682 [Assemblée natioi>ale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 15 mars 1791.] « Voués à la défense de ccs êtres infortunés, occupés sans relâche d’adoucir P ur sort, ils poursuivent avec courage leur sainte entreprise. « Il n’est aucun de leurs écrits, aucune de leurs démarches, aucune de leurs actions, dont l’homme le élus pur ne puisse s’honorer. « Depuis longtemps, l’intérêt personnelles passions 1< s plus vile-', le délire de la cupidité s’attachent à eux avec une rage insensée. Il n’est pas de calomnie absurde dont on ne cherche à les noircir; il n’est point de manœuvre qu’on n’emploie pour les perdre dans l’opinion publique. Ces atrocités, ils les ont dédaignées; ces libelles, ils les ont méprisés. Forts de leur conscience, ils s’en sont reposé' sur le temps et sur leuis œuvres pour les justifier. Mais aujourd’hui qu’un membre, au milieu de l’Assemblée nationale, s’est permis de les outrager de la manière la plus sanglante; de dire que c'était à ces amis de l’ humanité qu'il fallait imputer les troubles qui agitent nos colonies; de dire que ces amis étaient vendus à des puissances étrangères, il ne leur est plus possible de garder le silence, et chacun d’eux a le droit d’exiger une réparation authentique de ces infâmes calomnies. « Deux partis se présentent : ou l’Assemblée doit improuver le m mbre oui a osé hasarder des inculpations aussi coupables, ou elle doit permettre aux offensés de le poursuivre en justice. C’est là que nous lui porterons le défi formel d’alléguer, nous ne diso; s pas des preuves, mais même les plus légers indices des faits odieux dont il nous accuse. C’est là que l’innccence sera vengée. « La Société des amis des Noirs demande donc que l’Assemblée, dans sa justice, censme M. Di l-lon, ou que, le dépouillant de son inviolabilité, elle pei mette de le poursuivre devant les tribunaux, pour obtenir une rétractation éclatante. (Murmures et applaudissements.) « Nous sommes, avec un profond respect, Messieurs, « Les membres de la Société des amis des Noirs, « Signé : Clavière, président par intérim; « J. -P Brissot, secrétaire. « 5 mars 1791. » M. Moreau de Saint-Méry. M. Arihur Dillon, mon collègue dans la -députation de la Martinique, se trouve absent de l’Assemblée; mais il m’est très facile de le suppléer. Je tiens à la main deux exemplaires d’un impiimé qu’il a fait faire hier et qui doit vous être di tribué; il a pour litre : Motifs de la motion faite à l’Assemblée nationale le 4 mars 1791, par M. Arthur Dillon , député de la Martinique . Je demande la permission de le liie pour sa défense. Plusieurs membres : Lisez ! lisez ! M, Moreau de Salat-ÏIéry, Voici ce document : « Plusieurs personnes, dont je respecte le suffrage, m’ont, paru désapprouver, dans la motion que j’ai faite aujourd’hui à l’Assemblée nationale, la phrase où j’ai tracé le danger du progrès des opinions de la société connue sous le nom d 'amis des ISoirs. On semble croire que j’ai cherché à inculper la société entière, et à lui prêter de? intentions coupables. Je déclare formellement que je n’en ai jamais eu la pensée; que je respecte et estime la plus grande partie des membres de cette société. Je dirai, avec la même franchise, que je gémis de leur erreur : que je vois, avec autant o 'effroi que de douleur, qu’ils creusent aux colonies et à la nation entière un abîme qui engloutira les uns et causera la ruine des autres. « N’est-il pas évident que la première et la principale cause des malheurs des colonies a été provoquée par la publication des écrits des amis-dos Noirs, qui, sans aucune connaissance des lieux, vi uleut détruire des liens politiques que le temps et un long calme pourraient seuls affaiblir ? Si on y parvient jamais, ce ne sera que par la persuasion, et non en encourageant des écrits injurieux et coupables. « Je maintiendrai toujours cette vérité fâcheuse, majs incontestable, qu’il a été de mon devoir de présenter à l’Assemblée nationale : c’est que