532 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Robespierre termine en protestant de nouveau qu’en publiant ces vérités, il n’a voulu que servir la patrie (l). Un membre [LECOINTRE (de Versailles)] demande l’impression du discours; un autre [BOURDON (de l’oise)] demande le renvoi au comité de sûreté générale et de salut public, pour l’examiner avant de le livrer à l’impression, attendu qu’il s’y est glissé des erreurs, et que la malveillance pourroit en tirer de mauvaises inductions. Robespierre et un autre membre [BARÈRE] s’opposent à ce renvoi (2). BOURDON (de l’Oise) : Je m’oppose à l’impression ; ce discours contient des matières assez graves pour être examinées; il peut y avoir des erreurs comme des vérités, et il est de la prudence de la Convention de le renvoyer à l’examen des deux comités de salut public et de sûreté générale avant d’en ordonner l’impression. BARERE : Et moi aussi j’estime avant tout la qualité d’homme et celle de citoyen français; je parle ici comme individu et non comme membre du comité; j’insiste pour l’impression du discours, parce que dans un pays libre il n’est aucune vérité qui doive être cachée; la lumière ne doit pas être sous le boisseau, et il n’est aucune assertion qui ne (l) Rép., n°219; C. Univ., n° 938 (dans l’analyse du discours présentée par cette gazette, on relève, entre autres « attaques » reprochées par Robespierre à « ses ennemis », des « projets de finances propres à augmenter le nombre de mécontens », « l’épouvante jetée dans l’âme des nobles et des prêtres », « un arrêté surpris au comité de salut public pour faire arrêter les membres de la commune du 10 août, sous prétexte de non-reddition de comptes », un « projet qu’on lui prête (à Robespierre) de vouloir immoler la Montagne, les députés détenus et de soutenir le Marais ». « Il s’est plaint, continue la gazette, d’un système continu de persécutions contre le plus pur civisme. Il s’est plaint aussi, mais en général, des comités de salut public et de sûreté générale, et surtout de ce que des professeurs de royalisme, des intrigans, des émigrés même, ont eu l’art d’entrer dans le dernier de ces comités et d’exercer des actes tyranniques ». Il a fini par dire, conclut la gazette, que si l’on ne remédioit aux maux présens, tout étoit perdu, et que si l’on repoussoit encore la lumière, il savoit mourir ». Autres gazettes à présenter une analyse assez détaillée et, semble-t-il, objective du discours : J. Perlet, n° 672; -J. Sablier, n° 1461 (dans cette dernière, l’analyse du discours occupe 70 lignes, la discussion 4 lignes et la décision est escamotée); Audit, nat., n° 671 ; J. Lois, n° 666 (9 lignes d’analyse vague, puis bons extraits du discours. Assez favorable. L’une des 2 gazettes à signaler des applaudissements pour Robespierre); Ann. patr., n° DL XXII (très opportuniste, compliments pour Robespierre, signale des applaudissements); Ann. R.F., n°238; J. Fr., n°670; J. Paris, n° 573; J. S. Culottes, nos 527 et 528; M.U., XLII, 137-138 ; Mess. Soir, n° 706 ; F.S.P., n° 387 ; C. Eg., n° 707. (les dernières gazettes citées se compromettent peu, se bornant à résumer la discussion au maximum ou ménageant l’avenir au point d’annoncer pour les jours suivants la parution intégrale du discours de Robespierre) ; J. Univ., n° 1706 (résumé très partiel, assorti de commentaires violemment anti-robespierristes). D’après plusieurs Gazettes, la lecture du discours de Robespierre a duré environ deux heures. Voir ce discours Contre les factions nouvelles et les députés corrompus dans Oeuvres de Maximilien Robespierre, tome X, p. 542 à 576, Paris, P.U.F., 1967. (2) P.V., XLII, 195. puisse être attaquée et examinée; c’est pour cela que vous êtes Convention nationale, et je ne doute pas que tous nos collègues n’insistent pour l’impression (l). Un autre membre [COUTHON], en appuyant la motion de l’impression, demande en outre qu’il soit envoyé à toutes les communes de la République et aux armées, afin de détruire le système de calomnie qui existe contre les anciens athlètes de la révolution (2). COUTHON : J’ajoute à la proposition de l’impression un amendement qui a l’air très-faible, et que je regarde comme très-sérieux; il faut que la France entière, que la plus petite commune, sache qu’il est ici des hommes qui ont le courage de dire la vérité tout entière; il faut que l’on sache que la grande majorité de la Convention sait l’entendre et la prendre en considération. Je demande non-seulement que ce discours soit imprimé, mais aussi qu’il soit envoyé à toutes les communes de la république; et quand on a osé demander qu’il fût renvoyé à l’examen des deux comités, c’était faire un outrage à la Convention nationale : car elle sait sentir, elle sait juger. Je suis bien aise de trouver cette occasion d’épancher mon âme. Depuis quelque temps, au système de calomnie contre les représentants les plus fidèles à la cause du peuple, les plus vieux serviteurs de la révolution, on joint cette manœuvre abominable de faire circuler que quelques membres du comité de salut public cherchent à l’entraver; je suis un de ceux qui ont parlé contre quelques hommes, parce que je les ai regardés comme immoraux et indignes de siéger dans cette enceinte. Je répéterai ici ce que j’ai dit ailleurs; et si je croyais avoir contribué à la perte d’un seul innocent, je m’immolerais moi-même de douleur (3). La Convention nationale, après avoir fermé la discussion, décrète que le discours de Robespierre sera imprimé, distribué aux membres de la Convention, envoyé à toutes les communes, et aux armées de la République. Un autre [VADIER] se plaint de ce que le discours de Robespierre attaque le rapport fait sur Catherine Théos et ses complices, et annonce que de nouveaux complices sont découverts, et qu’il ne tardera pas à faire un autre rapport à cet égard (4). VADIER : J’ai entendu avec douleur Robespierre dire que le rapport concernant une fille nommée Catherine Théos ne semblait se rattacher qu’à une farce ridicule de mysticité, que c’était une femme à mépriser. ROBESPIERRE : Je n’ai pas dit cela. CAMBON : Je demande la parole aussi... (il s’élance à la tribune.) Avant d’être déshonoré, je parlerai à la France... Le PRÉSIDENT : Vadier a la parole. VADIER : Je parlerai avec le calme qui convient à la vertu. Robespierre a dit que ce rapport, ayant donné lieu à un travestissement ridicule, a pu nuire à la chose publique. Ce rapport a été fait avec le ton (l) Mon., XXI, 329; Débats, n° 676. 