148 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE et l’ajournement à trois jours après la distribution (86). GRÉGOIRE, au nom du comité d’instruction publique : « Faire avec un homme, par le secours des machines, ce qu’on ne ferait sans elles qu’avec deux ou trois hommes, c’est, disait Molon, doubler ou tripler le nombre des citoyens. » Nous avons deux leviers, ce sont nos bras. L’industrie, en leur associant les forces de la nature, parvient quelquefois à centupler les nôtres ; par là s’agrandit le cercle de nos connaissances et le nombre de nos jouissances. Calculez l’énorme différence qui existe entre un peuple chez qui les arts sont au berceau, et celui qui en a développé toutes les ressources; entre ces habitants du Paraguay, qui coupaient leurs blés avec des côtes de vaches au lieu de faucilles, et l’habileté de l’Européen, qui est parvenu à filer, à tisser les métaux. C’est avec surprise qu’on voit encore des gens prétendre que le perfectionnement de l’industrie et la simplification de la main-d’œuvre entraînent des dangers, parce que, dit-on, elles ôtent les moyens d’existence à beaucoup d’ouvriers. Ainsi raisonnaient les copistes, lorsque l’imprimerie fut inventée ; ainsi raisonnaient les bateliers de Londres, qui voulaient s’insurger lorsqu’on bâtit le pont de Westminster. Il n’y a que quatre ans encore qu’au Hâvre et à Rouen on était obligé de cacher les machines à filer le coton. Quand une invention nouvelle peut à l’instant paralyser beaucoup d’ouvriers, la sollicitude paternelle des législateurs doit prendre des moyens pour les soustraire à l’indigence et empêcher qu’il n’en résulte une secousse ; mais au fond l’objection est puérile, sans quoi il faudrait briser les métiers à bas, les machines à mouliner la soie, et tous les chefs-d’œuvre qu’enfanta l’industrie pour le bonheur de la société. Faut-il donc un grand effort de génie pour sentir que nous avons plus d’ouvrages que de bras; qu’en simplifiant la main-d’œuvre on en diminue le prix, et que c’est un infaillible moyen d’établir un commerce lucratif qui écrasera l’industrie étrangère, en repoussant la concurrence de ses produits? Plusieurs écrivains ont cherché le point d’équilibre entre l’agriculture, qui fournit ses matières premières, et les arts qui les emploient. Cette question est ardue, car, en politique comme en morale, le plus difficile est toujours de tracer les limites; mais malheureusement nous pouvons ajourner ce problème jusque vers l’époque où l’économie rurale et l’industrie auront déployé tous leurs efforts. Dans l’état actuel des choses l’une et l’autre réclament des encouragements. Au nom des comités d’Agriculture et des arts, et d’instruction publique, je viens vous présenter des moyens de perfectionner l’indutrie na-(86) P.-V., XLVI, 166. Décret attribué à Barailon, rapporteur, selon C* II 21, p. 3. Débats, n” 738. tionale. Mais avant d’aborder mon sujet permettez une courte digression pour censurer la division antique des arts en mécaniques et libéraux. Du temps de Phidias à Delphes et à Corinthe, il y avait des concours pour la peinture et la sculpture; les ouvrages étaient appréciés dans des assemblées générales, et tel était l’enthousiasme des Grecs pour les arts d’imitation, que les Amphictyons assignèrent à Polygnote des logements aux dépens du public dans toutes les villes de la Grèce. Que faisaient-ils pour encourager les arts dont les produits s’appliquent immédiatement à nos besoins? Rien, ou presque rien : et lorsqu’à Naxos ils érigèrent une statue à l’artisan qui, le premier, avait donné la forme de tuile au marbre pentélicien pour en couvrir les édifices, ils voulurent récompenser plutôt une invention de luxe qu’une découverte utile, et sans Platon l’on ignorerait qu’Architelles et Shearion furent fameux, le premier comme tailleur de pierres, le second comme boulanger. Chez les Grecs et les Romains les travaux manuels étaient abandonnés aux esclaves; de là le mépris qui frappa l’industrie, de là cette distinction usitée jusqu’à nos jours entre les arts mécaniques, exercés par des hommes asservis, et les arts libéraux qui étaient le partage exclusif des hommes libres. Dans tout pays où il y a une cour, les arts mécaniques sont avilis. Il y existe une classe dont l’immoralité privilégiée croirait se déshonorer en les cultivant. Lors même que le