ARCHIVES PARLEMENTAIRES-[13 octobre 1789.] 414 [Assemblée nationale.] le despotisme s’en est emparé pour y engloutir ses victimes ou celles de l’intrigue. Mais si la capitale a par son courage détruit la Bastille, l’Assemblée nationale détruira sans doute par ses lois ces prisons illégales. Ces forteresses, dont le pouvoir arbitraire se ressaisirait un jour si jamais il était tenté de reparaître, sont inutiles pour tous les citoyens indistinctement, pour les innocents parcô qu’ils sont innocents, pour les coupables parce qu’ils ne doivent être convaincus jugés et punis, que seion les lois. Dira-t-on que la Tour de Londres présente une espèce de Bastille à côté du théâtre de la liberté anglaise? Je répondrai qu’en Angleterre, le parlement a une inspection égale sur les commandants et la garnison de la Tour, et que les prisonniers y sont assurés que leur procès sera fait publiquement avec des conseils et avec communication de tous les actes de la procédure comme tous les autres accusés. On m’opposera peut-être avec plus de raison qu’il faut des prisons d’Etat dès qu’il peut exister des crimes d’Etat. Oui, sans doute, il faut une prison d’Etat, mais ce ne doit être qu’une prison légale; ce ne doit être qu’une prison placée à côté du tribunal que vous devez créer pour juger les accusés de T exmajesté nationale et royale. A quoi donc peuvent servir ces prisons lointaines placées sur les frontières du royaume, ou dans les mers, c’est-à-dire loin de tout tribunal, loin de tout magistrat qui devrait juger les infortunés qu’on y détient dans les fers ? Les conserver, ces prisons d’Etat, n’est-ce pas annoncer à 1a. nation des citoyens sans patrie, des sujets sans lois, des prisonniers sans accusateurs, des hommes punis sans jugement légal et souvent sans motif? Si j’avais à parler à d’autres qu’aux législateurs qui ont tracé l’article 7 de nos libertés, c’est-à-dire de la déclaration des droits, je vous rappellerais des lois émanées du trône, et je citerais à la puissance législative une loi royale dont les expressions touchantes sont un hommage rendu à l’humanité par la sagesse: « Ces souffrances inconnues, ces peines Obscures, du moment qu’elles ne contribuent pas au maintien de l’ordre par la publicité et par l’exemple, deviennent inutiles à notre justice. » C’est ainsi que le Roi s’exprimait, dans sa déclaration du 30 août 1786, sur les prisons légales; c’est à l’Assemblée nationale d’en appliquer plus heureusement le principe aux Bastilles qui dégradent encore les provinces d’un royaume devenu libre. En abolissant les prisons d’Etat, par un décret solennel, après avoir rendu à la société et aux tribunaux les victimes nombreuses qu’elles recèlent, vous supprimerez comme une suite naturelle de la loi les commandements et les gouvernements que l’ancien régime rendait nécessaires et que la nouvelle législation rend trop odieux pour être conservés. Ainsi, Messieurs, en appuyant la motion de M. de Castellane, pour la liberté des citoyens détenus en vertu d’ordres arbitraires ou lettres de cachet, j’ajoute un amendement tendant à ce que ] les prisons d’Etat soient abolies, qu’elles soient dé-] truites ou converties en prisons légales, dans tous les lieux où elles pourront exister, sans danger pour la liberté publique et civile, et par voie de suite queles commandements etgouvernements de ces châteaux forts ou prisons d’Etat soient supprimés. M. Deschamps. Je pense qu’il faut demander au pouvoir exécutif une liste des prisonniers et l’exposé des motifs de leur détention. Un comité sera chargé d’examiner ces motifs. Les. innocents seront élargis, les coupables seront détenus, et il sera laissé à ceux qui seront accusés de crimes capitaux le choix d’être jugés ou retenus dans leurs fers. Je demande si c’est par amour pour l’humanité qu’on voudrait rejeter dans la société ceux que le repos et le salut delà société a exigé d’en soustraire ? Je demande encore si c’est par amour pour l’humanité qu’on voudrait livrer au supplice ceux à qui l’humanité a voulu en éviter les horreurs ? M. de Castellane répond que c’est par amour pour l’humanité qu’il a réclamé justice pour les coupables, parce que tout ce qui est injuste est inhumain. L’ajournement de cette motion est demandé et adopté. On propose de délibérer sur l’article de la motion de M. Deschamps, dont l’objet est de demander au pouvoir exécutif la liste des prisonniers et les motifs de leur emprisonnement. M. Robespierre. J’observe que cette motion tend à consacrer les lettres de cachet. Elle est contradictoire àcelle de M. de Castellane : admettre celle de M. Deschamps, ce serait rejeter l’autre qui vient d’être ajournée. On demande la division de celle de M. Deschamps. L’Assemblée décide qu’elle ne doit point être divisée. Gomme la première, elle est ajournée en entier. La séance est levée à onze heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU. Séance du mardi 13 octobre 1789, au matin (l). La séance est ouverte par la lecture du procès-verbal d’hier matin, celui du soir n’étant pas rédigé. M. l’abbé Maury et M. de Bonnal, évêque de Clermont, demandent l’agrément de l'Assemblée pour s’absenter quelques jours. M. le président est autorisé à leur donner des passeports. M. le Pré§ident donne lecture du nom des membres du comité de la marine dont la nomination a été faite par les voies ordinaires. Ce sont : (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [13 octobre 1789.] 