[Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 décembre 1789.] M. l’abbé de Montesqaion continue : J’observe à quelques membres de l’Assemblée qu’ils sont les plus forts, et je demande qu’ils aient la générosité de m’entendre. Des provinces sont dans une telle supériorité de biens ecclésiastiques, qu’il serait impossible d’exécuter ledécret que vous voulez rendre.... L’hypothèque des rentiers se réduirait en longs et interminables débats entre eux et les provinces.... Vous bouleverseriez à la minute peut-être une partie du royaume ..... Les intérêts des titulaires devraient aussi être considérés. Il est dans votre intention d’assurer leur sort; il est dans votre devoir d’assurer le service divin. Vous ne pouvez vendre qu’après avoir combiné les dépenses et les moyens; ce n’est que d’après cette combinaison que vous pouvez avoir des résultats. (L’Assemblée est consultée; elle ferme de nouveau la discussion.) M. le Président lit un article que l’on propose d'ajouter. M. l’abbé .11 au r y l'interrompt et dit : Vous recevrez comme protestation.... (Il ne peut achever.) M. le curé de... : Entendez M. l’abbé Maury, sinon nous allons tous réclamer. M. l’abbé...; Allons-nous-en tous. Une partie de l’Assemblée quitte les sièges. M. l’ahbé Maury. Qu’on me donne la parole, ou que l’on continue la séance à lundi. M. le Président lit un article que M. le baron d’Allarde propose d’ajouter; et qui a pour objet la nomination d’une commission pour surveiller l’émission des billets et la rentrée des valeurs à la caisse... M. d’Allarde consent à l’ajournement à lundi, pour passer au décret. M. le marquis d’Estourmel propose de comprendre les domaines dans les renseignements à demander aux provinces et dit qu’il serait indispensable de connaître l’état des domaines de la Couronne qu’on propose d’aliéner. M. Anson, membre du comité, répond que le comité a reçu un état détaillé se rapportant à l’année 1787. M. le marquis d’Estourmel consent à l’ajournement de sa motion. M. Bergasse. Je demande à combattre la création des assignats-monnaie qui causeraient la ruine de nos tinances et celle du pays tout entier. ( Voyez aux Annexes la protestation de M. Bergasse .) M. le Président. La discussion a été fermée. Vous ne pouvez pas avoir la parole puisqu’il ne s’agit pas d’un amendement. On demande à aller aux voix, et le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale a décrété et décrète les articles ci-après : « Art. l«r. Il sera formé une caisse de l’extraordinaire, dans laquelle seront versés les fonds provenant de la contribution patriotique, ceux des ventes qui seront ordonnées par le présent décret, et toutes les autres recettes extraordinaires de l’Etat. « Les deniers de cette caisse seront destinés à payer les créances exigibles et arriérées, et à rembourser les capitaux de toutes les dettes dont l’Assemblée nationale aura décrété l’extinction. « Art. 2. Les domaines de la couronne, à l’exception des forêts et des maisons royales dont Sa Majesté voudra se réserver la jouissance, seront mis en vente, ainsi qu’une quantité de domaines ecclésiastiques, suffisante pour former la valeur de 400 millions. « Art. 3. L’Assemblée nationale se réserve de désigner incessamment lesdits objets, ainsi que de régler la forme et les conditions de leur vente, après avoir reçu les renseignements qui lui seront donnés par les assemblées de département, conformément à son décret du 2 novembre. « Art. 4. Il sera créé sur la caisse de l’extraordinaire des assignats de 1,000 livres chacun, portant intérêt à B 0/0, jusqu’à concurrence de la valeur desdits biens à vendre, lesquels assignats seront admis de préférence dans l’achat desdits biens. Il sera éteint desdits assignats, soit par lesdites ventes, soit par les rentrées de la contribution patriotique, et par toutes les autres recettes extraordinaires qui pourront avoir lieu, 100 millions en 1791; 100 millions en 1792; 80 millions en 1793, 80 millions en 1794 et le surplus en 1795. « Lesdits assignats pourront être échangés contre toute espèce de titres de créances sur l’Etat, en dettes exigibles, arriérées ou suspendues, portant intérêt. » M. le Président lève la séance, après avoir indiqué celle de lundi pour neuf heures du matin . ANNEXES à la séance de l'Assemblée nationale du 19 décembre 1789. Protestation de M. Bergasse, député de Lyon , contre les assignats-monnaie (1). On travaille dans l’ombre, et pendant des mois entiers, des projets désastreux ; on en prépare le succès par des coalitions perfides, et on ne laisse que des minutes pour y répondre. Je n’ai pas assez de temps pour examiner en détail les divers projets présentés à l’Assemblée, sur la nécessité de faire circuler en France des assignats-monnaie; mais il me semble qu’il n’est besoin que d’un petit nombre de réflexions pour démontrer l’absurdité de tous ces plans , et surtout pour faire connaître les conséquences cruelles, et malheureusement irréparables, qu’ils entraînent après eux. Faut-il des assignats-monnaie? Je ne puis répondre à -cette question qu’en examinant d’abord ce que seront dans les circonstances où nous sommes, les assignats-monnaie qu’on nous propose, et ensuite quelle sera leur influence sur le commerce et la circulation du numéraire dans l’Etat. (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. 682 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 décembre 1789.] g Ier. L’Assemblée nationale a décrété l’aliénation des biens ecclésiastiques, et qu’il en serait vendu une quantité proportionnelle à la somme des assignats-monnaie qu’elle se propose de répandre dans la circulation. Ces assignats-monnaie, porteront un intérêt par jour, et seront divisés en billets, depuis 200 livres jusqu’à 100 pistoles. Ainsi les assignats-monnaie peuvent être regardés comme des espèces de délégations données d’avance sur le produit d’une vente qui n’est pas faite, mais qui se fera. On a senti que pour que l’assignat-monnaie fût tout ce qu’il doit être, pour qu’il n’eût aucun des inconvénients des papiers forcés, quoiqu’il soit papier forcé, il fallait qu’il inspirât autant de confiance qu’une lettre de change ; et des écrivains, gagés pour le faire prévaloir, ont dit, sans se mettre en peine de le prouver, qu’il inspirerait autant de confiance qu’une lettre de change. Voyons si cette assertion est fondée : Quel est le motif de la confiance qu’on a en une lettre de change ? C’est que l’on connaît la solidité de celui qui la tire, de ceux qui l’endossent et de celui qui l’accepte ; c’est que celui qui la tire et les endosseurs et l’accepteur en répondent sur leur liberté; c’est qu’en cas de non-payement , la loi accorde toutes les facilités nécessaires pour poursuivre, et le tireur, et les endosseurs, et l’accepteur. Or, les assignats-monnaie présentent-ils un motif égal de confiance? Non. Et pourquoi? Parce que la nation qui livrera ces effets, parce que les particuliers qui les tiendront de la nation, au lieu de toutes les sûretés qu’offre le porteur d’une lettre de change (qu’on est toujours le maître de refuser), ne livreront pour gages à ceux auxquels ils les remettront, que des espérances incertaines, et qui, quoiqu’on en dise, pourraient bien finir par être absolument illusoires. Ceci vaut la peine d’être éclairci. D’abord, l’Assemblée ne peut disposer des biens ecclésiastiques, qu’en déclarant libres actuellement de l’hypothèque des créanciers du clergé, ceux de ces biens dont elle disposera, et en faisant, de la créance sur le clergé, une créance nationale; car, tant