186 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1789.] La discussion a continué; on a proposé divers autres amendements et diverses rédactions. On a interrogé le vœu sur la première des rédactions; celle du décret proposé le matin a été adoptée. On a fait la lecture des amendements. La question préalable a été demandée ; mais on a demandé la division de ces amendements : on en a accepté un; on en a ajourné cinq. Celui accepté porte que les curés et vicaires congruistes, ou qui, n’étant point à la portion congrue, n’ont qu’un revenu équivalent, sont exemptés de l’imposition des privilégiés jusqu’au moment où leur traitement sera augmenté. 11 a été demandé que l’établissement du droit de franc-fief fût particulièrement décrété ; l’Assemblée a adopté cette proposition. On a demandé ensuite si l’amendement relatif à l’abonnement des provinces serait ajourné ; l’Assemblée a décidé que non. On a ensuite posé la question préalable sur cet objet ; il a été décidé qu’il n’y avait pas lieu à délibérer. Le décret a été adopté comme il suit : DÉCRET. L’Assemblée nationale, considérant combien il importe à la sûreté de l’Etat, au maintien de l’ordre et au rétablissement du crédit, que le recouvrement des deniers publics ne soit interrompu sous aucun prétexte; persistant dans son décret du 17 juin dernier, par lequel elle a déclaré que les impôts et contributions continueront d’être levés pendant la présente session de la même manière qu’ils l’ont été précédemment ; et recon-naissant la nécessité de faire travailler promptement aux rôles de 1790, dans la même forme que ci-devant, jusqu’à ce qu’elle puisse faire jouir les contribuables du nouveau mode d’impositions qu’elle ordonnera pour 1791, et dont elle veut avec maturité combiner la répartition ; persistant également dans son décret du 11 août dernier, dont l’article 9 a ordonné qu’il serait avisé aux moyens d’effectuer le payement proportionnel de toutes les contributions, même pour les six derniers mois de l’imposition courante, qui, pour ce qui concerne les impositions ordinaires, finit au 30 septembre 1789, elle a ordonné et décrété, ordonne et décrète ce qui suit ; Art. 1er. Les rôles des impositions de l’année 1789 et des années antérieures arriérées, seront exécutés et acquittés en entier dans les termes prescrits par les les règlements. Art. 2. Il sera fait, dans chaque communauté un rôje de supplément des impositions ordinaires et directes, autres que les vingtièmes, pour les six derniers mois de l'année 1789, à compter du ler avril dernier, jusqu’au 30 septembre suivant, dans lesquels seront compris les noms et les biens de tous les privilégiés qui possèdent des biens en franchise personnelle ou réelle, à raison de leurs propriétés, exploitations et autres facultés ; et leur cotisation sera faite dans la même proportion et dans la même forme qui auront été suivies pour les impositions ordinaires de la même année, vis-à-vis des autres contribuables. Art. 3. Les sommes provenant de ces rôles de supplément seront destinées à être réparties en moins-imposé sur les anciens contribuables, en 1790, dans chaque province. Art. 4. Dans les rôles de toutes les impositions de 1790, les ci-devant privilégiés seront cotisés avec les autres contribuables, dans la même proportion et la même forme, à raison de toutes leurs propriétés, exploitations et autres facultés. Art. 5. A commencer du Ie* janvier 1790, tous les abonnements sur les vingtièmes, accordés à divers particuliers, sont expressément révoqués, et aucun contribuable ne pourra se soustraire, sous quelque prétexte que ce soit, à cette imposition. Art. 6. L’Assemblée nationale fera connaître, dans le courant de 1790, la forme qu’elle aura définitivement adoptée pour la conversion et la répartition générale des impositions de 1791, afin qu’il n’y ait plus à l’avenir qu’un seul et même rôle d’imposition pour tous les contribuables, sans aucune distinction, ni pour les personnes, ni pour les biens. M. le