554 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLE31ENTA1RES. grand danger d’essuyer toutes les horreurs de la famine, si Ja dernière de ces ordonnances, relative à l’introduction des farines étrangères n’est pas, par provision, prorogée pour six mois. Plusieurs députés, négociants , croient qu’il est convenable d’éloigner le jugement de cette affaire, en soutenant que le ministre et le commerce doivent être entendus. M. le Président prévient l’Assemblée que M. le comte de La Luzerne, secrétaire d’Etat de la marine, est disposé à venir à l’instant donner tous les éclaircissements possibles, et que le cas étant urgent, on pourrait prendre un parti dans la séance même. M. de Gouy-d’Arcy , député de Saint-Domingue, représente que depuis trois semaines il sollicitait une décision; qu’il n’avait jamais cru que la demande provisoire et limitée que faisait la colonie pût entraîner une discussion avec le ministre et avec le commerce ; mais que, puisque cette affaire était discutée et que le ministre offrait de donner à l’instant des renseignements précis, il priait l’Assemblée d’y consentir, attendu que le décret qui devait consoler les habitants infortunés de Saint-Domingue ne pourrait leur être connu avant un espace de deux mois. M. Mairac dit que si la demande provisoire était admise, elle préjugerait la grande question des lois prohibitives, qui doit demeurer dans son entier jusqu’à ce que cette loi et toutes celles qui concernent les colonies aient été soumises à un examen approfondi; que la demande provisoire est inutile parce que les gouverneurs de Saint-Domingue ont toujours eu la faculté de recourir à la Nouvelle-Angleterre, pour suppléer à la disette des farines sans prendre les ordres du Roi; cette faculté a le même effet que la demande provisoire sollicitée par les députés de Sainfc-Do-mingue; des précautions sont prises depuis le mois de mars. Aux termes même de l’arrêt du conseil qui a cassé l’ordonnance de M. du Chil-leau, du 9 mai dernier, celte ordonnance doit être exécutée trois mois après l’enregistrement à Saint-Domingue, ce qui en étend le terme jusqu’à la fin de l’année. D’après ces considérations, la demande est sans intérêt, et l’orateur pense qu’il n’y a lieu à délibérer. L’Assemblée, après avoir entendu les diverses propositions, arrête : « Qu’il sera nommé un comité chargé de lui rendre compte incessamment de l'affaire de Saint-Domingue; « Que ce comité d’instruction préalable sera composé de six membres nommés par le comité d’agriculture et de commerce, mais qui ne pourront être pris parmi les personnes intéressées, ou comme colons, ou comme négociants avec les colonies. » Un de MM. les secrétaires donne lecture de la liste des membres élus pour composer le nouveau comité des recherches. MM. MM. Le duc Havre de Croï. Viguier. Turpin. Le marquis Lezay de Mar-- Colbert de Seygnelay, évê-nézia. que de Rodez. Mathias , curé d’Eglise-Le marquis de Crillon. Neuve. Madier de Monjau. Marchais. Roulhac. Guinebaud. De LachCze. [4 septembre 1789.] M. le vicomte de Mirabeau fait une proposition relative à l’ordre des places dans la salle et dans les galeries. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. le Président indique la séance de demain pour neuf heures du matin. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE LA LUZERNE, ÉVÊQUE DUC DE LANGRES. Séance du vendredi 4 septembre 1789 (1). Il a été donné communication à l’Assemblée des adresses des villes d’Oloron en Béarn, de Salons en Provence, d’Hontleur, de Malzieu en Languedoc, d’Ornans en Bourgogne, de Saint-Nazaire, de la commission intermédiaire des communes de Bigorre, de la ville de Saissac en Languedoc, des officiers municipaux de la ville de Vie en Haute-Auvergne, portant toutes adhésion aux arrêtés de l’Assemblée, félicitations et remercîments; d’une délibération du comité permanent de la ville de Pamiers, qui adhère aux arrêtés; d’une adresse de reconnaissance et d’adhésion aux arrêtés du 4 août, des habitants du bourg d’Auriabat, qui annoncent qu’ils ont consacré ledit jour 4 août de chaque année à uue fête solennelle et religieuse; d’une lettre des officiers de fortune en garnison à Neuf-Château en Lorraine, relativement à l’article de l’arrêté du 4 août, sur l’admission de tout citoyen aux emplois civils et militaires, sans distinction de naissance; d’une délibération de la ville de Soissons, contenant adhésion au projet conçu par la province de Touraine, pour venir promptement au secours de l’Etat; d’une lettre de la commission intermédiaire des Etats du Dauphiné, qui annonce les précautions prises pour découvrir l’origine des troubles de la province; d’une lettre des maire et consuls, gouverneurs de Villeneuve-lès-AvigQon, sénéchaussée de Nîmes, qui contient adhésion, témoignage de respect, et rend compte de la détention d’un particulier accusé d’avoir excité le trouble. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion relative à la sanction royale. M. le Président. M. Mounier a la parole pour exposer au nom du comité de Constitution les motifs de divers articles du plan de Corps législatif et principalement ceux qui se rapportent a la nécessité de la sanction royale. M. Mounier. Messieurs, l’organisation du Corps 'législatif est la partie la plus importante de la Constitution d’un peuple; elle détermine la formation des lois, et comme c’est la loi qui doit garantir les droits imprescriptibles des hommes, comme c’est elle qui doit tracer leurs devoirs, ou peut dire que c’est dans le Corps législatif que réside essentiellement la liberté publique. Le comité de Constitution doit vous rendre compte des motifs qui ont dicté les différents ar-(1) Celte séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1789 ] 555 ticles du projet dont il vous a été fait lecture dans la séance du 31 août dernier. C’est une vérité incontestable que le principe de la souveraineté réside dans la nation, que toute autorité émane d’elle; mais la nation ne peut se gouverner elle-même. Jamais aucun peuple ne s’est réservé l’exercice de tous les pouvoirs. Tous les peuples, pour être libres et heureux, ont été obligés d’accorder leur confiance à des délégués, de constituer une force publique pour faire respecter les lois, et de la placer dans les mains d’un ou de plusieurs dépositaires. Dans plusieurs républiques, il est vrai, le peuple s’est réservé le droit de donner en corps son consentement aux lois proposées par ses magistrats; mais ce droit n’a pu être mis en usage que dans les petits Etats, dont les citoyens pouvaient facilement se réunir en assemblée générale, où la classe la plus nombreuse était privée du droit de cité, soit qu’elle fût composée d’esclaves, soit quelle fût composée de famillesconsidérées comme étrangères; et encore, malgré ces injustes et cruelles précautions, combien de sources funestes de divisions et de haines ont éclaté dans les assemblées populaires et législatives ! Avec quelle facilité on parvenait à séduire la multitude, à briser toutes les limites dont les lois avaient entouré le pouvoir législatif! Avec quel empressement le peuple courbait la tête sous le joug d’un tyran qui l'égarait par ses flatteries! Avec quelle aveugle fureur il servait les passions de ses ennemis, et persécutait ceux qui s’étaient dévoués pour son bonheur! Ce qui produisait tant d’inconvénients dans de petits Etats, serait certainement impossible dans un vaste empire. Une grande nation doit préférer la forme de gouvernement qui permet à tous ses citoyens d’être libres, et de jouir en paix des bienfaits de la nature. Elle ne remplirait point ce but, si elle formait la téméraire entreprise de retenir elle-même la faculté de faire des lois, ou de les exécuter. Pour donner au pouvoir exécutif le degré de force et de célérité qu’il doit avoir dans un grand Etat, il faut le placer dans les mains d’un monarque. Pour ne pas s’exposer à décorer du nom de ' lois des décisions dictées par des intérêts particuliers, il faut qu’elles ne puissent être établies sans la volonté d’une Assemblée de représentants librement élus. Il serait inutile de démontrer ici l’excellence de cette forme de gouvernement, qu’il faut appeler, quoi qu’on en puisse dire, gouvernement monarchique. On objecte, il est vrai, que plusieurs Etats, soumis au régime arbitraire, se glorifient également du nom de monarchie; mais on doit attacher aux mots le sens qu’on est convenu de leur donner. Communément on distingue la monarchie du despotisme, en ce que, dans la première, le prince gouverne suivant les lois. Sa volonté n’y est donc pas une loi. Ainsi, tout gouvernement où la puissance du prince est dirigée par les lois, est véritablement monarchique; et la Constitution que vous assurerez à la France justifiera sans doute cette définition, et préviendra sur ce point toute incertitude. Nous avons examiné cette importante question, si les lois doivent être délibérées dans une seule Chambre, ou si deux Chambres sont absolument nécessaires. Nous avons ôté convaincus de la nécessité de distinguer les moyens propres à créer une Constitution, de ceux qui doivent la maintenir. L’Assemblée présente, chargée de fixer l’organisation des pouvoirs, et d’élever l’édifice de la liberté, devait être formée par un seul corps, afin d’avoir plus de force et de célérité; mais ce même degré de force, s’il était conservé après la Constitution, finirait par tout détruire. Et comment empêcher pour l’avenir, dans une