despote les favorise, sa protection flétrissante établit une démarcation politique entre l’utile artisan qui enrichit son pays, et le satrape insolent qui le dévore. Chez nous quelques individus croyaient abréger un peu cette distance par ces qualifications serviles : Un tel, chapelier du roi, bonnetier, carrossier du roi, de monseigneur le dauphin, de monseigneur le comte d’Artois, etc. Faut-il s’étonner que si longtemps les arts utiles aient été outragés; que jusqu’à ces derniers temps celui du bandagiste, par exemple, qui est si nécessaire, ait été dédaigné par ceux qui pratiquaient la médecine, tandis qu’on perfectionnait la poupée du Nord? C’est seulement depuis une quarantaine d’années que l’art du tailleur est décrit, tandis que depuis deux siècles on imprime le parfait confiseur, le parfait cuisinier, et cette perfection qui raffinait les jouissances des sybarites n’était pas en faveur du malheureux qui pressurait le vin et buvait de l’eau; qui préparait le pain blanc, et vivait de son. Notre langage doit concorder avec nos principes; dans un pays libre tous les arts sont libéraux. Si le besoin de classer les idées exige des dénominations diverses, la distinction des arts en intellectuels et mécaniques est fondée sur la nature des choses, en ce que ceux-ci exigent plus particulièrement le concours de la main, et que ceux-là tiennent plus immédiatement aux opérations de l’esprit. Les encouragements dus à tous les arts doi- SÉANCE DU 8 VENDÉMIAIRE AN III (29 SEPTEMBRE 1794) - N° 59 149 vent être déterminés non seulement d’après leur utilité, mais encore d’après la difficulté d’en obtenir les produits. De bons vers sont infiniment moins utiles que de bons souliers ; mais, comme il est aussi rare de trouver un grand poète qu’il est commun de trouver un cordonnier habile, vous ne les assimileriez, pour les récompenses, qu’au-tant que ce dernier aurait fait une découverte utile. Néanmoins le degré d’utilité doit être partout la mesure de notre estime, et certes celui qui le premier réunit les douves d’un tonneau, ou qui forma la première voûte, celui qui trouva le van ou qui rendit le pain plus digestif par le moyen du levain, si toutefois cette dernière découverte n’est pas due au hasard, comme le prétend Goguet; ceux-là dis-je, méritèrent mieux de l’humanité que celui qui, 60 siècles après, écrivit La Henriade. Tous les arts sont frères, aucun ne doit échapper à la sollicitude des législateurs. La nation possède, pour les divers genres d’arts et métiers, une quantité prodigieuse de machines dont une partie n’est que peu ou point encore connue. Je dis prodigieuse, car quiconque ne les a pas vues, aura difficilement une idée de leur nombre, de leur richesse, de leur perfection et de leur importance. Les soins de la commission temporaire des arts en ont formé un vaste dépôt ; vous avez en outre celles de la ci-devant académie des sciences, dans laquelle est confondue celle d’Ou-sembray; vous avez celles d’Egalité, et surtout celles de Vaucanson, qui, pour divers arts, mais spécialement pour le moulinage des soies, nous a fait des modèles qui exécutent promptement et qui exécutent bien. Il nous a laissé de plus, et ceci est très important, les outils propres à construire les métiers. Législateurs, vous voulez que toutes les sciences se dirigent vers un but utile, et que le point de coïncidence de toutes les découvertes soit la prospérité physique et morale de la République ; vous voulez que chaque citoyen puisse assurer sa subsistance par l’exercice d’un art quelconque ; nous croyons entrer dans vos vues, en vous proposant d’utiliser au plus tôt ces vastes collections de machines par l’établissement d’un conservatoire qui les réunira dans un local commun, où le sentiment du beau et le génie des arts appelleront tous ceux qui les cultivent, pour éclairer et encourager leurs travaux. On sentira sur-le-champ l’importance de ce projet, en se rappelant que nos importations annuelles se sont élevées jusqu’à ces derniers temps à plus de trois cents millions, et qu’une grande partie de ces importations consiste en objets manufacturés. On se rappelle qu’en 1790, il fallut autoriser une de nos manufactures à faire filer en Suisse vingt milliers de coton pour ses fabriques, parce qu’on manquait de machines et d’ouvriers propres à ce travail. Les républicains se