ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juin 1789. 143 [États généraux.! dans les deux côtés du milieu, jusqu’au fond, étaient les membres de l’Assemblée nationale ; les quatre hérauts et le roi d’armes étaient placés au milieu. Le trône était élevé sur une estrade qui occupait le fond de la salle jusqu’à la seconde colonne. Au bas de cette estrade, autour d’une table, se trouvaient rangés les ministres. Un seul tabouret était vacant : c’était celui de M. Necker. Sur les onze heures, le Pmi sortit de son château. La voiture du Roi était précédée et suivie de la fauconnerie , des pages, des écuyers, et enfin des quatre compagnies des gardes du corps. Le Roi, accompagné des princes du sang, des ducs et pairs, des capitaines des gardes du corps, est entré dans la salle. A son arrivée, les députés se lèvent et ils se replacent ensuite. Roi prononce un discours pour annoncer l’objet de la séance. 11 est conçu en ces termes : Messieurs, je croyais avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour le bien de mes peuples, lorsque j’avais pris la résolution de vous rassembler, lorsque j’avais surmonté toutes les difficultés dont votre convocation était entourée, lorsque j’étais allé, pour ainsi dire, au devant des vœux de la nation, en manifestant à l’avance ce que je voulais faire pour son bonheur. Il semblait que vous n’aviez qu’à finir mon ouvrage, et la nation attendait avec impatience le moment où, par le concours des vues bienfaisantes de son souverain et du zèle éclairé de ses représentants, elle allait jouir des prospérités que cette union devait leur procurer. Les Etats généraux sont ouverts depuis près de deux mois, et ils n’ont point pu encore s’entendre sur les préliminaires de leurs opérations. Une parfaite intelligence aurait dû naître du seul amour de la patrie, et une funeste division jette l’alarme dans tous les esprits. Je veux le croire, et j’aime à le penser, les Français ne sont pas changés. Mais, pour éviter de faire à aucun de vous des reproches, je considère que le renouvellement des Etats généraux après un si long terme, l’agitation qui l’a, précédé, le but de cette convocation, si différent de celui qui rassemblait vos ancêtres, les restrictions dans les pouvoirs, et plusieurs autres circonstances, ont dû nécessairement amener des oppositions, des débats et des prétentions exagérées. Je dois au bien commun de mon royaume, je me dois à moi-même de faire cesser ces funestes divisions. C’est dans cette résolution, Messieurs, que je vous rassemble de nouveau autour de moi ; c’est comme le père commun de tous mes sujets, c’est comme le défenseur des lois de mon royaume, que je viens en retracer le véritable esprit, et réprimer les atteintes qui ont pu y être portées. Mais, Messieurs, après avoir établi clairement les droits respectifs des différents ordres, j’attends du zèle pour la patrie, des deux premiers ordres, j’attends de leur attachement pour ma personne, j’attends de la connaissance qu’ils ont des maux urgents de l’Etat, que dans les affaires qui regardent le bien général, ils seront les premiers à proposer une réunion d’avis et de sentiments que je regarde comme nécessaire dans la crise actuelle, qui doit opérer le salut de Ffitat. Un des secrétaires d’Etat lit ensuite la déclaration suivante : Déclaration du Roi, concernant la présente tenue des Etats généraux . Art. 1er. Le Roi veut que l’ancienne distinction des trois ordres de l’Etat soit conservée en son entier, comme essentiellement liée à la constitution de son royaume ; que les députés librement élus par chacun des trois ordres, formant trois Chambres, délibérant par ordre, et pouvant, avec l’approbation du souverain, convenir de délibérer en commun, puissent seuls être considérés comme formant le corps des représentants de la nation. En conséquence, le Roi a déclaré nulles les délibérations prises par les députés de l’ordre du tiers-état, le 17 de ce mois, ainsi que celle qui auraient pu s’ensuivre, comme illégales et inconstitutionnelles. Art. 2. Sa Majesté déclare valides tous les pouvoirs vérifiés ou à vérifier dans chaque Chambre, sur lesquels il ne s’est point élevé ou ne s’élèvera point de contestation ; ordonne Sa Majesté qu’il en sera donné communication respective entre les ordres. Quant aux pouvoirs qui pourraient être contestés dans chaque ordre, et sur lesquels les parties intéressées se pourvoiraient, il y sera statué, pour la