2 P.V., XLII, 195. (3) Mon., XXI, 329; Débats, n°676. (4) P.V., XLII, 195. 532 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Robespierre termine en protestant de nouveau qu’en publiant ces vérités, il n’a voulu que servir la patrie (l). Un membre [LECOINTRE (de Versailles)] demande l’impression du discours; un autre [BOURDON (de l’oise)] demande le renvoi au comité de sûreté générale et de salut public, pour l’examiner avant de le livrer à l’impression, attendu qu’il s’y est glissé des erreurs, et que la malveillance pourroit en tirer de mauvaises inductions. Robespierre et un autre membre [BARÈRE] s’opposent à ce renvoi (2). BOURDON (de l’Oise) : Je m’oppose à l’impression ; ce discours contient des matières assez graves pour être examinées; il peut y avoir des erreurs comme des vérités, et il est de la prudence de la Convention de le renvoyer à l’examen des deux comités de salut public et de sûreté générale avant d’en ordonner l’impression. BARERE : Et moi aussi j’estime avant tout la qualité d’homme et celle de citoyen français; je parle ici comme individu et non comme membre du comité; j’insiste pour l’impression du discours, parce que dans un pays libre il n’est aucune vérité qui doive être cachée; la lumière ne doit pas être sous le boisseau, et il n’est aucune assertion qui ne (l) Rép., n°219; C. Univ., n° 938 (dans l’analyse du discours présentée par cette gazette, on relève, entre autres « attaques » reprochées par Robespierre à « ses ennemis », des « projets de finances propres à augmenter le nombre de mécontens », « l’épouvante jetée dans l’âme des nobles et des prêtres », « un arrêté surpris au comité de salut public pour faire arrêter les membres de la commune du 10 août, sous prétexte de non-reddition de comptes », un « projet qu’on lui prête (à Robespierre) de vouloir immoler la Montagne, les députés détenus et de soutenir le Marais ». « Il s’est plaint, continue la gazette, d’un système continu de persécutions contre le plus pur civisme. Il s’est plaint aussi, mais en général, des comités de salut public et de sûreté générale, et surtout de ce que des professeurs de royalisme, des intrigans, des émigrés même, ont eu l’art d’entrer dans le dernier de ces comités et d’exercer des actes tyranniques ». Il a fini par dire, conclut la gazette, que si l’on ne remédioit aux maux présens, tout étoit perdu, et que si l’on repoussoit encore la lumière, il savoit mourir ». Autres gazettes à présenter une analyse assez détaillée et, semble-t-il, objective du discours : J. Perlet, n° 672; -J. Sablier, n° 1461 (dans cette dernière, l’analyse du discours occupe 70 lignes, la discussion 4 lignes et la décision est escamotée); Audit, nat., n° 671 ; J. Lois, n° 666 (9 lignes d’analyse vague, puis bons extraits du discours. Assez favorable. L’une des 2 gazettes à signaler des applaudissements pour Robespierre); Ann. patr., n° DL XXII (très opportuniste, compliments pour Robespierre, signale des applaudissements); Ann. R.F., n°238; J. Fr., n°670; J. Paris, n° 573; J. S. Culottes, nos 527 et 528; M.U., XLII, 137-138 ; Mess. Soir, n° 706 ; F.S.P., n° 387 ; C. Eg., n° 707. (les dernières gazettes citées se compromettent peu, se bornant à résumer la discussion au maximum ou ménageant l’avenir au point d’annoncer pour les jours suivants la parution intégrale du discours de Robespierre) ; J. Univ., n° 1706 (résumé très partiel, assorti de commentaires violemment anti-robespierristes). D’après plusieurs Gazettes, la lecture du discours de Robespierre a duré environ deux heures. Voir ce discours Contre les factions nouvelles et les députés corrompus dans Oeuvres de Maximilien Robespierre, tome X, p. 542 à 576, Paris, P.U.F., 1967. (2) P.V., XLII, 195. puisse être attaquée et examinée; c’est pour cela que vous êtes Convention nationale, et je ne doute pas que tous nos collègues n’insistent pour l’impression (l). Un autre membre [COUTHON], en appuyant la motion de l’impression, demande en outre qu’il soit envoyé à toutes les communes de la République et aux armées, afin de détruire le système de calomnie qui existe contre les anciens athlètes de la révolution (2). COUTHON : J’ajoute à la proposition de l’impression un amendement qui a l’air très-faible, et que je regarde comme très-sérieux; il faut que la France entière, que la plus petite commune, sache qu’il est ici des hommes qui ont le courage de dire la vérité tout entière; il faut que l’on sache que la grande majorité de la Convention sait l’entendre et la prendre en considération. Je demande non-seulement que ce discours soit imprimé, mais aussi qu’il soit envoyé à toutes les communes de la république; et quand on a osé demander qu’il fût renvoyé à l’examen des deux comités, c’était faire un outrage à la Convention nationale : car elle sait sentir, elle sait juger. Je suis bien aise de trouver cette occasion d’épancher mon âme. Depuis quelque temps, au système de calomnie contre les représentants les plus fidèles à la cause du peuple, les plus vieux serviteurs de la révolution, on joint cette manœuvre abominable de faire circuler que quelques membres du comité de salut public cherchent à l’entraver; je suis un de ceux qui ont parlé contre quelques hommes, parce que je les ai regardés comme immoraux et indignes de siéger dans cette enceinte. Je répéterai ici ce que j’ai dit ailleurs; et si je croyais avoir contribué à la perte d’un seul innocent, je m’immolerais moi-même de douleur (3). La Convention nationale, après avoir fermé la discussion, décrète que le discours de Robespierre sera imprimé, distribué aux membres de la Convention, envoyé à toutes les communes, et aux armées de la République. Un autre [VADIER] se plaint de ce que le discours de Robespierre attaque le rapport fait sur Catherine Théos et ses complices, et annonce que de nouveaux complices sont découverts, et qu’il ne tardera pas à faire un autre rapport à cet égard (4). VADIER : J’ai entendu avec douleur Robespierre dire que le rapport concernant une fille nommée Catherine Théos ne semblait se rattacher qu’à une farce ridicule de mysticité, que c’était une femme à mépriser. ROBESPIERRE : Je n’ai pas dit cela. CAMBON : Je demande la parole aussi... (il s’élance à la tribune.) Avant d’être déshonoré, je parlerai à la France... Le PRÉSIDENT : Vadier a la parole. VADIER : Je parlerai avec le calme qui convient à la vertu. Robespierre a dit que ce rapport, ayant donné lieu à un travestissement ridicule, a pu nuire à la chose publique. Ce rapport a été fait avec le ton (l) Mon., XXI, 329; Débats, n° 676. 