SÉANCE DU 13 FRUCTIDOR AN II (30 AOÛT 1794) - N° 39 107 tion totale de ses maisons, et qu’elle n’offre plus qu’un monceau de pierres. C’est le spectacle de ruines que doivent présenter nos ennemis de tout genre, si nous voulons être libres. La liberté a eu besoin des grandes vues de la Convention nationale et du courage de l’armée française pour reconquérir son domaine dans la Hollande. La terreur a précédé les armées républicaines; car la place de l’Ecluse, qui a toujours résisté plusieurs mois, est tombée en notre pouvoir en 22 jours, et une poignée de soldats affrontant tous les périls ont fait capituler une garnison hollandaise : c’est ainsi que les Républicains, par leur énergie, renversent les projets des coalisés, et portent l’épouvante et la mort dans les rangs des esclaves. Tous les soldats supportent avec courage les dangers et les travaux militaires, au milieu des inondations, en face des batteries ennemies; mais ils ne supportent que pour la République : en périssant ils invoquent encore la République, ils maudissent tous les tyrans et toutes les aristocraties; ils ne connoissent et ne défendent que la liberté, l’égalité, le peuple français et la Convention nationale. Réponse du président : Pendant que la Convention nationale renverse ici les factions insensées qui prétendent gouverner, les républicains fidèles à la voix de la patrie et de la victoire, plantent le drapeau tricolore sur les remparts embrasés de nos ennemis, et leur arrachent leurs derniers étendards; nous nous occupons à briser ceux des intrigues. Viens recevoir la récompense que tu ambitionnes le plus; c’est l’accueil que te font les représentans du peuple (81). 40 On reprend la discussion relative à l’accusation de Le Cointre. Après quelques débats, Thibaudeau propose, et la Convention nationale décrète l’exécution du décret qui ordonne la lecture des pièces, et de plus que les accusés seront entendus (82). GOUJON : Avant d’entendre la lecture des pièces, il faut savoir si ce qu’il appelle une accusation en est véritablement une. On vous dit, par exemple, qu’on a répandu la terreur sur la Convention; comment pourra-t-il prouver ce chef ? comment me prouvera-t-il, par exemple, que je n’ai pas toujours voté librement ? Je le répète; cet acte d’accusation est un (81) Bull. 13 fruct.; Débats, n° 710; Moniteur, XXI, 629, qui signale des applaudissements; J. Mont., n° 123; J. Paris, n° 609; Ann. R. F., n° 272; mention dans F. de la Républ., n° 423; J. Perlet, n° 707; Mess. Soir, n° 742; C. Eg., n° 742; Gazette Fr., n° 973; J. S. Culottes, n° 562; M. U., XLIII, 218. (82) P. V., XLIV, 230. acte de contre-révolution : ce n’est point ici les individus que je soutiens; la seule cause de la patrie agite mon âme. Le troisième chef d’accusation est également faux. A qui de nous prouvera-t-il que le comité de Salut public n’a jamais proposé le remplacement des membres qui le composaient ? BARÈRE : J’interpelle tous les membres de dire si, chaque mois, je n’ai pas proposé le renouvellement du comité. Un membre : J’ai entendu souvent dire à Barère, après avoir annoncé des victoires, qu’il avait oublié de demander le renouvellement, et alors il montait à la tribune pour réparer cette omission; mais jamais il ne fit impérativement ni autrement la demande de la continuation des pouvoirs, comme l’a prétendu Le Cointre. GOUJON : Je pousuis... CLAUZEL : La Convention n’a pas encore décrété que la discussion était ouverte; il faut que les pièces soient lues auparavant. GOUJON : Je cherche à prouver que la Convention ne peut ordonner qu’on fournira les preuves dont il s’agit sans décréter son déshonneur. L’accusateur a parlé. Il faut maintenant entendre l’accusé, et je suis persuadé qu’ après cela l’Assemblée prendra une détermination. THURIOT : On vient enfin d’aborder la véritable question : il faut que nous examinions si l’accusation qu’on a portée en est véritablement une; car je ne crois pas que, parce que les hommes sont dans un état de délire, nous partagions tous cette maladie. Lorsqu’on porte une accusation devant un tribunal, la première question qu’on examine, c’est de savoir si l’accusation