[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juin 1791. J 383 animer les esprits contre lui, et dès le dimanche au soir, le club des Cordeliers se permit de faire afficher un arrêté dans lequel le roi lui-même était dénoncé comme réfractaire à la loi. Le lendemain, Sa Majesté monte en voiture pour partir; mais, arrivée à la porte des Tuileries, une foule de peuple parut vouloir s’opposer à son passage, et c’est bien avec de la peine qu’on doit dire ici que la garde nationale, loin de réprimer les séditieux, se joignit à eux, et arrêta elle-même les chevaux. En vain M. de La Fayette fit-il tout ce qu’il put pour faire comprendre à cette garde l’horreur de fa conduite qu’elle tenait : rien ne put réussir; les discours les plus insolents, les motions les S lus abominables retentissaient aux oreilles de Sa iajesté. Les personnes de sa maison qui se trouvaient là s’empressèrent de lui faire au moins un rempart de leur corps, si les intentions qu’on ne manifestait que trop venaient à s’exécuter; mais il fallait que le roi bût le calice jusqu’à la lie : ses fidèles serviteurs lui furent encore arrachés avec violence; enfin, après avoir enduré pendant une heure trois quarts tous ces outrages, Sa Majesté futcontrainte decéder et de rentrer dans sa prison ; car, après cela, onne saurait appeler autrement son palais. Son premier soin fut d’envoyer chercher le directoire du département, chargé, par état, de veiller à la tranquillité et à la sûreté publique, et de l’instruire de ce qui venait de se passer. Le lendemain, elle se rendit elle-même à l’Assemblée nationale, pour lui faire sentir combien cet événement était contraire même à la nouvelle Constitution : de nouvelles insultes furent tout le fruit que le roi retira de ses 2 démarches. 11 fut obligé de consentir à l’éloignement de sa chapelle et de la plupart de ses grands officiers, et d’approuver la lettre que son ministre a écrite en son nom aux cours étrangères ; enfin, d’assister, le jour de Pâques, à la messe du nouveau curé de Saint-Germain-l’Auxerrois. (Murmures.) « D’après tous ces motifs et l’impossibilité où le roi se trouve d’opérer le bien et d'empêcher le mal qui se commet, est-il étonnant que le roi ait cherché à recouvrer sa liberté et à se mettre en sûreté avec sa famille? « Français, et vous surtout Parisiens, vous habitants d’une ville que les ancêtres de Sa Majesté se plaisaient à appeler la bunne ville de Paris, méfiez-vous des suggestions et des mensonges de vos faux amis; revenez à votre roi; il sera toujours votre père, votre meilleur ami. Quel plaisir n’aura-t-il pas à oublier toutes ses injures personnelles, et de se revoir au milieu de vous, lorsqu’une Constitution, qu’il aura acceptée librement, fera que notre sainte religion sera respectée, que le gouvernement sera établi sur un pied stable et utile par son action, que les biens et l’état de chacun ne seront plus troublés, que les lois ne seront plus enfreintes impunément, et qu’enfin la liberté sera posée sur des bases fermes et inébranlables. « A Paris, le 20 juin 1791. « Signé : LOUIS. » « Le roi défend à ses ministres de signer aucun ordre en son nom jusqu’à ce qu’ils aient reçu ses ordres ultérieurs; il enjoint au garde du sceau de l’Etat de le lui renvoyer d’abord qu’il en sera requis de sa part. « A Paris, le 20 juin 1791. « Signé: LOUIS. » M. l’abbé Grégoire. Je demande le renvoi de ce mémoire au comité de Constitution, qui préparera une proclamation en conséquence, et qu’on passe à l’ordre du jour. (Cette motion est adoptée.) M. Barnave. Le mémoire qui vient d’être lu à l’Assemblée a trop d’importance pour qu’aucun des membres de cette Assemblée, aucun comité même puisse en être déclaré dépositaire sans autre formalité. Il doit donc préalablement à tout être signé et certifié par celui qui l’a remis à l’Assemblée, au moyen d’une déclaration attestant la manière dont il l’a reçu et le dépôt qu’il en a fait. Je demande en outre que le paraphe du Président et des secrétaires soit apposé sur chaque feuillet du mémoire, afin d’en constater l’authenticité. Je passe à