2 P.V., XLII, 195. (3) Mon., XXI, 329; Débats, n°676. (4) P.V., XLII, 195. SÉANCE DU 8 THERMIDOR AN II (26 JUILLET 1794) - N" 41 533 de ridicule qui convenait pour dérouter le fanatisme. J’ai recueilli depuis de nouveaux renseignements, des documents immenses; vous verrez que cette femme avait des relations intimes avec la ci-devant duchesse de Bourbon, avec Bergasse, et tous les illuminés. Je ferai entrer cette conspiration dans un cadre plus imposant; mais ce travail est long, parce qu’elle se rattache à tous les complots, et qu’on y verra figurer tous les conspirateurs anciens et modernes. J’ai encore quelque chose à dire sur le discours de Robespierre. Les opérations du comité de sûreté générale ont toujours été marquées au coin de la justice et de la sévérité nécessaires pour réprimer l’aristocratie; elles sont contenues dans les arrêtés qu’elle a pris, et qu’on peut faire imprimer et juger ensuite. Si nous avons eu des agents qui aient malversé, qui aient porté l’effroi dans l’âme des patriotes, le comité les a punis à mesure qu’il les a connus, et la tête de plusieurs est tombée sous le glaive de la loi. Voilà quelle a été notre conduite, et en voici la preuve : les commissions populaires, établies de concert avec les deux comités ont déjà jugé 7 à 800 affaires; combien croyez-vous qu’elles aient trouvé de patriotes ? Ils sont dans la proportion de 1 sur 80. Voilà bien la preuve que ce n’est pas le patriotisme qui a été opprimé, mais l’aristocratie qui a été justement poursuivie. Voilà ce que je devais dire pour la justification du comité de sûreté générale, qui n’a jamais été divisé d’avec le comité de salut public. Il peut y avoir eu quelques explications, mais jamais elles n’ont rien diminué de l’estime et de la confiance mutuelles que se portent les deux comités (l). Un membre [CAMBON] du comité des finances se plaint également de ce que le discours de Robespierre attaque les opérations financières, et déclare que celui qui entrave toutes les opérations, c’est Robespierre (2). CAMBON : Et moi aussi je demande la parole : je me présente dans la lice : quoique je n’aie jamais cherché à former un parti autour de moi, Robespierre vient de dire que le dernier décret sur les finances avait été calculé de manière à augmenter le nombre des mécontents; ils serait peut-être facile de le faire convenir qu’il n’a rien fait pour connaître ces calculs ; mais je me contenterai de repousser une attaque dont ma conduite connue depuis le commencement de la révolution aurait dû peut-être me garantir. Je ne viendrai point armé d’écrits polémiques ; la vérité est une; je répondrai par des faits. Le dernier décret sur le viager respecte les rentes depuis 1,500 liv. jusqu’à 10,500 liv. , relativement aux âges; il ne prive donc point du revenu nécessaire à tout âge; nous nous sommes donc bornés à réformer les abus. Je sais que les agioteurs ont intérêt à attaquer cette opération. Il est prouvé, par un tableau que je mettrai sous les yeux de l’assemblée, que l’agiotage y est intéressé pour 22 millions de rentes; et c’est lui seul que nous avons voulu attaquer. Il n’est donc (1) Mon., XXI, 329; Débats, n° 676. (2) P.V., XLII, 195. pas étonnant qu’il ait cherché un appui pour éviter la réforme; les agioteurs pourront même fournir des matériaux pour faire des discours ; mais, ferme à mon poste, j’aurai toujours le courage de dénoncer tout ce qui me paraîtrait contraire à l’intérêt national. Si j’avais voulu servir les intrigues, il m’aurait peut-être été facile, dans des circonstances critiques, d’exciter des mécontentements utiles au parti que j’aurais embrassé; mais, étranger à toutes les factions, je les ai dénoncées tour à tour lorsqu’elles ont tenté d’attaquer la fortune publique : tout dévoué à mon pays, je n’ai connu que mon devoir, et je ne servirai que la liberté. Aussi tous les partis m’ont-ils trouvé toujours sur leur route, opposant à leur ambition la barrière de la surveillance, et en dernier lieu on n’a rien négligé pour chercher à connaître jusqu’où pourrait aller ma fermeté et l’ébranler. J’ai méprisé toutes les attaques; j’ai tout rapporté à la Convention. Il est temps de dire la vérité tout entière : un seul homme paralysait la volonté de la Convention nationale ; cet homme est celui qui vient de faire le discours, c’est Robespierre; ainsi jugez. (On applaudit.) ROBESPIERRE : Je demande la permission de répondre un seul mot à cette inculpation, qui me paraît aussi inintelligible qu’extraordinaire. Cam-bon prétend que je paralyse la volonté de la Convention en matière de finance. S’il est quelque chose qui ne soit pas en mon pouvoir, c’est de paralyser la Convention, et surtout en fait de finance. Jamais je ne me suis mêlé de cette partie : mais, par des considérations générales sur les principes, j’ai cru apercevoir que les idées de Cambon en finance ne sont pas aussi favorables au succès de la révolution qu’il le pense. Voilà mon opinion, j’ai osé la dire; je ne crois pas que ce soit un crime. Cambon dit que son décret a été attaqué par les agioteurs; cela peut être vrai : je ne sais pas quel parti ils en pourraient tirer, je ne m’en occupe pas. Mais, sans attaquer les intentions de Cambon, je persiste à dire que tel est le résultat de son décret qu’il désole les citoyens pauvres. CAMBON : Cela