seule Assemblée, les erreurs, la précipitation, l’enthousiasme? Comment espérer qu’elle abaissera son pouvoir devant celui de la Constitution, et que, dans les différends qui s’élèveront entre elle et le trône, l’un ou l’autre ne sera pas renversé? Des hommes réunis pour faire des lois, des hommes honorés de la confiance publique, considérés comme les gardiens, comme les dépositaires de la liberté du peuple, auraient une si grande autorité qu’il leur serait facile chaque jour d’en étendre les limites; et le véto que pourrait opposer le monarque à leurs résolutions serait presque toujours une arme impuissante. Que de moyens en effet aurait une seule Chambre pour triompher d’un pareil obstacle! Le refus de l’impôt, l'influence dont elle jouirait sur le peuple permettraient bien rarement au prince de lui résister. Sans cesse entraînée par les discours véhéments de ses orateurs, ou par l’impression subite qu’elle recevrait de tous les événements, elle se mettrait au-dessus de toutes les règles. Vainement la Constitution aurait circonscrit son pouvoir, elle en altérerait fréquemment les dispositions. Les atteintes indirectes qu’elle pourrait y porter ne seraient pas aperçues par la nation, et peut-être même séduiraient la multitude. Des lois nouvelles succéderaient rapidement à d’autres lois. La législation redeviendrait bientôt un cahos où l’on ne pourrait se diriger que par des interprétations arbitraires : parmi tant de changements, la liberté publique ne saurait être conservée; l’anarchie ou l’esclavage en seraient la suite nécessaire, car une seule Assemblée pourrait être aussi funeste à la liberté du peuple qu’à l’indépendance de la couronne. Elle pourrait, dans un moment d’enthousiasme, accroître la puissance d’un Roi victorieux, ou, dans des circonstances difficiles, établir en faveur du prince une dictature qui deviendrait perpétuelle. Deux Chambres, au contraire, délibérant séparément, assurent la sagesse de leurs résolutions respectives, et rendent au Corps législatif la marche lente et majestueuse dont il ne doit jamais s’écarter. Il est inutile de répéter les motifs qui ont déterminé le comité à proposer deux Chambres, et qui ont été exposés par M. de Lally. Le comité a cru qu’une des Chambres formée par les députés librement et directement élus parle peuple dans toutes les parties du royaume, pourrait être appelée la Chambre des représentants, et que l’autre pourrait porter le nom de Sénat; il ne s’est point expliqué sur la composition de celle-ci. 11 a cependant été convaincu que les sénateurs et les représentants devraient êlre dans une position différente, afin de n’être pas animés des mêmes passions, et que s’il existait une identité parfaite dans les formes de leur élection, ils seraient constamment dirigés parles mêmes vues ; qu’alors le Sénat ne pourrait plus maintenir la Constitution, s’opposer à la précipitation des représentants, et protéger tout à la fois la liberté des citoyens et les prérogatives de la Couronne. Si le nom de Sénat pouvait choquer, parce qu’il rappelle des corps aristocratiques, on devrait considérer que le Sénat d’Athènes et ceux des Américains ont ennobli cette dénomination. D’ailleurs, il serait facile de substituer à ce mot 556 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. le Dora de conseil national, ou de Chambre des conservateurs, ou tout autre du même genre. Le comité a pensé que les deux Chambres devraient avoir également le droit de proposer et de refuser une nouvelle loi. Les inconvénients qui doivent déterminer à ne pas donner l’initiative au Monarque ne se présentent pas à l’égard du Sénat. Il n’est pas à craindre que sur deux Chambres, toujours assemblées en même temps, l’une puisse s’emparer, au préjudice de l’autre, de la faculté de proposer et de rédiger les lois. Ainsi il ne résulterait de ce concours qu’une émulation très-utile au bien public. Si les sénateurs étaient à vie, il suffirait peut-être, comme quelques personnes le désirent, qu'ils eussent simplement le droit de suspendre; mais, si l’on préfère des sénateurs éligibles pour un temps déterminé, il serait certainement impossible de ne pas leur accorder le droit de s’opposer aux résolutions des représentants. Il faut que le Sénat soit formé par des hommes dignes de la confiance publique. Il serait plus dangereux qu’utile, s’il était composé par ceux qui n’auraient pu se faire élire au nombre des représentants : ce ne serait nas à une pareille Chambre qu’il conviendrait de confier le jugement des crimes d’Etat, et comment espérer qu’on s’empresserait de se placer au rang de sénateurs, si leurs fonctions étaient moins importantes que celles des représentants? Dans la plupart des sénats américains, il faut, pour être éligible, avoir un revenu considérable en propriétés foncières, et le consentement des sénateurs est nécessaire pour les nouvelles lois. Craindrait-on de trop multiplier les obstacles et d’enchaîner l’activité du Corps législatif? Mais, si les lois proposées ne sont pas contraires à la Constitution, si elles sont utiles à la félicité générale, quel intérêt pourrait porter les sénateurs à les combattre ? Ce n’est jamais en rendant les nouvelles lois difficiles qu’on attaque la liberté, c’est en perdant le respect pour les anciennes, c’est en prenant des résolutions imprudentes et précipitées. Dira-t-on qu’il serait absurde de subordonner la volonté de la nation à des sénateurs? Mais, si les sénateurs étaient établis par la nation elle-même, ils seraient aussi ses mandataires; ils seraient aussi les organes de sa volonté, et les représentants ne recevraient que la portion d'autorité dont la nation n’aurait pas disposé en faveur du monarque et du Sénat. Le comité a proposé de déclarer que, pour être représentant, il faudrait être âgé de vingt-cinq ans. Vous examinerez, Messieurs, s’il serait utile de devancer la majorité et d’ouvrir plutôt à la jeunesse une noble carrière qui, dans l’âge des Eussions , tournerait son ardeur vers l'utilité pu-lique, et lui inspirerait le désir de se rendre digne de la confiance du peuple. Les représentants et les sénateurs doivent être Français ou naturalisés. Il faudrait être un bien zélé cosmopolite pour soutenir que des étrangers sont éligibles. On détruit les affections des hommes quand on veut trop les généraliser. 11 faut des liens de patrie aux citoyens, comme il leur faut des liens de famille. Vous n’avez aucun droit de compter sur la fidélité, sur la soumission aux lois, de l’homme qui n’est pas né parmi vous. Il faut aimer son pays pour le servir avec ardeur; et l’étranger qui voudrait mériter l’honneur d’être appelé aux emplois publics, devrait auparavant se faire admettre dans l’association, après avoir prouvé qu’il est digne de 14 septembre 1789.} cet avantage : ces preuves seraient fixées par les formes de la naturalisation. Le comité, en indiquant les qualités qui doivent donner aux citoyens la faculté d’être électeurs et éligibles pour la Chambre des représentants, s’est vu obligé de prononcer entre deux inconvénients qui choquent en apparence la liberté naturelle. Il est évident qu’on ne peut pas admettre tous les citoyens indistinctement au nombre des électeurs et des éligibles ; ce serait s’exposer à confier le sort de l’Etat à des mains inexpérimentées, qui en consommeraient rapidement la ruine. Il fallait donc ou restreindre le nombre des électeurs, et ne mettre aucune borne à leur choix, ou laisser à tous les citoyens le droit d’élire, et leur tracer des règles pour diriger leur nomination. Le premier parti eût été beaucoup plus contraire aux principes. Tous les citoyens ont le droit d’influer sur le gouvernement, aü moins par leurs suffrages ; Ils doivent en être rapprochés par la représentation. Si vous exigez pour les électeurs des qualités qui en limitent le nombre, vous rendez tous ceux qui seront exclus étrangers, à leur patrie, indifférents sur sa liberté. Ces réflexions ont déterminé le comité à proposer d’admettre parmi les électeurs tous ceux qui payeront une imposition directe égale au prix de trois journées de travail. Considérant que les électeurs ne choisissent pas pour leur intérêt seul, mais pour celui de tout l’empire, il a cru qu’il serait convenable de ne déclarer éligibles que ceux qui posséderaient une propriété foncière. C’est un hommage rendu à la propriété qui complète la qualité de ciioyen. C’est un moyen de plus de faire aimer les campagnes ; c’est un motif de croire que le représentant est au-dessus du besoin. C’est mettre une bien faible entrave à la liberté du choix; car tout homme jugé digne par ses lumières et ses vertus de la confiance d’un district pourra facilement se procurer une propriété quelconque, la valeur n’en étant pas déterminée. Exiger que les électeurs aient un domicile dans le lieu de l’élection, et qu’ils ne puissent élire en deux lieux à la fois, c’est prévenir un grand nombre d’intrigues; d’ailleurs un citoyen quelsque � soient son rang et sa fortune, ne doit pas être re-* présenté plus qu’un autre ; et quand il a consommé son droit en donnant son suffrage, s’il va le donner dans un autre lieu, il usurpe le droit d’autrui. Afin qu’on puisse moins facilement surprendre la confiance des électeurs, et qu’ils soient à portée de juger les mœurs et les talents de ceux qui se présentent pour être choisis, le comité a proposé de déclarer que pour être éligible il faudrait être domicilié dans rétendue du ressort de