[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 août 1789.] 359 qui peuvent répondre du mauvais usage qu’ils en feraient. Je demeure auprès d’une vaste forêt, dit un député breton; chasse qui veut, et personne n’en abuse. M. Tarsat. Dans la nuit du A, l’Assemblée a supprimé Te droit exclusif de la chasse; son intention n’a pas été de rien déterminer sur l’espèce des armes dont on pourrait se servir pour chasser. Le port d’armes doit être l’objet d’une délibération séparée. M. de Clermont-Tonnerre. Vous n’avez rien décidé relativement aux armes. Cette question vous sera bientôt soumise. Empêchons que les moyens employés pour défendre les propriétés nuisent à la chose publique... Ne nous effrayons pas sur les suites qu’on croit devoir craindre de ta liberté desarrnes.il ne faut pas s’étonner que le ressort de la liberté, comprimé depuis plusieurs siècles par le pouvoir arbitraire, se détende aujourd’hui avec impétuosité. Mais tout va rentrer dans l’ordre. Il est un autre objet qui doit vous occuper. Le régime des capitaineries pèse sur les propriétés; leurs prisons sont remplies de victimes. Je propose donc qu’il soit ajouté à l’article: 1° Sauf à se conformer aux lois de police qui seront faites relativement à la sûreté publique. 2° Toute capitainerie est dès ce moment abolie, ainsi que les tribunaux établis pour connaître des délits de chasse. 11 sera pourvu, par des moyens compatibles avec la liberté et le respect dû au Roi, à la conservation des plaisirs personnels à Sa Majesté. 3° Le président sera autorisé à demander au Roi que les prisonniers arrêtés pour délits de chasse soient mis en liberté, Un membre du clergé propose de demander la grâce des malheureux condamnés aux galères ou au bannissement pour fait de chasse. M. le prince de I*oix appuie les amendements de M. de Clermont-Tonnerre. M. le duc d’Orléans. J’observe cjue, dans la rédaction du second article proposé par M. le comte de Clermont-Tonnerre, il faut ajouter capitainerie royale, parce que les capitaineries dont nous jouissons sont appelées royales. (On applaudit.) M. le comte de Ulontboissier demande qu’on statue sur le remboursement du prix des charges des capitaineries. M le duc d’Orléans observe encore qu’il ne suffit pas de mettre capitainerie royale , parce qu’il y en a qui ne portent pas ce nom; il propose de mettre toutes capitaineries, même royales , etc. M. le Président met en délibération l’arrêté suivant : « Le droit exclusif de la chasse et des garennes ouvertes est pareillement aboli, et tout propriétaire a le droit de détruire et faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourront être faites relativement à la sûreté publique. » Cet article passe à une grande majorité. M. le Président met ensuite en délibération l’amendement proposé sur l’abolition des capitaineries. Quelques députés voudraient que l’on laissât au Roi l’honneur d’un pareil sacrifice. D'autres membres demandent qu’on ne touche pas aux plaisirs du Roi. M. le comte de Mirabeau. On vient de déclarer que le droit de chasse est inhérent à la propriété, et ne peut plus en être séparé. Je ne comprends pas comment l’on propose à J’Assemblée qui vient de statuer ce principe, de décider que le Roi, ce gardien, ce protecteur de toutes les propriétés, sera l’objet d’une exception dans une loi qui consacre les propriétés. Je ne comprends pas comment l’auguste délégué de la nation peut être dispensé de la loi commune. Je ne comprends pas comment vous pourriez disposer en sa faveur de propriétés qui ne sont pas les vôtres. Mais la prérogative royale 1 Ah! certes la prérogative royale est d’un prix trop élevé à mes yeux pour que je consente à la faire consister dans le futile privilège d’un passe-temps oppressif. Quand il sera question de la prérogative royale, c’est-à-dire, comme je le démontrerai en son temps, du plus précieux domaine du peuple, on jugera si ]’en connais l’étendue, et jeaéfie d’avance le plus respectable de mes collègues d’en porter plus loin le respect religieux. Mais la prérogative royale n’a rien de commun avec ce que l’on appelle les plaisirs du Roi, qui n’enserrent pas une étendue moindre que la circonférence