si, dans les circonstances présentes, et après les décrets des 8 mars et 12 octobre 1790, elle eût admis à la barre une députation d’hommes de couleur, le jour même où la nouvelle en serait arrivée aux colonies aurait été celui de l’insurrection générale contre la mère-patrie, que des Ilots de sang et l’épuisement du Trésor public n’eussent pu éteindre. « Je le demande aux citoyens qui veulent sincèrement le bien : lorsque, enflammés de l’amour de la patrie, et voulant faire connaître à ses législateurs tout le danger d’une démarche imprudente dont j’étais profondément pénétré, j’aurais pu, contre mon intention, généraliser un reproche contre une société qui a causé les plus grands iralhfjurs, quel est celui qui ne m’a pas déjà justifié dans son cœur? Et l’Assemblée nationale doit-elle voir avec indifférence clés journalistes, vraisemblablement stipendiés, attaquer, avec impunité, ses propres décrets, et même oser inculper ceux de ses membres qui, après un travail pénible, ont su lui présenter eu vrais hommes d’État, et en véritablement bons citoyens, les seules mesures qu’elle eût à adopter pour conserver à l’empire ses plus belles et plus précieuses possessions, et qui, par son ordre, sont occupés, dans ce moment même, à lui présenter le travail définitif qui doit à jamais consolider l’union des colonies à Ja mère-patrie? >< Paris, ce 4 mars 1791 . » « Signé: A. DlLLON. » M. Moreau de Saint-Méry. Après cette lecture, Messieurs, je me bornerai à demander que l’Assemblée veuille bien passer à l’ordre du jour. Plusieurs membres : Oui! oui! M. de Mirabeau. Je demande la parole. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix! MM. l’abbé Grégoire et Regnaud (de Saint-Jean-df Angély) demandent la parole. Plusieurs membres : L’ordre du jour! M. le Président. Je consulte l’Assemblée sur la question de savoir si on passera à l’ordre du jour. (L’épreuve a lien.) M. de Mirabeau paraît à la tribune et insiste pour avoir la parole. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENf AIRES. [5 mars 1791.) M. le Président. On me demande pourquoi je consulte i’Assemblée. M. le curé Grégoire avait demandé la parole, il m’a dit qu’il n’insistait pas ; et, comme la motion faim à la tribune par M. Moreau avait été parfaitement entendue, j’ai cru pouvoir la mettre aux voix; M. Regnaud et M. de Mirabeau réclament la parole, l’Assemblée décidera si je dois l’accorder ou la refuser. Voix diverses : L’ordre du jour ! Levez la séance ! M. de Mirabeau. Je demande à parler sur l’ordre du jour. M. de Oioiseul Praslin. La délibération est commencée; je demande qu’on fa?se la contrepartie. (Mouvement prolongé.) Voix nombreuses : L’ordre du jour! Levez la séance 1 La contre-partie ! M. le Président. L’Assemblée veut-elle délibérer sur la demande de l’ordre du jour ? M. de Mirabeau. Non, Monsieur le Président. (L’Assemblée, consultée, passe à l’ordre du jour). M. le Président lève la séance à trois heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 5 MARS 1791, AU MATIN » Nota. Nous insérons ici une opinion non prononcée de M. Malouet sur les crimes de lèse-na-tion. — Cette opinion ayant été imprimée et distribuée fait partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale. Opinion de M. Malouet sur les crimes de lèse-nation , sur la responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir exécutif. J’ai voté contre l’établissement d’un tribunal provisoire destiné à juger les crimes de lèse-nation, paicequeces crimes ne sont pas définis; parce qu’il est absurde et tyrannique de laisser aux accusations et aux jugements une latitude illimitée; parce qu’il n’y a rien de plus urgent, surtout dans un temps de révolution, que d’apprendre aux mécontents et aux citoyens de toutes les classes quel est le légitime usage de leur liberté, et comment ils peuvent se rendre coupables en en abusant. Getie attention du législateur, nécessaire dans tous les gouvernemeuls, est indispensable dans une Constitution