Président a levé la séance, et l’a indiquée à neuf heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE. Séance du samedi 26 septembre 1789, au matin (1). , A l’ouverture de la séance, M. le président a annoncé les dons patriotiques suivants ; 1° L’adresse d’uu cultivateur, qui coptient la somme de 24 livres, dont il fait hommage à l’Assemblée nationale ; 2° Celle de Pierre Carré , Poitevin , domestique à Paris, qui fait, conjointement avec son >. épouse, l’envoi de 48 livres en deux coupons, d’un billet de 600 livres de l’emprunt d’octobre 1783, en forme de loterie. Ils offrent en outre une contribution de 12 livres par an, pour deux ans, ou plus, s’il le faut, à commencer en janvier 1791; 3° Une lettre de M.Mosneron de Launay, député du commerce de Nantes auprès de l’Assemblée nationale, qui envoie, au nom de son frète ' Mosneron-Dupin, àM. le président, quatre lettres de change, formant ensemble la somme de 10,004 liv. 4 sous et qui s’engage personnellement à payer, dès qu’il l’aura reçue, celle de 2,000 livres dont il prie l’Assemblée d’agréer l’hommage ; 4° M. le marquis de Solin, président du comité permanent du bailliage de Bourbon-Lancy, fait offrande à la nation d’une rente de 108 livres sur les tailles, créée originairement, et comprise aujourd’hui dans les états du Roi pour 54 livres î. seulement, remboursable par 1,080 livres. M. le Président a annoncé que quatre députés de la Comédie française demandaient à l’Assemblée de se présenter devant elle, et de lui faire connaître la délibération par laquelle les comédiens ordinaires du Roi ont arrêté un sacrifice de 23,000 livres payables dans Je courant du mois de janvier prochain, et applicables aux besoins de l’Etat. L’Assemblée l’ayant agréé, les quatre députés ont été introduits à la barre et ont fait lecture de ladite délibération. M. le Président leur a dit : Messieurs, l’Assemblée nationale voit avec approbation votre patriotisme : on ne peut, Messieurs, faire un plus noble usage de la rétribution v qu’obtiennent des talents qui contribuent à la consolation et au bonheur de l’humanité, L’ Assemblée a permis aux quatre députés d’assister à la séance dans, la barre. M. Gervaise, docteur régent de la faculté de médecine de Paris, a fait en personne l’hommage (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 187 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1789.} à F Assemblé nationale de la somme de 2,400 livres, comme étant le quart de son revenu -, témoignage patriotique qui a été accueilli avec applaudisse-' ments. M. le Président a dit : Monsieur, vous avez joui des applaudissements de l’Assemblée : je ne puis suspendre plus long temps ses travaux ; pour vous marquer sa satisfaction, elle vous permet d’assister à sa séance. M. le vicomte de Mirabeau, l’un des secrétaires , donne lecture du procès-verbal des deux / séances de la veille. 11 s’élève des réclamations sur sa rédaction. M. Martineau et M. de Beaumetz accusent le procès-verbal de trop de laconisme et d’obscurité sur deux articles du décret relatif aux impositions, rendu dans la séance du soir. M. le vicomte de Mirabeau s’excuse, en disant que lors de sa dernière rédaction du procès-verbal, on l’avait accusé d’être trop long, et que cette fois-ci il a supprimé tous les détails ; qu’il ne sait comment faire pour obéir à l’Assemblée ; qu’il faut avoir une porte ouverte ou fermée. Toute la difficulté se termine par décider que >.M. le vicomte de Mirabeau énoncera l’état de la question et l’alternative préalable au décret des impositions. M. le vicomte de Mirabeau relit le décret d’hier soir. M. Dupont demande la parole pour proposer un amendement relatif àune difficulté qu’il croyait apercevoir dans le payement des impôts. Il vous ‘ sera impossible, dit-il, de recevoir aucune imposition. Pour payer, vous diront les contribuables, il faut que la répartition soit faite également; il faut des évaluations, des rôles ; tout cela entraînera des longueurs infinies. M. Démeunier