présente tenue des Etats généraux seulement, ainsi qu’il sera ci-après ordonné. Art. 3. Le Roi casse et annule, comme anticonstitutionnelles, contraires aux lettres de convocation et opposées à l’intérêt de l’Etat, les restrictions des pouvoirs qui, en gênant la liberté des députés aux Etats généraux, les empêcheraient d’adopter les formes de délibération prises séparément par ordre ou en commun, par le vœu distinct des trois ordres. Art. 4. Si, contre les intentions du Roi, quelques-uns des députés avaient fait le serment téméraire de ne point s’écarter d’une forme de délibération quelconque, Sa Majesté laisse à leur conscience de considérer si les dispositions qu’elle va régler s’écartent de la lettre ou de l’esprit de Rengagement qu’ils auront pris. Art. 5. Le Roi permet aux députés qui se croiront gênés par leurs mandats de demander à leurs commettants un nouveau pouvoir ; mais Sa Majesté leur enjoint de rester, en attendant, aux Etats généraux pour assister à toutes les délibérations sur les affaires pressantes de l’Etat et y donner un avis consultatif. Art. 6. Sa Majesté déclare que, dans les tenues suivantes d’Etats généraux, elle ne souffrira pas que les cahiers ou mandats puissent être jamais considérés comme impératifs ; ils ne doivent être que de simples instructions confiées à la conscience et à la libre opinion des députés dont on aura fait choix. Art. 7. Sa Majesté ayant exhorté, pour le salut de l’Etat, les trois ordres à se réunir pendant cette tenue d’Etat seulement, pour délibérer en commun sur les affaires d’une utilité générale, veut faire connaître ses intentions sur la manière dont il pourra y être procédé. Art. 8. Seront nommément exceptées des affaires qui pourront être traitées en commun, celles qui regardent les droits antiques et constitutionnels des trois ordres, la forme de constitution à donner aux prochains Etats généraux, les propriétés féodales et seigneuriales, les droits utiles et les prérogatives honorifiques des deux premiers ordres. Art. 9. Le consentement particulier du clergé sera nécessaire pour toutes les dispositions qui pourraient intéresser la religion, la discipline ecclésiastique, le régime des ordres et corps séculiers et réguliers. Art. 10. Les délibérations à prendre par les trois ordres réunis sur les pouvoirs contestés et sur lesquelles les parties intéressées se pour- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |44 [États généraux.] voiraient aux Etats généraux, seront prises à la pluralité des suffrages; mais si les deux tiers des voix, dans l’un des trois ordres, réclamaient contre la délibération de l’Assemblée, l’affaire sera rapportée au Roi pour y être définitivement statué par Sa Majesté. Art. il. Si, dans la vue de faciliter la réunion des trois ordres, ils désiraient que les délibérations qu’ils auront à prendre en commun passassent seulement à la pluralité des deux tiers des voix, Sa Majesté est disposée à autoriser cette forme. Art. 12. Les affaires qui auront été décidées dans les Assemblées des trois ordres réunis seront remises le lendemain en délibération, si cent membres de l’Assemblée se réunissent pour en faire la demande. Art 13. Le Roi désire que, dans cette circonstance, et pour ramener les esprits à la conciliation, les trois Chambres commencent à nommer séparément une commission composée du nombre des députés qu’elles jugeront convenable, pour préparer la forme et la distribution des bureaux de conférences qui devront traiter les différentes affaires. Art. 14. L’Assemblée générale des députés des trois ordres sera présidée par les présidents choisis par chacun des ordres et selon leur rang ordinaire. Art. 15. Le bon ordre, la décence et la liberté même des suffrages exigent que Sa Majesté défende, comme elle le fait expressément, qu’aucune personne, autre que les membres des trois ordres composant les Etats généraux, puisse assister à leurs délibérations, soit qu'ils les prennent en commun ou séparément. Le Roi reprend la parole : « J’ai voulu aussi, Messieurs, vous faire remettre sous les yeux les différents bienfaits que j’accorde à mes peuples. Ce n’est pas pour circonscrire votre zèle dans le cercle que je vais tracer, car j’adopterai avec plaisir toute autre vue de bien public qui sera proposée par les Etats généraux. Je puis dire, sans me faire illusion, que jamais Roi n’en a autant fait pour aucune nation ; mais quelle autre peut l’avoir mieux mérité par ses