pèlerins, des Hôtels-Dieu pour les malades, des établissements d’ordres hospitaliers, des maisons pour le feu Saint-Antoine, et des Léproseries ou Maladreries dont le nombre était surtout le plus considérable. . Le feu Saint-Antoine ayant bientôt disparu, les maisons, qui lui étaient destinées, ont été successivement abandonnées; on vit bientôt aussi la lèpre s’éteindre, et la fureur des croisades s’étant assoupie en même temps que l’habitude et le goût des pèlerinages, les ordres hospitaliers se sont insensiblement anéantis : des débris de ces grands établissements, que des calamités passagères avaient nécessités, se sont agrandis les hôpitaux, si éloignés d’abord de l’usage qu’ils devaient avoir, et de l’étendue qu’ils ont acquise dans des temps postérieurs.