que les biens du clergé seront grevés de l’hypothèque des créanciers du clergé, il est évident qu’ils ne peuvent devenir le gage des assignats-monnaie. Or, en premier lieu, l’Assemblée a-t-elle le droit de convertir la créance particulière du clergé en créance nationale? Ses commettants lui ont-ils donné ce pouvoir ? Peut-elle produire de leur part une procuration spéciale qui l’autorise à faire une conversion de ce genre? Et si elle ne le peut, si dès lors on a toujours à craindre les réclamations de ses commettants, lorsque ses commettants pourront parler, et qu’un despotisme effréné n’étouffera pas toutes les consciences et toutes les espèces de liberté dans l’empire, je le demande-, qui est-ce qui peut nous garantir la valeur des assignats-monnaie? et où est la base sur laquelle ils reposent? En second lieu, ne faut -il pas de plus, pour changer une hypothèque, que les créanciers qui ont accepté cette hypothèque y consentent? Et où est le consentement des créanciers du clergé? Les créanciers du clergé pouvaient placer leur argent dans les fonds publics et en retirer un intérêt plus considérable que celui que le clergé leur paye. Ils ne l’ont pas voulu, parce qu’ils n’ont pas cru leur argent aussi solidement placés dans les fonds publics que dans les fonds du clergé, qui leur présentait comme sûreté l'hypothèque générale de ses biens. Et vous osez aujourd’hui, sans daigner même les interroger, changer l’essence de leurs contrats, dénaturer leurs créances et les priver du gage qui en faisait la sûreté ! Ne me dites pas que la force dont vous êtes armés empêchera l’effet de leurs réclamations, et que si leurs réclamations sont nulles, votre opération est bonne. Oui, ils peuvent se taire aujourd’hui; vous pouvez les environner d’une terreur assez grande pour qu’ils se laissent sacrifier sans murmure à cette foule d’agioteurs avides qui dirigent la plupart de nos délibérations financières; mais le temps de votre force ne durera pas toujours ! Mais le moment de la vérité arrivera; le moment où les demandes justes pourront être accueillies comme les idées sages ! Mais du moins il est possible que ce moment arrive, et cette seule possibilité ne suffit-elle pas pour ôter à vos assignats la plus grande partie de leur valeur; car, prenez-donc garde qu’il ne s’agit pas ici de votre puissance, dont personne n’est plus effrayé que moi, mais de confiance, mais de crédit, toutes choses que la puissance ne saurait créer, que la seule probabilité d’un événement quelconque suffit pour détruire. Or, je vous défie de me nier qu’il ne soit très-probable que les créanciers du clergé réclameront, sinon à présent, du moins à la prochaine législature, en un mot, quand ils le pourront, le gage que vous leur enlevez aujourd’hui? Et ne voyez-vous pas jusqu’à quel point la possibilité d’une telle réclamation, fondée sur les lois invariables de la justice et de la propriété, ôte à vos assignats l’opinion dont ils ont besoin pour se soutenir dans la circulation avec avantage. Ainsi donc, par cela seul déjà, que l’Assemblée se verra contrainte de déclarer actuellement libres de toute hypothèque les biens ecclésiastiques qu’elle vendra, et qu’elle ne pourra le faire sans violer toutes les lois de la morale et de la propriété, sans s’exposer à des réclamations bien fondées, soit de la part de ses commettants, soit de la part des créanciers du clergé, il devient impossible que les assignats-monnaie ne renferment pas en eux-mêmes une cause de discrédit dont vous ne réussirez jamais à les affranchir. Mais cette cause n’est rien en comparaison de celles que je vais développer; et d’abord, je soutiens que lors même que l’Assemblée, au lieu de déclarer despotiquement libres de toute hypothèque les biens ecclésiastiques dont elle décrétera la vente, s’occuperait réellement de les affranchir de toute hypothèque, en payant les créanciers du clergé, les assignats n’en vaudraient pas mieux pour cela. Car il y a plusieurs hypothèques sur les biens du clergé : 1° L’hypothèque des créanciers du clergé; 2° L’hypothèque des propriétaires ou des usufruitiers de ces biens, tels que les religieux et les ecclésiastiques ; 3° L’hypothèque du culte public; 4° L’hypothèque des pauvres, au sort desquels cependant on ne peut se dispenser de pourvoir. Or, pour délivrer les biens du clergé de l’hypothèque de ses créanciers, il faut, avant tout, constater la dette du clergé, puis les dettes parti- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 décembre 1789.] g»3 culières de chaque diocèse, puis les dettes des maisons religieuses qu’on veut détruire, puis les dettes des titulaires des bénéfices; et, celte première opération terminée, il est d’une justice rigoureuse de déléguer le prix des premières ventes qu’on fera, aux créanciers, soit généraux, soit particuliers du clergé; car, certainement, ou la probité n’est qu’une chimère, ou il faut reconnaître qu’ils ont sur ces ventes un privilège antérieur à tous ceux qu’on peut leur opposer. Pour délivrer les biens du clergé de l’hypothèque des propriétaires ou des usufruitiers qui vivent de leur produit, il faut, les créanciers du clergé ayant été payés, non-seulement déterminer d’une manière invariable le sort qu'il convient de faire à ces propriétaires ou usufruitiers, mais donner les moyens d’assurer ce sort, mais démontrer la possibilité de ces moyens dans un Etat écrasé sous le poids d’une dette immense et travaillé par toutes les convulsions de la déraison et de l’anarchie; car il serait affreux que l’on commençât par s’emparer de la subsistance d’un nombre prodigieux d’individus, qui, s’ils ne sont rien aux yeux de la philosophie moderne, sont cependant quelque chose aux yeux de la justice et de l’humanité; qu’on les expulsât de leurs demeures, avec la vaine promesse de subvenir à leurs besoins, et qu’on les abandonnât ensuite à toutes les circonstances des événements , sans considérer la foi publique, sous la sauvegarde de laquelle ils ont contracté des engagements impossibles à rompre, et embrassé une profession à laquelle il ne leur est pas permis de renoncer sans crime. Pour délivrer les biens du clergé de l’hypothèque du culte public, il faut, après avoir pourvu au sort des créanciers du clergé et des ecclésiastiques qu’on réforme, réserver ce qui restera de libre des biens du clergé pour les frais du culte public, rechercher en conséquence quel doit être ce culte, quel degré de majesté il convient de lui conserver, dans quelle proportion et surtout de quelle manière il importe de salarier ses ministres ; car ce n’est qu’aprôs avoir encore prélevé sur lesbiens du clergé, tout ce qui se trouvera nécessaire à l’entretien du culte public, qu’on pourra raisonner avec sagesse sur l’emploi du reste, et quelque opinion qu’on ait dans ce siècle raisonneur de l’influence de la religion sur les mœurs, j’espère qu’on n’est pas encore venu au point de croire qu’on peut faire des mœurs sans religion, et que tout changement dans le culte public d’un peuple est un changement de peu d’importance. Pour* délivrer les biens du clergé de l’hypothèque des pauvres qui y ont un droit si sacré, il faut, après avoir satisfait à ce qu’exigent de nous les créanciers du clergé, les ecclésiastiques que nous réformons, et le culte public, trouver un ordre de choses où le pauvre soit secouru, où il puisse être aidé promptement dans sa misère. Je remarque qu’en Angleterre, où néanmoins le clergé ne se trouve pas dépouillé de toutes ses propriétés, comme il l’est actuellement chez nous, en