est faux. Nous avons déjà reçu 65,000 titres, et on a payé en un mois et demi 25 millions de rente (l). Un autre membre [BILLAUD-VARENNE] dit qu’il est temps que les comités de salut public et de sûreté générale rendent enfin compte de leur conduite, pour que les conspirateurs qui s’enveloppent du manteau du patriotisme, soient enfin connus. La discussion devient vive. (2). BILLAUD-VARENNE : Le jour de mettre en évidence toutes les vérités est arrivé. Plus le discours de Robespierre inculpe le comité, plus la Convention doit l’examiner scrupuleusement avant d’en décréter l’envoi aux communes. Je demande que les deux comités mettent leur conduite en évidence. On dit que l’on a dégarni Paris de canons et de canonniers; si, depuis quatre décades, Robespierre n’eût pas abandonné le comité, il saurait... ROBESPIERRE : Ce n’est pas le comité en masse que j’attaque. Pour éviter bien des discussions, je (1) Mon., XXI, 330; Débats, n° 676. (1) P.V., XLII, 195. SÉANCE DU 8 THERMIDOR AN II (26 JUILLET 1794) - N" 41 533 de ridicule qui convenait pour dérouter le fanatisme. J’ai recueilli depuis de nouveaux renseignements, des documents immenses; vous verrez que cette femme avait des relations intimes avec la ci-devant duchesse de Bourbon, avec Bergasse, et tous les illuminés. Je ferai entrer cette conspiration dans un cadre plus imposant; mais ce travail est long, parce qu’elle se rattache à tous les complots, et qu’on y verra figurer tous les conspirateurs anciens et modernes. J’ai encore quelque chose à dire sur le discours de Robespierre. Les opérations du comité de sûreté générale ont toujours été marquées au coin de la justice et de la sévérité nécessaires pour réprimer l’aristocratie; elles sont contenues dans les arrêtés qu’elle a pris, et qu’on peut faire imprimer et juger ensuite. Si nous avons eu des agents qui aient malversé, qui aient porté l’effroi dans l’âme des patriotes, le comité les a punis à mesure qu’il les a connus, et la tête de plusieurs est tombée sous le glaive de la loi. Voilà quelle a été notre conduite, et en voici la preuve : les commissions populaires, établies de concert avec les deux comités ont déjà jugé 7 à 800 affaires; combien croyez-vous qu’elles aient trouvé de patriotes ? Ils sont dans la proportion de 1 sur 80. Voilà bien la preuve que ce n’est pas le patriotisme qui a été opprimé, mais l’aristocratie qui a été justement poursuivie. Voilà ce que je devais dire pour la justification du comité de sûreté générale, qui n’a jamais été divisé d’avec le comité de salut public. Il peut y avoir eu quelques explications, mais jamais elles n’ont rien diminué de l’estime et de la confiance mutuelles que se portent les deux comités (l). Un membre [CAMBON] du comité des finances se plaint également de ce que le discours de Robespierre attaque les opérations financières, et déclare que celui qui entrave toutes les opérations, c’est Robespierre (2). CAMBON : Et moi aussi je demande la parole : je me présente dans la lice : quoique je n’aie jamais cherché à former un parti autour de moi, Robespierre vient de dire que le dernier décret sur les finances avait été calculé de manière à augmenter le nombre des mécontents; ils serait peut-être facile de le faire convenir qu’il n’a rien fait pour connaître ces calculs ; mais je me contenterai de repousser une attaque dont ma conduite connue depuis le commencement de la révolution aurait dû peut-être me garantir. Je ne viendrai point armé d’écrits polémiques ; la vérité est une; je répondrai par des faits. Le dernier décret sur le viager respecte les rentes depuis 1,500 liv. jusqu’à 10,500 liv. , relativement aux âges; il ne prive donc point du revenu nécessaire à tout âge; nous nous sommes donc bornés à réformer les abus. Je sais que les agioteurs ont intérêt à attaquer cette opération. Il est prouvé, par un tableau que je mettrai sous les yeux de l’assemblée, que l’agiotage y est intéressé pour 22 millions de rentes; et c’est lui seul que nous avons voulu attaquer. Il n’est donc (1) Mon., XXI, 329; Débats, n° 676. (2) P.V., XLII, 195. pas étonnant qu’il ait cherché un appui pour éviter la réforme; les agioteurs pourront même fournir des matériaux pour faire des discours ; mais, ferme à mon poste, j’aurai toujours le courage de dénoncer tout ce qui me paraîtrait contraire à l’intérêt national. Si j’avais voulu servir les intrigues, il m’aurait peut-être été facile, dans des circonstances critiques, d’exciter des mécontentements utiles au parti que j’aurais embrassé; mais, étranger à toutes les factions, je les ai dénoncées tour à tour lorsqu’elles ont tenté d’attaquer la fortune publique : tout dévoué à mon pays, je n’ai connu que mon devoir, et je ne servirai que la liberté. Aussi tous les partis m’ont-ils trouvé toujours sur leur route, opposant à leur ambition la barrière de la surveillance, et en dernier lieu on n’a rien négligé pour chercher à connaître jusqu’où pourrait aller ma fermeté et l’ébranler. J’ai méprisé toutes les attaques; j’ai tout rapporté à la Convention. Il est temps de dire la vérité tout entière : un seul homme paralysait la volonté de la Convention nationale ; cet homme est celui qui vient de faire le discours, c’est Robespierre; ainsi jugez. (On applaudit.) ROBESPIERRE : Je demande la permission de répondre un seul mot à cette inculpation, qui me paraît aussi inintelligible qu’extraordinaire. Cam-bon prétend que je paralyse la volonté de la Convention en matière de finance. S’il est quelque chose qui ne soit pas en mon pouvoir, c’est de paralyser la Convention, et surtout en fait de finance. Jamais je ne me suis mêlé de cette partie : mais, par des considérations générales sur les principes, j’ai cru apercevoir que les idées de Cambon en finance ne sont pas aussi favorables au succès de la révolution qu’il le pense. Voilà mon opinion, j’ai osé la dire; je ne crois pas que ce soit un crime. Cambon dit que son décret a été attaqué par les agioteurs; cela peut être vrai : je ne sais pas quel parti ils en pourraient tirer, je ne m’en occupe pas. Mais, sans attaquer les intentions de Cambon, je persiste à dire