415 | Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. MM. MM. Malouet. Le marquis de la Poype-r De Cliampagny. Verl vieux. Le comte Le Vassor de La La Ville-Leroux. Touche. Alquier. Le marquis de Vaudreuil. Lie Vialis. Bégouen. Curt. Paul Nairac. Le chevalier de Loynes de • La Coudraye. M. le Président donne lecture de la lettre suivante : « D’après le discours de M. Necker, il n’est au-. cun citoyen qui ne s’empresse de sauver l’Etat. Je déclare que je donne une année de tout mon revenu. « Signé : le comte de Corbière. » >• M. l’abbé Demandre, curé de Donnelay, adresse à l’Assemblée nationale un mémoire sur une découverte très-intéressante pour les arts et très-utile pour les ports de mer et les villes de guerre. L’auteur demande que sa découverte soit examinée par quatre commissaires. k M. le Président est autorisé à en désigner six, qui sont : . MM. Ml. De Vialis. Le marquis de Vaudreuil. Bureaux de Puzy. De Phélines. Malouet. De Bousmard. * Ces commissaires rendront compte de leur examen à l’Assemblée nationale. Un membre dénonce les abus qui se commettent dans la perception du contrôle, et fait une motion tendant à joindre tous les notaires députés au comité des domaines, et de donner aux juges royaux la connaissance de toutes les contestations sur cette matière. La question est ajournée. * M. Ic Président rappelle l’ordre du jour : la discussion des deux articles proposés hier par M. de Mirabeau sur la motion de M. l’évêque d’Autun, qui avait été ajournée à vendredi, mais indiquée pour aujourd’hui en dernier lieu. M. Target demande, dans un fort long discours, et qu’un membre observe être d’un style ► très-académique , la permission de lire ce soir des articles de la constitution d’un tribunal national. On revient aux principes concernant la propriété des biens ecclésiastiques. M. Tanjuiuais expose qu’il y a beaucoup d’autres projets qui rempliront les besoins publics; � qu’il faut les examiner avant d’exproprier le � clergé; que c’est là un procès de propriété qu’il ne faut juger qu’à la dernière extrémité. Cette opinion produit une agitation soudaine et de bruyants applaudissements parmi les membres du clergé ; les uns veulent proposer d’autres objets de discussion, les autres éloigner la question, presque tous l’éluder. Enlin il est décrété que l’on examinera la motion ■ de M. le comte de Mirabeau. Elle est ainsi conçue : « Qu’il soit déclaré : 1° que tous les biens du clergé sont la propriété de la nation, sauf à pourvoir d’une manière convenable à ia décence du cuite et à la subsistance des ministres des autels ; « 2° Que les appointements des curés ne seront pas au-dessous de 1,200 livres, non compris le logement. » Les uns demandent à parler sur la motion de M. l’évêque d’Autun ; les autres sur ia motion de M. de Mirabeau. M. de Montlosier obtient la parole. M. de Montlosier. La nation est-elle propriétaire? le clergé esl-il propriétaire? qui est propriétaire des biens du clergé ? On n’est propriétaire que d’une chose donnée ou acquise ; les biens du clergé n’ont pas été donnés ni acquis par la nation, donc la nation n’en est pas propriétaire. Le clergé , comme corps moral , n’est pas propriétaire et ne peut l’être ; les biens dont il jouit n’ont pas été acquis par lui; ils n’ont pas même été donnés à ce corps moral, mais à des institutions particulières ; le clergé n’est donc pas propriétaire. Qui sont donc les propriétaires de ces biens ? Ces propriétaires sont les institutions et établissements auxquels ils ont été donnés. La nation peut disposer de ces établissements ; elle peut disposer de leurs biens, elle ne peut en disposer par le droit de propriété, mais seulement par droit de souveraineté , et en dédommageant les titulaires; ainsi les titulaires actuels ne peuvent pas être dépossédés, mais le corps moral peut T’être ; et je me résume. La nation peut-elle disposer des biens du clergé? Oui. La nation est-elle propriétaire? Non. Le clergé peut-il être dépossédé? Oui. Les titulaires peuvent-ils l’être? Non, à moins qu’ils ne soient indemnisés et dédommagés par la nation. M. Camus (1). Messieurs, une possession de treize riècles, une multitude de lois, une intinité d’actes, qui portent, sur le point de fait, que le clergé est propriétaire de ses biens, annoncent l’importance de la question proposée: les biens ecclésiastiques appartiennent-ils au clergé ou à la nation? Le sens qu’on attribue dans cette proposition au mot clergé est susceptible de quelque explication. Si l’on entendait par le clergé chaque particulier qui en est membre, il ne faudrait pas hésiter à dire que le clergé n’est pas propriétaire. Si l’on appliquait celle dénomination à un corps qu’on supposerait formé de la réunion de toutes les personnes ecclésiastiques, la question deviendrait susceptible de difficulté. Mais toutes les incertitudes semblent disparaître, lorsque, s’exprimant dans des termes plus précis, on dit: chaque établissement ecclésiastique, chaque évêché, chaque chapitre, chaque monaslère est propriétaire des biens dont il jouit. Ces établissements forment autant de corporations, de personnes morales dont la réunion compose ce qu’on appelle le clergé, et c’est dans ce sens que nous posons en thèse que le clergé est propriétaire de ses biens et que la nation ne l’est pas. La démonstration de cette thèse dépend de trois points: la considération des principes, celle des faits, celle des objections. Dans les principes ; en quoi consiste le droit de (i) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Camus.