328 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j JJ “ 1° UN ARRÊTÉ RELATIF A LA CIRCULATION DES GRAINS; 2° UNE PROCLAMATION AU peuple de Commune-Affranchie (1). Suit le texte de ces pièces d'après les origi¬ naux qui existent aux Archives nationales (2). Les représentants du peuple, envoyés dans la Commune-Affranchie, pour y assurer le bonheur du peuple avec le triomphe de la République, dans tous les départements environnants, et près V armée des Alpes, à la Convention natio¬ nale. « Citoyens collègues, « On ne conçoit pas aisément jusqu’à quel point la mission que vous nous avez confiée est pénible et difficile; d’une part, les subsistances n’arrivent qu’à force de réquisitions réitérées dans une ville qui n’inspire que de l’indignation et qu’on ne veut plus compter qu’au rang des ruines de la monarchie; d’autre part, des admi¬ nistrations composées d’hommes intéressants sans doute, puisqu’ils furent opprimés par les rebelles, mais qui par cela même sont trop disposés à se dépouiller de leur caractère public, à oublier l’outrage sanglant fait à la liberté pour céder au désir personnel de pardonner à leurs ennemis ; une population immense à licen - cier, à répartir dans les divers départements de la Éépublique, des patriotes à consoler, à sou¬ lager, à démêler de ces ramas de coupables parmi lesquels on les a confondus, soit par un excès de scélératesse, soit dans l’espoir de cou¬ vrir le crime du respect religieux pour le patrio¬ tisme. « Enfin, citoyens collègues, on emploie tous les moyens imaginables pour jeter les semences d’une cruelle pitié dans tous les cœurs et pour nous peindre comme des tyrans avides de sang et de destruction, comme si toutes nos mesures ne nous étaient pas impérieusement dictées par la volonté du peuple. « Quelques efforts qu’on fasse, nous demeure¬ rons ses fidèles organes, ses mandataires impas¬ sibles. Notre courage et notre énergie croissent sous les difficultés. Vous en jugerez par la pro¬ clamation et l’arrêté que nous vous faisons passer et que nous avons déjà envoyés au comité de Salut public. Nos ennemis ont besoin d’un grand exemple, d’une leçon terrible pour les forcer à respecter la cause de la Justice et de la Liberté. Eh bien ! nous allons les leur donner ; la partie méridionale de la République est enve¬ loppée par leurs perfidies, d’un tourbillon des¬ tructeur; il faut en former le tonnerre pour les écraser; il faut que tous les correspondants, tous les alliés qu’ils avaient à Commune-Affran-ohie tombent sous les foudres de la justice et que leurs cadavres ensanglantés, précipités dans le Rhône, offrent sur les deux rives, à son embouchure, sous les murailles de l’infâme (1) La lettre des représentants du peuple à Com¬ mune-Affranchie n’est pas mentionnée au procès-verbal de la séance du 21 frimaire, mais en marge de l’original qui existe aux Archives nationales on lit la note suivante : « Insertion au Bulletin. Ren¬ voyé au comité de Salut public le 21 frimaire an II. » (2) Archives nationales, AFu 137, plaquette 1060, pièce 52; Bulletin de la Convention du 1er jour dé la 3® décade du 3e mois de l’an II (mercredi 11 dé¬ cembre 1793). Toulon, aux yeux des lâches et féroces Anglais l’impression de l’épouvante et l’image de la toute puissance du peuple français. « Commune-Affranchie, le 16 frimaire l’an II de la République une et indivisible. « Albitte ; Collot d’Herbois ; Fouché, Laporte. » Arrêté (1). Les représentants du peuple envoyés dans la Commune-Affranchie pour y assurer le bon¬ heur du peuple avec le triomphe de la Répu¬ blique, dans tous les départements environnants et près l’armée des Alpes; Considérant que la justice est le plus fort lien de l’humanité, que son bras terrible doit venger subitement tous les attentats commis contre la souveraineté du peuple, que chaque moment de délai est un outrage à sa toute puissance ; Considérant