que tel est le résultat de son décret qu’il désole les citoyens pauvres. CAMBON : Cela est faux. Nous avons déjà reçu 65,000 titres, et on a payé en un mois et demi 25 millions de rente (l). Un autre membre [BILLAUD-VARENNE] dit qu’il est temps que les comités de salut public et de sûreté générale rendent enfin compte de leur conduite, pour que les conspirateurs qui s’enveloppent du manteau du patriotisme, soient enfin connus. La discussion devient vive. (2). BILLAUD-VARENNE : Le jour de mettre en évidence toutes les vérités est arrivé. Plus le discours de Robespierre inculpe le comité, plus la Convention doit l’examiner scrupuleusement avant d’en décréter l’envoi aux communes. Je demande que les deux comités mettent leur conduite en évidence. On dit que l’on a dégarni Paris de canons et de canonniers; si, depuis quatre décades, Robespierre n’eût pas abandonné le comité, il saurait... ROBESPIERRE : Ce n’est pas le comité en masse que j’attaque. Pour éviter bien des discussions, je (1) Mon., XXI, 330; Débats, n° 676. (1) P.V., XLII, 195. 534 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE demande à la Convention la liberté de dire mon opinion. (Un nombre de membres se levant simultanément : Nous le demandons tous !) BILLAUD-VARENNE : Je déclare qu’on en a imposé à la Convention et à l’opinion publique sur le fait des canonniers; il existe un décret qui porte que des 8 compagnies de canonniers de Paris, il y en aura toujours la moitié dans cette commune : or, dans ce moment il en reste 33. C’est avec de pareilles opinions qu’on trompe le peuple et qu’on arrête, comme il est arrivé il y a quelques jours, les poudres dont l’armée du Nord avait un extrême besoin. Robespierre avait raison; il faut arracher le masque sur quelque visage qu’il se trouve; et s’il est vrai que nous ne jouissions pas de la liberté des opinions, j’aime mieux que mon cadavre serve de trône à un ambitieux que de devenir par mon silence, le complice de ses forfaits. Je demande le renvoi aux deux comités. PANIS : Je reproche à Robespierre de faire chasser des Jacobins qui bon lui semble. Je veux qu’il n’ait pas plus d’influence qu’un autre; je veux qu’il dise s’il a proscrit nos têtes, qu’il dise si la mienne est sur la liste qu’il a dressée. Je veux que Couthon s’explique sur les six membres qu’il poursuit. Il est temps que je déborde mon cœur navré : j’ai été abreuvé de calomnies. Je n’ai pas gagné dans la révolution de quoi donner un sabre à mon fils pour combattre aux frontières, ni une jupe à mes filles, et cependant on me peint comme un scélérat, comme un déprédateur, comme un homme dégouttant du sang des prisons, moi qui porte une âme sensible et tendre ! Voici un autre fait qui prouve combien est nécessaire l’explication que je demande à Robespierre. Un homme m’aborde aux Jacobins et me dit : « Vous êtes un homme de bien, vous avez sauvé la patrie. - Je n’ai pas l’honneur de vous connaître. - Je vous connais bien, moi; vous êtes de la première fournée. - Comment ? - Votre tête est demandée. - Ma tête ! à moi qui suis un des meilleurs patriotes ! ». Il ne voulut pas m’en dire davantage. Depuis, il m’est revenu de toutes parts que le fait était vrai, et que c’était Robespierre qui avait fait la liste. Je demande qu’il s’explique à cet égard, ainsi que sur le compte de Fouché. (On applaudit.) (l). Un autre membre [FRÉRON] dit que le moment de ressusciter la liberté et celui de rétablir la liberté des opinions est venu, et demande, en conséquence, le rapport du décret qui accorde aux comités le droit d’arrestation contre les membres de la Convention. Cette motion est appuyée. L’ordre du jour est réclamé; la Convention passe à l’ordre du jour (2). [FRERON : le moment de ressusciter la liberté est celui de rétablir la liberté des opinions. Je demande que l’assemblée rapporte le décret qui accorde aux comités le droit de faire arrêter les membres de la Convention (il se fait entendre quelques applaudissemens) : quel est celui qui peut parler librement, lorsqu’il craint d’être arrêté ? BILLAUD-VARENNE : si la proposition qui est faite étoit adoptée, la Convention seroit dans un état d’avilissement effrayant; celui que la crainte empê-(1) Mon., XXI, 330; Débats, n°676; J. Lois, n° 666. (2) P.V., XLII, 196. che de dire son avis n’est pas digne du titre de représentant du peuple. PANIS appuie la proposition de Fréron, et soutient que la liberté ne peut exister si elle n’est adoptée { 1 ).] Robespierre demande encore la parole sur toutes les prétendues infamies dont il se plaint ; il dit que tous ces bruits atroces ne sont que l’indice de la conspiration qu’il a dévoilée, et qu’il n’est pas fait pour avoir l’air de marcher de concert avec ceux qui veulent l’assassiner. Le président le rappelle à l’ordre : il s’écrie qu’il n’a pas d’ordre à recevoir de celui qui préside ses assassins; il ajoute qu’il a bien prévu les conséquences qu’on tireroit de son discours, mais qu’il n’a pu s’empêcher de le faire; qu’il ne lui restoit point d’autre moyen pour remplir un devoir sacré; que c’ étoit le seul moyen de sauver la patrie. Les murmures se faisant entendre de toutes parts, la scélératesse peinte sur sa figure, Robespierre dit que son opinion est indépendante, qu’il ne dépend que de son devoir et de la justice (2). ROBESPIERRE : Je demande la parole. Mon opinion est indépendante : on ne tirera jamais de moi une rétractation qui n’est point dans mon cœur; en jetant mon bouclier, je me suis présenté à découvert à mes ennemis : je n’ai flatté personne, je ne crains personne, je n’ai calomnié personne. PANIS : Et Fouché ? ROBESPIERRE : On me parle de Fouché, je ne veux pas m’en occuper actuellement; je me mets à l’écart de tout ceci; je n’écoute que mon devoir; je ne veux ni l’appui, ni l’amitié de personne; je ne cherche point à me faire un parti ; il n’est donc pas question de me demander que je blanchisse tel ou tel. J’ai fait mon devoir; c’est aux autres à faire le leur. BENTABOLE : L’envoi du discours de Robespierre me paraît très dangereux : la Convention aurait l’air, en décrétant cet envoi, d’en approuver les