l’administration provinciale. La représentation est défectueuse et même chimérique si elle s’éloigne de son principe, c’est-à-dire de ceux qui doivent être représentés. H ne doit jamais y avoir que deux élections: l’une pour nommer les électeurs, et l’autre pour choisir les représentants. Si les districts out une trop grande étendue, et qu’on multiplie le nombre des représentants, on rassemble les hommes qui n’ont eu aucune occasion de se connaître, et dont les suffrages ne peuvent plus être dirigés que par des intrigues. Le comité a proposé de former des districts qui seraient peuplés, autant qu’il serait possible, de 150,000 âmes. Deux cents habitants fourniraient un électeur. Les électeurs étant réunis dans le chef-lieu du district seraient consc- [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 17S9.J 557 quemment au nombre de 750 ; ils nommeraient trois représentants, de manière que la Chain lire des représentants serait formée par environ 600 personnes. La Chambre des communes d’Angleterre renferme, il est vrai, presque un aussi grand nombre de représentants; mais on ne peut jamais proportionner le nombre des membres du Corps législatif à la population ; c’est la possibilité de délibérer avec ordre et la facilité de s’entendre qui doivent servir de règles, et sous ce point de vue la ville de Genève pourrait avoir un Corps législatif aussi nombreux que celui du plus vaste royaume. Au sujet des élections des représentants, le comité a examiné cette question, si les électeurs pourraient à l’avenir dicter leurs volontés particulières à leurs députés, ou s’ils devaient se borner à les élire. 11 a réfléchi que lorsqu’un peuple n’a pas une Constitution déterminée, ses représentants ne peuvent exercer d’autres fonctions que celles qui leur ont été prescrites par les habitants du district où ils ont été choisis ; ils ne sont alors que des procureurs fondés, que des porteurs de pouvoirs : mais une nation qui voudrait persister dans un pareil usage ne devrait pas entreprendre de former une Constitution ; son gouvernement serait bientôt détruit. Il serait impossible à des hommes qui délibèrent en même temps à de grandes distances, je ne dis pas de s’éclairer ni de former une résolution commune, mais même de s’accorder sur les objets de leurs demandes. Le Corps législatif serait sans force: chacun serait obligé de présenter son cahier comme la loi suprême à laquelle il faut se rendre. Les provinces ou les districts voudraient bientôt faire prévaloir leur avis dans l’Assemblée générale ; ils voudraient tout subordonner à leurs intérêts. Bientôt on verrait renaître le choc de leurs prétentions, et ensuite les cahiers de doléances. Les Assemblées redeviendraient inutiles, et la liberté publique serait anéantie. Il faut nécessairement qu’un peuple qui ne peut délibérer en un seul corps accorde sa confiance, délègue l’exercice de sa souveraineté, et donne à ceux qui seront élus dans les diverses parties de l’Elat le droit de délibérer pour lui; car il n’est rien de plus dangereux, de plus propre à favoriser l’anarchie et la discorde, de plus contraire à tous les principes, que de diviser un peuple en une foule de corps séparés pour les faire délibérer sur les affaires publiques. La permanence du Corps législatif a paru au comité et vous paraîtra sans doute indispensable pour le maintien de la liberté. Le comité a entendu par permanence une Assemblée toujours prête à se former, des députés toujours existants, une session annuelle de plein droit, sans lettre de convocation. Il a pensé qu’il ne devait pas cependant être permis aux représentants de prolonger leur séance sans nécessité, et qü’on devait déterminer un terme après lequel le Roi pourrait les proroger jusqu’à la session suivante. S’ils avaient la faculté de rester constamment assemblés, ils pourraient multiplier sans mesure les lois et les règlements, ou entrer dans les détails d’administration, et empiéter sur le pouvoir exécutif. Le comité a cru qu’on devrait fixer un délai de quatre mois, pendant lequel les membres du Corps législatif ne pourraient être interrompus dans leurs travaux ; que lorsqu’ils les auraient terminés, ils avertiraient le roi, qui aurait le droit d’exiger la continuation de leurs séances, s’il jugeait nécessaire de leur proposer de prendre quelque objet en considération. Le Roi pourrait encore appeler le Corps législatif dans l’intervalle de ses séances ordinaires. Le comité a pensé qu’il y aurait de grands inconvénients à rénouveler chaque année les représentants. Ce serait non seulement entretenir tous les habitants du royaume dans une agitation presque continuelle qui nuirait aux travaux des arts et de l’agriculture; mais encore ce serait s’exposer à des innovations trop fréquentes. Aucun plan ne pourait être suivi ; des projets se succéderaient rapidement, ne pourraient jamais être exécutés, et le royaume serait fatigué par des tentatives dont rarement on obtiendrait le succès. Le droit de dissoudre la Chambre des représentants et d’ordonner une élection nouvelle a été jugé indispensable pour le maintien de la monarchie ; c’est l’unique moyen qui, dans les temps de troubles, est propre à garantir le trône des efforts d’un parti d’ambitieux ou de mécontents. Il ne peut y avoir aucun danger pour la liberté publique si l’acte de dissolution est considéré comme nul, à moins qu’il ne renferme une convocation nouvelle. Le monarque ne pourrait se servir de ce droit que dans des circonstances bien rares, et lorsqu’il serait assuré que l’opinion publique n’est pas favorable au système des représentants. Les électeurs auraient le droit de renvoyer les mêmes députés, et le prince ne s'exposerait point, sans une nécessité évidente, au mécontentement universel que ne manquerait pas d’exciter une dissolution légèrement ou injustement prononcée. Les articles qui, dans le plan du comité, concernent les fonctions des sénateurs et des représentants, les droits honorifiques de la première Chambre, la vérification des pouvoirs, la police particulière, la publicité des séances, l’impression des journaux, ne peuvent avoir besoin d'aucune explication, et les motifs en sont assez connus. Nous passons donc à la formation des lois. Le comité a pensé qu’on ne pouvait mettre dans les délibérations du Corps législatif trop de prudence et de circonspection , qu’il fallait profiter de toutes les lumières et assurer la liberté des discussions ; que pour y parvenir, une délibération ne serait jamais arrêtée qu’après plusieurs lectures à des intervalles différents, après avoir demandé si aucun des membres n’avait point d’observation nouvelle à présenter, après avoir décidé si la Chambre était en état de délibérer ou si elle exigeait de nouvelles recherches ou de nouveaux délais. Le comité a cru cependant que toutes ces formes seraient inutiles lorsqu’il s’agirait de rejeter une proposition, et qu’elte pourrait être refusée après une première lecture. 11 a été dirigé par le principe certain que les inconvénients qui résultent au défaut d’une bonne loi ne sont nullement comparables avec ceux qui naissent des mauvaises lois; qu’une proposition rejetée dans une session peut être présentée de nouveau l’année suivante, et qu’on ne peut pas obliger un Corps législatif à consumer un temps précieux en délibérations inutiles. On ne doit se flatter de prononcer une loi juste que lorsqu’on a une connaissance certaine des faits auxquels elle est relative et des conséquences qu’elle peut produire. Il doit donc être possible aux deux Chambres d’entendre des témoins, il doit être également possible à ceux dont les lois proposées blessent les intérêts, de se faire entendre a la barre par eux-mêmes ou par des défenseurs. Le droit de donner des requêtes ou des pétitions [Assemblée nationale.] ARCÏ1IVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1789.] 558 au Roi ou aux deux Chambres doit appartenir à des citoyens libres-, mais pour concilier ce droit avec la sûreté publique et prévenir des attroupements dangereux, les pétitions ne doivent pas être signées par plus de soixante personnes, à moins qu’elles ne le soient également par les officiers des municipalités ou des administrations provinciales. En Angleterre, elles ne peuvent pas l’être par plus de vingt personnes. Les deux Chambres pourraient s’éclairer mutuellement par des conférences publiques ; ces mêmes conférences pourraient avoir lieu avec les ministres. Le Roi aurait la faculté de recommander par des messages de prendre un objet en considération ; mais il n’aurait pas le droi de rédiger les lois, car il serait à craindrequ’instruit d’avance par la connaissance que lui donnerait l’administration de toutes les lois qui seraient nécessaires, il pût toujours prévenir les désirs des représentants, s’attribuer par l’usage le droit exclusif de proposer les lois, et de profiter de toutes les circonstances favorables pour livrer des attaques indirectes à la liberté. Le3 lois des subsides et des emprunts ne pourraient prendre naissance que dans la chambre des représentants. Le Sénat ne pourrait y faire ni changement ni modification, et les représentants auraient conséquemment la disposition du plus grand moyen de force et de résistance ; vous sentirez, sans doute, ainsi que le comité, combien il est important d’ôter pour jamais aux provinces la faculté d’accorder les impôts, combien il serait dangereux de laisser subsister un privilège aussi contraire à