est susceptible d’être admise. Ne voyez-vous pas que le système de calomnie qu’on suit depuis quelque temps concorde avec la proposition de convoquer les assemblées primaires et les assemblées électorales ? Le Cointre s’annonçait tout à l’heure comme le père de la révolution; mais c’est un père dénaturé, qui veut poignarder son enfant. Sur quoi portent les chefs d’accusation ? sur autant de choses qui ont été faites en exécution des lois; et, je vous le demande, si l’on s’était écarté un peu des lois pour soutenir le mouvement révolutionnaire et sauver la patrie, enverriez-vous à l’échafaud ceux qui auraient sauvé la liberté ? Tous les actes que l’on vous a cités sont autant d’actes de gouvernement que la Convention a scellé par des lois; et c’est lorsque vous avez tout approuvé par vos décrets qu’on vient vous proposer de dire que vous n’avez rien fait, que vous n’avez aucune existence; et cependant, par une contradiction inexprimable, sept d’entre nous, qui ne sont rien que par nous, qui n’ont reçu leurs pouvoirs que de nous, auraient eu une existence tandis que nous n’en avions pas. Le chef d’accusation qui m’avait le plus frappé était celui qui avait rapport au tribunal révolutionnaire; mais, en l’examinant, j’ai vu qu’il ne pouvait avoir aucune réalité; j’ai vu qu’il ne pouvait accuser que le président et les juges du tribunal; car je vous demande si ce ne 108 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE seraient pas de profonds scélérats ceux qui viendraient vous dire : “On a influencé vos jugements ?” Au surplus, on a reçu sur ces hommes, qui sont des anciens membres du tribunal, des renseignements qui n’ont pas permis de les employer de nouveau; et n’est-il pas permis de croire que le silence de ces hommes qui ne sont pas placés est une preuve dans la circonstance actuelle ? Il y a un grand point à examiner; c’est le salut du peuple, et je crois que la discussion dont nous nous occupons ne peut servir qu’à nous compromettre évidemment. Loin de nous l’idée d’acueillir une proposition hasardée : nous avons décrété la liberté des opinions; Le Cointre est en état de délire; mais, en respectant son délire, respectons aussi les principes. Il ne faut pas éteindre un flambeau de discorde pour en allumer un autre, et j’aurais voulu qu’au moment où la dénonciation a été faite, elle fût anéantie : j’aurais voulu que nous eussions pris la résolution de n’acueillir aucune injure contre aucun de nos collègues. (Quelques murmures.) Nous n’avons qu’un moyen de sauver la république : c’est de montrer que nous connaissons la dignité de la représentation nationale. Je demande que l’on examine d’abord si la dénonciation de Le Cointre est de nature à occuper la Convention et à exiger la lecture des pièces. Un membre : Nous sommes tous égaux; on vous a dénoncé hier sept de nos collègues, d’autres vous avaient été dénoncés auparavant; il faut, dans le moment où nous sommes, suivre la marche que nous suivions autrefois. Je demande que, pour la dénonciation d’aujourd’hui et pour toutes celles portées contre les représentants du peuple, il soit créé une commission. (Murmures.) La Convention n’a de force que par la confiance du peuple, et avec des dénonciations journalières... (Murmures.) Plusieurs voix: C’est à la tribune qu’il faut dire la vérité tout entière. MATHIEU : La sûreté nationale, le bonheur et la dignité du peuple exigent que nous mettions dans la discussion qui nous occupe maintenant la plus sérieuse attention. Il ne s’agit point ici de quelques individus à mettre en jugement, mais de la révolution tout entière. (Applaudissements.) Il ne faut pas se grouper avec l’un ni avec l’autre; il faut se demander ce qu’on aurait fait dans telle circonstance donnée. D’où vient l’embarras où nous nous trouvons dans ce moment ? de ce que les chefs d’accusation n’ont pas été précédés d’un rapport. Ce qui doit venir, dans l’ordre naturel, après l’acte d’accusation, est la lecture des pièces. Je ne crois pas que cette lecture jette un jour suffisant sur les accusations qui seront portées. Les uns, après l’avoir entendue, méditeront sur cet acte d’accusation avec les