principes, et se rendrait responsable des mouvements que pourrait occasionner l’égarement dans lequel il jetterait le peuple. COUTHON : En demandant l’envoi aux communes, j’ai voulu que la Convention nationale, qui avait déjà ordonné l’impression du discours, n’en fît pas juge seulement une section du peuple, mais la République entière. CHARLIER : J’insiste pour l’ajournement de l’envoi du discours; il contient des principes qui me paraissent mériter l’examen le plus réfléchi des comités. Je demande donc qu’il leur soit renvoyé (3). [Ces sages observations éclairent tous les esprits sur les dangers de l’envoi aux communes du discours de Robespierre. Plusieurs membres font sentir que ce seroit donner aux faits qu’ils renferment un caractère d’authenticité qu’ils n’ont pas, puisque la plupart ont (1) Ann. R.F., n°238; J. Fr., n°670; J. Paris, n°573; Audit, nat., n° 671 ; C. Univ., n° 938 (selon cette gazette, la proposition est appuyée par Panis « et beaucoup de membres »). (2 P.V., XLII, 196. (3) Mon., XXI, 330; Débats, n°676. 534 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE demande à la Convention la liberté de dire mon opinion. (Un nombre de membres se levant simultanément : Nous le demandons tous !) BILLAUD-VARENNE : Je déclare qu’on en a imposé à la Convention et à l’opinion publique sur le fait des canonniers; il existe un décret qui porte que des 8 compagnies de canonniers de Paris, il y en aura toujours la moitié dans cette commune : or, dans ce moment il en reste 33. C’est avec de pareilles opinions qu’on trompe le peuple et qu’on arrête, comme il est arrivé il y a quelques jours, les poudres dont l’armée du Nord avait un extrême besoin. Robespierre avait raison; il faut arracher le masque sur quelque visage qu’il se trouve; et s’il est vrai que nous ne jouissions pas de la liberté des opinions, j’aime mieux que mon cadavre serve de trône à un ambitieux que de devenir par mon silence, le complice de ses forfaits. Je demande le renvoi aux deux comités. PANIS : Je reproche à Robespierre de faire chasser des Jacobins qui bon lui semble. Je veux qu’il n’ait pas plus d’influence qu’un autre; je veux qu’il dise s’il a proscrit nos têtes, qu’il dise si la mienne est sur la liste qu’il a dressée. Je veux que Couthon s’explique sur les six membres qu’il poursuit. Il est temps que je déborde mon cœur navré : j’ai été abreuvé de calomnies. Je n’ai pas gagné dans la révolution de quoi donner un sabre à mon fils pour combattre aux frontières, ni une jupe à mes filles, et cependant on me peint comme un scélérat, comme un déprédateur, comme un homme dégouttant du sang des prisons, moi qui porte une âme sensible et tendre ! Voici un autre fait qui prouve combien est nécessaire l’explication que je demande à Robespierre. Un homme m’aborde aux Jacobins et me dit : « Vous êtes un homme de bien, vous avez sauvé la patrie. - Je n’ai pas l’honneur de vous connaître. - Je vous connais bien, moi; vous êtes de la première fournée. - Comment ? - Votre tête est demandée. - Ma tête ! à moi qui suis un des meilleurs patriotes ! ». Il ne voulut pas m’en dire davantage. Depuis, il m’est revenu de toutes parts que le fait était vrai, et que c’était Robespierre qui avait fait la liste. Je demande qu’il s’explique à cet égard, ainsi que sur le compte de Fouché. (On applaudit.) (l). Un autre membre [FRÉRON] dit que le moment de ressusciter la liberté et celui de rétablir la liberté des opinions est venu, et demande, en conséquence, le rapport du décret qui accorde aux comités le droit d’arrestation contre les membres de la Convention. Cette motion est appuyée. L’ordre du jour est réclamé; la Convention passe à l’ordre du jour (2). [FRERON : le moment de ressusciter la liberté est celui de rétablir la liberté des opinions. Je demande que l’assemblée rapporte le décret qui accorde aux comités le droit de faire arrêter les membres de la Convention (il se fait entendre quelques applaudissemens) : quel est celui qui peut parler librement, lorsqu’il craint d’être arrêté ? BILLAUD-VARENNE : si la proposition qui est faite étoit adoptée, la Convention seroit dans un état d’avilissement effrayant; celui que la crainte empê-(1) Mon., XXI, 330; Débats, n°676; J. Lois, n° 666. (2) P.V., XLII, 196. che de dire son avis n’est pas digne du titre de représentant du peuple. PANIS appuie la proposition de Fréron, et soutient que la liberté ne peut exister si elle n’est adoptée { 1 ).] Robespierre demande encore la parole sur toutes les prétendues infamies dont il se plaint ; il dit que tous ces bruits atroces ne sont que l’indice de la conspiration qu’il a dévoilée, et qu’il n’est pas fait pour avoir l’air de marcher de concert avec ceux qui veulent l’assassiner. Le président le rappelle à l’ordre : il s’écrie qu’il n’a pas d’ordre à recevoir de celui qui préside ses assassins; il ajoute qu’il a bien prévu les conséquences qu’on tireroit de son discours, mais qu’il n’a pu s’empêcher de le faire; qu’il ne lui restoit point d’autre moyen pour remplir un devoir sacré; que c’ étoit le seul moyen de sauver la patrie. Les murmures se faisant entendre de toutes parts, la scélératesse peinte sur sa figure, Robespierre dit que son opinion est indépendante, qu’il ne dépend que de son devoir et de la justice (2). ROBESPIERRE : Je demande la parole. Mon opinion est indépendante : on ne tirera jamais de moi une rétractation qui n’est point dans mon cœur; en jetant mon bouclier, je me suis présenté à découvert à mes ennemis : je n’ai flatté personne, je ne crains personne, je n’ai calomnié personne. PANIS : Et Fouché ? ROBESPIERRE : On me parle de Fouché, je ne veux pas m’en occuper actuellement; je me mets à l’écart de tout ceci; je n’écoute que mon devoir; je ne veux ni l’appui, ni l’amitié de personne; je ne cherche point à me faire un parti ; il n’est donc pas question de me demander que je blanchisse tel ou tel. J’ai fait mon devoir; c’est aux autres à faire le leur. BENTABOLE : L’envoi du discours de Robespierre me paraît très dangereux : la Convention aurait l’air, en décrétant cet envoi, d’en approuver les principes, et se rendrait