[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 437 il9 juillet 1791.] biens sont mutuels, toutes les obligations sont réciproques entre ceux qui obéissent. Voilà ce que nous avons juré de maintenir de toutes nos forces. Que pourront désormais ces protestations indécentes de quelques membres législateurs contre le torrent de l’opinion générale! Comme Français, il leur importe de se soumettre; ils le doivent encore plus comme représentants : en déchirant eux-mêmes les lois auxquelles nous aimerions à croire qu’ils ont contribué, en essayant de détruire l’ouvrage qu’ils ont dû former ils se rendent prévaricateurs, ils désertent leurs augustes fonctions, ils affaiblissent la confiance due à la loi et ils y substituent l’anarchie et le désordre. « De pareils délits, de jour en jour multipliés, blessent l’autorité nationale; ils sollicitent une vengeance, et le Code pénal que vous nous avez donné dans votre sagesse, mettrait le comble à notre reconnaissance, en déterminant une peine contre un attentat si préjudiciable. » (Applaudissements.) (, Suivent 6 pages de signatures.) M. d’André. Il est de principe fondamental que dans tout corps délibérant la majorité doit lier la minorité. C’est la base de toute association, de toute espèce de délibération. Il serait donc parfaitement injuste, il serait surtout souverainement anarchique que la minorité d’un corps délibérant put se permettre des protestations contre le vœu de la majorité. D’après ce principe, je pense que vous devez décréter, pour l’avenir, que tout membre du corps constituant, du Corps législatif, qui protesterait contre les délibérations prises par le Corps législatif ou par le corps constituant serait, par cela même, déchu de ses fonctions. Cette loi est d’autant plus juste, qu’elle est conforme à vos principes. Vous avez décrété que Je représentant héréditaire de la nation, que le roi qui protesterait contre la Constitution qu’il a acceptée, serait déchu ; à plus forte raison le représentant qui protesterait contre le vœu de la majorité, c’est-à-dire contre la loi, doit être déclaré déchu de ses fonctions. Plusieurs membres : Non pasl non pas ! M. d’André. On me dit: non pas! Je pense cependant que le décret que je propose est nécessaire et je ne propose pas de lui donner d’efïet rétroactif. Ainsi il ne s’agit que des protestations à venir. Or, je détie qu’en principe on puisse contester que la majorité lie la minorité, puisque s’il pouvait arriver dans une seule occasion qu’il fût permis à la minorité de protester contre la majorité, il résulterait qu’il n’y aurait plus de loi; il n’y aurait plus que confusion et anarchie. Si ce principe est une fois posé et reconnu, je demande ce que c’est qu’une protestation, si elle n’est pas une opposition formelle de la minorité contre la majorité, c’est-à-dire une résistance directe à une loi faite, une véritable rébellion. Or, qu’est-ce qu’une rébellion contre le Cor ps législatif? C’est une véritable forfaiture. Quelle est la peine d’une forfaiture? La déchéance. Donc il est incontestable que, dans toute la rigueur des principes, un homme ou plusieurs hommes qui protestent contre Je vœu de la majorité ont encouru la déchéance. Il faut nécessairement que vous la prononciez; car si vous ne la prononcez pas, vous vous trouverez toujours dans l’embarras où vous vous ôtes déjà trouvés-, vous verriez tous les jours éclore des protestations nouvelles: tantôt ce serait un parti, tantôt ce serait l’autre, et le parti qui succomberait ne cesserait jamais de protester. Ainsi les peuples seraient toujours agacés par la différence d’opinions. Ils verraient d’un côté la majorité, de l’autre côté des protestations de la minorté fondées quelquefois sur des raisons apparentes. Vous n’auriez donc jamais de stabilité. Je ne pense donc pas que les principes et conséquences puissent être contestés. Cependant, d’après une réflexion qui m’est suggérée par mon voisin, que nous sommes dans une séance du soir, que dans les séances du soir on ne traite pas d’objets constitutionnels, je demande