la liberté publique, et de ne pas punir comme criminels de haute trahison tous ceux qui auraient contribué directement ou indirectement à la perception des subsides non autorisés par le Corps législatif. On déterminerait, au commencement de chaque régne, les sommes nécessaires pour l’entretien de la maison du Roi et la distribution des récompenses. Ges sommes cesseraient à la mort du Roi, et le Corps législatif, rassemblé de plein droit à cette époque, aurait un moyen assuré de réformer toutes les usurpations qu’auraient pu faire les agents de l’autorité royale, et de triompher de tous les obstacles qui pourraient être opposés à cette réforme. Le Sénat, suivant le plan du comité, jugerait les crimes commis dans les fonctions publiques par les agents supérieurs du pouvoir exécutif ou de l'administration du royaume. Le pouvoir exécutif serait bientôt énervé, si les tribunaux ordinaires avaient le droit de juger les ministres. De pareils crimes intéressant la nation entière, ne peuvent être poursuivis que par les représentants. Il serait aussi funeste de livrer les ministres à des vengeances particulières que de laisser leurs prévarications impunies. Il ne serait pas convenable à la dignité des représentants d’accuser devant un tribunal sur lequel ils auraient d’ailleurs une trop grande influence. Le jugement des crimes d’Etat nécessite donc deux Chambres, et surtout il nécessite deux Chambres qui n’aient pas la même position, et qui n’embrassent pas aveuglément tous leurs projets, toutes leurs prétentions respectives. Un peuple n’est jamais libre, si les ministres, les juges et les autres agents de l’autorité ne sont pas responsables. Les juges inférieurs seraient poursuivis devant les cours supérieures, les officiers de ces cours devant un tribunal de révision, et ceux de ce tribunal devant une des Chambres sur l'accusation de l’autre, il reste maintenant à examiner quelle influence doit avoir le monarque sur la législation. Quelle que soit la forme d’un gouvernement, le soin le plus important doit être d’empêcher les dépositaires de lous les genres d’autorité de suivre toutes leurs volontés, et d’établir une puissance arbitraire. Pour y parvenir, il faut combiner l’organisation des différents pouvoirs, de manière qu’ils ne soient jamais réunis dans les mêmes mains. Partout où se trouve la réunion ou la confusion des pouvoirs, il y a despotisme. La liberté n’existe pas, si la force publique, si les jugements sont dirigés par une volonté arbitraire, telle que l’inspirent les circonstances ou les diverses passions. Il faut que des lois antérieures, préparées pendant le calme et après de lougues réflexions, leur servent toujours de guide. Si les pouvoirs sont réunis, ceux qui les exercent ne sont retenus" par aucun frein ; ils font des lois au gré de leurs intérêts ; ils donnent ce nom respectable à tous leurs caprices ; ils leur attribuent dans l’exqcution un effet rétroactif, et le sens qui convient à leurs passions ; ils se considèrent comme les arbitres suprêmes et infaillibles de la destinée de leurs semblables ; maïs, si les pouvoirs sont distincts, si des limites insurmontables s’opposent à leur réunion, si le pouvoir législatif est constitué de manière que ceux qui l’exercent doivent vouloir la félicité générale, qu’ils soient assez éclairés pour ne pas prononcer des lois absurdes, et qu’ils ne puissent pas décider avec précipitation, le peuple ne saurait être esclave, et le joug salutaire des lois est le seul qui puisse exister. Voilà donc où doivent tendre tous les efforts de ceux qui s’occupent de l’organisation d’un gouvernement : c’est à la division des pouvoirs ; mais, pour qu’ils restent divisés, il faut qu’ils soient garantis de leurs attaques ou de leurs usurpations réciproques. Pour garantir le pouvoir confié aux représentants, pour empêcher le monarque de faire des lois suivant sa volonté, et de renverser la Constitution, les moyens se présentent en foule : la permanence du Corps, législatif, la résistance des représentants, leur droit exclusif de proposer la loi, le libre octroi de l’impôt, la responsabilité des ministres, les administrations provinciales, les municipalités, les milices bourgeoises, la liberté de la presse. Quand tous les citoyens ont résolu d’être libres, quand l’esprit public a pénétré dans toutes les classes, quand la Constitution est devenue un livre élémentaire pour Renseignement de la jeunesse, quand la conservation a été commandée à tous les corps, à tous les individus, je demande ce que pourrait alors l’ambition d’un seul homme contre une nation généreuse. Mais comment garantir à son tour le pouvoir exécutif des entreprises des représentants ? Sans doute, si les représentants parvenaient dans la suite à s’emparer des prérogatives du trône, le peuple, malgré la liberté des élections, gémirait sous le poids de la tyrannie. Quelle que soit la sagesse de ceux qui gouvernent, quand ils peuvent tout impunément, quand ils ne sont pas asservis à des règles précises, leurs passions les égarent, et l’amour même du bien public devient la source des erreurs les plus funestes. Il est inutile, sans doute, de prouver que le pouvoir exécutif, dans un vaste royaume, doit jouir d’une grande puissance : che« un peuple jaloux de sa liberté, cette puissance serait souvent [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1789 ] 559 considérée avec envie ou inquiétude. Des ambitieux ou des démagogues lui supposeraient facilement des torts, et profiteraient de toutes les circonstances pour l’affaiblir ou la détruire. L’usurpation de l’autorité royale entraînerait la perte de la liberté publique. La démocratie, dans un grand Etat, est une absurde chimère. Jamais le trône ne perdit son autorité que pour faire place au joug avilissant de l’aristocratie ; et ce sont les invasions successives de ceux qui composaient les Assemblées générales, sous la première et la seconde race de nos rois qui ont produit en France la tyrannie féodale : ainsi, défendre l’indépendance de la couronne c’est défendre la liberté du peuple. 11 faut donc examiner, avec l’attention la plus sévère, par quels moyens on pourrait garaniir le pouvoir exécutif de toutes les entreprises du pouvoir législatif. Le moyen qui se présente le plus naturellement est celui de rendre le Roi portion intégrante du Corps législatif, et d’exiger que. les décisions des représentants, pour devenir des lois, soient revêtues de la sanction royale. Ainsi, pour que les différents pouvoirs restent à jamais divisés, il ne faut pas les séparer entièrement. Le pouvoir de faire la loi doit être, et il est en effet supérieur au pouvoir qui l’exécute. Si le Roi n’était pas une portion du Corps législatif, si l’on pouvait faire des lois sans son consentement, il ne jouirait plus de sa puissance en souveraineté, et serait soumis au Corps législatif qui, par des lois, acquerrait la faculté de lui dicter des ordres absolus, et d’anéantir successivement toutes ses prérogatives. Vainement l’autorité du monarque serait protégée par la Constitution. Les membres du Corps législatif, juges suprêmes et uniques interprètes des devoirs qu’ils auraient à remplir, n’éprouveraient aucun obstacle pour franchir les limites qui leur auraient été tracées. Il faut donc, pour le maintien de l’autorité du Roi, qu’aucune loi n’existe sans la sanction royale ; et l’on ne peut pas dire que ce soit une réunion des pouvoirs dans les mêmes mains ; car le Roi ne se trouverait pas revêtu des pouvoirs législatif et exécutif. Ces pouvoirs seraient toujours distincts et divisés,, puisqu’il n’aurait pas la faculté de faire des lois. 11 n’aurait une portion de l’autoi ité législative que pour maintenir à jamais la division des pouvoirs, défendre ses prérogatives, et par cela même conserver la liberté du peuple. La question de savoir si la sanction royale est nécessaire à toutes les lois est donc absolument indépendante des autres questions auxquelles on a voulu la subordonner ; car, de quelque manière ue soit composé le Corps législatif, la nécessité e maintenir la distinction des pouvoirs est toujours indispensable. Il paraît que les esprits sont maintenant divisés sur la nature du veto que doit produire la sanction royaie. Les uns veulent qu’il soit indéterminé, d’autres qu’il soit seulement suspensif. Cette différence dans les opinions devrait céder aux réflexions suivantes : La sanction royale ne peut être autre chose que le consentement donné par le roi à tous les actes de législation. Presque tous nos commettants ont pensé que ce consentement était nécessaire. Si l’on ne laissait au Roi que la faculté de suspendre les actes législatifs, il est évident qu’on ne pourrait plus dire que les lois sont faites avec la sanction royale, et qu’il faudrait seulement fixer le délai pendant lequel le Roi aurait la faculté de suspens dre. Le Corps législatif, en persistant dans ses résolutions, ferait donc les lois sans le consentement du prince. Ainsi la sanction royale ne serait plus nécessaire, et l’espérance de nos commettants, qui ont voulu que le Roi partageât la puissance législative, serait entièrement déçue. Mais la simple faculté de suspendre l’exécution d’une loi peut-elle prévenir la réunion des pouvoirs dans les mains des représentants? N’est-il pas évident que lorsque le Corps législatif voudrait s’emparer d’une portion de l’autorité royale celle-ci serait absolument sans défense ? On propose de laisser au