Angleterre, où l’industrie est si florissante et où dès lors, les moyens de vivre du produit de son travail doivent abonder, la taxe pour les pauvres se monte annuellement à 80 millions. Je crois que je ne m’avance pas trop en affirmant qu’en France, il nous faudra, pour subvenir aux besoins de nos pauvres, une taxe à peu près égale. Or, il me semble que si l’on ne veut pas charger la nation de cette taxe, c’est encore sur les biens ecclésiastiques qufil convient de l’asseoir, et qu’on ne peut les considérer comme absolument libres, et conséquemment comme disponibles au profit des créanciers de l’Etat, qu’autant qu’on aura pourvu au sort des pauvres, de manière à les dédommager du patrimoine qu’ils perdent. Mais, je le demande, nous sommes-nous occupés d’affranchir les biens du clergé de l’hypothèque de ses créanciers? Avons-nous même dans nos décrets, comme la simple probité l’exigeait de nous, averti que nous nous occupions de cet affranchissement avant que de nous permettre aucune autre opération sur ces mêmes biens? Je le demande, nous sommes-nous mis en peine de pourvoir au sort de ce grand nombre d’ecclésiastiques et de religieux que nous réformons? Nous avons décrété vaguement la portion de salaires qui appartiendrait à chacun d’eux ; mais suffit-il de décréter, ne convenait-il pas encore de démontrer la possibilité de payer ces salaires, je vais plus loin, de rendre sensible à tout esprit sage la certitude qu’ils seront payés? et n’est-il pas souverainement immoral de transférer leurs biens à d'autres, quand nous ne sommes pas physiquement certains de trouver, au milieu de nos désastres, des ressources suffisantes pour les faire subsister? Je le demande, avons-nous déterminé tout ce qui regarde le culte public? Nous venons de décréter en général que les ministres des autels seraient salariés, c’est-à-dire que nous avons fait dépendre le culte public des événements qui, d’un moment à l’autre, peuvent gêner dans un grand empire le mouvement des finances ; mais ces salaires, qui les payera, si nous affectons tout de suite au payement des créanciers de l’Etat les fonds qui les produisaient auparavant? Enfin, je le demande : nous sommes-nous beaucoup inquiétés des pauvres, dont le nombre, grâce à nos opérations violentes, s’accroît autour de nous d’une manière si effrayante et si désastreuse? Que vont-ils devenir au milieu des ruines que nous accumulons de toutes parts; et celui qui demande son pain tous les jours, comment subsistera-t-il parmi nos vaines spéculations, si nous ne trouvons rien à substituer sur-le champ aux secours journaliers qui le faisaient vivre ? Et c’est avant d’avoir rien déterminé par rapport à toutes ces choses que nous parlons d’assignats-monnaie sur les biens du clergé, c’est avant d’avoir étayé et mesuré la base sur laquelle nous prétendons établir un nouveau crédit public, que nous élevons l’édifice de ce crédit, auquel, au reste, nous croyons si peu nous-mêmes, que nous ne trouvons d’autre manière de le soutenir qu’une confiance forcée, et dès lors absolument impossible. Qu’on ne me dise pas, que quoique cette confiance soit forcée, elle a néanmoins un fondement raisonnable dans la masse énorme des biens du clergé, dont l’aliénation vient d’être décrétée; une confiance forcée qui a un fondement, et puis la masse énorme des biens du clergé ! Et que signifie-t-elle, cette masse énorme, à côté des charges énormes que je vous présente; et tant que vous n’aurez pas pourvu à ces charges, tant que je ne saurai pas précisément en quoi consiste, pour ce genre de biens, l’excédant de la recette sur la dépense, où trouverez-vous la valeur réelle de vos assignats-monnaie, et comment déterminerez-vous la quantité que vous en devez répandre? Ce li’est pas tout, et je veux bien supposer nulles toutes les objections que je viens de vous 684 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 décembre 1789.] faire, il me reste encore à vous demander comment vos assignats pourront être remboursés, comment ils seront remboursés? car il faut que je sache toutes ces choses, afin d’y avoir con-£ance Sera-ce à la volonté des propriétaires des assignats que vous rembourserez? Mais on sent que cela est impossible, car tout le monde voudrait être remboursé à la fois. Rembourserez-vous ceux qui, les premiers, ont reçu des assignats ? Mais on conçoit que cela aurait l’inconvénient d’établir une différence entre les assignats, et qu’il en résulterait un agiotage infiniment nuisible, pour la valeur de ce papier. Rembourserez-vous par la voie du sort ? Mais d’abord ou vous fixerez par la voie du sort, et le nombre des assignats, successivement remboursables, et l’époque où ils seront remboursés, ou fixant le nombre des assignats successivement remboursables par la voie du sort, vous n’oserez pas fixer l’époque où ils seront remboursés. Dans le premier cas, c’est-à-dire, si vous fixez l’époque du remboursement, ou vous êtes sûrs qu’à cette époque il y aura assez de biens ecclésiastiques vendus pour subvenir au remboursement, ou vous n'en êtes pas sûrs. Si vous en êtes sûrs, faites-moi connaître les motifs de votre sécurité, car je ne les aperçois pas. Si vous n’en êtes pas sûrs, vous vous ‘verrez donc forcés de vendre pour satisfaire à votre engagement, vous vendrez donc à vil prix, et n’oubliez pas qu’il y a déjà sept à huit mille terres à vendre dans le royaume, et que précisément parce que vous aurez fixé une époque pour rembourser, on attendra cette époque afin de profiter de votre besoin, et d’acquérir à meilleur compte. Dans le second cas, c’est-à-dire si vous ne fixez pas une époque pour le remboursement des assignats-monnaie, ne voyez-vous pas que l’extinction des assignats-monnaie va dépendre d’une foule de causes qui peut la retarder d’un siècle ; et alors quelle différence y a-t-il entre vos billets et ceux de Law, et à quel affreux désordre dans toutes les fortunes ne faut-il pas s’attendre ? Ensuite, si ceux qui sont chargés de vendre ont intérêt d’administrer, si par une foule de raisons que je n’ai pas le temps de détailler, ils reculent à dessein des ventes qui ne leur profiteront pas autant qu’une administration obscure et toujours mal surveillée, si vos municipalités qui sont obligées d’emprunter de toutes parts pour secourir leurs pauvres , que vous venez d’organiser d’ailleurs, d’après des principes non encore éprouvés après s’être chargées, sans consulter leurs forces, d une plus ou moins grande quantité de ces biens ecclésiastiques, suivant une estimation quelconque, ne les ont pas vendus, ne peuvent les vendre qu’à perte, que deviendra l’intérêt que vous attribuez à vos assignats, que deviendront les assignats eux-mêmes? Et puis enfin, si, ce qui peut arriver sans miracle (car il est possible que le sens commun se retrouve encore dans quelque partie de la France), plusieurs diocèses, plusieurs districts, plusieurs départements, plusieurs provinces, s’opposent à ce qu’on vende sur leur territoire, avec aussi peu;de précautions que vous en avez prises aucune espèce de biens ecclésiastiques, où en sera votre opération d’assignats-monnaie, dont le fondement cependant n’est que la vente future de ces mêmes biens ? Encore un mot sur la quantité de billets que nous nous proposons de décréter. Si nous étions pages, nous sentirions que comme ce n’est pas pour venir au secours du gouvernement, pour égaliser la recette à la dépense, que nous voulons décréter des assignats-monnaie, nous devrions commencer, avant tout, par déterminer ce que le gouvernement perçoit, puis