moi-même le renvoi au comité de Constitution, mais en sollicitant expressément qu’il nous en soit fait le rapport incessamment. Je regarde une pareille loi comme manquant à l’organisation du Corps législatif que vous avez décrétée, et comme devant en faire la base et le lien, parce qu’elle doit constater quel est le terme où se borne la résistance au vœu de la majorité. Il est permis de s’opposer au vœu de la majorité, jusqu’au moment où ce vœu est exprimé par un décret, jusqu’alors il est libre, il est imposé par le Corps législatif à tous ses membres le devoir de s’opposer à une loi lorsqu’on la croit mauvaise: on leur doit jusqu’alors liberté d’opinions; mais quand le vœu de la majorité est prononcé, il est du devoir de tout le monde de s’y soumettre. Je demande donc, Monsieur le Président, le renvoi au comité de Constitution, lequel nous en fera son rapport incessamment. (L’Assemblée ordonne le renvoi de la proposition de M. d’André au comité de Constitution.) M. Blin. Je demande, Monsieur le Président, que le comité de Constitution présente une loi pour tous les cas de déchéance que l’Assemblée pourra prononcer contre ses membres. M. Girot-Ponzol. Je fais une proposition à l’Assemblée qui dérive des protestations des 290. Parmi le nombre des protestants, il y en a qui sont officiers généraux dans l’armée. Ceux qui sont employés ne l’ont pu l’être qu’en prêtant le serment décrété par l’Assemblée nationale: or, ce serment, ils en contestent la légitimité; ils l’ont violé, ils n’ont pu conserver leur commandement que d’après ce serment. Par conséquent ce serment est nul et les fonctions qu’ils ont obtenues doivent leur être ôtées. Je demande donc que les membres qui ont signé la déclaration des 290 soient déchus des commandemenls et fonctions militaires qu’ils ont obtenu dans l’armée sans avoir égard à leur serment du 22 juin qui est antérieur à ladite déclaration. ( Applaudissements .) (L’Assemblée ordonne le renvoi de la proposition de M. Girot-Pouzol au comité militaire pour présenter un projet de décret à cet égard.) M. Chevalier fait lecture d’une adresse de 300 hommes de la campagne , qui composent la garde nationale d' Argent euil. Cette adresse est ainsi conçue : « Messieurs, « Nous sommes 300 hommes de la campagne, qui composons la garde nationale d’Argenteuil. Voici ce que nous avons dit en la formant, le 16 août 1789, ce que nous répétons tous les jours, et surtout en ce moment : 438 [Assemblée nationale.] Que la liberté soit notre général , La licence notre ennemi, Le bien public notre devise (1) et notre récompense. « C’est dans ces sentiments que nous avons prêté le serment que nous devions à la Patrie, que nous devions à vos décrets : « Hommes, nous les chérissons ; « Citoyens, nous y obéirons ; « Soldais, nous les maintiendrons. « Les commissaires à la rédaction ; « Signé : Aubry, Defer, Lire, Mesnil, Bray, Bertin, Tarlin, Sergent, Co-debec, Collet, P. Leclerc, Nayel. » Argenleuil, département de Seine-et-Oise, le 18 juillet 1791. M. Chevalier. On ne saurait donner trop d’éloges au patriotisme des habitants d’Argenteuil. La garde nationale de cette commune, craignant que la garde nationale de Paris soit fatiguée dans les circonstances présentes, 300 hommes s’offrent à venir à Paris pour soulager leurs frères d’armes. ( Applaudissements .) Les habitants de la campagne commencent à se ressentir des bienfaits de la Constitution. Rien n’est plus ardent que leur patriotisme. A Argenteuil la municipalité a été obligée d’arrêter l’effervescence de la jeunesse. Il n’aurait pas resté de bras pour les récoltes; tous voulaient pariir pour la frontière. Hier on a commencé des prières publiques dans tous les cantons pour l’achèvement de la Constitution, pour la tranquillité publique et la conservation des bons citoyens. Les femmes vont dans l’Eglise, les hommes vont dans les champs, et les jeunes gens montent la garde. (Vifs applaudissements.) (L’Assemblée ordonne l’insertion de l’adresse de la commune d’Argenteuil dans le procès-verbal.) Un membre fait lecture d’une