Roi le pouvoir de suspendre, jusqu’au moment où de nouveaux députés viendraient faire connaître les intentions des électeurs ; et l’on soutient que la volonté du peuple, de qui la souveraineté dérive, étant une fois connue ne devrait plus éprouver d’obstacles. Certainement la volonté de tout un peuple est une puissance irrésistible ; mais il ne peut exprimer cette volonté que par les moyens qu’il a lui-même déterminés en organisant son gouvernement, à moins qu’il ne le juge oppressif, et qu’il n’ait formé le dessein de l’anéantir : cette organisation ne sera-t-elle pas vicieuse si elle provoque sans nécessité la volonté de la multitude, tandis qu’il est nécessaire pour son bonheur, qu’elle veuille par ses représentants ou ses délégués? Et il serait dangereux de le taire dans un moment où les idées de liberté sont souvent si exagérées, si éloignées des vrais principes : c’est pour le bonheur de tous les citoyens que le gouvernement doit être institué, mais non pour tout subordonner aux décisions de la multitude. Je rivaliserai avec les plus démocrates en respect pour mes semblables, en amour pour l’égalité. Je désire ardemment de voir naître le jour où la liberté personnelle du citoyen le plus obscur sera aussi sacrée que celle de l’homme le plus opulent et le plus illustre ; mais je penserai toujours que le peuple, pour être libre, pour ne pas s’exposer aux suites funestes des intrigues, des erreurs et de la précipitation, doit confier le pouvoir de faire des lois, comme celui de les exécuter, et que s’il veut gouverner lui-même, il perd sa liberté, et se replace sous le despotisme ou l’aristocratie, après avoir parcouru toutes les horreurs de l’anarchie la plus cruelle. Il a toujours assez de lumières pour discerner ceux qui méritent sacontiance ; qu’il choisisse donc librement les hommes dignes de son suffrage, et qu’il les charge de lui préparer des lois et de veiller au maintien de sa liberté ; que ses représentants rappelles, après deux ou trois ans, dans le rang de simples citoyens, n’oublient jamais les droits ui leur appartiennent, mais que la multitude ne élibère pas elle-même. Combien il serait facile à des représentants, souvent séduits par des projets de bien public, de diriger les résolutions qui seraient prises dans les différents districts du royaume ! Lorsqu’on aurait abusé d’une prérogative royale, les représentants pourraient croire utile à leur patrie de s’en emparer, ou d’en soumettre l’exercice à leur vigilance continuelle, ou à leur consentement. Ils inspireraient bientôt la même volonté aux électeurs. L’expérience ne nous a-t-elle pas appris que, lorsque tous les citoyens délibèrent en foule sur l’intérêt public, les délibérations sont guidées par l’impulsion de quelques hommes qui leur font adopter toutes les opinions, qui peuvent tromper la multitude avec la plus grande facilité et l’exciter au gré de leurs passions par les mensonges les plus absurdes ? 360 (Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 4789 ] On vous a attesté que jamais les assemblées populaires n’ont fait de mauvaises lois ; mais, dans les anciens gouvernements, il n’y a jamais eu d’Assemblée législative où tous les hommes fussent admis indistinctement ; et cependant combien de lois tyranniques ont été le fruit de leurs délibérations ! Je n’en citerai pas i< i les exemples ; il suffit d'avoir les moindres notions de l’histoire pour se les rappeler en grand nombre. On sait comment les tribuns de Rome, les Pisistrate, les Périclès, les Alcibiade, s’étaient rendus maîtres des délibérations du peuple ; et l’on ne mettra pas, sans doute, au nombre des bonnes lois celles par lesquelles les Athéniens s’étaient partagé les deniers publics, et avaient mis les spectacles au-dessus des premières nécessités delà République. Mais, dit-on, la sanction royale peut être nécessaire pour les décisions des représentants, et non pour celles de la nation qui a la souveraineté. Permettez moi, Messieurs, de vous développer les conséquences d’un pareil sophisme. Je sais que le principe de la souveraineté réside dans la nation : votre déclaration des droits renferme cette vérité. Mais être le principe de la souveraineté, et exercer la souveraineté, sont deux choses très-différentes ; et je soutiens avec confiance qu’une nation serait bien insensée et bien malheureuse si elle retenait l’exercice de la souveraineté. On doit entendre par ce dernier mot la puissance indéfinie et absolue. Ainsi, dire qu’une nation est souveraine, c’est dire qu’une nation a tous les pouvoirs ; et certainement, personne ne doute qu’une nation ne puisse tout ce qu’elle veut, mais elle ne doit vouloir que ce qui intéresse son bonheur ; et comme une nation est un corps collectif, elle est elle-même en proie au choc des prétendons et des intérêts de ceux qui la composent. Elle est déchirée par des factions, et soumise à l’empire de la violence, si elle ne se choisit pas des chefs, si elle n’organise pas son gouvernement et n’institue pas une force publique. Elle ne peut organiser ce gouvernement qu’en déléguant sa souveraineté. Si elle est formée par un nombre assez peu considérable pour délibérer elle-même, ce qui suppose qu’elle est concentrée dans une ville, ou dans un petit espace, et si elle commet l’injustice de réduire à la servitude ou de vouer au mépris la classe la plus pauvre, il lui est alors possible de retenir une partie de la puissance souveraine ; mais, si elle est répandue sur un vaste territoire, si elle est formée par une population nombreuse, si elle veut que tous les citoyens soient libres, si elle veut leur procurer la plus grande égalité politique que puisse comporter l’ordre public, il faut qu’elle délègue tout le pouvoir souverain. Je ne dis pas qu’elle puisse l’aliéner ; mais enfin elle le confie, et, tant qu’il est confié, elle n’en jouit pas ; mais elle peut le reprendre toutes les fois que les dépositaires en abusent pour l’opprimer -, et quand elle le reprend, elle doit le remettre aussitôt avec de nouvelles précautions pour assurer sa liberté et son bonheur, Une partie de la souveraineté de la nation française a été confiée au monarque, et l’autre doit l’être aux représentants librement élus. Dans un moment où il fallait fixer la Constitution du royaume, où les fonctions des représentants n’étaient déterminées par aucune loi, il était nécessaire de les faire dépendre de la volonté des électeurs ; et l’on a éprouvé quel inconvénient résultait des volontés opposées dans chaque district. Une foule de publicistes ont entrepris, avec raison, de démontrer le danger des cahiers : ils ont désiré que les représentants, librement choisis, fussent considérés comme dépositaires d’une partie de la souveraineté ; ils se contrediraient aujourd’hui bien étrangement, si après avoir combattu les mandats impératifs dans un temps où les électeurs avaient le droit de les donner, ils voulaient les réserver pour l’avenir, quand la Constitution aura réglé les fonctions des représentants. Si vous voulez que les électeurs puissent donner des mandats impératifs, vous ne craignez donc pas d’exposer le royaume à toutes les incertitudes, tous les troubles qui naîtront de volontés directement contraires? vous ne craignez donc pas la démocratie la plus tumultueuse? car, si chaque assemblée de district peut dicter la loi, votre association monstrueuse ne sera pas même digne du nom de gouvernement; elle sera dissoute après avoir éprouvé les plus horribles convulsions. Mais que devient donc la prétendue souveraineté exercée dans les districts, lorsque vous reconnaissez qu’ils seront obligés d’obéir, si les représentants et le monarque peuvent s’accorder? Que devient-elle pour ceux qui voudraient les borner à s’expliquer par l’affirmative ou la négative ? Vous disposerez à votre gré de cette souveraineté par la Constitution, car vous entendez sans doute que les électeurs ne pourront ni dicter ni empêcher les lois établies par le Corps législatif avec le consentement du prince. Si le bonheur du peuple veut que vous limitiez aussi cette prétendue souveraineté des districts lorsqu’il s’agira de lois arrêtées parle défaut de sanction royale, devez-vous hésiter encore, et ne faut-il pas prévenir de funestes intrigues qui pourraient perdre le royaume? Vous interdirez sans doute par la Constitution les mandats impératifs. Vousêtesdonc forcés d’avouer que les électeurs ne sont plus souverains ; et, alors, que devient le principe qui vous engage à leur soumettre la décision des lois arrêtées par le prince? Et sans doute ils ne doivent pas être souverains, caria souveraineté ne peut être que dans la nation entière, ou dans la réunion de ses délégués ; et je n’ai jamais conçu une souveraineté divisée en plus de quarante mille fractions. Certainement, faire juger dans les assemblées des districts toutes les lois qui pourraient être suspendues ou empêchées par le monarque, serait établir en France la démocratie la plus ora-euse, puisque ce serait rendreià toutes les villes, toutes les communautés du royaume, l’exercice de la souveraineté ; ce serait favoriser les troubles et les factions. On pourrait proposer des lois qui tendraient à détruire l’autorité royale ; on irait ensuite dans les districts gagner les suffrages ; et il serait facile de séduire une foule peu éclairée, en exaltant les imaginations par les idées exagérées sur la liberté, en prodiguant au parti contraire les épithètes d’esclaves, d’hommes