mettre de l’autre côté ce qu’il faut qu’il paye; et enfin, au moyen des assignats, établir la balance entre ce qu’il perçoit et ce qu’il doit payer. Or, avons-nous rien fait de pareil? Connaissons-nous bien l’état de nos finances, quoique depuis onze mois nous ayons l’air de nous en occuper? Et si nous ne le connaissons pas, c’est donc au hasard que nous allons décréter ce qu’il convient de faire. Mais n’est-il pas à craindre alors que nous ne donnions au gouvernement plus d’assignats qu’il ne lui en faut pour soutenir ses charges ; et si nous lui en donnons plus qu’il ne lui en faut, qu’en fera-t-il? Ou il les mettra en caisse, et ils ne signifieront rien, ou il en usera pour pomper, au reste, pour bien peu de temps, tout l’argent du royaume, et vous n’avez plus pour le royaume entier, comme vous allez le voir dans peu, que la plus extravagante et la plus funeste des circulations. En voilà, je crois, bien assez pour démontrer quelques-uns des vices essentiels des assignats-monnaie. Il me semble qu’il n’est aucun homme sensé qui ne soit actuellement convaincu que cette espèce de papier, parce qu’il ne répond à aucune valeur bien déterminée, bien certaine, éprouvera en très-peu de temps un discrédit considérable, et qu’il n’y a dès lors que des fripons ou des ignorants qui aient pu dire qu’il se soutiendrait dans la circulation à l’égal d’une lettre de change. Je passe maintenant à J’autre partie de cette discussion, c’est-à-dire que je vais rechercher quel effet produira dans le commerce, l’émission des assignats-monnaie. § 2. Je distingue le commerce en commerce extérieur et commerce intérieur. J’appelle ici commerce extérieur, notre commerce considéré dans tous ses rapports avec l’étranger. J’appelle commerce intérieur la circulation intérieure de nos denrées, de nos marchandises, de l’argent mesure commune, de nos denrées et de nos marchandises dans l’intérieur du royaume. Le but qu’on se propose, en créant des assignats-monnaie, est sans doute relativement à notre commerce extérieur, de faire en sorte que nos rapports avec l’étranger nous soient moins défavorables qu’ils ne l’ont été depuis quelques années ; que le change n’y baisse pas plus longtemps à notre désavantage; et en conséquence que le numéraire que nous y portons rentre chez nous avec plus de facilité qu'auparavant. Or si c’est là véritablement notre but, il faut avouer qu’il est difficile de nous en écarter plus que nous le faisons. Je crois que, quelle que soit notre inexpérience en matière de commerce et de finances (et certes elle est grande), il n’est aucun de nous aujourd’hui qui ne sache que tout le papier que nous pourrons créer, fût-il négocié dans tout le royaume, au pair de l’argent, comme le papier de la banque de Londres, en Angleterre, ne passe pas notre frontière; que là nécessairement sa valeur expire, et que si nous devons à l’étranger, ce n’est plus avec cette ressource, mais avec du numéraire effectif, que nous pouvons nous acquitter; notre papier n’aura donc aucun cours [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. dans l’étranger, même en le supposant excellent pour nous. Or, comme la balance du commerce et l’état de nos emprunts prouvent que nous devons beaucoup plus à l’étranger qu’il ne nous doit; comme ce n’est pas en papier que nous pouvons le payer, mais seulement en écus, il est clair que le papier que nous voulons créer aujourd’hui sera, relativement au royaume entier, ce qu’est actuellement, relativement à Paris, le papier de la caisse d’escompte. Ce papier chassera rapidement du royaume le peu de numéraire qui y reste, comme le papier de la caisse d’escompte a chassé de Paris le numéraire qui s’y trouvait ; nous nous trouverons donc absolument sans argent. Et dans cette position, comment notre commerce pourra-t-il se soutenir avec l’étranger? Qu’irons-nous acheter chez lui, que nous vendra-t-il ? Et si une fois nos relations extérieures sont interrompues, comment se rétabliront-elles ? J’entends vanter la richesse et la variété de notre sol , la supériorité de nos manufactures, l’active industrie de cette classe d’hommes, qui parmi nous s’adonnent ou aux arts utiles ou aux arts de luxe. J’entends vanter toutes ces choses, parce que nous n’avons pu nous défaire encore de l’insupportable manie de nous vanter sans cesse, et nous ne manquons pas de conclure des éloges que nous nous donnons à nous-mêmes, que quelles que soient nos sottises actuelles, le génie de la France reprendra tôt ou tard le dessus, et nous rendra tous les avantages que nous avons perdus depuis trop longtemps ; mais tandis que nous nous vantons ainsi, suivant notre usage ordinaire, j’observe, et je vois qu’ailleurs il existe des sols non moins riches et non moins variés que le nôtre; que nos manufactures trouvent partout en Europe actuellement, des manufactures qui les égalent et souvent qui les effacent; qu’il n’est pas de contrée sagement gouvernée, où l'industrie ne rencontre plus d’encouragement qu’elle n’en obtient parmi nous ; et surtout je remarque, que sans en. excepter l’époque de l’édit de Nantes, il n’est aucune période de notre histoire, où il ait existé une émigration plus considérable d’ouvriers dans tous les genres, que celle dont nous sommes les témoins aujourd’hui. Et c’est en telles circonstances que nous pouvons penser à un papier-monnaie, c’est-à-dire, à un papier-monnaie qui n’étant évidemment de nul usage dans nos échanges au dehors, éloignera de plus en plus de nous les nations commerçantes qui avaient conservé l’ancienne habitude de trafiquer avec nous ; c’est-à-dire, à un papier qui précipitant tout notre numéraire dans l’étranger, nous sera également désavantageux, soit que nous achetions de l’étranger, parce qu’il n’en voudra point ; soit que nous vendions à l’étranger, parce que ce n’est qu’avec ce même papier, qu’en pareil cas il aura grand soin de rechercher, qu’il s’acquittera. Certes il est difficile d’imaginer une extravagance plus grande et dont les conséquences puissent nous être plus funestes. Observez de plus ici un autre désavantage que nous donnera le papier-monnaie dans nos relations hors du royaume, c’est qu’il vous est impossible de mettre èn circulation une quantité considérable du numéraire fictif que vous ne rehaussiez sur-le-champ tou tes les valeurs commerçablec ; comme il y aura chez nous plus d’argent, car l’argent fictif fera quelque temps les fonctions de l’argent réel, les choses y vaudront nécessairement plus, c’est-à-dire, nous coûteront beaucoup plus cher à produire ou à fabriquer ; mais plus [19 décembre 1789.