sentiments que la nation française ! Je ne craindrai pas de l’exprimer ; ceux qui, par des prétentions exagérées ou par des difficultés hors de propos, retarderaient encore l’effet de mes intentions paternelles, se rendraient indignes d’être regardés comme Français. » Ce discours est suivi de la lecture de la déclaration que voici : Déclaration des intentions du Roi. Art. Ier. Aucun nouvel impôt ne sera établi, aucun ancien ne sera prorogé au delà du terme fixé par les lois sans le consentement des représentants de la nation. Art. 2. Les impositions nouvelles qui seront établies, ou les anciennes qui seront prorogées, ne le seront que pour l’intervalle qui devra s'écouler jusqu’à l’époque de la tenue suivante des Etats généraux. Art. 3. Les emprunts pouvant devenir l’occasion nécessaire d’un accroissement d’impôts, aucun n’aura lieu sans Je consentement des Etats généraux, sous la condition toutefois, qu’en cas de guerre, ou d’autre danger national, le souverain aura la faculté d’emprunter sans délai jusqu’à concurrenced’une somme de cent millions; car l’intention formelle du Roi est de ne jamais [23 juin 1789.] mettre le salut de son empire dans la dépendance de personne. Art. 4. Les Etats généraux examineront avec soin la situation des finances, et ils demanderont tous les renseignements propres à les éclairer parfaitement. Art. 5. Le tableau des revenus et des dépenses sera rendu public chaque année, dans une forme proposée par les Etats généraux, et approuvée par Sa Majesté. Art. 6. Les sommes attribuées à chaque départe-mentseront déterminées d’une manière fixe et invariable, etie Roi soumet à cette règle générale les fonds mêmes qui sont destinés à l’entretien de sa maison. Art. 7. Le Roi veut que, pour assurer cette fixité des diverses dépenses de l’Etat, il lui soit indiqué par les Etats généraux les dispositions propres à remplir ce but, et Sa Majesté les adoptera, si elles s’accordent avec la dignité royale et la célérité indispensable au service public. Art. 8. Les représentants d’une nation fidèle aux lois de l’honneur et de la probité ne donneront aucune atteinte à la foi publique, et le Roi attend d’eux que la confiance des créanciers de l’Etat soit assurée et consolidée de la manière la plus authentique. Art. 9. Lorsque les dispositions formelles annoncées par le clergé et la noblesse, de renoncer à leurs privilèges pécuniaires, auront été réalisés par leurs délibérations, l’intention du Roi est de les sanctionner, et qu’il n’existe plus, dans le payement des contributions pécuniaires, aucune espèce de privilèges ou de distinctions. Art. 10. Le Roi veut que, pour consacrer une disposition si importante, le nom de taille soit aboli dans tout le royaume, et qu’on réunisse cet impôt soit aux vingtièmes, soit à toute autre imposition territoriale, ou qu’il soit enfin remplacé de quelque manière, mais toujours d’après des proportions justes, égales, et sans distinction d’état, de rang et de naissance. Art. il. Le Roi veut que le droit de franc-fief soit aboli du moment où les revenus et les dépenses fixes de l’Etat auront été mis dans une exacte balance. Art. 12. Toutes les propriétés sans exception seront constamment respectées, et Sa Majesté comprend expressément sous le nom de propriétés les dîmes, cens, rentes, droits et devoirs féodaux et seigneuriaux, et généralement tous les droits et prérogatives utiles ou honorifiques, attachés aux terres et fiefs, ou appartenant aux personnes. Art. 13. Les deux premiers ordres de l’Etat continueront à jouir de l’exemption des charges personnelles; mais le Roi approuvera que les Etats généraux s’occupent des moyens de convertir ces sortes de charges en contributions pécuniaires, et qu’alors tous les ordres de l’Etat y soient assujettis également. Art. 14. L’intention de Sa Majesté est de déterminer, d’après l’avis des Etats généraux, quels seront les emplois et les charges qui conserveront à l’avenir le privilège de donner et de transmettre la noblesse. Sa Majesté, néanmoins, selon le droit inhérênt à sa couronne, accordera des lettres de noblesse à ceux de ses sujets qui, par des services rendus au Roi et à l’Etat, se seraient montrés dignes de cette récompense. Art. 15. Le Roi, désirant assurer la liberté individuelle de tous les citoyens d’une manière solide et durable, invite les Etats généraux* à chercher et à lui proposer les moyens les plus convenables de concilier l’abolition des ordres