142 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Il mai 1791.] victime, parce qu’il a réclamé les droits de la nature que lui assurait la loi dont je viens de lire le texte. Son sang crie vengeance ; mais je m’arrête, ce n’est pas a un ministre d’un Dieu de paix de la réclamer. Je demande en ce moment pourquoi, outre cela, dans le projet de décret, on n’a pas compris les colonies de l’I le de France et de Bourbon? Ceci me conduit à vous dire que dans les colonies on n’est pas éloigné, comme dans nos lies de l’Amérique, à accorder aux coton3 mulâtres les droits de citoyens actifs. Bn conséquence, je demande la rermission à l’Assemblée de lui lire un passage d’une adresse delà colonie de l’Ile de France; c’est un colon de ce pays-là qui me l’envoie. « Les affranchis, dit-il, ou même les hommes nésRibres, de couleur, ont été encore plus cruellement vexés par le pouvoir arbitraire suprême et délégué, que les autres habitants des colonies. L’assemblée générale se plaît à rendre justice à leur zèle et à leur bonne conduite, en tous points. La Révolution les a délivrés de la tyrannie qui pesait sur tous; mais l’assemblée ne s’est pas cru suflisamment autorisée pour statuer définitivement sur l’état civil de cette classe de citoyens. Il lui a paru que la solution de cette question tenait à des considérations majeures, dépendant du parti qui serait pris pour des colonies bien plus importantes que celle-ci. t Ceux pour qui elle s’intéresse se sont soumis à attendre avec résignation le prononcé, non pas des colonies, mais de la métropole. Ceux de la ville se sont même abstenus du droit de voter pour des officiers municipaux. Nous chargeons expressément nos députés de mettre sous les yeux de l’ÀS3emblée nationale les preuves de leur modération, de faire valoir tous les motifs qui peuvent intéresser pour eux, et nous la supplions de statuer sur leur sort de la manière la plus favorable, en observant que, dans les gens de couleur qui habitent cette colonie, il en est qui ne doivent leur liberté qu’à la nature. » Voilà, Messieurs, l’article 4 des instructions venues de l'ile de France. J’observerai encore qu’à l’ile de Bourbon le préjuge n’existe pas où très peu, et qu’il n’y a aucune différence poulies lois entre les blancs et les gens de couleur. Je reviens pour un instant à l’initiative que l’on propose d’accorder aux colonies. Quel en sera le résultat? En deux mots le voici : c’est-à-dire que vous ne pourrez décréter que les lois qu’on vous proposera, ou que vous n’en décréterez aucune. Je délie que l’on sorte de cette alternative. Au reste, Messieurs, je vous observerai encore que, quanë les gens de couleur libres furent admis à la barre de l’Assemblée nationale au mois de novembre 1789, on leur promit expressément que l’on s’occuperait de leur sort, et on leur dit cette phrase qui fut applaudie par l’Assemblée, c’est qu’aucune partie de citoyens français ne réclamerait vainement ses droits auprès des représentants de la nation. C’est ici, Messieurs, le cas de tenir votre promesse. J’ajoute que certainement des considérations politiques ne devraient même jamais prévaloir sur cette raison éternelle qui appartient à tous que jamais les lois delà nature ne doivent être violées pour des raisons d’utilité, parce que quelques individus sont intéressés à leur admission. Quelle étrange contradiction ne serait-ce pas, qu’après avoir décrété la liberté de la France, vous fussiez par vos décrets les oppresseurs de l’Amérique. Je demande la question préalable sur le projet de décret que vous présente votre comité� et voici celui que je propose d’y substituer. t L'Assemblée nationale décrète que les hommes de couleur et nègres libres, propriétaires et contribuables, sont compris dans l’article 4 du décret du 28 mars. « Enjoint aux commissaires chargés de rétablir l’ordre dans les îles, d’employer tous les moyens en leur pouvoir pour y faire jouir les hommes de couleur de tous lis droits de citoyens actifs. » (Applaudissements.) M. le Président. Je viens de recevoir deux lettres : dans l’une est une adresse des commissaires des citoyens de couleur, et l’autre une adresse des députés extraordinaires des manufactures et du commerce de France. L’Assemblée veut-elle entendre la lecture de ces lettres ? (Marques d’assentiment.) Un de MM. les secrétaires monte à la tribune et donne lecture de l'adresse des commissaires des citoyens de couleur. Cette adresse est ainsi conçue. « Ce