une seconde proposition. Les circonstances sont trop graves: Le mémoire qui vient d’être lu, qu’il soit ou qu’il ne soit pas sorti de la main qu’on dit l’avoir écrit, aura néanmoins assez d’influence sur les esprits pour qu'il soit nécessaire de les rassurer tous, pour que la nation sache parfaitement à qui elle doit se fier et uels sont ceux qui resteront et qui voudront emeurer fidèles à ses intérêts et à ses volontés. Je demande que tous les commandants de la force publique qui sont à Paris] soient mandés dans le jour à la barre pour recevoir les ordres de l’Assemblée et prêter devant elle leur serment. M. de La Rochefoucauld. M. de Rochambeau est à Paris; on demande qu'il soit nominativement requis. M. Barnave. Ma motion se réduit à deux objets ou plutôt j’ai fait deux motions différentes: la première consiste à faire constater le mémoire qui vient d’être lu et à le remettre ensuite entre les mains du comité de Constitution; la seconde consiste à ce que les différents chefs de troupes qui sont actuellement à Paris, soient mandés à la barre pour recevoir les ordres de l’Assemblée et pour lui prêter leur serment. Et j’observe à cet égard que M. de Rochambeau, l’un des principaux chefs de l’armée de ligne, l’un des généraux en qui les qualités personnelles doivent appeler toute confiance, a déjà donné des preuves manifestes de son intention de suivre les ordres qui lui seraient signifiés par l’Assemblée nationale. Je me résume et je demande donc que le mémoire soit constaté et que le serment qui doit être prêté par les chefs des troupes le soit par les chefs des troupes mandés à la barre. M. Iuavenne. J’adopte entièrement la première proposition de M. Barnave : mais j’observe sur la seconde que vous avez chargé votre comité militaire de se rassembler à l’instant pour vous proposer les mesures les plus intéressantes sur la force publique. Je demande donc que vous attendiez son projet de décret, et que la seconde proposition de M. Barnave soit renvoyée à ce comité. M. le Président. Je mets aux voix la première proposition de M. Barnave qui n’est combattue par personne. M. Regnand (de Saint-Jean-d'Angêly). La motion de M. Barnave contient une autre disposition qui n’est pas moins importante : c’est celle que que j’avais eu l’honneur de vou3 faire, tendant 384 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juin 1791.] à ce que M. de Laporte donne une déclaration signée de lui. Ce sont deux dispositions absolument liées. M. Prieur. Je demande que le déposant paraphe aussi les feuillets. M. Robespierre. Je ne puis que m’étonner que dans de pareilles circonstances on ne propose que des mesures aussi insignifiantes et aussi illusoires, et qu’on n’offre à la nation, pour garant unique, qu’un nouveau serment après tant d’autres. Les autres mesures déjà prises par l’Assemblée nationale me paraissent également faibles et insuffisantes ; mais je crois en même temps que ce moment-ci n’est pas propre à préparer les hommes; qu’il faut connaître plus particulièrement les circonstances qui tiennent au grand événement qui nous occupe, avant de vous proposer d’autres mesures; et qu’il faut d’abord méditer profondément. Ce que l’Assemblée nationale doit faire pour ne point tromper la nation, c’est d’avertir tous les bons citoyens de veiller sur les traîtres, et au salut de la chose publique. M. Barnave. Je crois, par le principe même du préopinant, qu’il est absolument indispensable que l’Assemblée nationale, représentant la nation dans ce moment important, s’assure le plus tôt possible des intentions et de la fidélité de ceux qui veulent la servir. Je me réduis à ma première proposition, et j’appuie le renvoi de l’autre au comité militaire, à charge d’en rendre compte immédiatement. M. le Président. La première motion de M. Barnave tend à faire signer et parapher le mémoire du roi par M. de Laporte, par le Président et par MM. les secrétaires. Je mets aux voix cette proposition. (La première motion de M. Barnave est mise aux voix et adoptée.) M. de La Rochefoucauld. Tout en adoptant le renvoi au comité de la