lumières qu’ils auront recueillies, et les autres avec les ténèbres qui seront restées. Il y a deux choses à examiner dans les pièces, leur contenu et leur authenticité. L’authenticité ne peut être constatée que par la vérification des originaux et des signatures; ainsi la lecture serait une mesure insuffisante en ce moment, puisque l’Assemblée ne pourrait point constater l’authenticité des pièces; elle pourrait avoir des résultats très fâcheux. Je désirerais que la Convention ne fît aucun pas sans avoir sondé le terrain sur lequel elle marche. Nous sommes instruits par l’expérience, et nous sommes plus que, jamais en mesure de fonder la liberté. J’ai plusieurs fois regretté qu’on n’eût pas présenté à la Convention ces questions : D’où venez-vous ? qui sommes-nous ? où allons-nous ? Elles auraient beaucoup servi à éclairer la marche de nos discussions, elles nous auraient guidées sur les résultats. Il faut que l’on consulte la raison, et que l’on endorme les passions. Je demande qu’il soit nommé une commission pour examiner ces questions politiques, et que jusque-là on ajourne toute dénonciation individuelle. THIBAUDEAU : C’est aux hommes purs et courageux à aborder franchement la question; l’ordre du jour qui a été enlevé hier, a fait naître une impression qui pourrait peser défavorablement sur la Convention. Lorsqu’une dénonciation est faite, il faut l’examiner, afin qu’il ne reste plus le moindre soupçon sur la représentation nationale. (Vifs applaudissements.) Les sentiments qui viennent de se manifester me prouvent que la Convention était en état de suspicion aux yeux du peuple. (Les applaudissements redoublent.) Il faut que cet état d’anxiété cesse; il faut que le peuple sache si la représentation est digne de le représenter. (Les applaudissements recommencent.) Ce que je viens de dire est fondé sur des faits malheureusement trop connus. Ne vous êtes-vous pas aperçu des mouvements que l’on cherche à produire pour détruire le gouvernement révolutionnaire ? Je crois que le vrai moyen de faire cesser cette inquiétude est que la Convention mette au grand jour la conduite des accusés et des accusateurs. (Les applaudissements recommencent et se répètent.) Il y a déjà un décret dont je demande l’exécution : c’est la lecture des pièces, et que les accusés soient entendus. (On applaudit de nouveau.) BRÉARD : Je ne viens accuser ni défendre personne, mais je viens donner mon opinion. Les choses en sont au point que la Convention ne peut ni ne doit passer à l’ordre du jour. (Applaudissements.) Ceux contre lesquels on a parlé ne le veulent pas, ils veulent se justifier, et j’aime à croire qu’ils réussiront; mais attendu l’importance des chefs d’inculpation, je pense qu’il ne faut pas que nos collègues se contentent de se défendre à la tribune, mais qu’il faut qu’ils fassent imprimer leur défense. Déjà les aristocrates se réjouissent; j’ai vu parmi eux de bons citoyens, des hommes qui naguère étaient à la Vendée, de ceux qui désorganisaient nos armées en criant sauve qui peutl des marquis, des comtes, des gens qui, la veille du supplice de Robespierre, adoraient cette idole, et qui sont venus ensuite vous féliciter sur votre énergie; j’ai vu ces gens dans les sections, dans les groupes; je sais que dans des repas très dispendieux faits chez certains traiteurs, ils disent que nous avons sacrifié Robespierre. Ne croyez-vous pas avec moi, citoyens, que ces hommes veulent [sacrifier la liberté, et que pour SÉANCE DU 13 FRUCTIDOR AN II (30 AOÛT 1794) - N° 40 109 cela ils veulent (83)] détruire la Convention ? Mais le peuple connaîtra l’intrigue; et si quelquefois les nations ont adoré les idoles, elles ont toujours fini par les briser. (Applaudissements.) La proposition de Thibaudeau est adoptée. BILLAUD-VARENNE : Je demande à faire un amendement. Quand il faut se défendre contre ceux qui veulent faire la contre-révolution, il ne faut pas mettre dans leurs mains de quoi faire égorer la Convention. (Rumeurs.) Je m’étonne d’entendre dire que personne n’a ce moyen. Hier, dans les groupes qui entouraient cette enceinte, des hommes mis hors de la loi, des ci-devant marquis, des