souviennent avec indignation, que récemment encore l’anglomanie donnait en France : habit, vaisselle, rasoir, couteau, ressorts de voitures, lunettes, tout était à l’anglaise : abjurons à jamais le mot et la chose. Celui-là, disait Jean-Jacques, est vraiment libre, qui pour subsister, n’est pas obligé de mettre les bras d’un autre au bout des siens. Ce qu’il disait des individus, s’applique parfaitement aux nations ; le perfectionnement des arts est un principe conservateur de la liberté ; secouer le joug de l’industrie c’est assurer sa propre indépendance. Cette vérité se fortifie, en considérant que l’industrie est un des moyens les plus efficaces pour tuer le libertinage et tous les vices, enfants de la paresse. La liberté ne peut avoir que deux points d’appui, les lumières et la vertu; et l’on trahirait la cause du peuple, si on ne lui répétait que l’ignorance et l’immoralité sont les ulcères qui corrodent la République. Les mœurs et la prospérité nationale feront de grandes conquêtes, si l’on dirige insensiblement les femmes vers des travaux analogues à leur constitution. Déjà quelques-unes commencent à composer dans les imprimeries. Tout ce qui se fait avec l’aiguille convient à leur sexe; et quel est le citoyen qui ne souffre en voyant des hommes bien constitués qui sont coiffeurs de daines, tailleurs d’habits pour femmes, valets de chambre, garçons cafetiers, tandis qu’ils devraient refluer dans les ateliers d’armes et dans les campagnes, pour remplacer ceux de nos frères qui ont péri aux champs de la victoire? Vous voyez comment dans un gouvernement libre tout se rattache à la démocratie ; essayons donc tous les moyens de bannir l’industrie étrangère et de vivifier la nôtre. C’était un préjugé bien étrange, celui qui disait : l’Anglais invente, le Français perfectionne. Sans y mettre une partialité inspirée par l’amour de la patrie, une simple énumération prouverait que le Français libre, capable de tout, invente et perfectionne plus qu’aucun peuple. Dernièrement on vous a présenté le tableau des découvertes scientifiques, et vraiment étonnantes qui ont illustré la révolution; mais il est de nouveaux faits à citer qui sont encore peu connus et qui réjouiront le cœur des patriotes. Des ateliers où l’on travaille, où l’on soude les feuilles de corne pour faire des lanternes au service des vaisseaux; un fourneau pour préparer du charbon de tourbe, une manufacture de minium qui n’attend que des encouragements; une manufacture de faux, qui nous affranchira d’un tribut annuel qu’on payait à l’Allemagne pour cet objet ; l’art de préparer en quelques jours des cuirs qui subissaient une préparation de deux années : tout cela vient de naître et commence à prospérer. L’horlogerie de Paris et celle de Besançon s’apprêtent à nous faire oublier celle de l’étranger. Une ville presque enclavée dans notre territoire nous pompait annuellement 8 à 9 millions pour cet objet; vivons en bons voisins avec les Génevois, mais cependant faisons nos montres. 150 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Etendons cette industrieuse activité à tous les objets qui en sont susceptibles. Pourquoi tirer du dehors de la colle-forte, tandis que nous possédons les matières premières; de l’alun pour 7 à 8 millions par an, tandis que nous avons des terres alumineuses ; des mousselines pour 40 millions, tandis qu’on peut en manufacturer chez nous qui rivaliseront avec celles des Indes? Il existe en France deux modèles de machines à filer le coton pour mousseline à la manière des Indes; l’une à Amiens, l’autre ici, et cette dernière appartient à la nation. La création d’un Conservatoire pour les arts et métiers, où se réuniront tous les outils et machines nouvellement inventés ou perfectionnés, va éveiller la curiosité et l’intérêt, et vous verrez dans tous les genres des progrès très rapides. Là, rien de systématique ; l’expérience seule, en parlant aux yeux, aura droit d’obtenir l’assentiment. S’il était encore un homme capable de dire qu’il faut s’affranchir de la tyrannie des règles et que l’habitude fait tout, nous l’inviterions à mesurer, s’il est possible, la distance entre l’ouvrier qui n’a jamais quitté l’ornière de la routine, et celui qui a rectifié sa pratique par les combinaisons de la théorie. Dans les Vosges, on abat les arbres avec la hache; du côté de