vils, et tant d’autres du même genre, si propres à tromper l’ignorance ou la prévention. Enfin, ce serait un moyen assuré de taire triompher toutes les entreprises des représentants sur la couronne, et par conséquent d�étahlir une aristocratie; car, ayant le droit de compter eux-mêmes les suffrages de leurs commettants, ils seraient les maîtres absolus de la décision ; qui sait même s’ils ne diraient pas alors que leurs commettants n’étaient pas assez instruits à l’époque où ils s’étaient expliqués? [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1789.] Je distingue donc le temps où un peuple détermine 1 organisation de son gouvernement de celui où ce gouvernement est organisé. Dans le premier, il faut nécessairement que les députés, chargés d’organiser, prennent la volonté de leurs commettants pour guide; et que, s’ils ont reçu le pouvoir de fixer la Constitution, ils en profitent pour déléguer, au nom de la nation, l’autorité qui doit appartenir aux représentants. Quand une nation donne à ses députés le soin d’organiser son gouvernement, ils ne répondent pas à sa confiance s’ils ne dirigent pas cette organisation pour son plus grand bonheur. Si la liberté est inséparable de la division des pouvoirs, il ne faut pas présenter au peuple les moyens d’anéantir les limites qui les séparent. Oui, ie peuple, pour qui et par qui toute puissance existe, ne doit pas se réserver la faculté de suivre toutes ses volontés . Il doit se prescrire des bornes ; il doit soumettre à des règles constantes l’usage de ses forces : il ne doit pas, il est vrai, tellement les affaiblir qu’il ne lui reste aucune ressource contre l’oppression ; car le jour où ses mandataires le tyrannisent, il faut qu’il brise les fers qui le retiennent dans la servitude. L’insurrection est certainement un moyen ter-ribleque l'opprobre del’esclavage peutseul rendre légitime; mais voulez-vous qu’il ne soit jamais nécessaire, prévenez, par la Constitution, l’oppression du peuple; et, pour empêcher cette oppression, mettez des obstacles insurmontables à la réunion des pouvoirs. Voudra-t-on réserver à ceux qui élisent au second degré le droit de délibérer sur les lois suspendues par le prince? alors ce ne sera plus le peuple qui délibérera, mais des représentants qui s’accorderont facilement avec les autres pour leur procurer un accroissement de puissance. Suffira-t-il que de nouveaux membres du Corps législatif persistent dans la résolution de ceux qui les ont précédés, pour qu’eile soit considérée comme la volonté de la nation? mais ils auront donc la faculté de bouleverser la Constitution, de confondre tous les pouvoirs, et conséquemment de détruire la liberté publique. Je présenterai un seul exemple de la facilité avec laquelle pourraient alors être détruites les prérogatives royales. Je suppose qu’en suspendant une loi, le monarque ait fatigué l’impatience de quelques hommes actifs et entreprenants, et qu’on propose une loi nouvelle pour le priver, à l’avenir, de la faculté de suspendre: quel moyen aurait le Roi pour la maintenir, puisque la Constitution ne rendrait pas sa sanction indispensable? Pour que le pouvoir exécutif conserve la force nécessaire au maintien de l’ordre public, il faut que le monarque, en qualité de chef de la nation, soit environné d’une grande majesté. Mais il cesserait d’inspirer le respect qu’on doit au trône, s’il n’avait que la faculté de suspendre ies lois ; • les représentants n’en seraient point arrêtés dans leurs projets; et comme une simple suspension promet un succès certain si l’on persiste, en formant une résolution, on préparerait en même temps les moyens nécessaires pour triompher de tous les obstacles. Le peuple considérerait le Prince comme étranger à toutes les lois : la faculté de suspendre ne serait pas à ses yeux une puissance, puisque après un terme fixé, elle n’existerait plus; et dans un Etat libre, la loi étant supérieure à toute autorité, les seuls délégués chargés de l’établir obtiendraient une grande considération publique. Le monarque ne partagerait plus, aux yeux ls# Série, T. VIII, 561 de la multitude, la reconnaissance qu’inspireraient les bonnes lois, et son consentement serait toujours regardé comme l’impossibilité d’empêcher. Ceux qui connaissent le puissant ressort des affections morales, concevront facilement à quel point la dignité du trône serait diminuée, si la sanction du prince n’élait pas toujours nécessaire pour les nouvelles lois. Le comité ne pense pas cependant qu’il faille prononcer, dans la Constitution, que le Roi aura un veto absolu; ce n’est pas par des expressions de ce genre que le Roi pourra refuser sa sanction: il propose seulement de déclarer, dans les principes du gouvernement français que les actes législatifs, pour être considérés comme lois, doivent être revêtus de la sanction royale, et de décider, dans le chapitre qui règle l’organisation du Corps législatif, que lorsque le monarque ne voudra pas accorder son consentement à une loi nouvelle, il sera dit par le chancelier : le Roi examinera. Cette prononciation, conforme à l’usage qui se pratique en Angleterre, répond aux égards qui sont dus au Corps législatif : elle l’encourage à représenter l’année suivante la même loi, si, après de nouvelles réflexions, il la croit toujours utile; elle autorise le Roi à donner, dans une seconde session, le consentement qu’il avait refusé lors de la première, et cela sans compromettre la majesté du trône. En effet, le Roi n’ayant annoncé qu’un nouvel examen, et non pas un refus, peut naturellement, après de longues réflexions, reconnaître les avantages qu’il n’avait pas d’abord • aperçus. Et quel inconvénient peut présenter cette forme? Dira-t-on que le monarque pourra, pendant un temps indéterminé, arrêter la volonté générale de la nation, en faisant toujours répondre à la présentation de la même loi : le Roi examinera : mais ne nous laissons pas éblouir par la grandeur des expressions. Les actes du Corps législatif, c’est-à-dire les lois, sont, il est vrai, l’expression de la volonté générale ; mais cela ne veut pas dire que chaque citoyen ait exprimé sa volonté; cela signifie seulement que le Corps législatif étant institué par la nation, et étant chargé de vouloir pour elle, et les députés qu’elle a librement choisis s’y trouvant en grand nombre, ce qu’on y décide est la volonté générale légalement présumée. Et ne peut-on pas dire avec raison que les députés choisis dans les différents districts ne sont pas les seuls représentants du peuple; que le Roi est son premier délégué; qu’il est aussi le représentant du peuple dans toutes les parties de l’autorité qui lui a été confiée, et que le peuple les a chargés conjointement d’exprimer la volonté générale; qn’ainsi, lorsque le Roi ne donne pas sa sanction, il ne résiste pas à la volonté générale, et qu’elle n’est pas encore formée? Mais, si la loi proposée était digne de devenir un jour la volonté générale, peut-on penser un seul moment que le Roi persisterait à refuser sa sanction? Quoil l’opinion publique chez un peuple esclave aura tant de fois entraîné le despotisme et détruit ses projets les plus chers, et l’on pourrait croire qu’avec l’énergie que lui procure toujours la liberté publique, elle ne parviendrait pas à obtenir le consentement du Prince pour une loi évidemment salutaire 1 On pourrait croire que le Prince s’exposerait à mécontenter tous ses sujets, et que surtout il serait assez insensé pour résister à l’arme si puissante du refus des impôts ! m t A s s o m b i <: c nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. £>62 Mais cette arme, dira-t-on, est chimérique; car, en refusant l’impôt, on exposerait le royaume aux plus grands dangers. Et quel est le premier que ces dangers menacent, si ce n’est celui qui tient les rênes du gouvernement, qui les voit briser dans ses mains, et se trouve entraîné dans un précipice? ■ On l’a dit avant moi: comment ne reconnaît-on pas que le refus delà sanction royale est presque toujours suspensif par sa nature, à moins qu’il ne' soit employé à défendre une prérogative constitutionnelle? Ou la loi proposée est favorable à la puissance du monarque, et alors, que \cvcto soit suspensif ou absolu, on sent bien qu’il ne l’emploiera pas pour la combattre. Ou la loi est contraire à sa puissance, telle qu’elle a été réglée par la Constitution; et alors, en défendant son autorité, il défend la Constitution elle-même. Ou la loi est relative à l’administration générale du royaume et étrangère à ses prérogatives, et alors quel motif peut-il avoir pour arrêter une bonne loi? N'est-il pas évident au contraire qu’il est intéressé à la sanctionner, si elle est avantageuse à son peuple? car on ne saurait nier que sa félicité doit s’augmenter avec la prospérité de son empire. Mais supposons que des ennemis du bien public le portent à refuser sa sanction à une loi salutaire; si celte loi est étrangère à son autorité, quand ses avantages seront bien connus, bien démontrés, quand les représentants du peuple auront persisté plusieurs fois dans la meme résolution, je demande si l’on peut concevoir un Roi et des ministres capables d’une assez folle imprudence pour lutter avec des forces aussi prodigieusement inégales. Ils ont mieux apprécié les effets que doit produire la nécessité delà sanction royale, ceux qui objectent que le Roi pourrait faire un plus fréquent usage du veto suspensif que du droit de refuser pendant