d’un rayon de vingt lieues, où s’exercent tous les raffinements de la tyrannie des chasses. Que leRoi, connue tout autre propriétaire, chasse dans ses domaines; ils sont assez étendus sans doute. Tout homme a droit de chasse sur son champ, nul n’a droit de chasse sur le champ d’autrui : ce principe est sacré pour le monarque comme p:ur tout autre. QuaDt à la suppression des tribunaux pour le fait des chasses, elle est impossible à prononcer sans un autre arrangement dans l’ordre judiciaire, puisqu’ils connaissent d’autres délits; et l’addition que t’on vous propose est inutile, puisque du moment où vous déclarez qu’il ne peut plus y avoir de délit pour le fait des chasses, vous abrogez les lois qui les concernent, et vous dépouillez par le fait tous les tribunaux de cette juridiction. En général, Messieurs, prenons garde de surcharger nos décrets de formules oiseuses et de prescriptions inutiles: c’est ainsi qme T ou discrédite la loi, et que l’on introduit l’arbitraire; et pour en citer un exemple avec toute la circonspection que l’on doit à un arrêté déjà pris, je désire vivement que cette formule, sauf les lois de police qui pourront être faites, n’émane jamais de cette Assemblée: car elle est superflue si elle énonce simplement que le législateur peut faire des lois pour la sûreté publique; mais elle est dangereuse, elle favorise la tyrannie, si elle subordonne le droit commun des citoyens à des lois qui pourront être faites. M. Tréteau assure qu’il tient d’une personne digne de foi, que l’on se sert de pièges d’hommes dans les capitaineries. Les capitaineries sont abolies d’un consentement unanime. Un paragraphe est ajouté à l’article. Le voici tel qu’il est décrété : 360 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 août 1789.] « Art . 2. Le droit exclusif de citasse et des garennes est pareillement aboli, et tout propriétaire a le droit de détruire et de faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourront être faites relativement à la sûreté publique. « Toutes capitaineries, même royales, et toute réserve de chasse, sous quelque dénomination que ce soit, sont pareillement abolies ; et il sera pourvu, par des moyens compatibles avec le respect dû aux propriétés et à la liberté, à la conservation des plaisirs personnels du Roi. » M. le Président propose de statuer sur les peines prononcées et les emprisonnements pour fait de chasse. L’Assemblée prend la résolution suivante: « M. le président est chargé de demander au Roi le rappel des galériens et des bannis pour simple fait de chasse, l’élargissement des prisonniers actuellement détenus, et l’abolition des procédures existant à cet égard. » On allait entamer la discussion de l’article suivant, lorsque M. le Président annonce l’arrivée des ministres envoyés par le Roi. On donne ordre de les introduire. Un moment après sont entrés, MM. Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, garde des sceaux ; M. le maréchal de Beauvau; M. le comte de Montmorin; M. de La Luzerne, évêque de Langres; M. Necker, contrôleur général des finances ; M. le comte de Saint-Priest ; M. Le Franc de Pompignan, archevêque de Vienne et M. le comte de La Touc-du-Pin-Paulet, ministre de la guerre. Les ministres accueillis par des applaudissements prennent place dans le parquet. Un grand silence s’établit. * M. Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, prenant la parole, dit : Messieurs, nous sommes envoyés vers vous par le Roi, pour déposer dans votre sein les inquiétudes dont le cœur paternel de Sa Majesté est agité. Les circonstances sont tellement impérieuses et pressantes, qu’elles ne nous ont pas permis de concerter avec vous les formes avec lesquelles doivent être reçus les envoyés du Roi ; formes auxquelles nous n’attachons personnellement aucune importance, mais que vous jugerez sans doute nécessaire de régler pour l’avenir, par un juste égard pour la dignité et la majesté du Trône. Pendant que les représentants de la nation, heureux de leur confiance dans le monarque, et de son abandon paternel à leur amour, préparent le bonheur de la patrie et en posent les inébranlables fondements, une secrète et douloureuse