Villers-Coterets, c’est à la scie ; une des deux méthodes est incontestablement préférable, et cette question mérite sans doute d’être examinée. La scie, qui dans quelques endroits est mince et flexible avec des dents longues, est ailleurs conformée très différemment, quoique appliquée aux mêmes usages. Dans diverses contrées, pour travailler le même grain de terre on se sert là d’un hoyau à fer mince et à manche long; ailleurs il a le manche court, la lame lourde, et l’ouvrier forcé à se courber exerce constamment une compression funeste sur ses intestins; pourquoi n’indiquerait-on pas le genre d’outils qui permet à l’homme de dépenser ses forces avec plus d’économie et d’une manière plus avantageuse à sa santé? Ne dites pas que pour faire fleurir les arts il suffit d’avoir brisé leurs entraves et de les avoir arrachés à l’avidité d’un fisc dévorant; il faut éclairer l’ignorance qui ne connaît pas, et la pauvreté qui n’a pas les moyens de connaître ; et n’est-ce pas une belle aumône à faire à l’indigent, à l’ignorant, que de leur fournir le modèle d’outils les plus propres à seconder les travaux qui assurent leur subsistance? On remarque qu’en France les vis en bois sont généralement mauvaises par la rareté d’instruments propres à les fabriquer. La houe américaine, la navette volante, la manière de scier le bois sur la maille, comme le pratiquent les Hollandais, ont des avantages incontestables. Pourquoi sont-elles encore si peu usitées, sinon parce qu’on ne les connaît pas? L’artisan qui n’a vu que son atelier ne soupçonne pas la possibilité d’un mieux. Le projet que nous vous présentons va l’entourer de tous les moyens d’enflammer son émulation et de faire éclore ses talents. Celui qui ne peut être qu’imitateur y rectifiera sa pratique par la connaissance des bons modèles; celui qui peut voir à plus grande distance y fera des combinaisons nouvelles, car tous les arts ont des points de contact. Par là vous augmenterez la somme des connaissances et le nombre des connaisseurs. La chose est d’autant plus nécessaire que, pour certaines branches d’industrie, les connaissances les plus précieuses sont le partage d’un très petit nombre d’individus; par exemple, pour graver les caractères d’imprimerie, la France ne possède guère qu’une dizaine d’artistes habiles. L’on en compte à peine cinq à six pour la confection des instruments de mathématiques et de physique, et l’importation de ces objets coûtait à la France plusieurs millions par an. Un conservatoire qui avivera tous les arts vous coûtera beaucoup moins. C’est ici le cas d’observer combien il importe de construire au plus tôt un télescope à la manière d’Herschell. Il est possible qu’un ou plusieurs de nos vaisseaux soient engloutis dans les flots, parce que la République n’aura pas eu cet instrument. Ces idées qui paraissent très distantes ne le sont point aux yeux de quiconque voit la liaison intime qui existe entre le perfectionnement de l’astronomie et les succès de la navigation. La ci-devant académie des sciences avait trente mille livres en réserve qu’elle destinait à l’acquisition de cet instrument. Au commencement de la guerre elle crut devoir en faire don à la patrie ; cependant les savants conviennent que sa première destination était encore plus avantageuse ; ce travail demande plusieurs années. Hâtez-vous donc de mettre en réquisition les talents de Carocher, qui, déjà âgé, désire réaliser ce monument digne de la République, et faire un télescope de soixante pieds de long et de six pieds de diamètre ; c’est un tiers de plus que celui d’Herschell. Le Conservatoire des machines nous promet encore d’autres avantages. 1°. La langue des arts est dans l’enfance; les uns manquent de mots propres, les autres abondent en synonymes. D’ailleurs d’une manufacture à l’autre les dénominations varient et l’on ne s’entend plus. Il est donc essentiel de fixer et d’uniformer la technologie. 