n’est pas sans peine que nous avons vu le rapporteur, dans l’affaire des colonies, traiter avec légèreté les pouvoirs que nous avons présentés pour être admis à la barre. Il s’agit ici de notre existence civile et de celle de nos frères des îles. On veut nous en dépouilli r ; et nous n’avons pas besoin de tant de pouvoirs pour nous faire entendre. Nous sommes citoyens de couleur : voilà notre titre ; et il est de la justice de l’Assemblée de nous admettre. « Nous nous reposons avec confiance dans ses principes. Nous espérons qu’elle rejettera le projet de décret des colonies, et qu’elle déclarera positivement que nous sommes compris dans la classe des citovi ns actifs, en vertu de l’article 4 du décret du 28 mars; mais si sa religion n’était pas encore assez éclairée, s’il reste des doutes, nous demandons, au nom de la justice, d’être entendus à la barre; et nous donnerons à l’Assemblée des renseignements sur les localités qui lai prouveront que l’un a, jusqu’à présent, abusé de sa bonne foi. « Nous sommes, etc. M. Arthur Dillon. Il y a un des signataires qui n’es1 pas libre ; c’est un esclave enfin de la Martinique. M. le secrétaire donne ensuite lecture de l'adresse des députés extraordinaires des manufactures et du commerce de France. Cette adresse est ainsi conçue : « Messieurs, « Vous avez ajourné le projet de décret touchantes colonies, qui vous a été présenté par vos comités. Ce projet de décret n’est qu’une conséquence rigoureuse et indispensable du préambule de votre décret du 12 octobre, par lequel vous avez annoncé que vous étiez dans la ferme résolution d’établir, comme acte constitutionnel, dans leur organisation, qu’aucune loi sur l’état des personnes ne serait décrétée que sur la demande précise et formelle des assemblées coloniales. Vous avez pris un engagement sacré envers les colons et envers les commerçants; et la liberté que vous avez fondée nous donne le droit de vous dire qu’il n’est pas en votre pouvoir de le rompre. (Rires.) " C’est à ces sages dispositions renfermées dans [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 mai 1791.] vos décrets sur les colonies, qu’on doit les intervalles de paix et de retour à l’ordre qu’on vieut d’avoir, depuis que des écrits répandus avec profusion dans cette capitale ont été portés dans nos lies et ont s - r v i de prétexte à ceux qui, ayant des passions à satisfaire, des injures à venger, une grande ambition à assouwr, ne pouvaient parvenir à leur fait qu’en alarmant les esprits sur les propriétés. « Peut-ôre dirons-nous aussi que si l'Assemblée se lut plutôt occupé o es colonies, si elle n’eût pas laissé à la malveillance le temps de iummu-vrer et de l’accuser d'une cruelle inditïé enre, elle eût prévenu les malheur' qui les accablent et les déchirent; mais pressée jmr la loule des événements qui s’accuraulaieutautourd’e le, l’Assemblée uatiunale ne pouvait porter plus loiu ses regards. ■ Cependant, malgré ces violentes convulsions que nos Iles assurent qu'elles ont éprouvées, malgré les desseins perveis de ceux qui voulaient les anéantir pour la France, en y proclamant une liberté que leur constitution, leur climat et leur culture ne peuvent comporter, ces îles sont restées tidèles. Elles ont malheureusement versé beaucoup de sang; mais toutes o ;t accueilli avec transpoit votre décret qui les a déclarées parties de l’Empi.e fiançais. Ce décret est devenu le palladium des colonies. « C’est surtout dans ce préambule, dans ces dispositions raoes et conservatrices de l’ordre et de la propriété, que les colons ont vu l’intérêt que prenait à eux l'Assemblée nationale; et ils ont sacrifié leurs divisions, leurs ressentiments, à la roinesse solennelle qu’y a consacrée l'Assem-lée. « Si vous hésitez, Messieurs, car nous ne vous faisons pas l’injure de croire que vous la révoquerez, si vous liéMb'Z de confirmer cette parole si inviolable, vous devez vous attendre à la défiance des colons si souvent ul.