que l’ exercice de la justice n’a besoin d’autre forme que l’expression de la volonté du peuple; que cette volonté énergique¬ ment manifestée doit être la conscience des juges; Considérant que presque tous ceux qui rem¬ plissent les prisons de cette commune ont cons¬ piré l’anéantissement de la République, médité le massacre des patriotes et que par conséquent ils sont hors de la loi, que leur arrêt de mort est prononcé; Considérant que leurs complices, que les plus grands coupables, que Précy, qui a donné l’affreux signal du meurtre et du brigandage et qui respire encore dans quelque antre téné¬ breux, pourraient concevoir le projet insensé d’exciter des mouvements sanguinaires et rallu¬ mer des passions liberticides, si par une pitié aussi mal conçue que dénaturée on apportait quelque délai à la punition du crime; Considérant qu’à l’apparence d’un nouveau complot, qu’à la vue d’une seule goutte de sang d’un patriote, le peuple irrité d’une justice trop tardive pourrait en diriger lui-même les effets, lançer aveuglément les foudres de sa colère, et laisser, par une méprise funeste, d’éternels regrets aux amis de la liberté; Considérant que le seul point que réclame l’humanité de la justice, la seule pensée qui doit pénétrer l’âme, est de sauver, du milieu de ces repaires de brigands, le patriotisme qu’un excès de scélératesse pourrait avoir confondu avec le crime. Les représentants du peuple, inébranlables dans l’accomplissement de leur devoir, fidèles à leur mission, Arrêtent ce qui suit : Art. 1«. « Il sera établi dans le jour une commission révolutionnaire composée de sept membres. Art. 2. « Les membres sont : Parrain, président; Brunière, Lafaye, Fernex, Marcelin, Yauquoy et Andrieux l’aîné. (1) Archives nationales, carton AFii 137, pla¬ quette 1060, pièce 20. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. JJ 329 Art. 3. « Cette commission fera traduire successi¬ vement devant elle tons les prisonniers pour y subir un dernier interrogatoire. Art. 4. « L’innocent reconnu sera sur-le-champ mis en liberté, et les coupables envoyés au supplice. Art. 5. « Tous les condamnés seront envoyés à plein jour (sic), en face du lieu même où. les patriotes furent assassinés pour y expier, sous le feu de la foudre, une vie trop longtemps criminelle. » Commune-Affranchie, 7 frimaire, l’an II de la République française, une, indivisible et démocratique. Les représentants du peuple, Signé : Collot d’Herbois, Fouché, Albitte et Delaporte. Enregistré à la municipalité de Villefranche, le 16 frimaire, l’an II de la République fran¬ çaise. Pour extrait conforme : Laplace, secrétaire greffier. Proclamation des représentants du peuple, en¬ voyés dans la Commune -Affranchie, pour y assurer le bonheur du peuple avec le triomphe de la République , dans tous les départements environnants, et près l'armée des Alpes (1). Républicains, Lorsque tous les hommes énergiques sont impatients d’arriver au terme heureux dé la Révolution; lorsqu’ils travaillent sans relâche aux moyens d’entraîner tous les esprits dans son orbite, vos perfides ennemis, vos hypo¬ crites amis cherchent à vous imprimer de faux mouvements, à égarer votre raison, à briser le ressort de vos âmes, et à donner le change à votre sensibilité. Les ombres des conspirateurs, des traîtres, semblent sortir du néant pour exer¬ cer sur vous leur sinistre influence. On veut arrêter la volonté du peuple dans ses effets par des considérations, par des cal¬ culs plus ou moins pusillanimes, plus ou moins méprisables, plus ou moins funestes à la liberté. On ose insulter à sa toute-puissance, circons¬ crire sa justice éternelle dans les limites des tribunaux ordinaires, où trop souvent les for¬ malités ne servirent qu’à couvrir la scéléra¬ tesse, d’autant plus profonde, qu’elle ne laisse aucune trace après elle. On conspire contre l’humanité entière; on veut dérober