} ggg une chose vaut et moins la vente en est facile, parce qu’il se présente moins d’acheteurs pour l’acquérir. Alors que vous arrivera-t-il ? De deux choses l’une, ou que vous ne pourrez plus vous soutenir, dans les divers marchés de l’Europe, attendu que les denrées et les marchandises que vous y exporterez seront plus chères que les denrées et que vos marchandises qu’il vous faudra vendre à perte ; et dans le premier cas, point de commerce; dans le second cas, point de commerce encore, parce qu’on ne fait pas longtemps un commerce qui ne peut durer sans opérer la ruine de celui qui s’y livre. Cet état de chose au reste subsistera peu, car votre papier s’avilissant promptement, vos marchandises et vos denrées perdront aussi promptement de leur valeur ; mais dans ce passage violent d’une richesse apparente à une pauvreté réelle, tout votre numéraire se sera écoulé; il ne vous restera plus qu’une monnaie stérile entre les mains ; votre industrie se trouvera détruite ; on aura perdu l’habitude de se pourvoir chez vous, habitude qui, comme vous le savez, est déjà si considérablement affaiblie; et les nations qui auront profilé de votre incroyable délire, plus réfléchies, plus sages que nous ne le sommes, ne manqueront pas de moyens pour conserver à votre détriment tous leurs avantages. Je viens à l’article des changes : ce que j’ai dit prouve suffisamment, pour ceux qui sont versés dans ces matières, qu’avec votre papier, vous ne trouverez pas le moyen de les relever; car on ne relève pas les changes en détruisant son propre commerce; mais comme on a l’imprudence d’affirmer qu’il n’y a que le papier-monnaie qui puisse les rétablir à notre avantage; il faut encore faire voir jusqu’à quel point, à cet égard, on cherche à nous tromper. Personne ne doute plus aujourd’hui que le3 billets de caisse, en circulation dans Paris, n’aient eu l’influence la plus fâcheuse dans le cours de nos changes au dehors. Eh bien 1 d’après ce qu’on nous débite à présent, il semble que depuis qu’on parle parmi nous d’assignats-monnaie, nos changes auraient dû reprendre faveur. Or c’est précisément tout le contraire ; à peine la nouvelle de cette sottise prochaine a-t-elle été répandue en Suisse, en Hollande, en Angleterre, que les changes ont baissé dans toutes ces contrées, à notre détriment, de la manière la plus effrayante. Le change sur Paris est tombé à Londres à 25 1/5 sur un écu, c’est-à-dire, que les écus de 3 livres, sur le pied où on les y prend actuellement, valent à peu près 30 3/8 et que les lettres de change, à côté ne valent à peu près que 25 1/4 par écu : il y a donc une différence sur le change au détriment de Paris, entre le cours que nos espèces effectives ont à Londres, et le cours des lettres de change sur Paris, d’environ 5 1/8, laquelle différence peut être évaluée à 17 0/0 de perte sur les lettres de change. Actuellement comment opérerait un banquier de Paris , qui d’ici à quinze jours aurait un payement de 100,000 écus à faire à Londres? Ceci vaut la peine d’être remarqué. Il se procurerait cette somme en espèces contre des billets de la caisse d’escompte, au risque de perdre sur ces billets 8 0/0; if enverrait ensuite la somme en espèces à Londres, où ses écus seraient pris sur le pied de 30 3/8, et il se ferait faire son retour en lettres de change sur Paris, qui ne lui coûteraient que 25 1/4 par écu , mais qui auraient à Paris toute leur valeur; il aurait donc perdu, pour faire f>86 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 décembre 1789. son envoi d’argent à Londres, 8 0/0 que lui aurait coûté la conversion de ses billets de la caisse d’escompte en espèces ; on peut y ajouter 1 0/0 pour les frais de l’opération, ce qui porte sa perte à 9 0/0 ; mais, d’un autre côté, il aurait acheté à Londres à 17 0/0 de perte des lettres de change qu’il revendrait au pair à Paris, ce qui lui ferait un bénéfice de 17 0/0. En dernière analyse, et en défalquant 9 0/0 de perte de 17 0/0 de bénéfice, il aurait donc fait, en envoyant de l’argent à Londres, un bénéfice net de 8 0/0. Voilà ce qui arrive actuellement par le simple effet de la circulation des billets de la caisse d’escompte, et par la crainte des assignats-monnaie. Or quand vous aurez décrété vos assignats-monnaie quand vous les aurez décrétés forcés, croyez-vous que les choses changent? Groyez-vous qu’on prendra vos lettres de change à Londres au pair de vos écus? Ne voyez-vous pas que votre argent s’écoulera encore plus vite qu’auparavant, et qu'il suffira du seul intérêt de vos banquiers, qui dans cette hypothèse n’est plus l’intérêt du commerce et de l’Etat pour le faire écouler plus vite. Remarquez qu’au temps de Law, les habiles opéraient précisément comme le banquier dont je viens de parler, ils envoyaient leur argent chez l’étranger, bien sûrs de le retrouver quand la folie qui nous travaillait à cette époque serait passée; ils bénéficiaient d’ailleurs sur la misère commune, et quand à force d’expérience et de malheurs les jours de la raison revinrent pour nous, ils bénéficièrent encore sur le besoin que nous avions des écus qu’ils s’étaient vus dans la nécessité de faire disparaître. Il me reste à parler du commerce intérieur, et je le considère relativement à Paris, et relativement aux provinces. On a dit, relativement à Paris, que les assignats-monnaie y feraient reparaître le numéraire, et les hommes qui ont dit ceci sont les mêmes qui, depuis six ans, n’ont cessé de crier contre la caisse d’escompte, et qui ont démontré en cent occasions que le propre du papier-monnaie est de chasser l’argent devant lui. Or, recherchons si cette assertion est vraie. Qu’est-ce qui fait abonder l’argent dans les temps ordinaires à Paris ? Il est clair que c’est le versement de l’impôt ; mais si les assignats sont forcés, on sent bien qu’on ne sera pas assez stupide en province, pour payer l’impôt en écus ; Paris n’aura donc que du papier-monnaie dans sa circulation, et cela est d’autant plus certain, que la caisse d’escompte ne sera plus contrainte, comme elle l’est aujourd’hui, de faire de grands frais, pour verser journellement quelque numéraire dans la capitale ; car on ne l’accusera plus de la misère commune. Ainsi, Paris sera de plus en plus à la merci des campagnes pour son approvisionnement. 11 risquera de le payer beaucoup plus chèrement que par le passé, si les campagnes prennent les assignats à un cours quelconque, ou de mourir de faim, si les campagnes finissent par n’en vouloir à aucun prix ; ce qui pourrait fort bien arriver. Voyez de plus ce que perdra le Gouvernement, toujours payé en assignats, dont je défie acune puissance sur la terre d’empêcher le descrédit, voyez comme il ne fera que des marchés ruineux, précisément parce qu’il ne payera qu’en assignats, et que les ventes se proportionneront aux risques qu’on court dans les remboursements, et calculez ensuite la série de misère à laquelle nous devons nous attendre. D’ailleurs, dites-moi comment ce même gouvernement paiera les troupes, qu’il ne peut payer qu’en numéraire, attendu la subdivision des payements, quand lui-même, ainsi que vous venez de le voir, ne sera payé qu’en assignats. Voilà pour Paris. Je passe aux provinces, et je soutiens, que si par ce déplorable système, on y favorise extrêmement l’agiotage des banquiers, on y détruira absolument le commerce. Car, qu’est-ce qu’un assignat forcé? Un malheur inévitable pour les créanciers, une ressource infâme pour les débiteurs. Vous avez déjà vu que les assignats-monnaie sont loin d’avoir la même valeur qu’une lettre de change ; que nécessairement ils perdront beaucoup dans la circulation, et cela non-seulement parce qu’ils n’offrent aucune hypothèque certaine, mais encore parce qu’ils seront forcés. Or que fera le débiteur ? Il achètera à vil prix vos assignats sur la place, et il les remettra au pair à son créancier, se prévalant de vos lois absurdes pour autoriser sa mauvaise foi ? Et dans cette hypothèse, que deviendront les créanciers du commerce, dont vous aurez ainsi dénaturé les contrats ? Et qui êtes-vous, qui sommes-nous pour autoriser, par nos décrets, parmi 24 millions d’hommes, la violation de la foi particulière? Qui nous a donné des pouvoirs si terribles, et quel exemple offrons-nous aux nations étrangères, nous qui, appelés à faire une constitution, ne savons la préparer que par l’intrigue, l’appuyer que sur la violation de toutes les propriétés, sur la destruction de toute espèce de moralité, chez des hommes dont