qu’on a voulu faire remonter aux premiers principes du droit naturel, lequel n’a d’autres limites que les facultés de l’homme, et la résistance qu’elles peuvent éprouver, quand il les emploie à adaquer son semblable. Il n’est pas douteux que l’état social n’impose d’autres obligations au citoyen, ne l’environne d’entraves inconnu 'S à l’homme naturel ; et cette considération suffirait pour faire rejeter d’un système de législation toutes ces abstractions dont on compose les théorèmes inapplica-6sa blés aux membres d’une société politique. Mais quels que soient les devoirs auxquels on les astreint, le premier de leurs droits est de les connaître, et de les comparer aux avantages qui résultent de leur engagement envers le corps social. G’est donc injustement, c’est probablement la première fois qu’on a osé soutenir dans une Assemblée législative, qu’il était inutile de définir les crimes de lèse-nalion, qu’il était bien entendu qu’on comprenait dans celte clause tout ce qui blessait la nation. Mais appartient-il à un particulier, ou à la multitude, ou à une section du peuple, de prononcer arbitrairement qu’une telle action blesse la nation? Nous avons tous entendu appeler crime de lèse-nation l’abandon de la cocarde nationale, le refus de prêter le serment sur la constitution du clergé, des écrits, des opinions contradictoires aux décrets du Gorps législatif; et l’on sait avec quel empressement le peuple obéit à ces signes funestes de proscription. Gomment rie s’empresse-t-on pas, au contraire, de lui apprendre que l’étourderie, l’incon-sidération, le ressentiment, ne peuvent avoir une expression coupable, qu’autant qu’ils provoquent évidemment des actes criminels; et que, lorsqu’il s’agit d’appliquer un jugement à une intention, les preuves matérielles sont aussi nécessaires pour incriminer l’intention que pour constater une action ? Ainsi, comme dans les délits ordinaires, les gradations, les différentes espèces d’un même genre, doivent être déterminées parla loi; comme en proscrivant les violences, les vmes de faits, la loi les classe, les définit depuis l’injure jusqu’à l’assassinat : de même dans les crimes publics, il est de la plus grande importance de n’abandonner aux tribunaux ni aux délateurs aucune définition arbitraire, et de circonscrire ce crime redoutable de lèse-nation dans ses justes limites. Il est temps que les dénonciateurs connaissent l’éiendue et les bornes du champ qu’ils ont à parcourir; il est temps de faire m sser les véritables crimes de ces magistrats inquisiteurs, qui souillent le berceau de la liberté de tous les forfaits de la tyrannie; il est temps que tous les citoyens connaissent la nature et les conditions légales de l’accusation publique, à laquelle ils peuvent être soumis. Vous qui êtes nés pour être coutbés sous la verge d’un despote; qui ne savez, qui ne voulez offrir à la patrie que des sacrifices de sang humain, qui avez multiplié dans tous les coins du royaume les cachots de la Bastille ; qui ne voyez que des ennemis là ou le véritable patriotisme vous eût créé des frères et des amis ; hommes indignes de la liberté, son règne arrivera, et vous serez couvert d’un éternel opprobre ! Ges voix féroces auxquelles vous ol éissrz, au lieu de leur imposer, cesseront desefaiie entendre; mais vos noms y resteront attachés ; l’histoire aura soin d’apprendre à nos neveux tous les crimes que vous n’avez point vengés et ceux que vous avez commis, en laissant opprimer les innocents par cette accusation funeste de lèse-nation, avant que la loi l’eût prononcée : oui, l’histoire nous flétrira ; car d’autres houum s que vos infâmes écrivains écrivent pour la postérité. Ce qui distingue essentiellement les pays libres de ceux soumis au despotisme, c’est le caractère nettement prononcé par la ioi des accusations publiques, et leur rapport unique avec la. liberté et la souveraineté. Car, en supposant une Constitution populaire, faite par des démagogues et à leur