2°. Des hommes nés avec du génie ont quelquefois consumé un temps précieux pour inventer péniblement ce qui était inventé. Tel est ce citoyen venu du fond du Midi pour vous apporter une pendule décimalisée, qui n’offre rien de neuf qu’à ceux qui n’ont pas vu les ouvrages des Lepautre, des Janvier, des Berthoud; et, s’il avait connu les modèles préexistants, c’eût été son point de départ, et, au heu de tâtonner pour arriver à ce qui est connu, il aurait fait faire un pas de plus à la science. Souvent on vient fatiguer les législateurs et le gouvernement de prétendus secrets; je ne parle pas de ceux qui, n’ayant pas la moindre idée de la théorie des frottements, nous harcellent de leurs découvertes du mouvement perpétuel ; d’autres présentent, au lieu de SÉANCE DU 8 VENDÉMIAIRE AN III (29 SEPTEMBRE 1794) - N° 59 151 chimères, des vues saines, mais déjà réalisées; il suffira de les envoyer au dépôt, on leur dira : L’art est venu jusqu’ici, voyons ce que vous ajoutez à ses progrès. Avoir un moyen sûr de confondre les projetistes et les charlatans, c’est un avantage qui n’est pas à négliger en politique. Je passe au mode d’organisation : voici comment nous l’avons conçu. On choisira un local vaste et susceptible en partie de recevoir la forme d’amphithéâtre. Vos comités d’ Agriculture, des arts et des Finances se concerteront pour indiquer le plus convenable. On y réunira les instruments et les modèles de tous les arts dont l’objet est de nourrir, vêtir et loger. L’agriculture a le droit d’aînesse, elle aura la première place. Viendront ensuite les genres d’industrie qui lui sont contigus, et surtout les modèles de moulins les plus perfectionnés. Cette partie est peu avancée, et toutefois l’art de convertir le blé en pain influe puissamment sur la santé. Les instruments et outils pour les constructions et fabriques dans tous les genres seront distribués en sept classes, à peu près comme l’a proposé la commission temporaire des arts dans son instruction sur la manière d’inventorier les objets d’arts et de sciences. lre classe. Outils de débitage. 2e - Outils de dressage et moulière. 3e - Outils de perçage. 4e - Le tour et les outils qu’il suppose. 5e - Outils à faire les vis et les écrous. 6e - Outils pour construire les engrenages. 7e - Outils de gravure et d’imprimerie. C’est la perfection de ces détails qui amène celle des machines. Viendront ensuite les moulins à soie, les machines pour le cardage et la filature, les métiers à fabriquer des étoffes dans toutes les largeurs, les métiers pour les étoffes de diverses couleurs, pour fabriquer plusieurs pièces à la fois; les machines à faire des cordonnets; les métiers à tricot ordinaire, à tricot sans envers, à maille fixe, etc., etc. L’art des tissus, la coupe des pierres, la taille-douce, la menuiserie ; en un mot, chaque art y aura sa place. On évitera la cumulation des machines inutiles. A quoi servirait, par exemple, de réunir toutes les espèces de charrues et de tours? Ce qu’il y a de mieux dans tous les genres aura seul le droit de figurer dans ce dépôt. Aux machines seront joints, autant qu’il sera possible : 1°. Des échantillons du produit des manufactures nationales et étrangères, pour avoir toujours des pièces de comparaison. 2°. Le dessin de chaque machine. Aux écoles de dessin on fera dessiner par préférence tout ce qui tient aux arts mécaniques. 3°. La description qui conserve, pour ainsi dire, la pensée de l’inventeur. Elle sera accompagnée d’un vocabulaire et, s’il le faut, d’un renvoi aux divers ouvrages qui en traitent. Ces précautions sont nécessaires pour l’histoire de l’art, car, à mesure que l’industrie se perfectionne, les modèles peuvent disparaître. Le dessin et la description rappellent ce qui s’est fait, et peuvent mettre sur la route de nouvelles découvertes. On pourra même y joindre un recueil de livres analogues, au moyen des doubles qui se trouvent dans les dépôts littéraires. Si les anciens avaient pris de telles précautions, s’ils avaient consigné dans leurs écrits les procédés des arts, on n’aurait pas tant discuté sur l’airain de Corinthe, le feu grégeois, la pierre obsidienne et les vases murrhins ; peut-être n’aurait-on pas perdu la peinture alénéaus-tique, l’art de teindre en pourpre, et la composition du mastic employé par les Romains dans leurs bâtisses. Quand on ouvre le traité de Pan-cirole, on éprouve les regrets les plus amers sur une foule de découvertes qui sont ensevelies dans le passé. Les arts et métiers s’apprennent dans les ateliers, et ce n’est pas dans ce Conservatoire qu’on enseignera, par exemple, à faire des bas et du ruban; ce n’est pas là non plus où s’enseignera la partie chimique des arts, mais la partie mécanique, la construction des outils et des machines les plus accomplis, leur