nous devrions cependant nous occuper, autant de régénérer les mœurs que de refaire les lois ? Ce n’est pas tout : comment le commerce peut-il se développer et se soutenir? Par des ventes et des négociations à terme ; car, certainement si le commerce était réduit aux ventes et négociations au comptant, il n’existerait pas. Et concevez-vous la possibilité des ventes et négociations à terme avec des assignats forcés ? Ne voyez-vous pas que dans ce système, pour que de telles négociations ou ventes fussent possibles, il faudrait qu’on pût calculer ce que vaudront les assignats aux termes indiqués pourles remboursements, et qu’on ne pût pas être contraint de les prendre au delà de la valeur qu’ils auront à cette époque sur la place. Je vends aujourd’hui une marchandise quelconque 300 livres, et je consens qu’elle ne me sois payée que dans six mois, parce que je sais qu’elle me sera payée en écus ou en papiers, valant des écus. Mais décrétez des assignats forcés, et je ne vendrai plus au terme de six mois, parce que craindrais qu’arrivé à ce terme on ne s’acquitte à mon égard avec un assignat qui perdra beaucoup sur la place, et que néanmoins on m’obligera d’accepter comme s’il ne perdait pas. Or s’il ne se fait plus de tels marchés dans le commerce, si l’on se trouve réduit à ne plus vendre et négocier qu’au comptant, comment concevez-vous les spéculations, les entreprises du commerce, comment me démontrerez-vous que le commerce soit même possible (1)? (1) Autre réflexion importante : La circulation forcée des assignats donnera infailliblement lieu à la falsification du papier ; car, comment sera-t-il possible, dans toute l’étendue du royaume, dans les campagnes, même dans les villes, de prendre des précautions suffisantes pour faire distinguer les vrais papiers d’avec ceux que l’on cou- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 décembre 1789.] 687 Votre projet d’assignats forcés détruira donc à la fois et le commerce intérieur et le commerce extérieur. Ajoutez de telles conséquences à l’injustice de ces assignats en eux-mêmes, et voyez s’il est un homme honnête qui puisse entreprendre d’en faire l’apologie. Je n’ai plus qu’une observation à faire sur les hommes qui ont imaginé ce système d’assignats-monnaie, et sur ceux qui mettent tant de chaleur à le faire valoir. 11 est bon qu’on sache que les uns sont embarrassés depuis longtemps dans les funestes spéculations de l’agiotage ; que d’autres sont à la tête des diverses chambres d’assurances de la capitale ; que d’autres encore sont propriétaires d’un grand nombre d’effets publics, comme effets royaux et actions de caisse; que l’intérêt commun, tant des agioteurs, des assureurs, que des propriétaires des effets publics, est que les effels publics acquièrent une grande valeur, afin qu’ils puissent s’en défaire à un bon prix ; qu’au moyen des assignats, pour lesquels, observez-bien ceci , ils ont soin de ne faire spécifier qu’un intérêt moindre que celui des effets qu’ils veulent vendre, et qu’ils ne demandent forcés, qu’afin de les faire tomber dans un discrédit utile à leurs vues, leurs effets acquerront nécessairement une grande valeur ; tout le monde, papier pour papier, devant préférer celui qui rapporte plus à celui qui rapporte moins-, que par cette manœuvre, au lien de restituer, comme ils le craignaient, les profits usuraires qu’ils ont faits , ils se procureront au contraire un gain considérable qu’ils auront grand soin de réaliser et de mettre à couvert, et qu’en dernière analyse tout le résultat de leur abominable opération, sera pour eux, sans doute, une fortune immense et rapide, mais pour la nation entière, le bouleversement de toutes les fortunes acquises par un travail honnête, la destruction detous ses moyens commerciaux, et la ruine et le désespoir du peuple. Qu’importe une perspective à des hommes de cette espèce, et à ceux qu’ils ont fait agir dans l’Assemblée nationale, en les associant à leurs vues. Je termine ici tout ce que je voulais dire sur les assignats forcés. On me demandera sans doute maintenant, puisque je ne veux point d’assignats forcés, ce que j’estime qu’il faudrait faire pour venir au secours des créanciers de l’Etat (1). ? trefera? Comment l’homme qui ne sait ni lire ni écrire pourra-t-il faire cette distinction ? A combien d’abus et de friponneries cet acte despotique n’ouvrira-t-il pas lape te? Et lorsque les législateurs eux-mêmes donnent 'exemple, car il faut avoir le courage de le dire, delà violation des propriétés les plus sacrées, pourquoi l’homme ambitieux ou réduit à la misère, ne cherchera-t-il pas à satisfaire son ambition ou à se venger de l’injustice qu’on exerce envers lui, par tous les moyens de ce genre qui seront à sa portée ; enfin, lorsqu’aucun principe de morale ne contient le Corps législatif, doit-on s’attendre à beaucoup de morale de la part d’un peuple victime de l’injustice et de la cupidité de ceux qui sont appelés à l’éclairer ou à le régir ? et de là, plus à compter aucune sûreté dans les négociations et les propriétés. On conçoit qu’il sera plus facile de tromper un paysan ou un fermier avec un faux assignat, qu’avec des écus faux : or, s’il y a des écus faux, n’est-il pas clair qu’il y aura de faux assignats, parce que l’un sera plus aisé et moins dispendieux à fabriquer que l’autre? (1) Il a été démontré par M. Koinmann, à la commune et à l’Assemblée nationale, que la rareté du numéraire provenant essentiellement des opérations funestes de la caisse d’escompte, il était urgent de détruire cette cause première de nos malheurs. Cette destruction, On a dit cent fois ce qu’il faudrait faire, et je ne puis que répéter ce qu’on a déjà dit. Le clergé offrait d’aliéner pour 400 millions de ses immeubles ; ie Roi consentait aussi à l’aliénation d’une portion considérable de ses domaines. Or qui empêchait de créer pour 400 millions ou 600 millions d’assignats libres sur les domaines du Roi et du clergé, de tels assignats eussent obtenu une grande confiance. D’abord parce qu’ils auraient été libres, et que leur gage était d’autant plus certains que le Roi et le clergé les garantissaient chacun en ce qui pouvait le concerner; ensuite, parce que l’administration de ce gage n’aurait pas été livrée au gaspillage scandaleux auquel on ne rougit pas de livrer dans ce moment la totalité des biens du clergé; enfin, parce qu’on n’avait pas à redouter, comme dans l’hypothèse qu’on préfère, la quantité prodigieuse de réclamations que l’opération, aussi absurde que vexatoire qu’on médite, ne manquera pas d’exciter dans peu, mais il nous importait de satisfaire notre haine philosophique contre le clergé (1) ; il nous importait, après lui avoir promis solennellement le maintien de ses propriétés, de l’en dépouiller violemment ; il nous importait d’assouvir, aux dépens du patrimoine des pauvres, l’ambition de quelques chefs de parti et l’avidité d’une foule de fripons connus par leurs manœuvres infâmes, depuis que l’agiotage est devenu la principale ressource de notre administration. Et rien de tout cela ne pouvait arriver, si nous avions fondée sur des principes d’équité et de justice, aurait immanquablement produit l’effet si désiré delacircula-lation de l’argent dans Paris, la conservation de celui qui reste dans les Provinces, et de toute nécessité, une révolution avantageuse dans les changes. Tandis qu’on aurait destiné des assignats libres, de la manière indiquée par le même M. Koinmann, pour être employés à l’acquittement des créanciers de l’Etat ; ces assignats, réalisés