[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mars 1791. Je ne me permettrai plus, Messieurs, que quelques réflexions relatives au ménagement du soi dans la fouille des mines. Je ferai remarquer à l’Assemblée nationale qu’il y a en France environ 500 fourneaux d’usines, qui produisent ou peuvent produire 350 millions de fonte de fer, dont 100 millions entrent dans le commerce en nature de fonte, et 250 miîlions sont convertis en 170 millions de fer en barres. Pour obtenir cette richesse, on extrait tous les ans 26 millions de pieds cubes de minerai; on fouille tous les ans de deux à trois mille arpents du territoire; et dans un siècle, de 20ü à 250,000 arpents dont la plus grande partie est condamnée à la stérilité ou à l’inculture. Qu’on juge donc de quelle importance il est de bien exploit* r les mines, de faire de bonnes lois en ce genre. L’extraction de la mine de superficie se fera avec bien plus d’économie pour le propriétaire et d’avantages pour la nation, lorsqu’il choisira lui-même son temps, ses champs et sus ouvriers, et qu’il calculera ses propres intérêts pour extraire à propos sa mine; il aura soin que le champ qui aura rapporté la production ordinaire, soit excavé dans l’année de repos, donne la mine, et soit recomblé à temps pour se représenter à son tour au labourage et à la semence. Le propriétaire aura double profit; mais il sera imposé à la contribution foncière en conséquence de son revenu. Je ne conçois pas comment le comité des impositions a négligé de prendre en considération ce qui peut augmenter les revenus publics, et ce qui peut influer si sensiblement sur la vente des biens nationaux : vous perdez l’imposiiion, si vous livrez la France aux con-cessionnaiies ; vous vendrez moins certains biens nationaux, si vous inquiétez les personnes qui voudraient les acquérir. L’exploitat on des mines de profondeur menace moins la superficie du sol; mais cette exploitation, en dégradant l’intérieur, peut finir par anéantir sa surface, et les véritables intéressés à la conserver sont les propriétaires. En parla* t des mines en gméral, j’ai cependant entendu excepter les mines d’or etd’argent. Elles me paraissent devoir être gouvernées par des lois particul ères , comme en Angleterre; signes représentatifs de tous les objets de nos besoins, et substance du numéraire réel que la nation a seule le droit de frapper et de mettre en circulation : les mines d’or et d’argent, ür-s’ëlevaient. Si vous ôtez les trois quarts de 80,000 livres il reste 20,000 livres en produit net à la forge; ainsi le propriétaire du sol qui aura fourni toute la mine, en recevant 1000 livres au lieu de 500 livres, n’aura tout au plus que la vingtième partie d’un produit définitif, qui n’existe que par la matière première qu'il possède. En doublant le prix de la mine qu’extraira l’entrepreneur, je sens qu’il faut qu’il y ait un maximum fixé pour le minerai que fera extraire le propriétaire afin que, dans les premiers moments surtout, les forges ne manquent pas d’aliment. Il me parait aussi que le prix du fer et celui de la mine devraient être revus tous les dix ans, et être remis en équilibre, l’un avec l’autre, par un décret du Corps législatif; ce serait le moyen de lier d'intérêl le propriétaire du sol et celui de la forge, et de confédérer à jamais l’agriculture et les arts utiles. En un mot, le prix du quintal du minerai lavé, ou de la mine, porté de deux liards à un sou, me semble ménager tous les intérêts; cette augmentation sera, quoi qu’on en puisse dire, peu onéreuse à l'entrepreneur, soulagera le cultivateur et n’influera presque point sur le prix du fer dans les divers usages de la société. 245 gueilleuses de nos conventions, doivent sortir de la loi commune : au surplus, la France possède peu de ces trésors secondaires; et l’exploitation en serait si coûteuse, que peu de propriétaires seraient assez puissants pour parvenir à en tirer avantage. J’excepte donc les mines d’or et d’argent; j’adopte un mincipe général pour les autres mines, avec des règlements particuliers; je propose à l’Assemblée nationale de remplacer tout le projet de décret de M. d’Epercy, en 70 articles, par les 9 courts articles que je vais lui soumettre, et qui sont seuls dans les principes exacts de la Constitution, de l’agriculture et de la propriété. L’Assemblée nationale sentira, je l’espère, qu’une Révolution aussi générale que la nôtre, donne, malgré tous les efforts des législateurs, quelque ébranlement à la plénitude du droit de propriété; l’Assemblée nationale avouera qu’une action digne