adresse des administrateurs composant le directoire du département de la Seine-Inférieure : « Le décret que l’Assamblée nationale vient de rendre sur l’importante question de savoir si le roi devait être mis en cause, vous acquiert des droits éternels à l’admiration de l’Europe entière et à la reconnaissance de la nation ; votre courage a sauvé la nation, votre courage a sauvé la France. « Un décret contraire eût fait triompher les ennemis de la patrie, parce qu’il eût ébranlé les bases de la Constitution, parce qu’il eût mis l’Assemblée nationale en contradiction avec elle-même, parce qu’il eût entraîné à sa suite les mouvements de l’Europe entière, toutes les horreurs d’une guerre intestine, et la plus affreuse anarchie. « Que le roi ait eu des torts réels et graves fallait-il que la nation les rachetât de ses larmes et de son sang? C’est la nation que vous représentez ; c’est son intéiêt, son seul intérêt que vous avez dû fixer; c’est pour elle que l’inviolabilité a été établie, tant que le roi n’est pas tombé dans la déchéance, et ta déchéance n’était pas encourue par le fait, puisqu’il eût fallu créer une loi pour la prononcer. (1) La devise du drapeau d’Argenteuil porte un œil rayonnant d’argent, avec celte légende : Ouvert au bien public. Il9 juillet 1791.] « Vous avez su faire la Constitution et il faut qu’elle soit immortelle comme votre gloire. Vous venez de la consolider pour jamais. Malgré les factieux, malgré leurs funestes desseins, votre sagesse a su planer sur leurs têtes exaltées, et elle a prouvé que ce ne sera jamais que dans le sein de l’Assemblée nationale que les Français trouveront leurs véritables amis. » « Nous sommes, etc. « Signé : Les administrateurs composant le directoire du département de la Seine-Inférieure. » (L’Assemblée décrète l’impression de cette adresse.) M. Drouhin, citoyen de la section du Théâtre-Français , offre à l’Assemblée une gravure du portrait de Voltaire, qu’elle accueille avec grand intérêt. M. llillin fait hommage de la 8e livraison des antiquités nationales, que l’Assemblée reçoit avec satisfaction. Une députation de la commune de Château-Thierry est admise à la barre. L'orateur de la députation s’exprime ainsi : « Messieurs, « La construction d’un pont et le changement du lit de la rivière de Marne ont laissé dans le sein de. la ville de Château-Thierry trois mares pestilentielles. « Il y a 20 ans et plus qu’elle en sollicite le comblement. « Pendant l’année entière, et surtout dans les grandes chaleurs, un air putride et méphitique s’exhale sans cesse du foyer de ces mares ; et de là, les effets de cet agent destructeur se font sentir fort loin à la ronde; ce qui entretient au milieu des habitants un germe de contagion et de mort. <; Dès 1781, le ministre (M. Amelot) envoya à Château-Thierry deux députés de la société royale de médecine, pour constater le danger de ces mares. « Il fut démontré, par leur rapport imprimé et lu dans la séance tenue au Louvre le 31 août 1782, qu’il était important, très important pour la santé des habitants, de combler incessamment ces mares. « Alors le ministre promit tout; ceux qui lui succédèrent promirent davantage encore; et cependant la ville de Château-Thierry réclama toujours et n’obtint jamais rien. « Deux particuliers avaient acheté ces mares à vil prix de seigneurs qui n’avaient pas le droit de les vendre, puisque, provenant du lit d’une rivière navigable, elles appartenaient au roi, suivant la jurisprudence d’alors. Ces particuliers étaient riches ; eux et les vendeurs avaient trouvé le secret d’étouffer les plaintes de la ville. « Vint enfin la Révolution, et, avec elle, la Constitution, sur laquelle va reposer désormais le bonheur de cet Empire. « Représentants d’un peuple libre, cette Constitution est votre ouvrage : pressez-vous de l’achever, de le perfectionner, et voyez vos noms immortels passer à la postérité. <« La ville de Château-Thierry profita de la loi du 5 janvier 1791, relative au dessèchement des marais, pour renouveler ses démarches; elle fut ARCHIVES PARLEMENTAIRES.