622 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 décembre 1789. de renvoyer ensuite aux juges ordinaires, ne pouvant plus alors avoir d’exécution, quelque autre institution semblable pût assurer qu’aucune considération particulière, faveur, négligence, faiblesse ou même avarice de la part des premiers juges, ne pourraient jamais donner l’exemple pernicieux de l’impunité. L’expérience de tous les âges nous a appris que l’homme qui a le pouvoir de faire exécuter la loi est toujours tenté d’en abuser. La juridiction prévôtale, entièrement assimilée par les formes, môme celles de l’appel, et mise en concurrence avec celles des premiers juges, aurait l’avantage, en divisant le pouvoir, de multiplier les agents de la loi et d’assurer son exécution. Si elle disparait, l’autorité des juges sera sans bornes. Les sièges prévôtaux, formés de tous les juges ordinaires, plus un seul officier militaire dans chaque siège, seraient soumis à la surveillance des autres tribunaux. De cette surveillance réciproque naîtrait une émulation salutaire, et cet heureux équilibre qui fait disparaître tout arbitraire et tout abus de pouvoir. Nous avons établi dans notre première opinion que la maréchaussée ne pourrait être suppléée dans la poursuite des criminels, par aucune troupe différemment organisée. Elle a l’habitude de suivre la trace des coupables, les correspondances établies pour découvrir leurs retraites, les moyens de les atteindre et la force pour les arrêter. Enfin c’est son métier, et elle l’a si bien fait jusqu’ici, que la France était le pays du monde le plus sûr, et par conséquent le plus libre. Il faut qu’elle ait intérêt à continuer de le bien faire, ce métier si utile à notre tranquillité. Cet intérêt disparaîtra si rien ne l’anime, et si la maréchaussée, réduite à la seule fonction de saisir un criminel et de faire un procès-verbal de capture, est privée de tous les moyens d'en assurer l’effet à l’instant où elle s’en dessaisit pour le remettre aux juges ordinaires. Si elle cesse d’être juridiction, ce qui anoblissait son métier, elle ne sera plus qu’un instrument pour arrêter le coupable qui lui sera expressément désigné; et elle ne sera plus soutenue dans ce périlleux métier par ce sentiment qui le rendait si honorable à ses yeux, lorsqu’elle pouvait se dire : « C’est à la vigilance et à l’activité avec laquelle je poursuis le crime, j’arrête le criminel et je provoque la vengeance légale jusqu’au jugement définitif, que mes concitoyens doivent leur repos et leur sécurité. » Nous observons encore que dans ce moment d’anarchie où l’on n’ose presque faire justice d’aucun crime, où la fermeté des juges est travestie en forfaiture, où des méchants peuvent s’entendre pour accuser du crime de lèse-nation les juges intègres, dans la vue de les intimider et d’échapper par leur silence ou leur proscription, à la juste punition que leur courage et leur intégrité auraient provoquée sur des coupables ; dans un tel moment, disons-nous, détruire un seul des moyens qui peuvent servir à réprimer tant de désordres etde brigandages, ce serait non-seulement uue grande imprudence, mais une faute irréparable, dont les funestes conséquences iraient toujours en croissant. L’alarme de tous les citoyens serait extrême et elle serait fondée. Nous ajoutons que, si contre notre opinion, l’Assemblée nationale se déterminait à supprimer la maréchaussée pour faire faire son service par les troupes, il nous semble qu’il y aurait du danger pour la liberté, qui se trouverait ainsi à la discrétion d’un ambitieux qui les commanderait. Parce qu’il dépendra toujours d’un commandant de modifier le service et de relâcher à volonté l’activité des troupes, selon qu’il conviendrait à ses vues que le désordre fût plus ou moins grand dans le royaume. Le militaire n’est pas et ne peut pas être assez soumis au pouvoir judiciaire et civil pour faire le service que fait aujourd’hui la maréchaussée. Il faut à la loi un corps d’armée à part qui ne dépende que d’elle, et qui veille sans cesse en son nom à notre sûreté individuelle et à la conservation de nos propriétés; qui soit même, on ose le dire, une espèce de contre-poids à la force militaire toujours trop près de l’arbitraire, et dont il est trop facile d’abuser. La maréchaussée, augmentée et organisée ainsi que nous l’avons proposé, est l’institution la plus utile et la plus belle qui puisse assurer notre tranquillité. Nous concluons donc à ce que la juridiction prévôtale soit conservée avec les modifications convenables à la nouvelle constitution : en conséquence nous proposons qu’il soit décrété par l’Assemblée nationale : 1° Que les sièges prévôtaux établis et à établir dans toutes les résidences des lieutenants de maréchaussée, ne pourront à l’avenir juger, en aucun cas, en dernier ressort. Que les sentences par eux rendues, seront portées par appel au siège du prévôt général établi près du tribunal supérieur de chaque département, lequel assisté de onze juges de ce tribunal, statuera en dernier ressort, soit en confirmant, soit en infirmant lesdites sentences. 2° Que tous les sièges prévôtaux, soit en première instance ou en dernier ressort, seront assujettis à toutes les formes prescrites par les décrets de l’Assemblée nationale, et les anciennes ordonnances non abrogées, pour l’instruction et le jugement des procédures criminelles. 3° Que les sièges prévôtaux seront bornés à l’avenir à connaître concurremment avec les juges ordinaires du vol ou assassinat de grand chemin. 4° Que lesdits sièges prévôtaux connaîtront en outre de tous les crimes commis parles vagabonds, gens sans aveu et sans domicile ou qui auront été déjà frappés du glaive de la justice par des peines corporelles ou infamantes. 5° Qu’ils connaîtront également de tous les excès, et crimes commis par des gens de guerre, tant pendant la marche des troupes, que lorsqu’ils seraient commis par des soldats absents de leurs corps. 6° Que les sièges prévôtaux continueront d’informer de tous les crimes et délits, sans égard à la qualité des prévenus ; décréter, arrêter et interroger les coupables ; à charge d’en délaisser la connaissance aux juges ordinaires dans les 24 heures de l’emprisonnement. M. le Président lève la séance après avoir indiqué celle de demain pour 9 heures 1/2 du matin.