responsable des mouvements que pourrait occasionner l’égarement dans lequel il jetterait le peuple. COUTHON : En demandant l’envoi aux communes, j’ai voulu que la Convention nationale, qui avait déjà ordonné l’impression du discours, n’en fît pas juge seulement une section du peuple, mais la République entière. CHARLIER : J’insiste pour l’ajournement de l’envoi du discours; il contient des principes qui me paraissent mériter l’examen le plus réfléchi des comités. Je demande donc qu’il leur soit renvoyé (3). [Ces sages observations éclairent tous les esprits sur les dangers de l’envoi aux communes du discours de Robespierre. Plusieurs membres font sentir que ce seroit donner aux faits qu’ils renferment un caractère d’authenticité qu’ils n’ont pas, puisque la plupart ont (1) Ann. R.F., n°238; J. Fr., n°670; J. Paris, n°573; Audit, nat., n° 671 ; C. Univ., n° 938 (selon cette gazette, la proposition est appuyée par Panis « et beaucoup de membres »). (2 P.V., XLII, 196. (3) Mon., XXI, 330; Débats, n°676. SÉANCE DU 8 THERMIDOR AN II (26 JUILLET 1794) - N',s 42-43 535 été déjà combattus; ce seroit sur-tout, ajoute Thi-rion, porter atteinte à la marche du gouvernement, en diminuant la confiance que la Convention et tous les citoyens ont eu en lui, ce seroit inculper d’avance les comités de salut public et de sûreté générale, lorsqu’un seul homme les accuse, et qu’ils ont pour eux l’estime générale des patriotes] (l). THIRION : Le discours de Robespierre vous présente des accusateurs et des accusés, qui tous sont nos collègues, et auxquels vous devez une justice égale. Si vous envoyiez aux communes le discours qui accuse, vous n’exerceriez pas une impartiale équité, car vous préjugeriez par cela même en faveur de l’accusation. (On applaudit.) Je ne sais comment Robespierre seul prétend avoir raison contre plusieurs. Les présomptions sont en faveur des comités. (Nouveaux applaudissements.) Je demande donc le rapport d’un décret surpris à votre religion (2). [ROBESPIERRE s’élève contre ces demandes; il n’y voit que les moyens de faire triompher ses ennemis, qui depuis si longtems dirigent le poignard sur lui. On ne veut pas vous égorger, s’écrie André Dumont, c’est vous qui égorgez l’opinion publique] (3). ROBESPIERRE : Quoi ! j’aurai eu le courage de venir déposer dans le sein de la Convention des vérités que je crois nécessaires au salut de la patrie, et l’on enverrait mon discours à l’examen des membres que j’accuse ! (On murmure.) CHARLIER : Quand on se vante d’avoir le courage de la vertu, il faut avoir celui de la vérité. Nommez ceux que vous accusez ! (On applaudit.) Plusieurs voix : Oui, oui, nommez-les ! ROBESPIERRE : Je persiste dans ce que j’ai dit, et je déclare que je ne prends aucune part à ce qu’on pourra décider pour empêcher l’envoi de mon discours. AMAR : Le discours de Robespierre inculpe les deux comités. Ou l’opinion qu’il a sur quelques membres est relative à la chose publique, ou c’est une opinion particulière. Si elle est relative à la chose publique, il faut qu’il nomme; l’intérêt public ne comporte aucun ménagement ; mais si ce ne sont que des sentiments particuliers, il ne faut pas qu’un homme se mette à la place de tous, il ne faut pas que la Convention nationale soit troublée par les intérêts d’un amour-propre blessé. S’il a quelques reproches à faire, qu’il les articule; qu’on examine notre vie politique, elle est sans reproche; qu’on consulte les appels nominaux, on verra que nous avons toujours voté dans le sens de la liberté; qu’on se rappelle nos opinions, et l’on s’assurera que nous n’avons jamais parlé que pour le soutien des droits du peuple. C’est d’après cela que nous demandons à être jugés. BARÈRE : Il est temps de terminer cette discussion qui ne peut servir qu’à Pitt et au duc d’York. J’ai proposé l’impression du discours de Robespierre, parce que mon opinion est que dans un pays libre on doit tout publier. Il n’est rien de dangereux pour la liberté, surtout quand on connaît le peuple français. Si, depuis quatre décades, Robespierre eût (l) J. Lois, n° 666. 2 Mon., XXI, 331, Débats, n°676. (3) J. Lois, n° 666. suivi les opérations du comité, il aurait supprimé son discours. Il faut surtout que le mot d’accusé soit effacé de toutes vos pensées. Ce n’est point à nous à paraître dans l’arène. Nous répondrons à cette déclamation par les victoires des armées, par les mesures que nous prendrons contre les conspirateurs, par celles que nous prendrons en faveur des patriotes, et enfin par des écrits polémiques, s’il le faut. BREARD : Si la Convention, en ordonnant l’envoi de ce discours, y mettait son attache, elle lui donnerait une influence qui peut devenir dangereuse. C’est un grand procès à juger par la Convention elle-même. Je demande que la Convention rapporte le décret d’envoi (l). Sur la motion d’un membre [BRÉARD], la Convention nationale rapporte le décret portant envoi à toutes les communes de la République du discours prononcé par Robespierre, et elle en ordonne seulement l’impression et la distribution à tous les membres de la Convention. Un des secrétaires ayant fait demander à Robespierre de remettre son discours, il annonce qu’il le remettra le lendemain (2). 42 Un adjudant général est admis à la barre ; il dépose 11 guidons et 5 drapeaux, trophées de la garnison de Nieuport; il est vivement applaudi et admis à la séance (3). [COLLOT D’HERBOIS : « Il est doux pour la convention de consacrer à la reconnoissance nationale les hauts-faits des défenseurs de la patrie. Nous sommes tous devant l’ennemi : le courage que nous déployons ici, les soldats de la liberté le déploient aux frontières » (4).] 