seconde motion de M. Barnave, je demande que les chefs militaires, qui sont actuellement à Paris, soient incessamment mandés. M. le Président. La dernière proposition de M. Barnave tend à charger le comité militaire de rendre compte, le plus promptement possible, des ordres qui doivent être donnés à tous les commandants de troupes de ligne qui se trouvent à Paris. M. Prieur. Si M. Barnave ne fait pas la proposition de les mander à la barre, moi, je la fais, parce qu’il ne faut pas que nous perdions un moment. Veuillez bien mettre aux voix celte proposition, Monsieur le Président. M. Regnaud (de Saint-Jean-d'Angély). La proposition de M. Prieur est directement opposée aux mesures que vous avez prises et au grand intérêt qui doit vous animer; voici comment je le prouve. Vous avez mandé les premiers organes, les premiers agents du pouvoir exécutif que vous avez dirigés par provision, et vous les avez renvoyés à leur poste pour y recevoir les ordres que vous leur donnerez et les transmettre à ceux qui les suivent. Vous ne pouvez pas, sans renverser la hiérarchie du pouvoir et l’ordre public que vous avez établi, correspondre directement avec les chefs de l’armée. Si l’Assemblée nationale a un ordre à donner à l’armée, elle l’enverra au ministre de la guerre qui le transmettra à tous les agents de la force publique. Si vous voulez donner des ordres immédiats, vous n’auriez plus d’ordre public avant qu’il soit 3 jours. Je demande donc qu’on attende les mesures que vos comités concertent avec les ministres, et que vous ne preniez pas de ces déterminations précipitées qui, loin d’assurer la tranquillité et l'ordre public, bouleverseraient tout. (L’Assemblée, consultée, renvoie la seconde proposition de M. Barnave au comité militaire.) M. Pison du Galland. Je demande que les articles 7 et 8 de la première section du titre II du Code pénal , que vous avez adoptés tout à l’heure, ne soient pas regardés comme détiniti-vement décrétés. J’ai, sur ces articles, quelques observations à présenter à l’Assemblée, et je crois ces observations utiles. (L’Assemblée, consultée, décide que la discussion sera reprise sur ces articles.) M. Le Chapelier. Il semble que l’urgence des circonstances ne permet pas de séparer l’Assemblée; mais nous pourrions suspendre la délibération pendant une heure, pour entendre alors le rapport du comité militaire. (L’Assemblée adopte cette motion). La séance est suspendue à quatre heures du soir ; elle est reprise à six heures. M. Bauchy, ex-président , prend le fauteuil. M. le Président. J’ignore s’il y a dans l’Assemblée un des rapporteurs des comités qui doivent présenter leur travail à cette séance; mais je viens d’apprendre que, dans quelques minutes, le comité chargé de la classification des décrets de ce matin, sera prêt à vous en faire lecture. M. Regnaud a la parole. M. Regnaud (de Saint-Jean-d' Angély). Quelques-uns des ministres des puissances étrangères, actuellement à Paris, ont témoigné quelques craintes assurément bien fondées. Je crois qu’il est important de leur faire notifier, d'une manière positive, qu’ils devront correspondre, comme par le passé, avec le ministre des affaires étrangères. Voici donc ma rédaction : « L’Assemblée nationale ordonne que le ministre des affaires étrangères fera connaître aux ambassadeurs et ministres des puissances qui sont à Paris, l’intention de l’Assemblée de continuer, avec leurs cours respectives, la correspondance d’amitié et de bonne intelligence qui a existé jusqu’à présent entre leur nation et la nation française, et les instruire qu’ils doivent remettre comme par le passé, à M. de Montmorin, les notes officielles dont ils seront chargés, de la part de leur cour. « Le ministre est chargé de faire donner des ordres particuliers, pour assurer la sûreté et la tranquillité des ministres des cours étrangères. » Plusieurs membres : Gela ne vaut rien. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angély) . Je ne vous propose cette mesure, que parce que quelques ambassadeurs ont témoigné des craintes et demandé une garde au commandant général.