successivement en écus, par le produit des ventes des biens domaniaux et de ceux du clergé, auraient obtenu la plus grande confiance, et non-seulement ils auraient fait sortir le numéraire enfermé dans les coffres, mais même ils auraient attiré celui de l’étranger. Une telle opération, sans blesser les lois et violer les propriétés, aurait procuré au gouvernement le loisir de connaître sa situation, d’établir, d’après cette connaissance, une balance telle dans l’administration de ses finances, que la recette pût égaler ou surpasser la dépense, et de fixer, en conséquence, l’impôt et la répartition ; ce qui était très-important, car aussi longtemps qu’on ne connaîtra pas au juste les engagements à remplir et les ressources assurées pour y satisfaire, il sera impossible d’obtenir la confiance publique. Au contraire, que va-t-il arriver ? J’ai besoin de le répéter encore, que le gouvernement, versant une masse énorme de papier forcé dar.s la circulation, pour acquitter ses engagements, ce papier causera, d’une part, une hausse dans tous les effets du commerce et de consommation, et que, d’autre part, l’étranger pour la portion immense qui lui revient dans la dette de l’Etat et du commerce, ne pouvant faire usage de ce papier, nous soutirera le numéraire qui nous reste, et que, par là, nécessairement la défaveur de nos changes augmentera, et cela toujours en raison de la disette des écus, qui deviendra enfin telle, qu’avec une somme médiocre de numéraire, on pourra acquérir des objets de conséquence. Croyez par exemple, que cette situation n’échappera pas à l’étranger, et que vous le verrez après nous avoir enlevé tout notre argent, acheter, avec peu d’écus, nos propriétés les plus précieuses. (1) Ne concluez pas de là que je pense que le clergé n’avait pas besoin de réforme ; mais réformer n’est pas avilir, n’est pas détruire, et nous avons avili le clergé aux yeux des peuples; et je penserai toujours que nous l’avons détruit, tant que nous n’aurons pas assuré les moyens de le faire subsister avec la décence et la dignité convenable. ggg [Assemblée nationale.] ARCHIVES ï accepté les offres qui dous étaient faites, et nous aurions manqué, je le sens bien, l’occasion de don-neràl’Europe l’exemple à jamais mémorable d’une assemblée de législateurs qui se jouent des premières lois de la probité, et foulent aux pieds, comme de vains scrupules, les plus saintes maximes de la justice et de la morale, qui brisent les contrats les plus solennels, les obligations les plus respectées, qui changent à leur gré la nature de tous les engagements et qui, introduisant la mauvaise foi dans toutes les classes de citoyens, ne craignent pas de faire de la corruption universelle un moyen d’assurer la constitution qu’ils nous préparent. Quant à moi, qui ne peux légitimer par mon suffrage, un projet si désastreux, qui n’ai pas reçu de mes commettants la mission de violer les propriétés, et de naturaliser dans toute l’étendue du royaume l’agiotage et la mauvaise foi ; quant à moi qui ai fait le serment de favoriser de tout mon pouvoir l’affranchissement du commerce et de l’agriculture, et qui ne me joue pas de mes serments; quant à moi, qui m’aperçois dans le projet qu’on veut faire prévaloir, que l’ébranlement de toutes les fortunes, la destruction de tous les moyens légitimes d’acquérir, l’anéantissement de la morale publique et particulière, l’esprit de friponnerie substitué partout et dans toutes les négociations, aux règles sévères de la prudence et de la probité; quant à moi, qui n’estime pas que l’Assemblée ait le droit de décréter un pareil projet, qui ne voit pas dans nos mandats qu’on nous ait accordé le pouvoir extravagant de changer en un moment, et par un simple effet de nos volontés, la nature de tous les engagements dans l’empire; qui ne peux croire qu’il nous soit permis, sans le consentement spécial de ceux qui nous ont envoyés, d’opérer une révolution de ce genre, dont la conséquence funeste serait la désolation des campagnes et la ruine absolue de la capitale, et des plus florissantes villes de l’Etat; quant à moi, qui aime à me persuader que le Roi ne sanctionnera jamais un pareil décret, si nous sommes capables de le porter, parce qu’un Roi honnête homme, quel que soit le degré d’infortune et de délaissement ou nous l’avons réduit, ne peut vouloir à la fois sanctionner la corruption et la misère de son peuple, et qui, d’ailleurs ne pense pas qu’il puisse se trouver un ministre assez immoral pour lui conseiller un tel usage de l’autorité qui lui reste. Je déclare, pour l’intérêt de la capitale et des provinces, pour l’intérêt du commerce et de l’agriculture, pour le maintien des propriétés, et par respect pour les lois éternelles de la morale et de la justice, que je m’oppose à l’admission du projet qu’on nous propose ; et si nous pouvions ie décréter, que je change mon opposition en protestation solennelle contre le décret qui sera porté, ajoutant que j’en voie dès ce moment le présent écrit soit comme opposition, soit comme protestation, d’abord à mes commettants, ensuite à toutes les chambres de commerce, et enfin aux principales villes du royaume, et voulant qu’il me serve de témoignage et de justification pour la démarche que je fais aujourd’hui, lorsque les malheurs que je prévois seront arrivés. Signé : BERGASSE. J’espérais que cet écrit paraîtrait avant la décision de l’Assemblée sur les assignats-monnaie, et qu’il pourrait empêcher qu’ils ne fussent adoptés. L’Assemblée s’étant déterminée sur cette ELEMENTAIRES. [19 décembre 1789.] question importante, avec une précipitation que je ne pouvais pas prévoir et qui est absolument contraire au règlement qu’elle s’est imposé, je n’en pense pas moins que mon écrit pourra être encore utile, et je persiste dans la résolution de le publier. POST-SGRIPTÜM. Encore une ou deux réflexions que je n’ai pu m’empêcher de faire tandis qu’on travaillait à l’impression de cet ouvrage. Ceux qui ont intérêt de soutenir les assignats forcés, ne manquent pas de publier partout en ce moment leur triomphe; qu’au fond on a tort de douter de la solidité de ce papier, puisqu’il n’a pas seulement pour hypothèque les biens du clergé; mais de plus la garantie des municipalités, qui déjà s’empressent de toute part de faire des soumissions considérables à l’imitation de Ja capitale. J’ai dit ce que je pense et de l’hypothèque des biens du clergé et de la garantie des municipalités. Mais puisque j’y suis, je veux examiner un peu plus à mon aise ce qu’il faut penser surtout de la garantie des municipalités. M. Bailly a sollicité à l'Assemblée nationale dans le vœu de la commune et des districts, la permission pour la ville de Paris de faire l’acquisition de 200 millions de biens appartenant au clergé; mais s’il arrive ou plutôt s’il est démontré que l’acquisition dont M. Bailly veut grever la ville de Paris est ruineuse, et si conséquemment elle présente une perte énorme tant en capital qu’en intérêts, sur qui retombera cette perte? Tout le monde sait que le patriotisme de la ville de Paris est peu de chose, d’ailleurs les municipalités ou les villes sont toujours mineures et sûrement les successeurs des officiers municipaux actuels ne seront nullement tentés de surcharger d’un impôt considérable leurs concitoyens, qui d’ailleurs ne le souffriraient pas, pour acquitter le résultat d’une opération qui n’aurait été avantageuse qu’à]ceux qui l’auraient imaginée. Je sais qu’on a demandé que les municipalités avant d’acquérir fussent tenues de déposer des sûretés