SÉANCE DU 11 VENDÉMIAIRE AN III (2 OCTOBRE 1794) - N° 53 227 de ralentir la marche du Gouvernement révolutionnaire, on doit l’accélérer, pour qu’il écrase sous son char brûlant tous les conspirateurs, et qu’il épouvante tous ceux qui seroient tentés de l’être. Art. V. - Nous croyons fermement que, quelles que puissent être les lumières du Comité de sûreté générale, il ne peut pas connoître aussi bien que les Sociétés populaires des lieux la conduite de ceux qui ont été incarcérés sous leurs yeux. Art. VI. - Nous croyons fermement que la Convocation des assemblées primaires dans ce moment serait le tocsin de la guerre civile. Art. VII. - Nous croyons fermement que la Convention et la Société des Jacobins professent les mêmes principes, et que toutes les Sociétés populaires jureront de périr avec elles pour leur soutien. La Société populaire d’Ussel est prête à sceller de son sang cette profession de foi. Vive le Peuple, vive la Montagne, vive le Gouvernement révolutionnaire. Le président et les secrétaires de la Société populaire d’Ussel, Lachaud, président, Lafon et Malguid, secrétaires. On lit une autre adresse qui, s’autorisant d’un passage de Rousseau, dit que dans ce moment l’humanité est incompatible avec le patriotisme : elle croit aussi que la liberté de la presse ne peut entraîner que de graves inconvénients. On demande, d’une part, la mention honorable, et, de l’autre, le renvoi au comité de Sûreté générale. CLAUZEL : Je m’oppose à ces deux propositions. Il est impossible que l’Assemblée ordonne la mention honorable, ni même le renvoi pur et simple d’une adresse qui ose dire que l’humanité est incompatible avec le patriotisme. L’Assemblée professe des principes tout contraires. Je demande que cette adresse ait le même sort que celle de la société populaire de Richelieu, que vous avez fait insérer dans le bulletin, avec une improbation formelle. Quand il serait vrai que le philosophe de Genève, cet ami de l’humanité, aurait écrit le passage qu’on cite, eh bien, ce ne serait, de sa part, qu’une erreur; car nul homme n’est exempt d’en commettre. Guyomar et plusieurs membres crient que le passage de Rousseau est tronqué, cité à faux. On observe qu’on ne peut pas improuver dans son entier une adresse où il y a des erreurs, mais aussi où il y a de bonnes choses. CLAUZEL : L’Assemblée ne peut pas approuver une adresse où l’on s’élève contre la liberté de la presse. Je demande l’improbation du premier article, et l’ordre du jour sur le reste (84). (84) Moniteur, XXII, 132. [Clauzel remarque qu’elle prête à J.-J. Rousseau un axiome qui n’exista pas plus dans son coeur que dans son esprit; elle prétend que ce grand homme a dit que l’humanité et le patriotisme étoient incompatibles, surtout chez une grande nation. Des murmures s’élèvent : Clauzel demande l’improbation de cette partie de l’adresse et l’ordre du jour sur le reste.] (85) THIBAUDEAU : On ose avancer que le patriotisme est incompatible avec l’humanité, quand le patriotisme n’est autre chose que l’amour des hommes, que l’humanité éclairée; il est temps enfin que la Convention se prononce, qu’elle mette un terme aux fluctuations qu’on veut imprimer à l’opinion publique. On a dit, il y a quelques jours, que c’était à elle à fixer cette opinion, et cela est vrai : qu’elle le fasse donc, il en est temps. Si quelques fripons se disputent dans des libelles l’influence qu’ils voudraient exercer, s’ils disputent leur tête au châtiment qu’ils ont mérité (on applaudit) c’est à la majorité de la Convention nationale, qu’ils voudraient entraîner, à laquelle ils voudraient faire partager leurs passions, à se montrer ferme, à mettre un terme à tous ces excès... On vous a fait, sur la situation de la République, un rapport dont vous aviez adopté les principes; vous aviez manifesté le voeu de les adopter pour règle de votre conduite. Eh bien, ces principes sont méconnus. Peut-être ces principes étaient-ils enveloppés dans de grandes considérations du bien public et d’intérêt commercial, peut-être étaient-ils obscurcis; qu’avez-vous à faire? Chargez vos trois comités de les en isoler, de rédiger une adresse aux Français, dans laquelle ces principes seront exposés d’une manière simple, distincte et positive (Vifs applaudissements). Alors vous verrez le peuple entier se rallier autour de ces principes (Nouveaux applaudissements). Vous aurez une pierre de touche pour distinguer ceux qui veulent la liberté pour elle-même des intrigants et des fripons. Quand on osera proférer dans les sociétés populaires ou ailleurs des principes opposés à ceux que vous aurez proclamés, on sera honni (Applaudissements). Après ces considérations générales, je vais vous citer quelques faits particuliers et une sorte d’escamotage qui se pratique dans la rédaction du bulletin. Hier on vous a lu une adresse qu’on vous a dit être de la société populaire de Poitiers, dans laquelle on vous disait que l’aristocratie et le modérantisme levaient une tête insolente, et que les patriotes étaient persécutés. J’ai été vérifier cette adresse. Le croiriez-vous? il y a plus d’un mois et demi que cette adresse a été rédigée (Mouvement de surprise); elle n’est signée que de sept individus ; et de ces sept individus, il y en a un qui est mort il y a plus de cinq semaines (Mouvement d’indignation). D’ailleurs, ces sept individus sont des scélérats qui ont été destitués par les représentants du peuple, et qui ont volé les effets des détenus. Il existe une déli-(85) J. Mont., n“ 156. 