ci-devant comtes prêchaient la royauté. ( Quelques voix: C’est vrai !) Et comme je veux prouver à la Convention que je n’avance point des faits vagues, je lui dirai que l’on a reconnu, à l’entrée de cette salle, le ci-devant marquis de Tilly, conspirateur reconnu, et mis hors de la loi. DU BARRAN : Tilly a obtenu sa liberté depuis très peu de jours au comité de Sûreté générale. BILLAUD-VARENNE : Ce Tilly est convaincu d’avoir été à la tête des chevaliers du poignard. Robespierre avait appelé ici dix mille de cette espèce de scélérats; et dans le moment où nos armées sont en présence de l’ennemi, quand un décret défend aux militaires de s’absenter de leur poste, il se trouve cependant à Paris plus de quatre mille officiers. (Rumeurs.) Le mouvement qu’on a cherché à réaliser est tellement contre-révolutionnaire que, dans l’une des tribunes qui appartiennent aux journalistes, on a prêché ouvertement le royalisme. TURREAU : Je demande que l’Assemblée revienne à la question importante qui l’occupe. BILLAUD : L’observation de mon collègue est plus hors de propos que la mienne; je ne l’ai faite que pour démontrer le danger qui nous menace en ce moment. ( Murmures (84)). CLAUZEL : Il s’agit de la lecture des pièces. BILLAUD : C’est parce que le peuple de Paris est pénétré d’amour pour la révolution et pour la liberté, que j’ai cru qu’il fallait le réveiller sur l’existence des malveillants qui cherchent à l’égarer. La Convention vient de décréter l’impression des pièces relatives à cette affaire; mais il est bon que je l’avertisse que la marche du comité, l’énormité des travaux dont il est chargé, exigent souvent que l’on signe de confiance une partie du travail. Je demande la lecture des pièces. La Convention décrète cette proposition. (Applaudissements.) [Bréard interrompt Billaud, et lui observe qu’il n’a pas demandé l’impression des pièces. Le président dit que cela est cependant décrété. (83) Débats, n° 710, 228. (84) D’après Débats, n° 710, 229. Plusieurs membres soutiennent le contraire, et l’observation de Billaud n’a pas d’autre suite (85)]. La Convention nationale décrète que la discussion se terminera sans désemparer. Moïse BAYLE : Il y a quarante-huit heures que les imputations de la tribune planent sur les membres dénoncés. Je demande qu’après la lecture des pièces ils soient entendus, car on ne peut porter aucun jugement sans entendre toutes les parties. Je demande aussi que cette discussion se termine sans désemparer. Cette proposition est décrétée (86). 41 LE COINTRE : Ce que j’ai dit n’est qu’une simple exposition de faits que j’appuierai des pièces. J’ai dit seulement que je trouvais mes collègues répréhensibles, et c’est mon opinion. Avant de lire les pièces, je vais lire chaque article auxquelles elles se rapportent (87). Le Cointre lit l’article premier. 1°. D’avoir comprimé par la terreur tous les citoyens de la République, en signant et faisant mettre à exécution des ordres arbitraires d’emprisonnement, sans qu’il y ait contre un grand nombre d’entre eux aucune dénonciation, aucun motif de suspicion, aucune preuve des délits énoncés dans la loi du 17 septembre 1793. On demande les pièces. Le Cointre répond qu’elles sont dans les bureaux de la police générale (88). Un membre: Cet article est dicté par le modérantisme. CAMBON : Je demande que le comité nous déclare auquel des sept membres cet article s’applique. LE COINTRE : Les pièces sont dans vos bureaux, et lorsque j’ai été demander la liberté de... LEVASSEUR [de la Sarthe] : D’aristocrates. TREILHARD : Je demande la parole pour une motion d’ordre. Vous venez de décréter qu’on lirait les articles, ensuite les pièces à l’appui; il paraît que Le Cointre n’en a aucune relative au premier article. Je demande qu’il déclare si, oui ou non, il a des pièces. Si Le Cointre déclare qu’il n’a point de pièces sur cet article, je demande qu’on passe à la lecture du second. Cette proposition est adoptée. (85) Ann. Patr., n° 607. (86) Moniteur, XXI, 629-631; Débats, n° 710, 225-229. (87) Nous suivons le texte du Moniteur, XXI, 631-642; les variantes sont signalées entre crochets. (88) P.V., XLIV, 231.