jeu, la distribution du mouvement, l’emploi des forces, et cette partie des sciences est également neuve et utile. Cet enseignement, placé à côté des modèles, exigera des démonstrateurs ; cependant quelques gens crieront peut-être qu’on va créer des places ; avec un mot et de forts poumons on fait taire les hommes timides, on entraîne les suffrages, et l’on empêche le bien. Si ces pitoyables déclamations pouvaient encore obtenir du crédit, il en résulterait qu’on doit anéantir les établissements déjà formés et brûler nos machines. Alors les censeurs doivent dire franchement : Nous ne voulons rien faire pour encourager l’industrie; ou qu’ils nous présentent un moyen de la faire fleurir sans l’intervention des hommes. Et moi aussi je me défie des hommes, car en général les étudier ce n’est pas le moyen de les estimer ; mais cependant je ne vois pas qu’il y ait à balancer entre le néant qui n’établit rien, et l’activité d’un gouvernement ami du peuple, qui crée des établissements, les améliore et les surveille. Je n’ai point encore parlé des dépenses, soit fixes, soit variables de cet établissement; nous les avons calculées à la somme de 16 mille livres annuellement, pour l’indemnité des membres qui formeront le Conservatoire, et nous avons cru qu’il fallait charger la commission d’ Agriculture et des arts de pourvoir aux dépenses provisoires de cet établissement sur les fonds mis à sa disposition. Après ce que vous avez fait pour la peinture et la sculpture, les arts mécaniques ne réclameront pas en vain. Si l’on considère d’ailleurs qu’il s’agit d’éclairer l’industrie, et de porter partout son flambeau, on verra que peut-être jamais argent ne fut placé à plus haut intérêt. En organisant le Conservatoire, l’Observatoire et le Muséum, vous avez décrété que les membres de ces établissements feraient, pour 152 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE leur partie respective, un règlement concernant les cours d’enseignement et la police intérieure, et que ce règlement serait approuvé par le comité d’instruction publique; la même chose peut être proposée pour le Conservatoire des arts mécaniques. Actuellement il s’agit de faire participer tous les départements au bienfait de cet établissement formé pour tous, car la Convention nationale n’a pas de prédilection ; toute la famille a les mêmes droits. Déjà, d’après l’instruction de la commission des Arts, dans tous les districts on a dû recueillir les machines et les modèles. Le Conservatoire sera le réservoir, dont les canaux fertiliseront toute l’étendue de la France. On transmettra dans les départements des dessins, des descriptions, et même des modèles de ce qui aura le cachet de l’utilité ; mais cependant avec la prudence qui, mettant la République en jouissance d’une invention nouvelle, en soustrait la connaissance à l’avidité de l’étranger. On demandera sans doute si cette réserve est possible, politique et juste. Malgré les soins de quelques peuples pour envelopper des ombres du mystère certains procédés, on a dérobé leurs secrets : d’ailleurs une découverte est presque toujours le résultat, le dernier terme des travaux scientifiques; et quand par des efforts combinés et soutenus les savants sont près du but, dans divers pays, il en est qui l’atteignent. Il est des découvertes qu’il importe de vulgariser pour imprimer à l’instant un mouvement général ; ainsi l’avez-fait pour la confection de la poudre. Vouloir celer ce procédé eût été une mauvaise spéculation. Entre les peuples comme entre les individus, il faut toujours en revenir à la morale; il faut enfin que la politique et la justice présentent une acception identique. Ainsi la question dont il s’agit sera utilement résolue par l’examen de ce qui est juste. Aucun peuple n’a droit d’arrêter la marche de la raison dans ce qui est nécessaire à l’existence des autres peuples; mais en formant le pacte social, les individus s’assurent des avantages exclusifs auxquels ne participent pas ceux qui ne sont pas membres de l’association; de ce principe dérivent l’établissement des douanes sur les frontières, les lois prohibitives concernant l’exportation de certaines marchandises. Une découverte peut être assimilée en quelque sorte à une mine qu’un peuple exploite exclusivement pour son profit, à un dessin de fortification qu’il lui importe de tenir