observe que l’amendement de M. Dupont a été jugé hier, et rejeté. Cette observation fait descendre M. Dupont de la tribune. � M. Goulard, curé de Roanne. C’est contre vos principes que, détruisant tous ies privilèges, vous avez décrété que les curés à portion congrue seraient exempts de la taxe commune : en cela vous n’avez envisagé que leur situation ; mais nous sommes citoyens avant tout, nous devons donner l’exemple du patriotisme ; ne nous imposez pas la honte d’être les seuls à ne pas contribuer à la chose publique ; oui, Messieurs, la honte, c’en ’ serait une d’être seuls privilégiés dans le royaume, Votre décret n’est pas encore sanctionné, vous pouvez avoir égard à notre prière. (Cegénéreux dévouement est vivementapplaudi.) M. Démeunier propose d’accepter l’offre des curés congruistes en forme de don pour la caisse patriotique. D’autres membres défendent MM. les curés por-tionnaires contre cet enthousiasme patriotique. M. de Castellane observe que l’exception qui afflige la délicatesse de MM. les curés n’est que pour un temps, et qu’ils supporteront les impôts lorsque le nouveau régime sera établi. Ce combat de générosité était près de se terminer, on allait décider qu’il serait fait une mention honorable de l’offre patriotique deMM. les curés lorsque M. de Clermont-Lodève demande la parole. M.de Clermont-Lodève. Si l’on n’accepte pas l’offre de MM. les curés congruistes, je demande que tous les pères de familles qui n’ont que 700 livres de rente soient privilégiés. M.Dillon ,curé du Vieux-Pouzaug es, déclare qu’il estchargé de renoncer à tous les privilèges ; qu’il y a des villages si pauvres, que le curé avec 700 livres est le plus riche de sa paroisse, et qu’il serait humiliant pour lui d’être le seul dans la paroisse qui ne payât rien à la patrie. L’offre de MM. les curés congruistes est donc acceptée. La lecture des adresses est renvoyée à la prochaine séance. M. le Président rappelle l’ordre du jour qui consiste à entendre un rapport du comité des finances sur le discours du premier ministre des finances et sur les moyens qu’il indique pour venir promptement au secours de l’Etat et pour parer aux malheurs qui menacent la fortune publique. M. le marquis de Montesquiou (1) monte à la tribune et s’exprime en ces termes : Messieurs, le premier ministre des finances a mis sous vos yeux le tableau effrayant, mais fidèle, de la situation du royaume; il vous a peint la détresse du Trésor public, accrue par une détresse nouvelle ; les revenus de l’Etat, ou suspendus par la misère des peuples, ou interceptés, dans plusieurs provinces, par les troubles ; 50 millions versés dans les différents -marchés de l’Europe, pour acheter la subsistance du citoyen, et pesant contre nous dans la balance du commerce; le voyageur repoussé loin de la France par le malheur de nos divisions; le Français fuyant sa patrie, et portant à l’étranger nos richesses, ou les dérobant à la circulation; la défiance attachée à toutes nos opérations; la ressource même des anticipations évanouie ; le numéraire disparu ; 80 millions nécessaires pour arriver à de nouveaux besoins, et le vide dans toutes les caisses. Dans cette position, qu’il ne cherche point à vous dissimuler, M. Necker a osé ne pas désespérer de la chose publique; et il est venu vous offrir de grands' moyens dans le présent, et la certitude d’une restauration entière dans l’avenir, Au mois d’avril dernier, le déficit ordinaire était de ............ 56 millions. De cette somme il faut déduire . 5 pour intérêt d’anticipations; reste. 51 qui n’ont pu être renouvelés; mais il faut y ajouter 10 millions pour l’intérêt et le remboursement annuel du nouvel emprunt que vous avez décrété ............ 10 Ainsi le déficit ordinaire s’élève aujourd'hui à .......... 61 millions. M. Necker balance ce déficit par des économies, les unes certaines, les autres encore indéterminées; par 15 millions, somme à laquelle il (1) Le Moniteur ne donoe qu’une analyse du rapport de M. de Montesquiou.