et des cautionnements pour garantir l’exactitude des engagements qu’elles prendraient, et qu’en conséquence M. Bailly a déjà annoncé à l’Assemblée qu’il avait une soumission de 70 millions dans sa poche pour les acquisitions de Paris. Mais qu’on me permette d’observer que M. Bailly n’a pas fait connaître la nature de ce cautionnement, ni les époques où ceux qui prennent cet engagement doivent les réaliser, non plus que la solvabilité des contractants. Quelle confiance peut-on donc avoir en un cautionnement qui n’est encore que dans la poche de M. Bailly ? Quels peuvent être d’ailleurs les citoyens opulents qui voudront dans les circonstances où nous nous trouvons contracter un engagement solidaire de la somme immense de 70 millions, pour les biens dont la vente, surtout à Paris qui se dépeuple tous les jours, et qui par le seul effet de la constitution ne se repeuplera jamais, me paraît singulièrement aventurée ? Quel serait le bénéfice qu’il faudrait accorder à ces hommes téméraires si par hasard il s’en trouvait pour courir une pareille chance ? Sans doute ils le proportionneraient aux risques évidents et aux inquiétudes auxquels ils s’exposeraient, et alors cela ne diminuerait-il pas d’autant la valeur de ces mêmes biens ? 689 [Assemblée na ionale.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 décembre 1789.] Mais si, comme il est probable, le cautionnement de M. Bailly n’est qu’un plan artistement combiné, de la part des agioteurs d’accord avec lui, et offrant sous une garantie apparente des tournures cependant tellement adroites, que jamais ceux-ci ne puissent être exposés à aucune perte ; alors ne serait-ce pas un nouveau tour de jonglerie dont il serait permis de se défier aussi longtemps qu’on n’aura pas rendu publiques toutes les conditions du traité ? üe plus, certainement, ni la commune de Paris, ni les sections, ne consentiront à laisser contracter par la ville déjà si obérée, un engagement qui puisse l’exposer à une perte énorme, et à moins que le délire ne soit dans toutes les têtes, il faut bien s’attendre qu’ils s’opposeront aux emprunts que l’on projette et dont ils deviendraient responsables. Ce que je dis pour Paris peut s’appliquer à toutes les municipalités du royaume, il est notoire que presque toutes les viiles sont dans un état de détresse cruelle (Lyon, seul, doit près de 50 millions) et qu’elles ont si peu de ressources, qu’elles demandent journellement à l’Assemblée nationale à être autorisées à faire des emprunts; or, ce sont des villes mineures obérées, et qu’en aucun cas on ne pourra contraindre à s’acquitter, qu’on nous donne pour garant de la solidité d’une opération immense, dont le défaut de succès entraînera infailliblement, avec la ruine de la fortune publique, le bouleversement de toutes les fortunes particulières. Dire que les municipalités ne risquent jamais rien, et qu’en cas de perte elles compteront de clerc à maître avec la nation, c’est avancer une absurdité, car alors ce n’est plus une vente de biens que vous faites, mais vous confiez tout simplement la totalité des biens du clergé à des administrations particulières, qui auront un intérêt d’autant plus grand à gaspiller ces biens qu’elles pourront le faire avec impunité. Le comité des finances s’expliquant par la bouche de M. Anson, a osé avancer « qu’un billet forcé ne pouvait jamais devenir un objet d’agiotage ». Il est fâcheux de remarquer que cette observation ne fait pas l’éloge des connaissances en finances et de M. Anson et du comité. Si le billet forcé n’est pas susceptible d’agiotage quand il sert à forcer la volonté de celui auquel on doit, certainement il en arrivera autrement toutes les fois que celui qui aura ainsi été payé voudra employer l’effet qui lui a été donné au lieu d’écus pour une acquisition quelconque ; car, comme peut-être on ne décrétera pas que les personnes seront contraintes de vendre des propriétés ou des marchandises, il est à supposer qu’avec la conservation de la volonté de vendre ou de ne pas vendre, le vendeur proportionnera le prix de sa vente en raison des valeurs qui lui seront données en payement, et si ces valeurs perdent contre des écus, qu’il haussera le prix de sa marchandise en raison de la différence qui existera entre le papier et le numéraire. Voilà certainement une cause infaillible d’agiotage. Cette vérité devient sensible, au reste, par l’article 7 du décret rie l’Assemblée, dans lequel article, la perte des assignats contre le numéraire est manifestée d’une manière bien naïve, car on y annonce que le débiteur sera toujours obligé de faire l’appoint de ce qu’il doit et de se procurer l’argent nécessaire pour solder exactement la somme dont il sera redevable. Il me semble, si je ne me trompe, que cet article prouve clairement que si le papier valait l’argent, ou mieux lrc Série, T. X. encore que l’argent, comme on a osé l’avancer, il serait égal au créancier de rendre lui-même l’appoint au débiteur, et que cette expression, que le débiteur sera obligé de se procurer l'argent nécessaire, indique assez qu’il faudra qu’il l’achète de ceux qui continueront cette branche utile de commerce. D’ailleurs, comment le comité des finances ne prévoit-il pas ce que j’ai démontré ci-devant, que les étrangers, ayant des sommes considérables à retirer de la France, ne pourront recevoir ces retours qu’en espèces, qu’alors, leurs correspondants, pour les payer, seront obligés de faire la conversion de nos papiers-unonnaie en espèces, et ne faut-il pas être plus que borné pour ne pas voir qu’une telle conversion ne se fera jamais qu’à perte? Or, comme cela ne manquera pas d’arriver tous les jours, je prie qu’on me dise si l’on peut manœuvrer plus habilement que nous l’avons fait, pour ouvrir la plus vaste carrière à l'agiotage. Peut-être, au reste, est-il réservé à M. Anson de prouver qu’au temps de Law on n’agiotait pas du tout. J’aurais voulu pouvoir traiter encore de l’influence funeste des assignats forcés sur nos îles à sucre; pour peu qu’on y veuille réfléchir, on n’aura pas de peine à se convaincre que toute espèce de commerce avec nos îles nous est désormais interdit par l’effet de ce papier; malheureusement il m’importe que ma protestation paraisse promptement, et je suis forcé de renoncer, quant à présent, à cette discussion intéressante. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU DE SAINT-JUST. Séance du lundi 21 décembre 1789 (1). La lecture du procès-verbal de la séance du samedi est interrompue par M. l’abbé Maury. M. l’abbé Maury. Je demande qu’on rende un hommage pur et simple à la vérité, en disant que la parole m’a été refusée sur le fond du décret. J’étais membre du comité des dix, et j’avais à dire à l’Assemblée une chose importante que je vais lui révéler aujourd’hui. Je n’ai eu aucune connaissance du décret qui vous a été lu samedi ; il n’a pas été communiqué à votre comité. L’Europe saura bientôt, et il importe à tous les principes de l’équité sociale que la nation apprenne que, lorsqu’il s’agissait de vendre les biens du clergé, cet ordre, ayant demandé la parole par l’organe d’un de ses membres, n’a jamais pu l’obtenir. M. d’Ailly. Comme président du comité des dix, je dois observer que la déclaration du préopinant n’est pas très-exacte dans les faits. M. l’abbé Maury était chez M. Lecoulteux de Canteleu à dix heures du matin, le jour que le décret a été rédigé; la lecture en a été faite devant lui, et tous les articles en ont été discutés en sa présence. (1 ) Cette séance est incomplète au Moniteur. 44