caché. Ainsi, lorsqu’on empêche le passage à l’étranger d’une découverte, qui est une source de richesses nationales, et qu’on n’en rend dépositaires que les individus qui ont intérêt à ne pas la divulguer, ce n’est pas contredire les principes de la philanthropie universelle; et cette conduite est avouée par le droit des gens et l’usage de toutes les nations. Il est encore un moyen d’arriver à l’industrie, c’est de répandre avec profusion les livres élémentaires qui mettront en circulation les idées lumineuses et les principes propres à perfectionner les arts. L’article VI de la loi du 12 septembre 1791 veut qu’une partie des fonds destinés aux récompenses soit employée à la publication d’ouvrages utiles aux progrès de l’industrie. Le bureau de consultation des arts a fait deux cent vingt rapports sur les récompenses qu’il a décernées ; il lui en reste à faire une centaine. Le but de son institution serait manqué, si ces découvertes récompensées demeuraient enfouies, et ne devenaient pas la propriété commune. Quelques-uns de ces rapports ont été publiés; mais c’était une spéculation d’imprimeur mal exécutée, et dont il est résulté très peu d’avantages. La rédaction aurait dû présenter chaque objet d’une manière claire. Il fallait écrire sans emphase les manipulations, les procédés, les dessins, et les accompagner au besoin de gravures. On aurait dû distribuer l’ouvrage en fascicules, où chaque matière eût été classée. Par là on eût facilité aux artistes l’acquisition des parties qui leur conviennent. Il est d’ailleurs inconvenant de placer, par exemple, une découverte sur la manière de rendre le cuir impénétrable à l’eau, ou de faire une pouzzolane factice, à côté d’un mémoire factice sur le satinage des indiennes, ou sur une nouvelle machine à teiller les laines. Montrer les défauts c’est indiquer le remède. L’ouvrage est à refaire, on pourra l’améliorer en puisant dans les mémoires du Lycée des arts, dans la collection en deux volumes in-folio de Bulloy, sur les manufactures et le commerce. Cet ouvrage estimable n’a pas été traduit. Vous avez d’ailleurs, dans les papiers de la ci-devant Académie des sciences et dans les cartons de l’ancienne administration de commerce, une foule d’excellents mémoires inédits, et qu’il est instant de faire paraître. Dans le local du Conservatoire des machines, il y aura sans doute une salle d’exposition où toutes les inventions nouvelles viendront aboutir. Ce moyen absolument semblable à ce qui se pratique au Louvre pour la peinture et la sculpture nous a paru propre à féconder le génie, à échauffer l’émulation. Là, les citoyens viendront tour à tour s’éclairer par les bons modèles, et éclairer les artistes par la justesse de leurs observations. Ainsi le public, en dernier ressort, sera le juge des jugements portés par le bureau de consultation des arts, dont votre comité vous proposera bientôt la réorganisation. Une partie des membres sont dispersés dans diverses places ; ceux qui restent en nombre insuffisant pour leurs travaux sont surchargés, et cependant ils ne reçoivent aucun traitement ; votre justice fera disparaître ces abus. Il n’est pas un citoyen qui ne soit intéressé aux progrès des arts et métiers ; il n’est pas un jour, pas un instant, qu’il ne soit obligé de réclamer leur appui. Soyez sûrs que la formation de ce Conservatoire répandra la joie dans le cœur de tous les artisans, de tous les vrais amis de la patrie. Dans les vallons et sur les montagnes de la Suisse, j’ai vu des hommes avec l’attitude de la liberté vertueuse et fière, à la 153 SEANCE DU 8 VENDEMIAIRE AN III (29 SEPTEMBRE 1794) - Nos 60-61 suite de leurs charrues, à la tête de leurs troupeaux, porter une houlette, un sabre et des livres. Il faut de même que le Français sache se gouverner, se nourrir et se battre. Tandis que l’orgueil des despotes élève des palais cimentés par le sang et les larmes de ceux qu’ils nomment leurs sujets, vous vous occupez d’établissements propres à faire naître le bonheur dans les chaumières. Au milieu des tourmentes révolutionnaires, il est beau d’ouvrir des asiles à l’industrie, le plus industrieux sera toujours le plus libre. C’est donc calculer en politique que d’ôter tout prétexte à l’ignorance, à la fainéantise, et de faire en sorte que rien ne soit à meilleur compte que la science et la vertu. Grégoire lit un projet de décret; la Convention en ordonne l’ajournement et l’impression du rapport (87). 