de sa sagesse est de consolider à jamaL ce droit dans toute son étendue, et que c’est le premier moyen de faire payer avec empressement la contribution foncière dont nul bon citoyen ne doit se plaindre; l’Assemblée nationale se dira qu’il n’est pas un seul propriétaire qui ne doive trembler d’avoir sous ses pieds une mine quelconque, pour s’en voir dépouillé sans indemnité, et pour éprouver les persécutions des concessionnaires étrangers au sol. J’aime à croire que l’Assemblée nationale qui a détruit la dîme, la féodalité, la gabelle, les aides, les entrées des villes, tous les droits vexatoires; qui a décrété la liberté de toute culture; qui a donné des encouragements aux dessèchements, aux défrichements, aux plantations, que l’Assemblée nationale enfin, qui a tout faitjusqu’à ce jour pour l’agriculture, considérée en grand, ne trompera point, au dernier pas, l’attente des propriétaires et des cultivateurs, et les attachera, par tous les liens possibles, à la Constitution et à sa défense. Voici le projet de décret que j’ai l’honneur de vous présenter ; « Art. 1er. Les mines et minières font partie de la propriété foncière et individuelle des citoyens. « Art. 2. Elles sont particulièrement soumises à la surveillance de la nation et à l’inspeciion de l’administration publique. « Art. 3. Sont exceptées de la loi générale les mines d’or et d’argent, qui, par leurs rapports monétaires, sont sous la direction immédiate du gouvernement, sauf l’indemnité préalable due au propriétaire du sol pour la valeur de la superficie. « Art. 4. Tout propriétaire sera obligé de souffrir la recherche que l’administration fera faire des mines, suivant le règlement qui sera joint au présent décret. « Art. 5. Aussitôt que les mines seront découvertes, et que l'administration jugera qu’elles sont dans le cas d’être exploitées, il sera formé des circonscriptions pour leur exploitation, si la profondeur de ces mines exige des travaux dispendieux et les lumières des gens de l’art. « Art. 6. Si un ou plusieurs propriétaires de la circonscription veulent se charger de l’entreprise, ils en donneront avis au directoire du district et à celui du département, qui veilleront à ce que l’entreprise ait lieu pour la plus grande utilité générale. « Art. 7. Quand les propriétaires de la circonscription ne pourront ou ne voudront pas exploiter leurs mines, l’administration en confiera l’ex-ploiiation à baux prolongés, suivant la difficulté de l’entreprise, à des entrepreneurs, sous la con- 246 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mars 1791.J [Assemblée nationale.j dition de l’indemnité due aux propriétaires et fixée par le règlement. « Art. 8. Les baux faits par le gouvernement aux inventeurs des mines qu’ils ont mises en exploitation, et aux entrepreneurs des premiers travaux, auront leur plein et entier effet. « Art. 9. Les assemblées administratives présenteront incessamment au Corps législatif les projets de règlement qui seront applicables à l’exploitation de leurs mines et convenables à leurs localités. » Plusieurs membres demandent l’impression du discours et du projet de décret de M. Hertault-Lamerville. Plusieurs membres réclament l’ordre du jour sur cette motion. (L’Assemblée, consultée , décrète qu’elle ne passe pas à l’ordre du jour.) M. le Président. Je mets aux voix la demande d'impression. (L’Assemblée décrète l’impression du discours et du projet de décret.) M. de Lamline. Les mines font-elles partie de la propriété foncière ou appartiennent-elles à la nation en général? Cette question faite à une Assemblée jalouse de conserver à la propriété tous ses droits paraîtrait assez extraordinaire j si la décision du comité ne devait surprendre encore davantage. Sa discussion devient donc importante ; elle tient au droit des gens, bien plus encore qu’au droit des nations. La surveillance et l’inspection des mines sont dues par l’Etat à l’intérêt public; mais il doit en même temps aux citoyens en particulier la conservation de leurs droits individuels. Celte vigilance légitime ne peut jamais être une appropriation, un envahissement anticonstitutionnel des biens de celui qui avait acquis pour jouir. Le propriétaire use-t-il mai de sa propriété? une inspection sévère et juste doit le rappeler aux principes sages et aux méthodes utiles. Ses facultés pécuniaires ne lui permettent -elles pas d’entreprendre une exploitation coûteuse ? Dès lors, on ne peut subroger personne à ses droits que sous deux conditions. La première de ces conditions est que le propriétaire soit tenu de déclarer qu’il ne