43 Insertion au bulletin d’un hommage fait par le comité révolutionnaire de l’Aigle (5), d’un pied de bled portant 50 épis (6). [Le Comité révolutionnaire de la commune de l’Aigle envoie 57 épis portés sur le même pied, et qui ont été produits sur son sol. Il conclut de cette fertilité de la terre que l’être suprême jette des regards de complaisance sur la nature, pour récompenser les hommes libres qui remplissent si dignement leurs devoirs envers lui. Il applaudit au renversement heureux de cette coutume odieuse, qui (1) Mon., XXI, 330-331; Débats, n° 676. (2) P.V., XLII, 196. Minute de la main de Bréard. Décret n° 10096. (3) P.V., XLII, 196. J. Paris, n° 573; M.U., XLII, 136; Ann. R.F., n°237; F.S.P., n°387; Mess. Soir, n°706; J. Mont., n° 91 ; Ann. patr., n° DLXXII; J.S. Culottes, n° 527 ; J. Fr., n° 670 ; J. Lois, n°666; Rép., nos 219, 220; J. Sablier, n°1461; C. Eg., n° 707 ; Audit, nat., n°671. (4) J. Perlet, n° 672. (5) Orne. (6) P.V., XLII, 196. SÉANCE DU 8 THERMIDOR AN II (26 JUILLET 1794) - N',s 42-43 535 été déjà combattus; ce seroit sur-tout, ajoute Thi-rion, porter atteinte à la marche du gouvernement, en diminuant la confiance que la Convention et tous les citoyens ont eu en lui, ce seroit inculper d’avance les comités de salut public et de sûreté générale, lorsqu’un seul homme les accuse, et qu’ils ont pour eux l’estime générale des patriotes] (l). THIRION : Le discours de Robespierre vous présente des accusateurs et des accusés, qui tous sont nos collègues, et auxquels vous devez une justice égale. Si vous envoyiez aux communes le discours qui accuse, vous n’exerceriez pas une impartiale équité, car vous préjugeriez par cela même en faveur de l’accusation. (On applaudit.) Je ne sais comment Robespierre seul prétend avoir raison contre plusieurs. Les présomptions sont en faveur des comités. (Nouveaux applaudissements.) Je demande donc le rapport d’un décret surpris à votre religion (2). [ROBESPIERRE s’élève contre ces demandes; il n’y voit que les moyens de faire triompher ses ennemis, qui depuis si longtems dirigent le poignard sur lui. On ne veut pas vous égorger, s’écrie André Dumont, c’est vous qui égorgez l’opinion publique] (3). ROBESPIERRE : Quoi ! j’aurai eu le courage de venir déposer dans le sein de la Convention des vérités que je crois nécessaires au salut de la patrie, et l’on enverrait mon discours à l’examen des membres que j’accuse ! (On murmure.) CHARLIER : Quand on se vante d’avoir le courage de la vertu, il faut avoir celui de la vérité. Nommez ceux que vous accusez ! (On applaudit.) Plusieurs voix : Oui, oui, nommez-les ! ROBESPIERRE : Je persiste dans ce que j’ai dit, et je déclare que je ne prends aucune part à ce qu’on pourra décider pour empêcher l’envoi de mon discours. AMAR : Le discours de Robespierre inculpe les deux comités. Ou l’opinion qu’il a sur quelques membres est relative à la chose publique, ou c’est une opinion particulière. Si elle est relative à la chose publique, il faut qu’il nomme; l’intérêt public ne comporte aucun ménagement ; mais si ce ne sont que des sentiments particuliers, il ne faut pas qu’un homme se mette à la place de tous, il ne faut pas que la Convention nationale soit troublée par les intérêts d’un amour-propre blessé. S’il a quelques reproches à faire, qu’il les articule; qu’on examine notre vie politique, elle est sans reproche; qu’on consulte les appels nominaux, on verra que nous avons toujours voté dans le sens de la liberté; qu’on se rappelle nos opinions, et l’on s’assurera que nous n’avons jamais parlé que pour le soutien des droits du peuple. C’est d’après cela que nous demandons à être jugés. BARÈRE : Il est temps de terminer cette discussion qui ne peut servir qu’à Pitt et au duc d’York. J’ai proposé l’impression du discours de Robespierre, parce que mon opinion est que dans un pays libre on doit tout publier. Il n’est rien de dangereux pour la liberté, surtout quand on connaît le peuple français. Si, depuis quatre décades, Robespierre eût (l) J. Lois, n° 666. 2 Mon., XXI, 331, Débats, n°676. (3) J. Lois, n° 666. suivi les opérations du comité, il aurait supprimé son discours. Il faut surtout que le mot d’accusé soit effacé de toutes vos pensées. Ce n’est point à nous à paraître dans l’arène. Nous répondrons à cette déclamation par les victoires des armées, par les mesures que nous prendrons contre les conspirateurs, par celles que nous prendrons en faveur des patriotes, et enfin par des écrits polémiques, s’il le faut. BREARD : Si la Convention, en ordonnant l’envoi de ce discours, y mettait son attache, elle lui donnerait une influence qui peut devenir dangereuse. C’est un grand procès à juger par la Convention elle-même. Je demande que la Convention rapporte le décret d’envoi (l). Sur la motion d’un membre [BRÉARD], la Convention nationale rapporte le décret portant envoi à toutes les communes de la République du discours prononcé par Robespierre, et elle en ordonne seulement l’impression et la distribution à tous les membres de la Convention. Un des secrétaires ayant fait demander à Robespierre de remettre son discours, il annonce qu’il le remettra le lendemain (2). 42 Un adjudant général est admis à la barre ; il dépose 11 guidons et 5 drapeaux, trophées de la garnison de Nieuport; il est vivement applaudi et admis à la séance (3). [COLLOT D’HERBOIS : « Il est doux pour la convention de consacrer à la reconnoissance nationale les hauts-faits des défenseurs de la patrie. Nous sommes tous devant l’ennemi : le courage que nous déployons ici, les soldats de la liberté le déploient aux frontières » (4).] 43 Insertion au bulletin d’un hommage fait par le comité révolutionnaire de l’Aigle (5), d’un pied de bled portant 50 épis (6). [Le Comité révolutionnaire de la commune de l’Aigle envoie 57 épis portés sur le même pied, et qui ont été produits sur son sol. Il conclut de cette fertilité de la terre que l’être suprême jette des regards de complaisance sur la nature, pour récompenser les hommes libres qui remplissent si dignement leurs devoirs envers lui. Il applaudit au renversement heureux de cette coutume odieuse, qui (1) Mon., XXI, 330-331; Débats, n° 676. (2) P.V., XLII, 196. Minute de la main de Bréard. Décret n° 10096. (3) P.V., XLII, 196. J. Paris, n° 573; M.U., XLII, 136; Ann. R.F., n°237; F.S.P., n°387; Mess. Soir, n°706; J. Mont., n° 91 ; Ann. patr., n° DLXXII; J.S. Culottes, n° 527 ; J. Fr., n° 670 ; J. Lois, n°666; Rép., nos 219, 220; J. Sablier, n°1461; C. Eg., n° 707 ; Audit, nat., n°671. (4) J. Perlet, n° 672. (5) Orne. (6) P.V., XLII, 196.