inquiétude l’agite, la soulève, et répand partout la consternation. Soit que le ressentiment des abus divers dont le Roi veut la réforme, et que vous désirez de proscrire pour toujours, ait égaré les peuples; soit que l’annonce d’une régénération universelle ait fait chanceler les pouvoirs divers sur lesquels repose l’ordre social: soit que des passions ennemies de notre bonheur aient répandu leur maligne influence sur cet empire : quelle qu’en soit la cause, Messieurs, la vérité est que l’ordre et la tranquillité publics sont troublés dans presque toutes les parties du royaume. Vous ne l’ignorez pas, Messieurs, les propriétés sont violées dans les provinces ; des mains incendiaires ont ravagé les habitations des citoyens ; les formes de la justice sont méconnues , et remplacées par des voies de fait et par des proscriptions. On a vu en quelques lieux menacer les moissons et poursuivre les peuples jusque dans leurs espérances. On envoie la terreur et les alarmes partout où l’on ne peut envoyer des déprédateurs ; la licence est sans frein, les lois sans force, les tribunaux sans activité ; la désolation couvre une partie de la France, et l’effroi l’a saisie toute entière ; le commerce et l’industrie sont suspendus, et les asiles de la piété même ne sont plus à l’abri de ces emportements meurtriers. Et cependant, Messieurs, ce n’est pas l’indigence seule qui a produit tous ces Roubles. On sait que la saison ménage des travaux à tous, que la bienfaisance du Roi s’est exercée de toutes les manières, que les riches ont plus que jamais partagé leur fortune avec les malheureux. Se pourrait-il donc qu’à cette époque, où la représentation nationale est plus nombreuse, plus éclairée, plus imposante qu’elle n’a jamais été; où la réunion de tous les membres de l’Assemblée dans un seul et même corps, et son union intime de principes et de confiance avec le Roi, ne laissent aucune resssource aux ennemis de la prospérité publique ; se pourrait-il que tant et de si grands moyens fussent impuissants pour remédier aux maux qui nous pressent de toutes parts ! Vous l’avez justement pensé, Messieurs: une belle et sage constitution est et doit être le principe le plus sûr et le plus fécond du bonheur de cet empire. Sa Majesté attend avec la plus vive impatience le résultat de vos travaux, et elle nous a expressément chargés de vous presser de les accélérer ; mais les circonstances exigent des précautions et des soins dont l’effet soit plus instant et plus actif. Elles exigent que vous preniez les plus promptes mesures pour réprimer l’amour effréné du pillage et la confiance dans l’impunité; que vous rendiez à la force publique l’influence qu’elle a perdue. Ce n’est point celle que vous autoriserez, qui sera jamais dangereuse; c’est le désordre armé qui le deviendra chaque jour davantage. Considérez, Messieurs, que le mépris des lois existantes menacerait bientôt celles qui vont leur succéder: c’est aux lois que la licence aime à se soustraire, non point parce u’elles sont mauvaises, mais parce qu’elles sont es lois. Vous réformerez les abus qu’elles présentent; vous perfectionnerez l’ordre judiciaire dans toutes ses parties. Le pouvoir militaire deviendra, comme il doit l’être, de plus en plus redoutable à l’ennemi, utile au maintien de l'ordre, sans qu’il puisse être jamais dangereux pour le citoyen. Mais jusqu’à ce qne votre sagesse ait produit ces grands biens, la nécessité réclame le concours de vos efforts et de ceux de Sa Majesté, pour le rétablissement de l’ordre et l’exécution des lois. Sa Majesté compte assez sur la sagesse des résolutions que vous prendrez à ce sujet, pour vous annoncer d’avance qu’elle s’empressera de les sanctionner et de les faire exécuter dans tout sou royaume. Il était juste, Messieurs, de vous entretenir d’abord de la subversion générale de la police publique. Il était juste de vous demander l’emploi de tous vos moyens pour son rétablissement. Le ministre vertueux que le Roi vous a rendu, qu’il a rendu à vos regrets et à votre estime, va vous montrer, sous une nouvelle face, les funestes effets de ces mêmes désordres ; il va mettre sous vos yeux l’état actuel des finances.