-rmés :*ur vos intentions, et que les ennemis de lu patrie en\ ironneront d’erreurs et d’inquiétudes; vous devez vous attendre qu’une puissance voisine, et jalouse de votre grandeur future, entretiendra ces erreurs; elle les accroîtra, elle oi frira aux colons des avantages, en les réunissant a elle, et déjà elle a préparé le succès de ces desseins, en décrétant la continuation de la traite des noirs. « Vous devez vos colonies à une nouvelle conquête; le commerce mari t me leur est essenti I-lement lié; il ne peut sépaier sa came de celle oes colons. Si vos colonies se divisent et se déchirent, le coin n.erc" c ssera d’y envoyer des vaisseaux; et l’exemple de la Marti n iq e, perdue depuis deux ans, atteste cette triste vérité. Les étrangers s’empareront de votre commerce. Déjà nous avons la preuve que des vaisseaux étrangers, venant directement de nos colonies, sont arrivés en Angteteire et eu Hollande. L'invasion deviendra générale. « Eu attendant, une guerre étrangère est iné-vilable, cette seissiou aura cause nos dé-astres, et mettra notre Constitution en péril en paralysant nos fabriques et nos manufactures; en privant de travail tant de bras, que nos ennemisexté-rieurs et intérieurs emploieront contre nous. Ainsi donc, Messieurs, le commerce, le salut do l’Empire, votre parole ■,)!;< rmitrcs), tout, nous osons le dire, vous impose la loi d’adopter le projet de votre comité et celui que nous osons vous proposer. « Nous sommes avec respect, etc... »> 743 M. de Clermont-Tonnerre. J’adopte le projet de décret q ie vous présentent vos comités réunis ; je le crois le plus sage qu’il leur fût possible de vous offrir. Soit que nous le considérions en principe, soit que nous examinions les circonstance'’, je pense qu’on ne peut l’attaquer qu’en déplaçant absolument la question. Je sais combien d’idées aece-sotres il est possible d’amener dans une discussion : je n’inculperai nas les intentions de ceux qui invitent l’Assemblée nationale à traiter aujourd'hui des questions qui teii lent à compromettre nos colonies, mais jaitaquerai leur manière de raisonner; et je crois que, dans cette alïaiie, la raison et la justice sont parfaite m nt d’accord avec votre véritable intérêt. En effet, voudr..it-on vous ame-n ar à staïuer d’abord sur ce qu’il importe de régler dans les colonies? On voudrait y transporter toutes nos idées, tous nos principes, toutes nos institutions, et l’on ne voit point et l’on ne veut point voir qu’il faut auparavant siatuer, qu'il laut auparavant arrêter irrévocablement ses idées sur les vrais rapports de toute métropole avec ses colonies. G’e-t sur ces rapports qu’il est important, et pour elle et pour vous, ne ne vou-fa re aucune illusion. Je sais que les colons .-ont français; je vois leurs députés parmi vous, je les vois coopérer avec ardeur aux travaux de l’Assemblée nationale ; je les vois reconnaître avec orgueil qu’ils sont une véritable partie intégrante de l’Empire français, mais, permettez-moi de vous le dire, tout en jouissant de leur patriotisme, j’entends la voix non moins impérieuse de -la vérité et celle de l’exnérieuce; je me ranpeile que le pacte social n’est institué que pour le bien des contractants, que leur intérêt en est la piernière base, et que ce n’est qu’en ménageant soigneusement cet intérêt que l’on parvient à fortifier les affections, et à éterniser les liens qui peuvent rapprocher les hommes. L’union des colonies à la métropole, leur fusion, si je puis parler ainsi, dans la souveraineté nationale doivent éprouver des modifications particulières, ou bien elles opéreraient le despotisme de la métropole sur les colonies, et bientôt celles-ci, connaissant leur véritable intérêt, renonceraient à cette fiction politique. 11 suffit, pour s’en convaincre, de re-mon er au principe du contrat social, à ces principes posés par Rousseau auquel on élève des s’atnes et dont il ne faut pas oublier les maximes. La volonté du corps social où la loi n’est obligatoire pour chacun des sujets que parce qu’elle est l’expression de la volonté de tous, sur un objet qui frappe également sur tous, du moment où elle serait la volonté du plus grand nombre, ne frappant que sur le plus petit, elle perdrait ce caractère de loi; du moment où un corps politique seiait tellement constitué, qu’une de ses parties recevrait toujours la loi des autres, et ne la leur donnerait jamais, il ne serait plus un coros social; il serait une véritable monstruosité; mais cet état de choses arrivera toujours lorsque le corps social sera divisé eu deux parties intégrantes très inégales, et dont las intérêts ne seront évidemment pas les mêmes : le despotisme ce la plus grande sur la plus petite sera inévitable; l’iulluence de la plus petite sur la volonté générale sera illusoire, et ce prétendu corps social ou se soutiendra par l’oppression, ou tendra toujours à se dissoudre. \ oilà cependant le tableau vrai de l’état de cliosi s que nous avons consacré, de l’état de