60 OUDOT : Le citoyen Valton a été pendant 25 ans comme homme de service chez un ci-devant secrétaire du tyran, nommé Paul Boucher, qui est mort sans lui laisser de récompense. Saint-Moris, ci-devant conseiller au Parlement, a fait en 1780 une pension rémunérative de 547 livres à Valton pour les services rendus à son oncle. Saint-Moris est émigré, et le département de Paris a refusé d’en payer les arrérages, sous le prétexte que l’acte de constitution de pension, quoique authentique, n’avait point été insinué, conformément à l’ordonnance de 1731. Cette loi déclare en effet nulles les donations qui n’auront pas été insinuées dans les 4 mois ou pendant la vie du donataire. Saint-Moris étant plus jeune que Valton, celui-ci s’est cru dispensé de faire remplir la formalité de l’insinuation; il a touché jusqu’à l’émigration de Saint-Moris les arrérages de cette pension. Mais le département ne voulant pas liquider cette pension, ni reconnaître la validité de l’acte, Valton s’est pourvu à la Convention. Sa pétition a essuyé plusieurs renvois de comités à d’autres. Nous ne croyons pas devoir faire plus longtemps attendre au pétitionnaire la justice qui lui est due. Il est plus que sexagénaire, il est estropié, il n’a que cette pension pour vivre avec sa femme; il lui est dû plusieurs arrérages, et il a fait plusieurs voyages longs et pénibles pour terminer cette affaire. Ce serait une mauvaise objection à lui opposer que de prétendre que Saint-Moris est mort civilement, et qu’aux termes des anciennes (87) Moniteur, XXII, 118-122. Débats, n° 738, 105; Ann. R. F., n° 9; Ann. Patr., n' 637; C. Eg., n” 722; F. de la Ré-publ., n” 9; Gazette Fr., n° 1002; J. Fr., n” 734; J. Mont., n° 153; J. Paris, n° 9; J. Perlet, n° 737; J. Univ., n° 1774; Mess. Soir, n" 772; M. U., XLIV, 122-123; Rép., n” 9. lois Valton ne peut plus être admis à faire insinuer son acte. Elle serait même injuste, si l’on considère que la nation regarde les émigrés comme vivants pendant 50 ans, et qu’elle profite de toutes les successions qui lui arrivent pendant cet espace de temps. La Convention ne peut donc les considérer comme morts, lorsqu’il s’agit de payer des dettes légitimes. Ici il ne peut y avoir de soupçon de fraude puisque l’acte est notarié; il est fait en 1780, et pour cause rémunératoire. La loi du 28 mars porte que les dispositions, les pensions rémunératoires, faites en faveur des instituteurs, nourrices, domestiques, pour service antérieur au 9 février 1792, sont confirmées. Votre comité a cru, d’après cette loi, que vous n’hésiteriez pas à adopter le décret suivant (88). Sur le rapport d’un membre du comité de Législation, la Convention décrète : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de Législation sur la pétition du citoyen Valton, tendante à réclamer une pension qui lui a été constituée par l’émigré Saint-Moris : Considérant que cette pension a pour cause 25 ans de services rendus par le pétitionnaire à un parent du même Saint-Moris, dont celui-ci étoit héritier ; confirme l’acte de constitution de cette pension créée au profit du citoyen Valton le 21 juillet 1780, quoique cet acte n’ait pas été insinué conformément aux anciennes lois; ordonne, en conséquence, que les arrérages échus lui en seront payés sur-le-champ. Le présent décret ne sera point imprimé (89). 61 OUDOT : Vous avez déjà décidé que les commissaires et entrepreneurs de roulage n’étaient point assujettis à faire de déclaration ni d’affiche des marchandises qui sont déposées momentanément chez eux, et qui n’y sont que pour être envoyées à leur destination. Vous avez décidé cette question, le 5 fructidor, sur la pétition de François Edeline, en cassant un jugement qui condamne ce particulier à la peine de fers. Il y a cependant des autorités constituées qui semblent vouloir étendre encore les dispositions de la loi du 12 germinal aux rouliers et aux entrepreneurs de messageries. Le 6 prairial dernier il y a eu un procès-verbal de saisie fait, par les commissaires aux accaparements de la section des Amis-de-la-Pa-trie, chez le citoyen Bricard fils, commission-(88) Moniteur, XXII, 112. (89) P. V., XLVI, 166-167. C 320, pl. 1328, p. 27, minute de la main de Oudot, rapporteur. Moniteur, XXII, 113; Débats, n° 738, 104.