228 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE bération d’eux, consignée sur un registre, dans laquelle ils déclarent que, ne se rappelant pas la valeur des effets détournés, ils se soumettent à payer chacun à la nation, pour dédommagement, une somme de 22 L (Nouveau mouvement d’indignation). Je demande le rapport du décret qui ordonne la mention honorable de cette adresse au bulletin. Je demande que vos comités soient chargés de rédiger une adresse au peuple sur les principes que la Convention est déterminée à maintenir. J’ajoute un autre fait. Comment se fait-il qu’on ait oublié ou négligé d’insérer au bulletin une lettre de Chauvin, représentant dans le département où se trouve Poitiers, lettre dont la Convention a ordonné l’insertion il y a plus de quinze jours? (86) [Cette adresse n’a été lue que parce que quelqu’un, qui l’avait dans sa poche, ne l’a déposée apparemment qu’hier. Ce qui doit encore vous faire ouvrir les yeux sur l’impartialité du comité de Correspondance, c’est qu’il n’a pas fait insérer au bulletin une lettre de notre collègue Chauvin, reçue il y a huit jours.] (87) CLAUZEL : Je remarquerai que dans le comité de Correspondance se trouve Veau, qui, lorsqu’il apprit le décret d’arrestation contre Robespierre, s’écria « La Convention veut donc faire la contre-révolution! » Depuis, le même membre a envoyé des modèles d’adresse dans le sens que vous savez (On rit). Je demande que le comité de Correspondance soit renouvelé. LEVASSEUR (de la Sarthe) : Par un décret, on ne doit lire que les adresses communiquées et enregistrées au comité de Correspondance. Quant à celle de Poitiers, je ne la connais pas... Plusieurs voix : C’est toi qui l’as lue! LEVASSEUR : Il arrive tous les jours qu’on dépose sur le bureau du Président des adresses que les secrétaires sont obligés de lire, pour ne pas désobliger leurs confrères, mais dont ni les secrétaires ni les membres du bureau de Correspondance ne peuvent répondre, vu qu’ils n’en ont aucune connaissance. DUHEM : Vous avez hier entendu à votre barre la pétition contre-révolutionnaire du club électoral ; vous avez respecté en elle le droit de pétition; respectez-le donc aussi dans les pétitions dont il est question. Soyez justes : si vous êtes indulgents pour les gens égarés dans un sens, soyez-le aussi pour les gens égarés dans un autre. Un membre demande qu’on mette des bornes aux extravasions de l’opinion publique ; que l’assemblée la fixe enfin de manière à ce qu’on ne puisse pas l’égarer sans cesse, et à ce qu’elle ne flotte pas au gré des intrigants et des fripons (Applaudi). (86) Moniteur, XXII, 132; Débats, n“ 741, 143; (87) Gazette Fr., n° 1005. Clauzel rappelle ses propositions. On discute avec vivacité si le comité de Correspondance sera renouvelé. On observe que le renouvellement doit s’en faire le 16. Un membre objecte que ce renouvellement ne se fera que par quart ; il demande que le comité soit renouvelé en entier. Un membre : Citoyens, on n’insère au bulletin que les pièces dont l’Assemblée décrète l’impression, et telles que l’Assemblée les renvoie : je défie qu’on prouve que jamais le comité se soit écarté de cette règle; je ne vois donc pas pourquoi on frapperait ce comité d’une sorte d’anathème. Thibaudeau demande l’ordre du jour sur le renouvellement du comité de Correspondance, qui aura lieu, dit-il, en son temps; il rappelle ses propositions du rapport du décret relatif à l’adresse qui a donné lieu à la discussion. VEAU : Je demande à répondre aux inculpations qui m’ont été faites. A l’époque du 8 thermidor, j’étais depuis plusieurs jours dans mon lit : j’ignorais tout de ce qui s’était passé; je l’ignorais également le 9, lorsque l’officier de santé, qui me soignait, me remit les décrets de l’assemblée, non pas tels que l’assemblée les avait rendus, mais d’une manière très infidèle. Il semblait par ces décrets que le comité de Salut public était anéanti en entier; alors j’exprimai, non la crainte de voir la Convention nationale faire la contre-révolution, mais la crainte que l’anéantissement du comité de Salut public et du gouvernement révolutionnaire ne fut un moyen de contre-révolution. Dès que je sus que l’Assemblée était permanente, je m’y rendis, porté par l’officier de santé qui me soignait; alors, mieux instruit de ce qui s’était passé, j’ai voté, de toute mon âme, le décret qui mettait le tyran et ses complices hors de la loi. Quant à la lettre qu’on m’accuse d’avoir écrite, j’en ai le modèle, et j’offre d’en faire lecture ; ce sera ma justification. On réclame l’ordre du jour. Adopté (88). 54 Un membre du comité de Salut public donne des détails sur l’armée : il lit une lettre des représentans du peuple Féraud et Neveu (89). LALOY : Je viens, au nom du comité de Salut public, vous parler de vos armées. L’oeil (88) Moniteur, XXII, 132-133 ; Débats, n° 741, 143-146 ; Ann. Patr., n" 640; Ann. R. F., n° 11; C. Eg., n° 775; F. de la Républ., iT 12; Gazette Fr., n° 1005; J. Mont., n° 156; J. Paris, n” 12; J. Perlet, n° 739; Mess. Soir, n° 775; Rép., n°12. (89) P.-V., XL VI, 231. Ann. Patr., n° 640; Ann. R. F., n° 11; C. Eg., n” 774; F. de la Républ., n" 12; Gazette Fr., n° 1005; J. Fr., n° 737 ; J. Mont., n 156; J. Paris, n° 12; J. Perlet, n° 739; J. Univ., n° 1773; Mess. Soir, n° 775; Rép., n° 12.