un temps illimité ; mais, quand il serait certain qu’il userait avec plus de réserve de cette dernière faculté, elle ne serait pas moins nécessaire pour conserver la majesté du trône, et garantir scs prérogatives. Le veto suspensif serait une arme impuissante; la nécessité de la sanction rendrait les représentants plus circonspects, et préviendrait constamment la nécessité d’un refus. S’il est vrai qu’en matière de lois d’administration, le refus de la sanction royale n’aurait jamais, dans la réalité, qu’un effet suspensif, il est tout aussi vrai que lorsqu’on attaquerait une prérogative constitutionnelle directement ou indirectement, ce refus, appuyé sur la Constitution, deviendrait une barrière puissante auprès de laquelle sc rallieraient tous les vrais amis de l’ordre et de la liberté. Quelques personnes paraissent croire qu’il suffirait d’exiger la sanction royale pour les lois relatives aux prérogatives constitutionnelles du Roi: mais quelle source interminable de querelles pour savoir si les lois proposées attaquent indirectement ces prérogatives! Ne serait-ce pas mettre, dès ce moment, le Roi et le Corps législatif dans un état de guerre perpétuel? D’ailleurs, pourquoi dépouiller le Roi du plus beau droit de la couronne, celui de veiller aux' intérêts du peuple, et de défendre sa liberté? Le comité n’a pas adopté l’opinion d’obliger le Roi à dissoudre l’Assemblée des représentants, foutes les fois qu’il voudrait refuser sa sanction, La sanction royale et le droit de dissoudre sont sans doute essentiels pour maintenir l'indépendance de la couronne contre les intrigues et les septembre 17SU.J factions; mais le droit de dissoudre, qu’il ne faut établir qu’autant qu’il sera immédiatement suivi d’une convocation nouvelle, est un droit dont l’usage est extrêmement dangereux; il ne peut être excusé que par les plus puissants motifs. On sent qu’un prince ne saurait employer cette prérogative sans faire un grand nombre de mécontents, et que, s’il en abusait, il l’aurait bientôt, perdue; et l’on voudrait contraindre le monarque à se servir de ce dangereux moyen, toutes les fois qu’une loi paraîtrait lui présenter des inconvénients! 11 pourra même souvent arriver que, la loi étant proposée sur la fin d’une session, le prince croira nécessaire de la soumettre dans son conseil à de plus mûres réflexions, en se réservant de la sanctionner dans la session suivante; si les représentants persistent à le désirer, il serait donc on privé de cette faculté, ou obligé de renvoyer tous les représentants. Mais quel pourrait être l’objet d’une semblable disposition? ne serait-ce pas afin que de nouveaux députés, après avoir consulté l’opinion publique, pussent donner plus de force à la proposition d’une loi refusée par le monarque ? n’est-il pas évident que le renouvellement périodique des élections, qui doit au moins avoir lieu tous les trois ans, produira le meme effet ? Voudrait-on, au contraire, que les députés nouvellement élus fussent chargés des volontés des électeurs? C’est rentrer dans le système que nous avons combattu précédemment. Voudrait-on que le retour des mêmes députés fût un signal d’obéissance pour le monarque? Mais alors quel obstacle reste-t-il à la réunion des pouvoirs dans les mains des représentants? Et de plus, jusqu’à quel nombre faudrait-il que les anciens députés fussent élus pour qu’on pût reconnaître le sentiment du peuple? Enfin, à combien d’intrigues funestes, de troubles et de factions, soit de la part des agents de l’autorité royale, soit delà part des anciens députés, ne se livrerait-on pas pour influer sur les nouvelles élections? La sanction royale est donc nécessaire pour tous les actes législatifs. Celle dont nous parlons en ce moment ne concerne point la Constitution. Nous sommes, si l’on veut, convention nationale (qu’importent les mots, quand ils ne changent pas les choses?) mais convention nationale pour prévenir le despotisme, et non pour disposer arbitrairement de l’autorité du monarque. Nous devons tracer les limites de cette autorité; mais nous sommes chargés de la maintenir et de la défendre. Le Roi, avant de ratifier la Constitution, peut sans doute examiner ce qui concerne son autorité existante avant notre délégation; mais, s’il demandait des changements contraires à la liberté publique, vous auriez l’appel à vos commettants : car, dans le moment où la nation a résolu d’être libre, elle a certainement tous les droits nécessaires pour le devenir. Je répète donc qu’il s’agit ici de la sanction royale pour les sim-' pies actes de législation, sanction que le Roi peut refuser sans en expliquer les motifs. Plusieurs personnes paraissent craindre, en admettant la nécessité de la sanction, de compromettre les diverses résolutions que vous avez prises ou que vous pourriez prendre à l’avenir, et qui ne seraient pas dépendantes de l’organisation des pouvoirs ou de la Constitution; et quand on témoigne une pareille crainte, a-t-on bien réfléchi sur les circonstances actuelles? Est-ce bien sérieusement qu’on a révoqué eu doute l’approbation du Roi pour tous les décrets qui intéressent essentiellement le bonheur du peuple? [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1789.] 563 et lorsque le gouvernement n’aurait pas même assez de puissance pour refuser ce qui est juste, on voudrait qu’il pût refuser ce qui serait juste et utile! En finissant, Messieurs, permettez-moi do revenir encore sur ces expressions si souvent répétées, la volonté générale. Permettez-moi d’observer que dans aucun gouvernement connu, on n’a pris pour unique guide la volonté de la multitude. Dans les anciennes républiques, on n’assujettissait jamais le peuple à une loi qu’il ne voulait pas; mais on ne considérait pas comme loi tout ce qu’il voulait. Il avait adopté des règles pour distinguer une volonté arbitraire, un mouvement passionné, d’une volonté réfléchie, dirigée parles lumières de la raison; et l’on n’a jamais pu imaginer d’autres moyens pour faire prévaloir la raison, que de faire passer les résolutions par divers obstacles qui, au risque d’en arrêter qui pourraient être avantageuses, en arrêtaient plus souvent encore qui auraient été nuisibles. Dans la république romaine, le peuple délibérait sur les propositions des tribuns, et ceux-ci avaient un véritable veto, non-seulement à l’égard du Sénat, mais même à l’égard du peuple; leur consentement était toujours nécessaire, puisqu’ils étaient les maîtres absolus des propositions. Chez les Athéniens, une loi fondamentale ordonnait que toute décision du peuple serait précédée par un décret du Sénat. Il fut de plus réglé que les premiers opinants dans l’Assemblée générale seraient âgés de plus de cinquante" ans ; que nul orateur ne pourrait se mêler des affaires publiques sans avoir été examiné sur sa conduite antérieure ; « et que tout citoyen pourrait poursuivre en justice l’orateur qui aurait dérobé l’irrégularité de ses mœurs à la sévérité de l’examen ( Introduction au Voyage d' Anacharsis) » et malgré ces sages règlements, vous savez si l’on a "pu défendre la liberté des Grecs et des Romains, des funestes conséquences de leurs délibérations, dictées par des démagogues qui voulaient ou les gouverner ou les trahir. Ne craignons donc pas d’opposer quelques obstacles aux résolutions des représentants du peuple. Rappelons-nous que la sanction royale a été exigée par nos commettants ; que cette Assemblée même en a reconnu la nécessité dans ses premières séances, et réfléchissons surtout que ne savoir mettre aucun terme à ses prétentions, et ne pas s’arrêter à des principes fixes, ne serait pas être digne de la liberté. Garantissons-nous du penchant qui porte notre nation â se précipiter rapidement dans les extrêmes. Il n’y a pas une année que nous parlions avec envie de la liberté des Anglais, avec un sentiment de commisération de la faiblesse du pouvoir de leur monarque; et maintenant, pendant que nous nous agitons encore au milieu de l’anarchie pour obtenir la liberté, avant de savoir si nous aurons le bonheur d’être libres, nous osons jeter un regard de mépris sur la Constitution d’Angleterre. Nous osons prononcer hardiment que les Anglais ne sont pas libres. Nous leur supposons, sur Fa foi de quelques novateurs, l’intention de changer leur gouvernement, tandis qu’ils n’eurent jamais plus de motifs pour y rester inviolable-ment attachés. Nous reconnaissons la nécessité de confier le pouvoir législatif à des représentants, et nous invoquons aveuglément les maximes d’un philosophe qui croyait que les Anglais n’étaient libres que lorsqu’ils nommaient leurs représentants, qui considérait la représentation comme un genre de servitude. On ne craint pas de nous proposer les Américains pour modèles, et même de les surpasser en institutions propres à favoriser l’anarchie : car ils ne font jamais délibérer tous les citoyens indistinctement sur les affaires publiques, mais seulement leurs délégués; le consentement de leur sénat est nécessaire pour toutes les lois faites par les représentants, et ils viennent de donner au président du congrès un veto suspensif, qui devient absolu lorsqu’il est appuyé par un tiers des suffrages dans l’une des deux Chambres. Ainsi on voudrait donner au monarque français de moindres prérogatives qu’au président du Congrès américain ; et l’on ne nous dit pas que le pouvoir exécutif n’a point assez de force en Amérique, et qu’avec nos mœurs et notre position, son