au glaive de la vengeance nationale quelques assassins privilégiés qu’on a intérêt d’épargner, parce qu’eux seuls peut-être auraient l’affreux cou¬ rage de combiner de nouvelles conjurations, de nouveaux attentats. On ne songe plus aux flots de sang qui ont coulé des veines généreuses des patriotes; la République est oubliée, et Lyon, que le peuple a condamné à l’anéantisse¬ ment, est conservé dans la pensée, pour deve¬ nir encore le foyer du brigandage royal et l’a¬ sile de la corruption et du crime. (1) Archives nationales, carton AFii 137, pla¬ quette 1060, pièce 41. Mais quels sont donc ces hommes qui ont conçu le téméraire projet d’enchaîner la sévère justice du peuple, et de briser dans ses mains la foudre vengeresse! Quels sont ces hommes qui s’efforcent de prendre le masque de la plus sainte des vertus : de la touchante humanité! Républicains, ce sono ceux-là mêmes que vous avez vus naguère orgueilleux et inhumains, riohes et avares, se plaignant amèrement du plus léger sacrifice que la patrie imposait à leur superflu, prodiguant l’or aux tyrans et à leurs infâmes suppôts; refusant avec dureté le né¬ cessaire à l’indigent, et traînant honteusement dans la boue le malheureux qu’ils voulaient avilir pour l’opprimer, en livrant aux angoisses dévorantes des premiers besoins, aux atteintes poignantes de l’inquiétude, à tout ce qui sert de cortège au désespoir, les familles honorables des vertueux défenseurs de la patrie ! Ce sont enfin ces mêmes hommes qui ont immolé à leur féroce amour pour la domination, des milliers de victimes, et en qui il n’existe qu’un sentiment, celui de la rage de n’en avoir pas immolé un plus grand nombre. Hypocrites audacieux, ils se disent les amis de l’humanité, et ils l’ont consternée; ils ont fait gémir la nature, couvert de sang la statue de la liberté, et ils l’outragent chaque jour jusque sur l’échafaud, en offrant leur dernier souffle impur au maître qu’ils appellent dans leur délire insensé. Ce sont là les seuls tableaux qui doivent fixer vos yeux, et absorber votre pensée tout entière. On effraie votre imagination de quelques décombres, de quelques cadavres qui n’étaient plus dans l’ordre de la nature et qui vont y rentrer; on l’embrase à la flamme d’une maison incendiée, parce qu’on craint qu’elle ne s’al¬ lume au feu de la liberté. Républicains, quelques destructions indi¬ viduelles, quelques ruines ne doivent pas être aperçues de celui qui, dans la Révolution, ne voit que l’affranchissement des peuples de la terre et le bonheur universel de la postérité. De faibles rayons s’éclipsent devant l’astre du jour. Eh ! n’est -ce pas sur les ruines de tout ce que le vice et le crime avaient élevé que nous devons établir la prospérité générale! N’est-ce pas sur les débris de la monarchie que nous avons fondé la République! N’est -ce pas avec les débris de l’erreur et de la superstition que nous formons des autels à la raison et à la philosophie! N’est-ce pas également avec les ruines, avec les des¬ tructions des édifices de l’orgueil et de la cupi¬ dité que nous devons élever aux amis de l’éga¬ lité, à tous ceux qui auront bien servi la cause de la liberté, aux braves guerriers retirés des combats, d’humbles demeures pour le repos de leur vieillesse ou de leurs malheurs! N’est-ce pas sur les cendres des ennemis du peuple, de ses assassins, de tout ce qu’il y a d’impur, qu’ü faut établir l’harmonie sociale, la paix et la félicité publiques! Les représentants du peuple resteront impas¬ sibles dans l’accomplissement de la mission qui leur a été confiée ; le peuple leur a mis entre les mains le tonnerre de sa vengeance, ils ne le quitteront que lorsque tous ses ennemis seront foudroyés; ils auront le courage énergique de traverser les immenses tombeaux des conspi¬ rateurs et de marcher sur des ruines pour arri¬ ver au bonheur des nations et à la régénération du monde.