veut ou ne peut user de sa chose; la seconde, que L’Etat ne permette point la mise en possession d’un étranger, sans que ce dernier soit assujetti à une indemnité préalable. Le consentement du propriétaire du fonds, le dédommagement qu’il reçoit pour sa cession sont des preuves évidentes de son droit exclusif à la chose. Les mines n’appartiennent pas plus naturellement à l’Etat que touies les autres productions des champs. En vain leurs produits servent à l’usage général; les denrées, les combustibles (t tout ce que la terre nous offre, dans sa prodigalité, ne sont-ils pas à l’usage commun de tout ce qui respire, de tous les êtres répandus sur sa surface? Je sais que nul propriétaire n’est entièrement indépendant dans sa jouissance et que, par l’accord social, il doit compte à ses associés, c’est-à-dire à l’Etat, d’une gestion raisonnable ; mais, à son tour, te gouvernement ne peut point s’emparer de 1a. propriété individuelle. Il lui doit au contraire, et tout à la fois, conseil pour en bien user et sauvegarde contre l’usurpation d’autrui. C’est en partant de deux principes erronés que les amis des porteurs de privilèges voudraient, pour en autoriser les concessions abusives, faire déclarer les mines des propriétés publiques et exiler de leurs champs les hommes tranquilles qui les cultivent et qui, sans sollicitations, sans intrigues, n’ont ici que nons pour défenseurs. Non, je ne trahirai point leur juste cause, ma raison et mon cœur, avant mes cahiers, m’en avaient prescrit le devoir. Premièrement : « Ces biens, a-t-on dit, qui ne peuvent appartenir à un seul, appartiennent à tous et n’ont par conséquent de maître que la nation. » Ce raisonnement otfre d’abord, dans sa généralité, une fausseté évidente ;et, ensuite, nulle relation entre son principe et sa conséquence. 11 est une infinité de biens dans la nature qui appartiennent à tous et n’ont pas pour maître une nation. Les mines, d’ailleurs, et particulièrement les carrières de charbon, ne sont pas de ces biens vagues et communs qui deviennent le patrimoine de qui n’en a pas. Secondement : « La nation, a-t-on dit, par son droit de souveraineté, est maîtresse de toutes les parties de son sol qui sont indivises et qui n’ont point encore connu de propriétaire partn ulier. » Si la nation a la surveillance générale de toutes les parties de son sol, de toutes propriétés, la sienne ne peut être trop restreinte. Sa gloire et sa richesse véritable sont de multiplier les propriétaires dans son sein, sans multiplier ses possessions directes. Veiller aux jouis-ances d’un chacun, mais non s’en emparer; garantir et non acquérir ; être la souveraine économe de tous les biens, mais pour les faire sagement administrer au profit même du citoyen qui ne le pourrai!, pas ; protéger sa fortune contre l’usurpation d’autrui, et non en partager les dépouilles, tel est le contrat légitime de la nation avec les individus : tel est l’accord durable et solennelle entre la classe qui gouverne et celle qui est gouvernée; et ce lien social, déjà consacré par la justice et la nature, a été raffermi par votre déclaration des droits. Sans doute, les mines sont indivises, tant qu’elles ne sont point encore en exploitation. Le sont-elles? alors chaque propriétaire acquiert un droit proportionnel à sa propriété ou à l’indemnité qui la représente. N’en pouvait-on pas dire autant de tout champ étendu, avant son partage? Il était indivis; mais la nation n’en était pas propriétaire. La famille, la communauté qui y avaient droit, l’ont divisé; la nation est intéressée à ce qu’il soit mis en valeur; mais là se bornent et son devoir et sa légitime puissance. « Tout citoyen, ose répondre l’avidité particulière, n’a droit qu’à la superficie du fonds ; il ne peut recueillir sur cette surface que l'aliment qui lui convient et la subsistance de ses troupeaux. Tout ce qui se trouve dans l’intérieur ne doit point lui appartenir ; et le conseil ai si que les minisires, qui représentaient naguère toute la nation, ont dû s’en emparer pour l’utilité publique et en faire par conséquent la dot, la récompense et le prix des sollicitations heureuses.» Ce commentaire du principe qu’on vous propose, ce commentaire qui serait bon dans les codes de l’Asie, ne déshonorera pas le vôtre. Le véritable apanage d’un peuple libre est le maintien le plus étendu de toute propriété individuelle. « Les mines, vous dit-on, présentent un ensemble d’exploitation. Il faut suivre cet ensemble; et on ne peut opérer en partie...» Mais les corps administratifs seront préposés pour veiller à cet