gouvernement serait depuis longtemps anéanti. Quels moments nous aurions perdus, si par des systèmes philosophiques, nous préparions à la France une longue et funeste anarchie au lieu du bonheur qu’elle attend de nous! Il était en notre pouvoir d’avoir une constitution supérieure à celle d’Angleterre. Il aurait été facile de ne pas imiter les vices qu’on y remarque, tels que les forces et les revenus indépendants que le Roi possède dans le Hanovre et dans une partie de l’Inde, une représentation défectueuse, les Parlements septennaires, et le droit de créer des pairs dans un nombre indéterminé. Tous les obstacles qui s’opposaient à la liberté se trouvaient détruits; vous aviez fait disparaître cette cruelle division des ordres qui nous aurait préparé le sort de la Suède. Il ne restait qu’à consulter les leçons de l’expérience, à ne pas dédaigner les exemples de l’histoire, à nous contenter de ce qui peut assurer la liberté personnelle, la jouissance paisible de toutes les propriétés. Plus, de distinctions humiliantes : toutes les places offertes aux talents et aux vertus, égalité de peines, uniformité de lois; et nous perdrions de si grands biens pour obtenir une perfection chimérique ! Oui, Messieurs, c’est pour le comité un devoir sacré de vous dire qu’il prévoit les suites les plus funestes, si l’on établit un régime démocratique, en faisant décider par les électeurs , dans chaque district du royaume, entre le Roi et les représentants, ou si on laisse à de nouveaux représentants la faculté de détruire tout obstacle à la division des pouvoirs. La nécessité constante de la sanction royale lui paraît un principe aussi respectable que celui de l’indivisibilité de la couronne. Gommentpourrait-on soumettre la liberté publique au hasard des factions et des intrigues, préparer au peuple français un gouvernement arbitraire, et cela dans la crainte de le priver de quelques lois, comme si toutes les nations n’avaient pas jugé qu’il était conforme à la raison et à la prudence de ne faire aucune loi sans le consentement de leurs magistrats! comme si une loi nouvelle n’était pas souvent une entrave de plus à l’indépendance ! Le veto suspensif dégraderait le trône; le Roi serait bientôt réduit àn’être qu’un général d’armée. Dans aucun Etat monarchique, le Roi u’a cessé d’être une portion intégrante du Corps législatif que l’aristocratie ne soit devenue plus puissante. Consultez les annales delà Suède et de la Pologne. Le droit d’accorder ou de refuser la sanction royale n’a point de danger pour la liberté du peuple; il eu est au contraire le plus ferme rempart. Après avoir ôté au monarque tout ee qui peut o64 [Asserablt’o nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 septembre 1789. | nuire, et ne lui avoir laissé que ce qui est indispensable à la félicité des citoyens, c’est assurer cette félicité que de lui donner les moyens de défendre les prérogatives du trône. Elles n’existent pas pour son intérêt; elles appartiennent à la nation : et si le Roi venait ici, accompagné de ses ministres, renoncer au droit de sanctionner les lois, tous les vrais amis de la liberté devraient le conserver à la couronne, malgré lui-méme ; et s’il était possible que des hommes trompés pussent porter l’égarement jusqu’à vouloirattenter à la liberté de nos suffrages, jusqu’à même outrager la nation, en faisant violence à ses représentants, pendant que leurs glaives criminels seraient suspendus sur nos têtes, nous devrions encore prononcer, pour le bonheur de notre patrie, la nécessité de la sanction royale. Ceux qui veulent accorder au Roi la faculté de suspendre les délibérations jusqu’à la troisième législature, croient garantir suffisamment les prérogatives royales; mais ils ne réfléchissent pas qu’ils détruisent la dignité du trône, en indiquant le terme où il est forcé d’obéir aux représentants; qu’une loi, présentée sur la lin d’une législature, et proposée de nouveau par la seconde, serait toujours nécessairement sanctionnée, pour éviter le désagrément d’obéir à la troisième, et qu’il n’y aurait aucun moyen certain de défendre rindépendance de la couronne. Gomment ne voit-on pas que le principe de la division des pouvoirs étant la base de la liberté, il faut assurer cette division, et que pour y parvenir, il faut que le consentement du Roi soit nécessaire. Il ne le refuserait jamais aux lois étrangères à ses prérogatives, à moins qu’elles ne fussent évidemment nuisibles au peuple, et il serait toujours obligé de céder sur ce point à l’opinion publique. Mais il refuserait la sanction avec succès, quand on attaquerait son autorité constitutionnelle ; et l’opinion publique respecterait ce refus, s’il était appuyé sur la sanction : au lieu que le veto suspensif le subordonne, non-seulement à l’opinion, mais à la simple volonté des représentants. D’ailleurs, avecleuefo suspensif, le Roi sanctionne en obéissant, ou pour éviter d’être forcé à l’obéissance; au contraire, si l’on adoptait l’avis du comité, le Roi paraîtrait toujours céder librement à de nouveaux motifs. Puisque le monarque ne pourrait faire aucune loi, la faculté de refuser la sanction royale ne serait pas un moyen d’attaquer la liberté publique; cette liberté étant établie par la Constitution, c’est par de mauvaises lois qu’on réussirait à la détruire, et non en mettant obstacle aux lois nouvelles. En supposant qu’il pût s’introduire, en faveur de l’autorité royale, des abus contraires à la Constitution, on ne considère pas la facilité avec laquelle ils seraient réformés, à chaque changement de règne, par le Corps législatif, qui en demanderait la suppression, avant d’avoir déterminé les sommes nécessaires pour la maison du nouveau monarque. J'aurais présenté encore d’autres réflexions en faveur de la sanction royale, mais ce sujet important sera traité incessamment par M. Ber-gasse. M. Wesèze. Qu’avez-vous à craindre du veto absolu ? Il est contraire au principe, s’écrie-t-on ; c’est un homme qui veut ce que la nation ne veut pas ; mais je dis le contraire: c’est un homme qui oppose à une volonté passagère une volonté permanente, la volonté d’une partie de la nation à une autre partie de la nation, L’on n’entend que très-imparfaitement ce que signifie la volonté générale. Je suppose que nous eussions décidé que, pour faire un emprunt, il eut fallu les deux tiers des voix, et qu’il n’y eût que la majorité absolue; certainement elle sérail la volonté générale ; mais cependant le décret ne passerait pas. C’est ainsi que l’erreur sur lus mots amène l’erreur dans les principes. Quel inconvénient a donc ce veto absolu? Il paralyse les Etats, dit-on ; mais c’est le seul inconvénient. Quand les lois générales et fondamentales seront une fois arrêtées, sur le sort de quelles lois faudra-t-il craindre le veto du Roi ? Le repos du peuple ne -vaut-il pas mieux que son mouvement, et faut-il toujours porter la main au ressort du gouvernement? La manie réglementaire passera sans doute comme toutes les autres. Au surplus, qu’annonce ce mot suspensif? N’est-ce pas, en s’en servant, rappeler le despotisme? La terreur de la servitude conduit à la servitude; c’est lorsqu’on prend toutes les précautions qui peuvent vous assurer votre liberté qu’on la perd le plus tôt. Louis XI a fait taire les lois, Tibère les a fait parler. Craignons ces deux extrémités. On s’indigne contre les lettres de cachet, et on se prosterne devant l’ostracisme. Que signifiera le veto suspensif, si on n’en explique le mode? Je pense qu’il ne peut y avoir de veto suspensif ni absolu contre la nation ; mais le Roi représente la nation, et c’est la nation elle-même qui prononce ce veto. Quant à l’appel à la nation, il est impossible ; les parties de l’empire ne pourront le juger sans de violentes secousses. Je suis donc pour le droit positif que le Roi a de sanctionner la loi. Quant à l’abus, c’est à vous d’en prévenir tous les inconvénients qui peuvent en résulter. Je ne désireencore ni permanence ni périodicité; je désire que pendant longtemps le Corps législatif s’assemble tous les ans une fois. M. Salle. II faut prévenir toutes les difficultés qui résulteront de la permanence ; il faut savoir si les députés resteront revêtus de leur caractère jusqu’à la prochaine élection. Si on accorde au Roi le droit de dissoudre l’Assemblée natio • nale, on ne doit lui présenter qu’au dernier jour de la session les décrets à sanctionner: autrement le gouvernement, toujours importuné de la puissance de celte assemblée, serait impatient de la dissoudre, et souvent il se servirait de ce droit au premier décret qu’on lui présenterait. Il faut encore que le monarque ne puisse suspendre que dans le cas où l’affaire ne serait pas urgente, et que l’Assemblée nationale décide de l’urgence. Dans le cas de la dissolution forcée, il faudrait que le Roi envoyât les motifs de son refus aux assemblées élémentaires; que si elles voulaient exiger la sanction de la loi, elles la demanderaient et en chargeraient leurs députés ; alors la volonté générale étant connue, la sanction sera nécessaire. La durée de la session pourrait être de trois mois, et l’intervalle de neuf mois. La nomination des députés se ferait de deux ans en deux ans ; par ce moyen l’Assemblée ne serait que périodique. 11 est nécessaire, pour que les représentants soient toujours comme présents, de former une autorité qui favorise leur élection, et qui, dans le cas où le Roi s’opposerait à la tenue de l’As-